Jean-Luc Parant – le chant du vide

C.M. – Mais la musique n est-ce pas le chant du vide ?
J.-L.P. – Oui, car si être aveugle c’est avoir perdu le soleil, être sourd ce serait avoir perdu le vide. Un texte qui ne laisserait rien entendre ne se laisserait pas lire.
La lumière sans l’espace ne pourrait pas l’éclairer, la nuit le recouvrirait aussi vite.
Si les oreilles sont placées de chaque côté de la tête et non ailleurs c’est parce que de chaque côté de nous il y a le vide sans fin.
À gauche et à droit nuit, devant nous le jour.
(extrait d’un dialogue avec Claude Margat )- CIPM editions
Esther Granek – Evasion

encres +collage Jane Cornwell
Et je serai face à la mer
qui viendra baigner les galets.
Caresses d’eau, de vent et d’air.
Et de lumière. D’immensité.
Et en moi sera le désert.
N’y entrera que ciel léger.
Et je serai face à la mer
qui viendra battre les rochers.
Giflant. Cinglant. Usant la pierre.
Frappant. S’infiltrant. Déchaînée.
Et en moi sera le désert.
N’y entrera ciel tourmenté.
Et je serai face à la mer,
statue de chair et cœur de bois.
Et me ferai désert en moi.
Qu’importera l’heure. Sombre ou claire …
Moisson du jour – (Susanne Derève) –

Les hélices du jour sur la montagne. Si près du ciel nous sommes,du bleu sans faille de la lumière où plongent les ailes du moulin, et j'en suis le meunier, j'en mouds le grain en farine d'azur, j'en pétris la mie tiède,du rouge et de l'or des forêts de sureaux et de hêtres où la route serpente,nonchalante, au flanc ensoleillé du Causse. A nos pieds la toile étincelante des prairies d’hiver, le vaste amphithéâtre des sapins, en sentinelle ardente, le fil ténu de la rivière … Déjà le jour chancelle,un fin quartier de lune fauche les blés du ciel, dans le vase étroit de la combe, le vin noir de la nuit s'enracine … Meunier déchu,j'y noie mes rêves d’éternel.
Hélène Cadou – Bonheur du jour

photo Ellen Hoverkamp
Je sais que tu m’as inventée
Que je suis née de ton regard
Toi qui donnais lumière aux arbres
Mais depuis que tu m’as quittée
Pour un sommeil qui te dévore
Je m’applique à te redonner
Dans le nid tremblant de mes mains
Une part de jour assez douce
Pour t’obliger à vivre encore.
Caroline Dufour – entre corps et ciel

photo Cig Harvey
une fenêtre
et un ciel d’automne
l’enfant dirait que tout y est
des morceaux de soleil et d’ombre
toute cette lumière qui danse
entre corps et ciel
vouloir ne savoir
rien que vivre
Age d’or – (Susanne Derève) –

Photographie RC (Lozère)
Le jardin le mur les sapinières le dos nu de la montagne Si loin que porte l’oeil les courbes se succèdent jusqu’à cerner le ciel Moi qui emprunte des chemins détournés de rocaille et de pierre le lézard me dit "hâte-toi" et je lui donne à boire la rosée de la nuit si pâle ce matin - peut-être de l’averse - L’orage avait fendu les fruits et les guêpes à midi creusaient l’entaille brune Blonde était la lumière qui s’attardait ce soir sur la montagne au-delà du jardin du mur de la frange bleue des sapins et du vieux pont sur la rivière
Gérard Noiret – A travers le vin

A travers le vin tu parles au village
de ta vie comme une hermine
lorsqu’elle s’arrache la patte
du ciel encore plus incapable de surprise
que de bleu. Certaines fois
tu t’éveilles dans tes phrases
sans pouvoir te situer ni savoir
d’où provient la lumière
(Au café de l’Eglise)
les grands ifs – ( RC )

ifs de la place de l’église d’Hurigny
—
Regrettes-tu de n’être
pas immortel ?
Où tu pourrais côtoyer peut-être
au milieu des cieux
les demi-dieux ,
les voir de près
si tu décollais de terre
si , aussi, tu t’élances
au-dessus des cyprès
et redoubles de patience –
Les grands ifs
puisent leur sang
dans la terre…
ils ont le temps
de balayer la lumière,
de leur tête verte.
Leur règne est végétatif ,
leur vie est ouverte
à tous les temps
tous les dehors.
Ils ont bien autre chose à faire
que de t’écouter,
toi qui voulais leur parler
depuis le cimetière
et te lamentes sur ton sort…
Il est vrai que ta vie n’est pas parée d’ailes,
et ne possède qu’un court avenir …
mais qu’y faire ?
Pierre Garnier – Heureux les oiseaux, ils vont avec la lumière

ce sont orthographes nouvelles :
abeille s’écrit abeil
soleil s’écrit soleille
les abeils habitent les abbayes
les soleilles sont désormais des sources
le féminin s’empare du soleille
le masculin s’empare de l’abeil
pendant cet instant la route de la mort
est barrée
l’abeil, la soleille
c’est la meilleure orthographe
apesant
le poète modifie le monde
la pomme devient poème
l’abeille courte devient abeil
les abeils et les soleilles se rapprochent
du presbytère
on y voit plus clair quand le poète
fait son orthographe
les abeils semblables à la lumière
et aux dentels –
les abeils, les abbés, les abbayes
proches maintenant
de la soleille
l’enfant regard’ le mur de l’écol’
par où passent triangles, losanges et sphères –
ainsi les papillons, les abeil’, les libellules –
le Vieil homme ne perd rien en perdant la vie
– il a atteint la cielle et l’abeil
origine : editions des Vanneaux
Rainer Maria Rilke – C’est presque l’invisible qui luit

C’est presque l’invisible qui luit
au-dessus de la pente ailée ;
il reste un peu d’une claire nuit
à ce jour en argent mêlée.
Vois, la lumière ne pèse point
sur ces obéissants contours
et, là-bas, ces hameaux, d’être loin,
quelqu’un les console toujours.
( extrait des quatrains valaisans )
Hannah Arendt – Heureux celui qui n’a pas de patrie

La tristesse est comme une lumière dans le coeur allumée,
L’obscurité est comme une lueur qui sonde notre nuit.
Nous n’avons qu’à allumer la petite lumière du deuil
Pour, traversant la longue et vaste nuit, comme des ombres nous retrouver chez nous.
La forêt est éclairée, la ville, la route et l’arbre.
Heureux celui qui n’a pas de patrie ; il la voit encore dans ses rêves.
Die Traurigkeit ist wie ein Licht im Herzen angezündet,
Die Dunkelheit ist wie ein Schein, der unsere Nacht ergründet.
Wir brauchen nur das kleine Licht der Trauer zu entzünden,
Um durch die lange weite Nacht wie Schatten heimzufinden.
Beleuchtet ist der Wald, die Stadt, die Strasse und der Baum.
Wohl dem, der keine Heimat hat; er sieht sie noch im Traum.
Cathy Garcia – printemps païen – végétal

Graines de désir,
Germées à l’ombre,
Au cœur du cœur.
Noyaux de vie,
Toute concentrée
Appelée à croître.
Pousses victorieuses
Et jaillissantes
Dans un premier
Éblouissement!
Feuilles enfants
Déployées,
La tendresse
Du fin duvet.
Rencontre avec l’eau,
Plaisir de la croissance,
Élévation.
Tige vivante,
Souple et caressante,
Tendue, dressée,
Portant ses fruits,
Sa fleur
En bouton secret.
Sortilège de la lumière
Conjuguée au vent
Et à l’amour!
Mystère éclos…
La fraîche merveille
D’un rouge délicat.
Robes de soie et de velours
Aux teintes les plus pures,
Parfums étranges et lourds.
Une corolle épanouie,
Un sexe frémissant,
Totalement offert!
Plénitude éphémère,
Le printemps
Pour lune de miel !
Anna Jouy – Je n’oublie pas

Je n’oublie pas. Pourquoi le ferais-je. Le souvenir est le petit oratoire de la mélancolie.
J’entasse le passé, les fanes d’hiers bien secs. Une odeur de soleil en fleur
Et parfois glisse sur l’image du jour, ce voile qui tombe sur les berceaux.
Je n’oublie pas comme on a bâti ma robe de mots, comme il a fallu y faire entrer le corps et l’âme engoncée.
Je n’oublie pas non plus la nudité des mains, le frêle tirage des rêves dans les cartes du futur. Tout ce qu’on a dit que j’allais devenir. Le pire, l’ordinaire et la sorcellerie.
Je suis sortie de vos dires et de vos mutismes, je suis issue de ces chemins ronceux qui jalonnaient vos vies, de vos bras implorant misère, de votre dernière larme.
J’ai traversé chacune de vos paroles, je les ai décousues de ma chair
parfois terribles parfois maudites et celles que vous avez prononcées de lumière comme une lampe torche remise en mes doigts pour poursuivre.
Je n’oublie pas que c’est des autres souffles que j’ai volé et que ce vent toujours fut l’ombre transparente de ma ligne de vie.
Futaie profonde, et solitaire – ( RC )

Parcourant la forêt, les troncs courbés
font comme une harpe
jouant une musique de lumière
que personne n’entend.
La futaie est profonde, et solitaire ,
personne ne m’entend chanter.
J’écris sur la terre humide
un poème,
que personne ne lira,
à part la lune
qui se penche vers moi .
inspiré par les textes de Wang Wei, voir « sous les pins »- calligraphie chinoise –
Ryan Adams – ténèbres
darkness isn’t anything but the space in between the light

Les ténèbres ne sont pas autre chose que de l’espace entre la lumière
Ryan Adams

le vide se creuse sous nos pieds – ( RC )

Désolé pour les rides
qui s’accumulent avec les années :
l’étendue de la consolation
ne tient pas compte du vide
qui se creuse sous nos pieds .
Nous buvons la lumière
à mesure que nous avançons.
Quand nous l’aurons toute épuisée,
nous ferons le chemin à l’envers
en remontant notre mémoire.
La lumière sera intérieure ;
— de l’incandescence,
il ne filtrera que peu de chose
personne ne pourra savoir –
que nous approchons la renaissance.
Christophe Condello – âme

Fille je suis fille
d’un homme d’une autre saison
feu je suis feu
de l’éclair et de l’univers
belle je suis belle
dans le don et le pardon
femme je suis femme
de pensées et d’évasion
flamme je suis flamme
de plaisirs et de passions
âme je suis âme
du présent et de l’horizon
âme je suis âme
âme je suis âme
mère je suis mère
de nos bases, nos fondations
fière je suis fière
de l’homme que tu peux devenir
cœur je suis cœur
du passé et de l’avenir
promesse je suis promise
sans ombre et sans trahison
forte je suis forte
de caresses et de tendresse
âme je suis âme
du présent et de l’horizon
âme je suis âme
âme je suis âme
sœur je suis sœur
de la terre et de la mer
racine je suis racine
de l’harmonie, de la vie
lumière je suis lumière
de nos clartés, nos voluptés
pleurs je suis pleurs
sur nos plaies, perles de rosée
amour je suis amour
le flux et reflux des marées
âme je suis âme
du présent et de l’horizon
âme je suis âme
âme je suis âme
femme je suis femme
debout, sans compromission
âme je suis âme
du présent et de l’horizon
âme je suis âme
du présent et de l’horizon
voir l’abondant site poétique de Christophe Condello où il met en lumière beaucoup de poètes connus ou moins connus ( en particulier celui de son pays, le Québec )
Face cachée – ( RC )

Faut-il que je me penche
sur mon passé
pour entamer le récit
à haute voix
des ombres portées
de la vie
dont j’atteins désormais
la face cachée ?
Je ne me retourne plus
que pour contempler
la couronne diffuse
des aurores boréales,
car le soleil
se tourne dans l’ombre.
Je consume lentement
le reste de mon existence
dont j’ai dépassé la moitié .
Les cigales chantent encore
mais elles sont en sursis
quand l’astre s’éteint.
Une lumière diffuse
m’accompagne
de l’autre côté de la planète.
Je t’y retrouverai peut-être
dans le dernier frémissement
de l’histoire qui s’achève.
Puis d’un bond,
je quitterai la terre,
ne laissant sur elle
qu’un petit tas de cendres,
pour entreprendre un grand voyage
parmi les étoiles….
Jacques Ancet – Courbe du temps –

souvenons-nous toujours de la lumière sur les fleurs roses du pêcher de la lenteur des gestes une main sur un front de la lenteur des choses cette lenteur terrible de la vie comme une boucle qu'on dénoue
Courbe du temps – 1971-1972 ( épuisé)
voir les blogs de Jacques Ancet :
http://jacques.ancet.pagesperso-orange.fr/textes.htm
T’offrir des fleurs de charbon – ( RC )

Attends que les volets soient clos,
nous entrerons dans une enceinte
au silence plein,
comme une grotte profonde
dont je ne connais pas le chemin.
Mes yeux ignoreront tout de la lumière;
il n’y aura plus de mots
juste la présence de ton corps
et de ton haleine .
Je choisirai un paysage
aux nuages anthracite,
une plaine débarrassée de ses montagnes vertes ;
je me pencherai alors pour t’offrir
des fleurs de charbon ,
de celles qui conservent un peu d’espoir
et brillent dans le noir
sans qu’on les voie.
Jean-Claude Goiri – Je TE restitue

Il n’y a plus de noir, il n’y a que la lumière pour assouvir ma soif, il n’y a plus de droites, il n’y a que des courbes pour conduire mes mains, il n’y a plus de paupières, il n’y a que persiennes pour assouvir mon noir,
je les tire quand je veux, personne ne me dira plus quand je dois les
tomber pour assouvir ses peines mais je serai ouvert comme un
rafraichissant éventail, il n’y a que le clair pour me servir de chemin, il n’y a plus rien à faire pour me sombrer dans le sombre, car si je te
vois, c’est que la lumière t’enrobe, et la poésie c’est assembler,
assembler tes ramures éclairées, la poésie c’est TE reconstituer, et puis
la poésie c’est surtout… surtout… la restitution, l’essence de l’acte
poétique est là:
Je TE restitue.
Nous ne sommes que lumière.

ph RC
La belle lumière – (Susanne Derève)

A la fenêtre ce matin un brouillard
à couper au couteau
– le jour entre parenthèses –
Hier pourtant voguait ma barque aventureuse
puisant un avant-gout de printemps sur l’eau
et l’eau chantait en courtes vagues sonores
dans l’échappée de soleil
comme un visage affranchi du masque
dévoile gaiement son sourire
Le dos rond des galets le sable léger du sentier
vibraient d’éclats de rire
C’est est fini aujourd’hui de la belle lumière
Nelly Sachs – Tant de graines aux racines de lumière

Ascension enflammée d’Élie avec une vie (XVIIe siècle) (collection privée)
Tant de graines aux racines de lumière
qui arrachent aux tombes leur secret
et le confient au vent
pour parsemer d’énigmes en langues de feu les chevelures
des prophètes,
et apparaissent dans le bûcher blanc du mourir
avec tous les aveuglements de la vérité
quand le corps près de là repose
avec l’ultime souffle dans les airs
et ce bruit de chaînes dans le retour
et l’enfermement de fer dans la solitude
et tous ces yeux perdus dans le noir —
-extrait de Enigmes ardentes ( recueil re-publié chez Verdier sous le titre « Partage-toi, nuit )
Benjamin Fondane – Ulysse, une déesse à tes côtés

Tu avais une déesse à tes côtés, Ulysse!
- À quoi sert-il de voyager?
Une jarre de lait calme, les cuisses de l’épouse,
les jours comme des pommes tombées dans le verger,
une belle lumière lisse,
la paix de l’œuvre faite et la nuit à l’auberge,
vieillir tout doucement près d’un pichet de vin
quand la lune blanchit le large,
tout en trinquant avec des marins revenus infirmes,
d’on ne sait quelles batailles louches
qu’on a du mal à épeler… - À quoi sert-il de s’en aller
déjà vaincu, avant d’avoir ouvert la bouche,
dans des pays d’où l’on ne reviendra
que vieux plein de sirènes
que l’on n’a pas écoutées de victoires manquées
« le cœur lourd d’avoir résisté à sa soif? »
Walter Helmut Fritz – mon signet

hier fut un brin d’herbe
assez éphémère
pour dans le souvenir
resplendir, pour dire
un chemin qui
continue à vibrer
dans ce poudroiement de lumière
qui ne cesse de
défricher la ténèbre.
extrait de « cortège de masques » éditions Cheyne
Un livre difficile absorbe son temps de lumière – ( RC )

C’est un livre difficile
qui absorbe son temps de lumière
avant que le savoir se diffuse
en pensées lentes
qui grandissent en toi :
heures de vie studieuses
où juste t’accompagne
dans la cellule vide
la flamme d’une chandelle .
Sa lueur vacille
au moindre courant d’air,
et si tu lèves les yeux du livre
pour la regarder,
seules, les ombres
accompagnent ta veillée,
hors du savoir
contenu dans ces pages .
Fais vite avant que la lumière chancelle
et finisse par s’éteindre,
transmets ce que tu apprends
à ceux qui viendront t’écouter.
Tu seras l’éclairage
précédant leur chemin solitaire,
un peu de liberté acquise
qui agrandit
leur vision du monde.

d’après « la solitude du rêveur de chandelle » ( Bachelard )