Mario Benedetti – des mots qui n’existent plus

Combien de mots n’existent plus.
Le présent repas n’est pas la soupe.
L’eau qui reste ici n’est pas la mer.
Une aide c’est trop demander.
Il n’y a rien à vivre et il n’y a plus rien, sauf mourir, quand on m’enlève les mots .
Et pas de sauts à la corde, de mains qui ensemble se tiennent
, sourires, caresses, baisers.
Le lit de la maison est une lande imprononçable :le repos des mourants,
dans les spasmes agités, quand on sent que l’on vit encore.
Province d’Udine, Codroipo, le malade des deux poumons,
le pantalon trop large, le visage avec la peau sur les os,
le nez effilé , ce n’est pas quelque chose à raconter, ni les souvenirs.
Se savoir aride, se sentir aride…
Et je me dis, réalisez donc, n’ayez pas seulement vingt ans,
et une vie comme éternelle, pour juste me faire du mal.
( traduction « improbable de Google trad, » au mot à mot modifiée pour que cela soit plus compréhensible. )
texte issu du site une nouvelle poésie italienne.
Abdallah Zrika – Vides tortueux
photo » Géo » La voix berbère – janvier 2018
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Rien
Rien
Le ciel est chauve
sauf de quelques corbeaux
Les poils de la terre
ressemblent aux poils des oreilles
L’atmosphère est vide
vide
même du vide
Les passants ont une tête de clef tordue
La peur est blanche
au sommet des montagnes
Les fronts sont des planches mortuaires
Les livres des pierres tombales
Les ponts des dos de vieillards
Les arbres des mollets de malade
L’ennui tourbillonne comme la poussière
Les ombres se sont gravées dans la terre
Les chiens qui aboient là-bas
Sont les seuls à vouloir congédier
Le rien
Bernat Manciet – Je tiens dans les doigts ces quelques grains encore
vase grec lekythos Pâris & Hélène
XVIII
Je tiens dans les doigts ces quelques grains encore
et de mon pouce naît ce psaume
rare éclaircie de ma journée
mon été tient dans cette paume
je les regarde sans étonnement
et sans plaisir et sans raisonnement
sans nul regret :
ils sont ce qu’ils sont la nuit arrive sérieuse et calme
pourtant je te les donne
pour l’amour du jeune malade
qui m’a guéri d’être un homme accompli
et qui ressemble tellement à ton sommeil
pour le dédain qu’au soir tombant je porte
et pour la honte aussi d’avoir aimé
Roberto Bolaño – Sale, mal vêtu
J’étais malade, certes, mais j’étais vivant.
En el camino de los perros mi alma encontró
a mi corazón. Destrozado, pero vivo,
sucio, mal vestido y lleno de amor.
En el camino de los perros, allí donde no quiere ir nadie.
Un camino que sólo recorren los poetas
cuando ya no les queda nada por hacer.
¡Pero yo tenía tantas cosas que hacer todavía!
Y sin embargo allí estaba: haciéndome matar
por las hormigas rojas y también
por las hormigas negras, recorriendo las aldeas
vacías: el espanto que se elevaba
hasta tocar las estrellas.
Un chileno educado en México lo puede soportar todo,
pensaba, pero no era verdad.
Por las noches mi corazón lloraba. El río del ser, decían
unos labios afiebrados que luego descubrí eran los míos,
el río del ser, el río del ser, el éxtasis
que se pliega en la ribera de estas aldeas abandonadas.
Sumulistas y teólogos, adivinadores
y salteadores de caminos emergieron
como realidades acuáticas en medio de una realidad metálica.
Sólo la fiebre y la poesía provocan visiones.
Sólo el amor y la memoria.
No estos caminos ni estas llanuras.
No estos laberintos.
Hasta que por fin mi alma encontró a mi corazón.
Estaba enfermo, es cierto, pero estaba vivo.
Edmond Jabès – comment, de la sagesse, conserver toute la jeunesse?
portrait F Hodler
« Il ne faut jamais laisser réfléchir les malades
— écrivait ironiquement un sage.
« Pour eux, la maladie prime sur tout le reste.
Et c’est le contraire de la sagesse.
« Un malade n’a-t-il pas, récemment, sombré
dans la démence à force de se croire, réellement, malade?
« C’est qu’il souffrait, sans le savoir, d’une autre maladie. »
On ne meurt que d’une mort : celle à laquelle on ne s’attendait pas.
Une flamme ne suffit point à la gloire de l’incendie.
Il s’aperçut, en vieillissant, qu’une question,
pour lui, prenait, chaque jour, plus d’importance: comment ne pas vieillir?
Mais il se trompait de question, celle qu’il
aurait dû se poser est la suivante : comment, de la sagesse, conserver toute la jeunesse?
Le rien est plus audacieux que le tout.
Pas d’espoir d’éclaircie – ( RC )
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photo Loren Wohl
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Il se peut que se mélangent
La terre et le ciel,
Et que les heures
Ne se distinguent plus.
Sur un monde enveloppé de brumes,
Où sont donc ses limites ?
Car même l’horizon se dissout
Avec cette pluie.
Elle était hier,
Et le jour avant,
Elle semble ne jamais finir,
En noyant l’espérance
Longue et insistante,
Bouchant toute trouée,
Tout espoir d’éclaircie
Aux ombres si figées,
Que peut-être le soleil n’est plus
Lui aussi,
( S’il existe encore…)
Qu’une boule détrempée,
Malade, et perdue
Etouffé au milieu des nuages,
Et dont on ne perçoit
Même pas, le cri.
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RC – 15 novembre 2013
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Patrick Laupin – sans oracle
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Sans oracle
C’était quand même un peu disparaître
derrière quelque chose
derrière le mur physique des paroles
non pas une disparition — une déperdition
mot à mot lettre à lettre et tout le langage
dispersé dans ma tête
où je voulais j’espérais que la compréhension
naisse identique à l’amour
Fête de mai ni feuille ni théâtre
l’ombre noyée de mon angoisse
et la très haute lumière des chambres
froissée dans ce point de rêve endolori
d’où je m’éveillais enfant dans la coupure terrible
et noire d’un point diurne forcené d’irréalité
Que n’ai-je à espérer jour après jour
que la lente amère balancelle d’un présage
Ô signe physique d’un langage
des rythmes sacrilèges
une vitalité presque malade
Des portes un soir ou un matin
quand toute la douleur fêlée
des signes de dissociation
vanne un cri d’appel au creux du monde
du proche et du lointain qui souffrent encore
Ma terre de vision mes rêves de douleur
jamais nous ne sommes semblables
Déjà la masse noire confuse des corps auprès du lac
et l’ironie tragique des arbres sous la pluie
J’ai souffert te servir
j’ai ouvert des portes sans te trouver
je chérissais un principe d’espérance
je me suis retrouvé comme j’étais
triste, imbécile, marchant les deux pieds devant
ne voyant même pas l’âme d’un Dieu frôler mes yeux
Avril ne m’a compté que la cruelle étude apatride
et je n’ai pas vu le vent simple derrière l’ordre
ébloui du monde — Sans oracle
Je me suis mal protégé de ces roses mystérieuses
et fatidiques de l’aurore
qui élèvent en moi leur sentence
comme des temples ou des strophes puériles de la mort..
Patrick Laupin, extrait de La rumeur libre (Corps et âmes), Paroles d’Aube, 1993
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