Au hasard des rues – (Susanne Derève)-

Je prenais des rues au hasard
et le hasard me prenait parfois au coin des rues,
parfums que dispersait la brise, de jasmin étoilé,
celui des roses au plein été.
Grappillés aux tonnelles, aux claires-voies des chemins,
à l’ombre des fontaines ( j’y plongeais les mains )
sonnaient une chanson comme le temps à boire,
un accord de piano, un rire nu, un cri,
des gorges renversées au soleil de midi.
– Faut-il avoir les paumes ouvertes pour recevoir –
Mais dans l’angle des porches, aux portes dérobées,
fusaient parfois des pleurs, des injures,
des mains levées.
Ce n’était plus la gouaille, la candeur du jour,
la rose ou le jasmin – ni les chansons d’amour – ,
c’étaient le caniveau, le grondement des chiens,
le ru où la misère levait ses fantassins.
Je fuyais au hasard cherchant d’autres chemins
et mes errances m’y ramenaient le lendemain…
Robert DESNOS – Printemps –

.
Tu, Rrose Sélavy, hors de ces bornes erres
Dans un printemps en proie aux sueurs de l’amour,
Aux parfums de la rose éclose aux murs des tours,
à la fermentation des eaux et de la terre.
Sanglant, la rose au flanc, le danseur, corps de pierre
Paraît sur le théâtre au milieu des labours.
Un peuple de muets d’aveugles et de sourds applaudira
sa danse et sa mort printanière.
C’est dit. Mais la parole inscrite dans la suie
S’efface au gré des vents sous les doigts de la pluie
Pourtant nous l’entendons et lui obéissons.
Au lavoir où l’eau coule un nuage simule
À la fois le savon, la tempête et recule l’instant
où le soleil fleurira les buissons.
6.4.44 19,
rue Mazarine
Paris VI
Desnos Oeuvres
Quarto Gallimard
Jacques Charpentreau – L’air en conserve

Art: Marcel Duchamp » air de Paris » 1919, Musée de Philadelphie ( avec un clin d’oeil à Arthemisia )
_
Dans une boîte, je rapporte
Un peu de l’air de mes vacances
Que j’ai enfermé par prudence.
Je l’ouvre! Fermez bien la porte
Respirez à fond! Quelle force!
La campagne en ma boîte enclose
Nous redonne l’odeur des roses,
Le parfum puissant des écorces,
Les arômes de la forêt…
Mais couvrez-vous bien, je vous prie,
Car la boîte est presque finie:
C’est que le fond de l’air est frais.
(Jacques Charpentreau)
–
L’art et notre conscience, au musée (RC)

installation; Joseph Kosuth | Critique | Du phénomène de la bibiothèque | Paris 3e
L’art au musée
Puisqu’il est écrit quelque part que justement on s’y connaît , et sur l’art ,et,en dévotion.
Avec le sublime, avec le précieux, avec l’unique…
Nous sommes toujours prompts à baisser la tête, à dire merci, à demander qu’on nous accorde un peu de culture.
Et cette culture qu’on additionne contre nous-même, contre la nôtre, contre celle de tous les jours.
Celle qu’on ne voit pas, car justement en dehors de l’enceinte sacrée…
On naît domestique et soumis à la dévotion officielle, et si on n’y prend pas garde on meurt pareil, en ayant négligé le vivant autour de nous.
Qui porte autant de valeur, ——– parce que vivant, ——— justement.
–
librement inspiré du texte de Robert Piccamiglio, cité plus bas « dévotion » extrait de « on a affaire à l’existence » ( Robert Piccamiglio , qui a fait l’objet de plusieurs parutions de ma part, notamment « Midlands » voir par exemple l’« épisode 3 », )
et qui figure aussi dans « A la Dérive »- voir le blog très renseigné de Anne-Françoise ‘ de seuil en seuil’
—
— ( à noter que l’image de l’installation de J Kosuth choisie ( critique du phénomène de la bibliothèque ) , relatée par cet article de 2006,
reprend presque parallèlement les gestes de Marcel Duchamp, ( les ready-made )
sauf que celui-ci critiquait l’institution du musée, un siècle plus tôt )… (Cherchez la nouveauté avec les conceptuels)…
RC- le 3 mars 2012
—-
Dévotion
de dévotion puisqu’il est écrit quelque part que justement on s’y connaît en dévotion. Avec Dieu, avec les hommes,
femmes et les musées. Toujours prompts à baisser la tête, à dire merci, à demander qu’on nous accorde un petit pardon. La dévotion d’une guerre qu’on mène contre nous-mêmes, ça coûte cher. C’est calibré dans nos têtes. On naît domestique et si on n’y prend pas garde on meurt pareil.
Stephan Zweig – le joueur d’échecs

photo: Marcel Duchamp, jeu d'échecs. NB: le célèbre artiste, a fait plusieurs peintures représentant le jeu, il existe aussi plusieurs photographies le montrant en "action"... en voici une
—
Du matin au soir, je ne voyais que pions, tours, rois et fous et je n’avais en tête que a,b,et c, que mat et roque.
Tout mon être, toute ma sensibilité se concentraient sur les cases d’un échiquier imaginaire .
La joie que j’avais à jouer , était devenue un désir violent, le désir d’une contrainte, d’une manie, une fureur frénétique qui envahissait mes jours et mes nuits.
Je ne pensais plus qu’échecs, problèmes d’échecs, déplacement des pièces.
Souvent , m’éveillant le front en sueur, je m’apercevais que j’avais continué à jouer en dormant.
Si des figures humaines paraissaient dans mes rêves, elles se mouvaient uniquement à la manière de la tour, du cavalier , du fou .