le vieux manteau, au square du jardin de ville – ( RC )

Je suis resté immobile
avec mon vieux manteau
couvert de feuilles mortes
au square du jardin de ville :
je suis venu chaque jour d’hiver,
j’attendais ta chanson:
le froid fut sévère,
mais n’eut pas raison de ma passion….
Ce ne fut qu’au printemps
que le gel libérant les sèves,
fit que toi, ma fontaine,
retrouvas tes eaux…
Ta sculpture au regard fier,
tes jupes de pierre
retrouvant leur souplesse
alors j’ai quitté mon banc
et laissé mon manteau,
qui, de détresse,
partait en lambeaux…
la musique a été transportée ailleurs – ( RC )
peinture: Paul Delvaux
J’entends le silence,
comme un souffle en négatif,
.. et c’est la nuit.
Evidemment la musique est toujours là.
Mais elle a été prélevée, et se trouve ailleurs
en-dehors de la ville,
dans une petite pièce
où deux femmes en miroir lisent un petit livre,
accompagnées dans leur pensée
par la mélodie du chalumeau.
( vous savez, cette toute petit flûte
qui a accompagné
la traversée de l’eau
dans l’histoire du musicien d’Hamelin
entraînant avec lui rongeurs, et enfants ) .
Ici c’est un homme
en grand manteau rouge
comme sorti
d’une peinture allemande.
Une étrange lueur nimbe les lectrices .
Une fausse perspective,
au sol en damiers rigides
curieusement ouverte
permet pourtant aux roses
de s’épanouir, malgré l’obscur .
–
RC – oct 2017
( d’après une peinture de Paul Delvaux )
Robert Desnos – A la faveur de la nuit
–
Se glisser dans ton ombre à la faveur de la nuit.
Suivre tes pas, ton ombre à la fenêtre,
Cette ombre à la fenêtre c’est toi, ce n’est pas une autre,
c’est toi.
N’ouvre pas cette fenêtre derrière les rideaux de laquelle
tu bouges.
Ferme les yeux.
Je voudrais les fermer avec mes lèvres.
Mais la fenêtre s’ouvre et le vent, le vent qui balance
bizarrement la flamme et le drapeau entoure la fuite
de son manteau.
La fenêtre s’ouvre : Ce n’est pas toi.
Je le savais bien.
—–
Corps et biens (1930)
Armand Robin – XII
XII
Une femme pas vieille, Mais vieille communiste,
Étendit les bras, cria :
— Arrachez-moi du corps les haillons du dogme!
Revêtez-moi d’un manteau tout simple !
Elle s’est réveillée, couverte de plaies
Et comme stigmatisée :
Le sang que dans les geôles versent
Ceux qu’assassinent les messieurs des bureaux
Perlait sur ses tempes.
–
( tiré des « poèmes pour adultes » )
—
voir aussi « l’homme qui fit tous les tours »
Vagues de laine – ( RC )
–
C’est un troupeau dans un enclos en pente ;
Il se gorge de l’herbe grasse,
– un corps solidaire à têtes multiples –
dont la masse dissimule
ce qui reste de sol.
A les voir moutonner, se presser en vagues
de laine à palper du regard,
à défaut des doigts,
dans la tiédeur confuse
ondulée par le soleil .
Lui, rebondirait sur ces îles.
Elles se séparent et gravissent ensemble la pente ;
elles se suivent, et dessinent en beige clair
le tracé du chemin , laissant sur place
les têtes de rochers, nues .
Brebis et bêlements se déplaçant aussi.
( J’aurais voulu plonger dans leur manteau blanc,
les boucles autour des doigts,
connaître de mes paumes
le museau fébrile de l’agneau ).
Mais du troupeau, maintenant hors de vue,
stationné, peureux, sur une autre pente.
Il n’est resté, quelques instants plus tard,
qu’un enclos désert,
derrière les mailles de son grillage .
–
RC – nov 2015
A la surface, où le silence se fracasse – ( RC )
–
Le soleil rebondit,
Quelque part,
Après les brumes,
Et s’infiltre avec peine,
Au milieu des branches,
Encore vides.
Les feuilles naissantes,
Attendront encore,
L’explosion de l’ivresse
L’eau a son reflet , mat,
Mordue par la glace,
Tu peux te risquer, à sa surface ,
Où le silence se fracasse,
En ombres effilées,
Extraites des pliures du matin,
Quand l’heure stagne,
Sur les tiges frêles, prisonnières de l’étang.
Le verre cathédrale,
A déjà son réseau de fêlures,
Lézardes en ricochets
Certaines sont dûes,
Aux cailloux qu’on y a jetés,
Et qui sont restés posés,
Comme un défi aux fonds soyeux,
Où tout s’enfonce dans une vie secrète.
Tu serais comme une pierre,
Figé de froid,
Même sous ton lourd manteau,
Et seul le regard mobile,
Se verrait chercher sous l’épaisseur,
A peine translucide,
Sans vraiment le vouloir,
Des mouvements furtifs, mêlés de reflets.
Le nappage répandu en couches ,
Au long des nuits, allongées de gel ,
A jeté son pont
Au-dessus de l’eau.
> Elle est la vie,
Des carpes sombres la parcourent,
En arabesques capricieuses,
Ignorant le monde clos, du dessus.
–
RC – avril 2014
–
Bassam Hajjar – Mets une girafe dans un bol, un poisson dans un jardin

peinture Petite Lap de Cat Painting
METS UNE GIRAFE DANS UN BOL,
UN POISSON DANS UN JARDIN
Habitons-nous dans le nuage bleu
que Marwa dessine à côté de mon nom ?
Quand le fracas se rapproche de la fenêtre
quand les meubles s’accroupissent dans les coins
ou que les rideaux prennent peur,
ni le nuage ne pleut,
ni mon nom n’embellit le monde.
Alors toi ma fille, dors,
et quand je somnolerai un peu
Je te promets de rêver de toi
de vider mon crâne de sa lourde quincaillerie
et de penser au nuage bleu
a la maison
au seuil
aux fruits qui ressemblent aux papillons
aux papillons qui ressemblent aux fruits
Uniquement quand tu les dessines.
Je te demande alors :
pourquoi ne dessines-tu pas le monde entier
pour qu’il lui soit donné de ressembler à quelque chose ?
Mets une girafe dans un bol
un poisson dans un jardin
mets un oiseau et un rhinocéros dans la même cage
et crois qu’ils vont s’aimer
parce que tu le veux ainsi
avec l’entêtement qui te fait considérer le sommeil
comme de fausses vacances.
Mets, quand tu dessines mon visage,
un peu de fatigue sur mes traits
une seule ligne sur mon front
pour que je considère que je suis au milieu de la vie
et non à la fin.
Mets une lueur de la couleur de ton choix
pour que la sécheresse ne s’attarde pas dans mes yeux
mets de l’eau en quantité
pour qu’il me reste deux mains énergiques
des moustaches
et un coeur rabougri, tant le vide fait siffler ma poitrine.
N’oublie pas les lits pour dormir
les bouches pour sourire
et un peu de larmes
seulement
pour nous rappeler de temps en temps
avant de l’oublier
comment un homme pleure comme une femme
comment une femme pleure comme une femme
comment ils pleurent, tant les pleurs les rassemblent.
Habitons-nous dans la petite boîte
que tu meubles avec des bouts de papier
des allumettes et des cuillers ?
Et puis arrive ta fille, jolie comme une poupée,
pour nous apprendre comment les poupées sont heureuses
sans parler
délicates, sans que personne ne leur manque.
Puis tu fermes la porte,
tandis que l’homme se souvient qu’il est un homme
et la femme qu’elle est une femme,
ils se souviennent qu’ils s’éloignent ensemble
chacun tout seul,
vers une obscurité redoutable.
Mets une étagère pour la lampe
une patère pour mon manteau ou mon chapeau
mets une nuit tiède après chaque jour
et des voyageurs
qui ne manquent pas leurs rendez-vous
ni de frapper à la porte
et de t’entendre courir
et jubiler derrière la porte.
–
(Paris, fin décembre 1986)
–
extrait de « tu me survivras » Actes/sud
François Corvol – le cours
Le cours
Petite mort je te vois
dans ma cage thoracique
te mouvoir former des losanges
des bulles dans l’eau
et dans ta peau
ce manteau rouge
où naissent les oiseaux
l’essor de mes pages
je suis aveugle
pour ceux qui voient
et mort cent fois
à suivre les morts
Noté dans Poésies
–
Conte d’élections, sur rimes en O ( RC )
Enluminure: la tempête apaisée
–
Roi et prince sont dans un château –
Autour du château – des douves remplies d’eau –
Des nuages éclatent – nous dit la météo –
Ce qui veut dire – il ne fait pas beau –
On pourra constater qu’il pleut à seaux –
Roi et prince tombent alors dans les flots –
Point de barque qui passe – ni de bateau –
Couronne roule par le fond – avec ses émaux –
Si un des deux survit ( ou sauvera sa peau ) –
Flotteront des plumes – celles d’un beau chapeau –
Canards ou canetons suivent – ou autres animaux –
Le vol des vautours , voire des corbeaux –
Sous l’oeil étonné , de nombreux badeaux –
…. Succession oblige – se présentent hobereaux –
Ducs, barons, – Sarko et généraux –
Chacun à brandir son propre drapeau –
Et même , la faucille et le marteau –
On a toujours besoin de nouveaux héros –
Pour repartir de zéro –
Ne se voient pas de la cuirasse, les défauts –
Nouveau roi, nouveau prince – portés haut –
– Tu parles d’un cadeau ! –
Du grain ou de l’ivraie, savoir le vrai du faux –
Peu importe qui revêt l’hermine à son manteau –
On peut toujours promettre l’eldorado
> Tout ça c’est du pipeau
Il y a des princes et des vassaux
Plutôt que d’être égaux, c’est la parade des égo
Petit peuple se contente d’une chemise, ou d’un maillot –
( car point trop n’en faut )
–
RC – 26 décembre 2012 – juin 2016
–
Manteau de terre ( RC )
photo: Edward Weston 1939
J’ai retourné la terre
Et extirpé le chiendent
Qui pousse comme il résiste
Aux paroles les plus aimables ;
J’ai trouvé dans le sol, le canon d’un fusil rouillé,
Il était caché là, comme un vieux témoin,
Taiseux de son histoire
Et de celle des hommes
J’ai senti le poids
De la terre tendre mes bras,
Comme elle peut recouvrir
Les plus lourds secrets
Et préserver dans son ventre,
Un centre qui ne dit rien
Jusqu’à ce que le jour,
Pose son regard inquisiteur
Si un jour arrive
Où de lointains descendants
Joueront de la pelle,
Pour savoir ce qu’il fut
De l’histoire des hommes
Sur laquelle l’ombre s’est posée,
En grand manteau de terre.
–
RC – 24 août 2012
—
texte auquel je joindrai cet extrait de « Mensonges en couleur » de Emanuel Carnevali ( auteur italien du début du XXè siècle):
Sommeil
Au fond des abysses du sommeil se balance un berceau noir. Légèrement le chagrin le pousse de ses doigts évanescents. Sous le berceau gît la terre, qui t’étouffe et te recouvre.
–
–
Victor Roussel – Murmures de l’Hoa Sen
.
« Peuplant la montagne
je m’endors
sur les hautes marches
de ton pays natal.
A ton réveil
je me dis que la nature
n’a jamais été aussi belle
que pressée contre ton sein.
Dans mon manteau
d’herbes fraîche
j’ouvre les yeux.
A mes pieds
une brassée de routes,
Dans ma main
une poignée de rires.
.
retraits d’hier en hivers (RC)
Le manteau gelé de la falaise d’eau
mur de pâte bleutée, – un rideau
aux griffes du temps, la chape appesantie
immobilise la source, – déjà ralentie
La lave de froid, suspend les instants
de vie ruisselante, jusqu’aux printemps
la congèle, – directe assassine
en coulures blanches, jusqu’aux racines
Que même l’astre – de passage – épanoui
ne parvient pas à les rendre à la vie
se heurte et rebondit sur les cristaux
tranchants comme des couteaux
Il faudrait changer d’hémisphère
ou refaire un tour de la terre
d’un coup de baguette – magie
et libérer tout à coup – l’énergie
Laisser de côté le manteau de glace
Faire que semaines – se passent
que d’airs nouveaux, la vie se dope
qu’entre feuilles mortes,les herbes développent
Un timide tapis , duvet de bonheur
étoilé de fleurs – , mouvements,couleurs
et que reprenne les insectes, la course
des bourgeons et des sources
– C’est bientôt chose faite
l’hiver, en rétréci, détale sa défaite
accompagné d’accords musicaux
du refrain des chants des oiseaux
inspiré de « sous le manteau d’hiver » (JoBougon)
Véronique Bizot… mon couronnement 01
Je suis allé jusqu’au salon avec mes souliers à la main,
où j’ai trouvé un homme en manteau de cuir. Le pantalon aussi semblait en cuir, et à l’intérieur de tout ce cuir, c’était bien mon fils. Il y a longtemps que je ne l’avais vu, je le connais mal, mais je l’ai parfaitement reconnu et je me suis avancé dans la pièce.
Il m’a regardé des pieds à la tête, comme je suppose que j’avais dû le faire en le voyant, et il a eu ce sourire hérité de sa mère qui fait se déporter sa bouche mince en un rapide tressaillement latéral.
Je me suis assis pour enfiler mes souliers, que j’ai entrepris de lacer en me demandant ce qu’il venait faire là, dans quel pétrin il s’était fichu, puis j’ai voulu me relever, mais ça m’a pris plus de temps que prévu, il m’a fallu l’aide de mon fils, et quand j’ai été debout, sa main tenant fermement mon bras, un vertige m’a pris et j’ai bien failli appeler Mme Ambrunaz. Mon fils me dépassait d’une bonne tête, ce qui n’était pas le cas la dernière fois que je l’ai vu, et ce n’est certainement pas qu’il avait grandi, n’est-ce pas, on ne grandit plus à soixante ans. De près, il faisait largement son âge.
Que de perturbations, ai-je pensé. Eh bien, ai-je dit, te voilà, et je me suis rassis.
Ne fais pas attention au désordre, ai-je ajouté comme il regardait autour de lui, puis je me suis rappelé qu’il était brocanteur, du moins l’était-il aux dernières nouvelles. Tu tombes bien, ai-je encore ajouté, figure-toi que je viens tout juste de commencer à déblayer mes placards.
Si quelque chose de ce fourbi t’intéresse, emporte-le donc, personnellement je n’ai besoin que de ce fauteuil dans lequel je suis assis, pas question de me séparer de ce fauteuil, ni de ce petit tabouret où il m’arrive d’allonger les jambes. Le reste est à toi. Tu as salué Mme Ambrunaz ?
Papa, a dit mon fils, et j’ai pratiquement sursauté de m’entendre appeler papa par cet homme vieillissant, mais il est un fait que mon fils a toujours agi de façon imprévue, aussi ai-je affecté de n’avoir pas entendu. J’hésitais maintenant à lui demander ce qu’il était venu faire, et donc à m’attirer des reproches sur mon insensibilité, etc.
Mon fils m’a constamment tout reproché et tout ce qu’il m’a reproché, il l’a entassé dans le sac de mon insensibilité, après quoi il s’en est allé vivre sa vie, flanqué de ce sac plein de mon insensibilité. Dieu sait où il s’en est débarrassé et si même il s’en est débarrassé ; à le voir, rien ne dit qu’il l’ait fait. Un enfant aimable, puis un esprit prometteur et pour finir, ce déluge de ressentiment.
Toujours la même histoire, semble-t-il. Mme Ambrunaz est entrée au salon avec un plateau encombré de boissons que mon fils, s’avançant vers elle, lui a retiré des mains, ce qui m’a fait réaliser combien elle est devenue vieille, elle aussi, maigre silhouette persistant cependant à venir chaque jour effectuer ces quelques dérisoires tâches domestiques qui donnent un semblant de maintien à tout.
Il doit s’acheter un costume neuf, a-t-elle déclaré en me désignant du menton, puis elle a quitté la pièce et mon fils a voulu savoir pourquoi il me fallait un costume neuf.
Et pourquoi donc te faut-il un costume neuf? a-t-il demandé après s’être assis, sans doute soulagé de l’anodine tournure que prenaient les choses.
Allons-y pour cette conversation, ai-je pensé, et je l’ai informé de mon couronnement, ainsi que du contenu inexploitable de ma penderie, à la suite de quoi il est apparu qu’il n’avait rien de plus urgent que de m’accompagner dans un magasin et nous avons mis nos manteaux.
extrait de « mon couronnement »– un roman au ton très particulier,voir la critique de Télérama
remarquable petit ouvrage paru chez Actes/sud