Réfractaire aux laboratoires – ( RC )
J’ai dû crever l’atmosphère :
des spirales m’entourent,
cristallisant l’univers :
il y a des miroirs tout autour,
qui bavardent tous ensemble
dans un grand palais des glaces
dont le centre flambe :
on dirait qu’on parle à ma place .
Ici, jamais le feu de s’éteint
et au milieu, je m’égare
ces discours ne sont pas les miens :
les reflets captent les regards,
> la lumière se plie , se déforme :
trop de gens se confient aux machines,
et portent l’uniforme
( beaucoup plus que l’on imagine )
c’est sans doute plus confortable
d’écouter leurs histoires ,
mais je ne suis pas programmable :
réfractaire aux laboratoires
comme aux puits de science
nourris de méga-octets :
> je contemple le silence
et me mets en retrait…
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RC – fev 2018
Jean-Michel Bongiraud – abeilles
animation Joel Remy – à partir du détail d’une peinture de G De Chirico
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La transfusion des spirales est aléatoire
Et les mathématiques sont un chef-d’œuvre hypnotisant.
Tout jargon contredit l’univers et les sens.
Ce qui se cristallise sur mon palais
Ces miroirs qui ne parlent pas
La face contre l’écorce nul ne règle le compas !
Je dis une histoire une source mal écoulée
Un feu qui s’éteint au fond de nous.
L’abeille a-t-elle un buste semblable au mien ?
L’aube ne sera jamais nouvelle
Et les hommes ont rempli leur brouette de machines
.
Je lance un ultime pavé.
Un cerceau au loin tombe dans le ravin.
Valery Larbaud – Thalassa ( fragment )
peinture: Charles Sheeler
Bruits du navire ; voix dans un corridor,
Craquements des boiseries, grincements des lampes oscillantes,
Rythme des machines, leur odeur fade par bouffées,
Cris mangés de vent, qui brouillent la musique
D’une mandoline égrenant : « Sobre las oias del mar… »
Et le bruit coutumier qui finit par être silence.
Oh ! sur le pont, là-haut, le vent long et féroce, le vent-pirate
Sifflant dans les cordages, et faisant claquer comme un fouet
Le drapeau de bandes et d’étoiles aux trois couleurs…
Valéry LARBAUD « Les Poésies de A.O. Barnabooth »
Une force brute, contre l’esprit – (RC )

Livres détruits par l’armée russe: université de Grozny, Tchétchénie
Maurice Fickelson – Pratique de la mélancolie – sur la colline
SUR LA COLLINE
Curieuses gens que ceux du village de N. : ils ont pour le soleil un attachement excessif, singulier, maniaque.
Et quelle façon de le démontrer !
S’ils habitaient l’une de ces froides et lointaines contrées du Nord que l’hiver enténèbre pour de longs mois, cela s’expliquerait, à la rigueur.
Mais ici… Je m’efforce de les comprendre, et même de m’identifier à eux en partageant leur mode de vie, en adoptant leurs manières, leur parler, leurs habitudes de table, tout ce qui peut marquer leur différence , leurs tâches qu’ils accomplissent avec une efficacité que l’on pourrait donner en exemple.
Le village de N. a eu la bonne fortune de se voir gérer par une suc-cession d’hommes remarquables, intuitifs et enthousiastes, soucieux du bien public et suffisamment avisés pour le faire entrer dans le siècle avec un peu d’avance, de sorte que la population, au lieu de décroître comme alentour, s’est maintenue, avec un niveau de vie rarement atteint ailleurs. Des experts suisses et Scandinaves viennent le visiter et s’inspirer de ses méthodes.
Ils repartent avant le soir pour aller se loger en ville.
Moi, je suis là à demeure. Je me plais dans cette ruche qu’est le village de N., où l’on a créé des ateliers d’une haute technicité, où il est aisé de trouver à la bibliothèque municipale l’ouvrage que l’on cherche, où il est toujours possible de rencontrer quelqu’un avec qui parler d’art, de littérature ou de cosmogonie.
Oui, tant que le soleil brille encore assez haut dans le ciel.
La plupart des gens de N. ont une qualification et leur emploi au village.
A les voir au travail, on ne pressent rien de ce qui va venir. Mais vers la fin de l’après-midi, ils changent : distraits, taciturnes, bientôt fébriles.
Ils suspendent le geste qu’ils vont accomplir, lèvent la tête, pareils à des animaux inquiets avant l’orage. Mais le ciel est pur. Rien n’altère la plus belle lumière du jour à son déclin. Et pourtant… Ils suivent des yeux le disque du soleil maintenant au bord de l’horizon. Alors, comme à un leurs comptes, et, par petits groupes, ils s’assemblent, avec l’air décontenancé de ceux qui ne savent quelle résolution prendre dans leur détresse.
Ils restent encore un moment immobiles, le visage rougi par les feux du couchant, puis, subitement, se mettent en marche. Ils marchent de plus en plus vite, ils grimpent en courant la colline, anxieux d’en atteindre le sommet avant que le soleil sombre définitivement.
Ils arrivent en haut juste à temps pour le voir disparaître, et lorsqu’il n’est plus qu’une mince trace de lumière plus vive dans le rougeoiement du ciel, ils sautent, ils sautent, pour un dernier regard, une dernière vision.
Comme ils sautent ! signal, ils abandonnent leurs instruments, leurs machines.
Après « soir de mai », c’est le deuxième extrait de ce livre, paru chez Gallimard, dont on peut trouver une analyse ici.
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