Corps de Ménéham – ( RC )

photo RC Ménéham juillet 22
Corps de granit en bord de mer,
au hasard , tu verras des maisons minuscules
par rapport à ces géants de pierre.
Comme elles le peuvent, elles se dissimulent
tout en espérant
se mettre à l’abri du vent
et des embruns, derrière les roches.
Pas question pour un Petit Poucet
de s’égarer dans la forêt.
Même si l’océan est proche,
( la futaie est lointaine:
les rochers se referment
sur la terre ferme ):
Possèdes tu le sésame
qui permet d’ouvrir les demeures secrètes
du village de Ménéham ?
si tu veux je te le prête,
mais ne penses pas y trouver
un trésor caché
par les flibustiers :
on ne compte plus les heures
avec le temps qui passe
sur les légendes
parmi les herbes de la lande.
Seuls ces grands corps demeurent:
corps de granite
qui restent sur place
aux grandes formes insolites.
Ils ne confieront rien de leur âge
à ceux qui viennent visiter le village.
André Henry – ce n’était pas assez
Ils vous ont enlevé vos couteaux, vos lacets,
Vos maisons, vos jardins.
Ce n’était pas assez.
Ils vous ont poursuivis, ils vous ont pourchassés,
Sur vos mains, sur vos pieds,
leurs yeux se sont posés
Pour guetter le non-sens.
Ce n’était pas assez.
Ils ont fermé sur vous
les portes successives.
Ce n’était pas assez.
Vous preniez trop d’espace,
Ils entendaient vos voix, ils entendaient vos pas.
Ils ont poussé sur vous l’ombre
Et les murs
Qu’ils vous avaient laissés.
Ce n’était pas assez.
Ils auraient bien voulu murer vos cris, vos yeux.
Ils auraient bien voulu que vous disparaissiez.
Bassam Hajjar – Ils recouvrent de blanc ton absence
Lorsque tu la quittes
ses murs se rapprochent
la maison qui, délaissée,
trouve son âme dans un coin
et devine, depuis un instant seulement,
la toile d’araignée qui pend
dans le familier
devenu vacant.
S’éloigne-t-elle maintenant ?
Ou bien la fais-tu basculer dans le vide
de tes yeux mouillés
dans tes mains
dans le grand air
des lieux éloignés
comme si la fenêtre derrière toi
regardait vers le dedans
et s’éloignait à son tour
tandis que t’absorbent la rue et le tournant
avec une boule dans la gorge
de la taille de l’océan.
Elle ne te voit plus maintenant
la maison qui se blottit dans les entrées désertes de son âme
comme si dans le silence de ceux qui restent, là-bas,
elle baissait la tête et prêtait l’oreille
à l’écho des pas d’hier
à l’écho du rire ou du chuchotement dans les salles de séjour
et les chambres
dans la cuisine
sur les étagères et la table
dans les coeurs étincelants des bouteilles d’eau et de cognac.
Comme si elle devinait
que la petite femme
habitait toujours son coeur
et marchait pieds nus pour ne pas troubler la quiétude
dans son esprit brisé,
comme un murmure
qui s’élèverait en elle, .
et de ses flancs
coulerait l’aigreur de l’attente.
Comme si, quand nous partons, c’était la maison qui nous
quittait,
les tableaux et les étagères descendent des murs
les récipients s’en vont
les meubles aussi
la couleur quitte la maison
tandis que les rideaux restent tirés sur son secret
ainsi que les amantes.
Comme elle est nomade, la lumière
et comme l’ombre est sédentaire
Et les maisons dans la mémoire sont des chambres obscures
des couloirs
la respiration tranquille des draps endormis
réfugiés dans la béatitude de leur bleu
seuls et lisses
seuls et creux comme les veuves
les veuves que sont les maisons
lorsque nous nous éloignons d’elles,
que nous faisons signe de loin
et qu’elles font signe de loin.
Puis la trame de l’horizon se relâche
et l’air se tend,
ni l’oeil ne voit
ni les fenêtres ne clignent
et entre eux la distance commence à se remplir, le temps
commence à creuser.
Ma fille distribue-t-elle en ce moment les rôles du soir ?
Discute-t-elle avec sa voisine la poupée ?
Fait-elle manger Snoopy avec sa petite cuiller ?
Trouble-t-elle l’esprit tranquille de la maison ?
Ou bien dort-elle ?
Et quand la mer passe dans sa nuit
elle se retourne, comme sur l’écume d’une vague,
et son visage s’éclaire, halo de sommeil.
La somnolence c’est aussi les maisons
leur apanage et leurs fantômes cachés
lorsque l’air, alourdi par la fumée et les lampes du soir,
endort la petite femme sur le canapé
tandis que se noie la table du bureau
dans le flot des néons
que bâillent les papiers et les livres
que s’arrête le poème.
Lorsque tu la quittes
ses murs s’écartent
La maison, vaste,
imite le désert des livres
le hurlement des loups au loin
tandis qu’un écho s’écoule de ses flancs.
Qui est l’absent ?
Les choses sont à leur place, sauf toi
les choses sans toi
te cherchent là où tu n’es pas.
Ils te voient là où tu n’es pas.
L’absent est avec eux
dans la photo, sur la chaise, derrière la table,
derrière la fenêtre,
ou bien tu avances, sous leurs yeux, dans la rue
les pieds exilés et le torse maigre.
\
Béatrice Douvre – L’oiseau
–
peinture : Victor Brauner promenade de l’oiseau – 1958 Grenoble
L’oiseau ensemble
Ton pays se souvient
De la tempête ouverte
D’un nom plus fort que les oiseaux
D’un vent serré dans les mémoires
Les grands toits de la neige attendrissaient nos doutes
Nous courions, enfants des libertés d’oiseaux
Sous des rocs confus de la mémoire divine
Un grand souffle éclairait nos lampes dégagées
Ton pays se souvient-il
De la terre et du vin
Que nous buvions sans doute
Dans les maisons fermées ?
—-
Yannis Ritsos – Inévitable
photo: Lydia Roberts
Ils sont partis, l’un après l’autre.
Nous avons attendu.
Ils ne sont pas revenus.
Comment peut-on s’habituer à tant d’éloignement ?
Ni montagnes, ni arbres, ni maisons,
ni gens du tout, et les noms oubliés,
et la cendre répandue jusque dans les pages vierges.
Seulement dans le champ sec aux ronces jaunes,
a poussé une rose comme par erreur. La nuit,
souviens-t’en quand tu regarderas au loin, vers le large,
les trois petits feux errants. Souviens-t’en.
O, triste, inconsolable clair de lune, garde-moi.
Karlovassi, 10. VII. 87
Veronique Joyaux – Poème à Salah
peinture – Joachim Patinir, Crossing the River Styx, 1515-24
J’écris aussi pour toi
prisonnier des geôles de Bagdad ou d’ailleurs
Pour toi que l’on fait taire que l’on torture
J’écris pour toi qui n’as pas de mots
Parce que tout enfant déjà tu travaillais
J’écris pour les femmes cachées
dans leurs voiles et leurs maisons
J’écris pour ceux qui n’ont pas la parole
pour leur donner existence et dignité
J’écris pour ouvrir les portes
Je m’immisce dans les interstices.
Si je devais rendre grâce ce serait à des silences
Silence entre toi et moi quand tout se tait et que les gestes parlent
Silence des amitiés ferventes des paroles suspendues
Silence des arbres dans la nuit
Des pas dans la neige un soir d’hiver très doux
Si je devais rendre grâce ce serait à l’infime
Une trace d’oiseau sur la terre ameublie
Un froissement d’aile entre les nuages étonnés
Une parole non dite un espace entre deux corps attendris
Si je devais rendre grâce ce serait à la poésie
Celle de Victor Jara dans un stade du Chili
De Nazim Hikmet dans les geôles de Turquie
De Dimitri Panine dans le Goulag de Sibérie
De Mendela dans l’Afrique meurtrie
De tous les hommes qui parlent
au nom de ceux dont la parole s’est tarie
Si je devais rende grâce j’en serais affaiblie
Mais riche de tous les infinis.
Bassam Hajjar – maisons pas encore achevées
Maisons improvisées dans l’étendue vide
pas encore achevées
et vides encore
d’ habitants.
Mais elles sont, depuis le commencement, habitées par le personnage
des souvenirs.
( Comme s’il n’y avait pas de mur et qu’avec cela, malgré cela,
on y ouvrait une porte. Comme s’il n’y avait pas de père, de
mère, d’enfants, et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
lits, des vases, des livres et une table. Comme s’il n’y avait pas
de salle de séjour et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
canapés, une table basse, une lampe, une télévision, des tiroirs
pour le papier à lettres, les journaux intimes,
les numéros de téléphone, les adresses postales, la note de l’épicier, la facture d’électricité, la boîte d’aspirine, les stylos à encre, les crayons à papier, le livret de famille, le vieux passeport, la boîte de dragées et la vieille montre, la boucle d’oreille qui reste en
attendant de retrouver l’autre, le carnet, beaucoup de clés,
dispersées ou reliées par un anneau et personne ne se souvient
maintenant si elles ouvraient des portes et où sont ces
portes…)
–
extrait de « Tu me survivras – «
Rabah Belamri – Les fenêtres sont vides
Les fenêtres sont vides… Pour Odile et Anne
les fenêtres sont vides
la pierre de la porte offerte au silence
retient le regard
les rideaux ne bougent plus derrière les vitres brisées
lourds de la cendre des cœurs
dans l’ombre des maisons nues
l’été dérive comme une mer de solitude
le passant se retourne et se tait
de l’autre côté de la route
le vertige des tournesols découpe
l’éternité en tranches
Rabah Belamri
Alessandra Frison – Les dernières maisons
Les dernières maisons ont disparu
et les barrières pressées par les minutes
rongent l’âme.
Je ne peux l’écrire
ce cœur qui s’enfonce sous terre
colore une dernière écaille de moi
dans les cheveux ou sous
la poussière du plâtre
qui est toujours écran de vie,
complète distance de qui te fleurit
de qui à la fin disparaît comme le pli
dans le livre la page blanche
ton nom.
*
Sono sparite le ultime case
e i cancelli coi minuti addosso
si mangiano l’anima.
Non lo posso scrivere
questo cuore che si interra
colora un’estrema scaglia di me
tra i capelli o sotto
la limatura del gesso
che ancora è schermo di vita,
completa distanza da chi ti infiora
da chi si perde alla fine come la piega
sul libro la pagina bianca
il tuo nome.
Villages morts – figures d’un exode rural – ( RC )
Un hameau abandonné entre Alés et Saint Ambroix (Vallée de la Cèze)
–
En traversant, l’espace d’une déchirure,
Certains diraient « cauchemar »,
Des villages désertés,
Où la vie s’est repliée,
Desséchée. –
–
Certains,
Où se multiplient les vents,
Et battent portes et volets ,
Sur les façades des maisons vides.
–
Et risquant mes pas,
Sur l’absence,
Le cataclysme passé,
Dont on ignore les vraies causes…
–
Le foudroiement lent,
Du défilé des années,
L’impossibilité de continuer,
A subir les assauts de l’hiver,
Où il est juste question de survivre,
–
Alors que l’avenir n’est est plus un,
Que les sources se tarissent…
Et aussi, l’exode vers les villes,
Font, que, petit à petit,
La vie se déplace,
–
Et qu’ici, seuls restent,
Accrochés à leur passé,
Les arbres,
Qui font le lien,
Entre le ciel et la terre,
Si , plus personne ne vit ici.
–
Seuls reviennent,
Le temps de quelques mois,
Les vacanciers,
Epris de paysages champêtres,
–
Fuyant le bruit et la fureur,
Des banlieues grises,
Des appartements étroits,
Et des parkings payants.
–
Mais ce sont des temps d’illusion,
Dont on revient vite,
En faisant la queue, sur les autoroutes.
Car le pays réclame son dû,
Et reprend ses droits
–
Il ne peut pas être regardé,
Comme une simple carte postale,
En couleurs, et seulement en été,
Quand les saisons, sont là,
Comme ailleurs,
–
Et le gel et la boue,.
Et que les ronces prolifèrent,
Dans les maisons abandonnées,,
Aux toits effondrés…
Et sans bétail, les champs aux herbes folles.
–
RC – 20 novembre 2013
–
note: ces « villages morts » sont aujourd’hui une réalité, dans les zones « reculées », où l’accès y est difficile…
… d’autres sont restaurés mais sont sous « perfusion », d’une vie artificielle, quelques semaines dans l’année, et fermés le reste du temps, en particulier dans les zones touristiques, où seul le « loisir en boîte », fait recette,.
C’est bien là que s’exprime de façon évidente , un paradoxe, entre l’apparence, et la vie authentique, symbolisée par l’existence même de ces villages .
–
La matière vidée d’elle-même ( RC )
……… Je vois à travers les murs , des maisons cimentées, Il y a trois fois rien, et les matériaux flottent bizarrement dans une atmosphère de coton, chaque chose a pris une texture autre, et décide de sa position.
Les poutres se croisent et envisagent un dialogue inédit, les vantaux des fenêtres battent sur l’air, où se mélangent les végétaux et la pierre.
Il vient une joyeuse suite de framboisiers, qui surgit d’un ancien papier peint, pour s’enrouler sur les tuyauteries, amoureusement.
L’escabeau aux anciennes coulées de peinture, servant de perchoir à des lézards multicolores, attendant on ne sait quoi, ….peut-être des insectes errant sur les lourds fauteuils du salon pris par des racines, et ne dévalant pas un angle, que l’on peut qualifier de faux plat, défiant l’horizon bleuté des montagnes, là-bas.
Si loin, si proches.
La matière s’est vidée d’elle-même, de sa masse et de sa chair,
Et retournant nostalgique, vers l’abstraction, sur l’hypothèse incertaine, où lutter contre la pesanteur ne serait plus nécessaire,…. comme un jeu dont les règles s’inverseraient, à la fantaisie des heures.
Et la vie de même,qu’une rivière fantasque, prenant un autre cours, changeant son tracé, au gré du relief et des époques.
–
RC – 16 juin 2013
–
Beatrice Douvre – enfances
Enfances
Ô douleur
Ô joie
C’était parmi les vents
Et nos maisons
D’enfance avaient duré
Pierre
Après pierre en démesure
Se souvenant .
–
Beatrice Douvre.
Mobile ( RC )
–
Il y a des perles rouges
Que l’on suit à distance
Et des étoiles de lumière
Filant de l’autre côté
Avec leur traînée blanche
Qui balaie un instant la route
En courbes pointillées,
Du contour des collines.
La nuit est tombée doucement,
Enveloppant le parcours,
L’habitacle, une bulle bercée
Du ronronnement du moteur…
Les kilomètres s’alignent,
Les villages lentement bougent
De l’autre côté de la vallée,
Et défilent en nombre.
Les maisons alignées,
Les tours illuminées,
Les avenues orange, et
Les néons des enseignes,
Bataillent contre le sombre,
Et disparaissent soudain
Au détour de la route,
Ou derrière un rocher,
Avalés par la distance
Et le sillon goudronné
Qui, lentement se déroule
En suivant le fil du temps,
Frêle ruban de la nuit
Se déplaçant, parallèle,
Aux efforts mesurés
De mon automobile.
–
RC – 9 novembre 2012
–
Ps : « au fil du temps », est un film ancien de Wim Wenders

photo; grandereveuse
Si le chemin est lourd ( RC )
Parle quelquefois l’enfant en moi,
J’ai les yeux qui piquent
Soleil mandarine
Bagarre dans la cour
Genoux frottés ( un sol en ciment )
Le chemin est lourd
Les oiseaux loin
Je sais les étapes
Le couvent, la place, les magasins ………….
Et les joues qui flambent
A mes pieds je traîne, – boulet-
Plus de cinq-cent mètres , avec
La rue défoncée – et ses yeux en flaques
Le regard sévère
Des maisons d’en face
——————- que dira ma mère
de mon maillot lâche
du manteau sali –
… et de l’oeil au beurre noir ?
RC 11 septembre 2012
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Bombardements de Homs (RC)
photo d’actualité- immeuble détruit à Homs
Il y a quelque chose de la nuit
D’un grand oiseau sombre
Qui replie lentement ses ailes
La venue incertaine du jour,
La quête du regard
Au milieu des grisailles
Quand dans les maisons tombées
Et les corps écrasés
Surgit encore la plainte
D’un nouveau né.
RC 5 juin 2012
–