Gabriela Mistral – L’attente inutile
sculpture en bronze représentant une fille tenant un cadran solaire, au jardin botanique de Brooklyn
—
J’avais oublié qu’était devenu
rendre ton pied léger,
et comme aux jours heureux
Je suis sortie à ta rencontre sur le sentier.
J’ai passé vallée, plaine, fleuve,
et mon chant se fit triste.
Le soir renversa son vase
de lumière, et tu n’es pas venu !
Le soleil s’effilocha,
coquelicot mort consumé;
des franges de brume tremblèrent
sur la campagne. J’étais seule!
Au vent automnal craqua
d’un arbre le bras blanchi.
J’eus peur et je t’appelai ;
Bien aimé, presse le pas!”
J’ai peur et j’ai amour,
presse le pas, bien-aimé!
Mais la nuit s’épaississait
et croissait ma folie.
La espéra inûtil.
—
J’avais oublié qu’on t’avait
rendu sourd à mes cris;
j’avais oublié ton silence,
ta blancheur violacée;
ta main inerte, malhabile
désormais pour chercher ma main,
tes yeux dilatés
sur la question suprême!
La nuit agrandit sa flaque
de bitume; augure maléfique,
le hibou, de l’horrible soie de son aile,
griffa le sentier.
Je ne t’appellerai plus
car tu ne parcours plus ton étape;
mon pied nu poursuit sa route,
le tien est au repos.
C’est en vain que j ’accours au rendez-vous
par les chemins déserts.
Ton fantôme ne prendra plus corps
entre mes bras ouverts!
Personnages de la balustrade – ( RC )
fresque : San Antonio de la Florida : F Goya
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Tout autour de la balustrade ,
sont rassemblés des personnages
comme dans un tribunal:
Ils semblent être dans l’attente
d’un évènement peu banal
qui ne saurait tarder.
Au-dessus, passent des nuages,
et quelques anges , très sages..
dans un paradis de stuc et de rocs .
On ne sait d’où ils s’échappent,
ni ce qui les dérangent
ou les provoquent .
Tout ce monde se déhanche,
en étoffes et effets de manches…-
mais leur attitude se fige :
Eveillés par le moindre bruit,
leurs têtes, d’un même mouvement,
se penchent brusquement …
Leur regard me suit, mécanique ,
de manière insistante et maléfique ,
dès que je me déplace…
Descendus du monde céleste ,
ce sont comme des rapaces ,
épiant chacun de mes gestes…
Un regard de glace ,
qui vous figerait le sang :
immobilisés sur place …
ce qui me ramène pourtant
des siècles en arrière,
quand les trompettes altières
résonnent dans l’arène :
– Voila donc l’aubaine
semblent-ils se dire :
une occasion rarissime
pour convoquer les vampires
et désigner la victime ….
L’imagination accompagne presque
le mouvement des ailes
se détachant de la fresque .
Ils vont trouver un motif
pour aiguiser leurs griffes,
et basculer dans le réel…
Déjà, brillent des yeux noirs,
que j’avais entr-aperçus …
acérés et cruels…
Oui, je n’aurais jamais dû
entrer dans cette chapelle:
une sorte de purgatoire
En ce lieu,
où l’on chercherait vainement Dieu
la porte s’est définitivement close .
– …. c’est ainsi que fanent les roses …
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RC mai 2017
Tu me parles encore tard, le soir ( RC )
Tu as découpé des morceaux de brume
Pour que je reçoive la confusion du ciel
Les ornières d’où la lumière
N’en sort que poussières
Aux après-midi lentes
Où tu élèves de néfastes serpents
De discours prolifiques
Se lovant à mes pieds
En nœuds maléfiques
Tu me parles encore tard, le soir
M’étirant jusqu’à la fuite du jour
Et aux ombres de la nuit venue
Vient encore la mémoire.
A jouer des diagonales sur les cases
Découpage des silhouettes , et perspectives
Ce sera ton langage, mon image
Ton image, mes soirs , toujours
Au plateau lisse des contrastes
Où se promènent encore
Le cavalier et la reine
En combats de reflets.
Bien que , les pièces hautaines
Aient pourtant repris , depuis longtemps
Leur place , dans la boîte capitonnée de rouge.
RC – février 2013
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