Pierre Seghers – entre les mailles des buissons

photographe non identifié
Entre les mailles des buissons
Pris à la nasse d’eau des sources
Il vécut dans la fosse aux ours.
O le temps des maisons du vent
Il a campé sur l’océan
Il a mangé le pain des vagues,
Il but l’hiver avec l’été
Le chien de peur à son côté
Le ciel a rongé son visage.
Tous les paluds ont la vérole
Il eût fallu tant de parole
Pour proclamer ce qu’il savait
Que dans le vent, la boue, la colle
Il traînait des semelles folles
De silence et de vérité.
Quand les marais perdaient sa trace
Il était l’hôte de l’espace
Il mâchait l’herbe et le roseau.
Et sur les routes de Décembre
Il brûlait de gel et d’attendre
Le dernier des quatre chevaux
Vagues de laine – ( RC )
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C’est un troupeau dans un enclos en pente ;
Il se gorge de l’herbe grasse,
– un corps solidaire à têtes multiples –
dont la masse dissimule
ce qui reste de sol.
A les voir moutonner, se presser en vagues
de laine à palper du regard,
à défaut des doigts,
dans la tiédeur confuse
ondulée par le soleil .
Lui, rebondirait sur ces îles.
Elles se séparent et gravissent ensemble la pente ;
elles se suivent, et dessinent en beige clair
le tracé du chemin , laissant sur place
les têtes de rochers, nues .
Brebis et bêlements se déplaçant aussi.
( J’aurais voulu plonger dans leur manteau blanc,
les boucles autour des doigts,
connaître de mes paumes
le museau fébrile de l’agneau ).
Mais du troupeau, maintenant hors de vue,
stationné, peureux, sur une autre pente.
Il n’est resté, quelques instants plus tard,
qu’un enclos désert,
derrière les mailles de son grillage .
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RC – nov 2015
De l’image, son retour permanent – ( RC )

sculpture: La Dame d’ Elche, Huerto del Cura, Elche, Espagne
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Ce texte est une variation » réponse », sur celui de Jean Malrieu ( qui suit )
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D’avril à novembre,
De Novembre à avril,
Je tisse à l’endroit, à l’envers,
Des mailles pour que je contourne l’hiver .
J’écris toujours, à la lumière de tes feux :
Et ceux-ci sont un don.
Une présence faisant s’ouvrir mes yeux,
Même aveuglé par la pluie fine des jours .
Ceux ci passent et, même changeants,
Sont un retour permanent .
Et si les sillons du temps,
Laissent leur empreinte sur ma peau…
Ton image est un miroir,
Suspendu quelque part,
Impalpable et lisse,
Au delà du tain .
Chaque chose est nouvelle,
Et toi, vivante, au défilé des heures.
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RC – nov 2014
—
.
Je suis devant toi comme un enfant,
plein de pluie et de ravage,
ai cour d’un automne de silence
comme au centre d’une place assiégée
par l’herbe brûlée.
Je t’écris pour alléger le temps.
Cette page que je griffonne est un miroir.
D’elle va surgir un destin inattendu.
Car ma lutte contre le temps est ancienne.
J’écris toujours la même chose :
elle est nouvelle.
Que je lise à l’envers, à l’endroit,
l’inquiétude est éclairée
Je n’y peux rien.
Les années passent, me révèlent.
Mon visage s’affirme sous la pluie fine des jours
qui vient vers nous sur ses milliers, de pas agiles.
J’écris pour être avec toi
dans la paille douce et chaude de la vie.
Jean Malrieu
Lost ( RC )
Il n’ y avait plus de train,
Pour aller plus loin,
alors, je suis resté,
Parachuté ici,
Où tout y est miséreux,
Usé par le temps, crasseux,
écrasé des indifférences,
C’est comme enfiler des vêtements,
Qui ne sont pas siens,
Avec des plis irréversibles,
Des taches incrustées,
Et des mailles qui se lâchent…
Et emprunter une voie qu’on a jamais remarquée,
Une voie de garage, au sens propre.
Des odeurs tenaces de vieilles huiles,
Des odeurs étrangères,
Insérées dans les tôles bariolées du port,
Menant vers le plus inconnu encore,
A la lumière éteinte et des plages noires,
Au delà d’un horizon ourlé de gris,
Scandé d’échardes de grues rouillées.
Il y avait cet attroupement,
Et à voix basse, ce cercle de gens,
Aux bleus délavés,
Comme leurs yeux, noyés,
Dans les vapeurs de vodka,
Autour du corps défait d’un marin,
– Le sel faisait des cristaux sur sa peau.
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RC – 4 septembre 2013
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