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Michel Pierre – un seul mot



du site theconversation.com

À l’intérieur d’un seul mot vous ne respirez plus. La phrase vous laisse l’oxygène indispensable pour en revenir à l’idée, elle-même ombre du paradoxe qui retenait vos poings liés à la page blanche. Sinon des animaux sauvages s’emparent de votre délire. Vous parcourez toutes les savanes, remontez les déluges, appliquez à votre mémoire le vide circonstancié qui aspire faits et gestes anciens, lesquels couturent votre calotte ou, si vous préférez, votre bonnet d’enfance. Suffirait de bégayer dans l’oreille d’un imbécile qui vous prend illico pour un fieffé poète. Alors, ce qui doit être dit, laissez-le raconter par le plus prestigieux d’entre nous, celui dont la panse est couverte de médailles surannées, triste devant la connaissance qui rend obèse, aspire l’inspiration, asphyxie les phénomènes grammaticaux, l’ensemble prêt à rendre les ours comestibles. Bref, souriez sans réfléchir. Toute bulle vous conduit au firmament de l’impossible. Vos voisins sont des bâtisseurs et déjà vous n’apercevez plus la mer qui gronde, ignorez la torpeur des marais, n’entretenez plus le geste qui sauve et que, pourtant, vous avez déniché dans le bréviaire sacré de votre solitude. Et ce livre, écrit à l’intérieur d’un seul mot, ne sera jamais ouvert à la page de la moindre illumination.

Michel Pierre, L’enfer vaut l’endroit = ( publication des éditions des vanneaux )


Mouvement perpétuel – ( RC )


           

         

image: Thibault Balahy

La mort est toujours là
           et m’accompagne,
sans que j’y prête attention.
Je la fais voyager avec moi,
regarder par mes yeux.
        Elle ne vient pas vers moi,
        c’est moi qui vais vers elle.
Je me dilue dans mon propre reflet
et finis par m’y perdre.
         N’allez pas m’y chercher.

               Dans le ciel gris
un oiseau en a remplacé un autre.
Rien ne les différencie.
Deux gouttes d’eau dans l’air,
           qui a fléchi.
Celui qui est tombé
pour ne plus se relever,
a rejoint les bois couchés,
et la boue à côté des marais,
         – empreinte éphémère -.

C’est un mouvement perpétuel
à la mort , à la vie.
L’un passe d’un état à un autre.
              Un arbre se déracine
              sous la poussée du vent.
Une pousse impatiente prend sa place
hâtive de connaître elle aussi la pluie,
les saisons         et la solitude des soirs:
tout se côtoie sans que l’on puisse
séparer la vie          de son reflet inversé .

 

 

inspiration: les carnets  de Gabrielle  Segal


Anna Akhmatova – Pourquoi te déguises-tu ?


Dessin encre de P Alechinsky: tête de lion

 

 

Pourquoi te déguises-tu

En vent, en pierre, en oiseau ?

Pourquoi me souris-tu du ciel

Comme un éclair inattendu ?

Cesse de me tourmenter ! Ne me touche pas !

Laisse-moi à la gravité de mes soucis …

Un feu ivre passe en vacillant

Sur les marais gris desséchés.

La muse dans sa robe trouée

Chante d’une voix traînante, monotone.

Sa force miraculeuse

Est dans son angoisse cruelle et jeune.

 

 

Anna Akhmatova