Marina Tsvetaïeva – une fleur épinglée à la poitrine

Une fleur épinglée à la poitrine.
Je ne sais déjà plus qui l’a épinglée.
Inassouvie, ma soif de passion,
De tristesse et de mort.
Par le violoncelle et par les portes
Qui grincent, par les verres qui tintent
Et le cliquetis des éperons, par le signal
Des trains du soir,
Par le coup de fusil de chasse
Et par le grelot des troïkas –
Vous m’appelez, vous m’appelez,
Vous – que je n’aime pas !
Mais il est encore une joie :
J’attends celui qui, le premier,
Me comprendra, comme il le faut –
Et tirera à bout portant
( poème écrit le 22 octobre 1915 )
Marina Tsvetaieva – le plus grand des mensonges

Je te conterai le plus grand des mensonges
Je conterai pour toi le soir qui tombe et l’ombre.
Les feuilles vertes et les vieilles souches
Et les lumières éteintes et rien ne bouge.
Venu de loin, un homme, sa flûte en main,
Jeune, assis, nu, il joue sans fin.
La grande tromperie je conterai,
La lame perfide dans la main
Le trou brûlant de la lame en mon sein
Et de tes femmes les boucles blondes,
Et le sourire de tes enfants.
Et des vieillards le menton blanc.
Je te conterai le plus grand des fracas
Le tumulte sonore de mon siècle, le fer
Du galop des chevaux contre les pierres.
-extrait des « écrits de Vanves » 1917
Marina Tsvetaieva – d’où me vient la tendresse ?

D’où me vient la tendresse ?
J’ai caressé d’autres boucles
Et j’ai connu des lèvres
Plus sombres que les tiennes
Les étoiles s’allumaient et mouraient
(D’où me vient la tendresse ?)
Et les yeux s’allumaient et mouraient
Plongés dans mon regard
J’ai entendu d’autre chants
Dans la nuit sombre et noire
(D’où me vient la tendresse ?)
La tête sur le coeur du chanteur
–
autre version
–
D’où vient cette tendresse ?
Ces vagues ne sont pas les premières
que j’ai posées tout doucement
sur d’autres lèvres
aussi sombres que les tiennes.
comme les étoiles apparaissent
puis disparaissent
(d’où vient cette tendresse ?)
tellement d’yeux sont apparus
puis disparus devant les miens.
aucune chanson dans l’obscurité
de mes nuits passées
(d’où vient cette tendresse ?)
ne fut entendue comme présentement
à même les veines du chanteur.
d’où vient cette tendresse ?
et qu’en ferais-je, chanteur
jeune et espiègle qui passe
toute personne a les cils
aussi longs que les tiens.
Marina Tsvetaïeva – Mon siècle

Je donne ma démission.
Je ne conviens pas et j’en suis fîère !
Même seule parmi tous les vivants,
Je dirai non ! Non au siècle.
Mais je ne suis pas seule, derrière moi
Ils sont des milliers, des myriades
D’âmes, comme moi, solitaires.
Pas de souci pour le poète,
Le siècle
Va-t-en, bruit !
Ouste, va au diable, – tonnerre !
De ce siècle, moi, je n’ai cure, ,
Ni d’un temps qui n’est pas le mien !
Sans souci pour les ancêtres,
Le siècle !
Ouste, allez, descendants – des troupeaux.
Siècle honni, mon malheur, mon poison
Siècle – diable, siècle ennemi, mon enfer.
1934
texte extrait de « écrits de Vanves »
Marina Tsvetaiëva – combien de tristesse noire gronde sous mes cheveux clairs
Si vous saviez, passants, attirés
Par d’autres regards charmants
Que le mien, que de feu j’ai brûlé,
Que de vie j’ai vécu pour rien,
Que d’ardeur, que de fougue donnée
Pour une ombre soudaine ou un bruit…
Et mon cœur, vainement enflammé,
Dépeuplé, retombant en cendres.
ô, les trains s’envolant dans la nuit
Qui emportent nos rêves de gare…
Sauriez-vous tout cela, même alors,
Je le sais, vous ne pourriez savoir
Pourquoi ma parole est si brusque
Dans l’éternelle fumée de cigarette
Et combien de tristesse noire
Gronde sous mes cheveux clairs.
Koktebel, 17 mai 1913
Décapiter les fleurs du jardin – ( RC )
Tu as tenu dans tes bras le bouquet de l’été,
Que le vent tiède a fleuri ,
et lentement , coupées de leurs racines,
les têtes ont fléchi.
Tu as tenu dans tes bras ton ventre arrondi,
que l’amour a fleuri ,
mais éloigné de ses racines ,
ton corps s’est flétri .
Il n’y a eu que sécheresse
et le froid, l’hiver
et la détresse
et la bouche amère.
Il y a un mot pour décrire
celui qui n’a plus de parents
mais il n’y en a pas pour dire
une mère perdant son enfant.
Comment interroger le destin,
quand , fleur après fleur
se perd dans le lointain
la plus petite lueur ?
La mort était-elle dans ton sein
pour qu’ainsi, elle vienne
décapiter les fleurs du jardin
et les priver d’oxygène … ?
–
RC – août 2016
–
en liaison avec « poème à l’orphelin » de M Tsvetaieva
Marina Tsvetaieva – A Alia
À Alia*
Un jour, ô ma gracieuse créature,
Je deviendrai pour toi un souvenir,
Perdu dans tes yeux bleus, au loin
De ta mémoire, dans le lointain.
Tu oublieras : et mon profil au nez busqué,
Et mon front couronné de fumée,
Mon rire importun et fréquent
Ma main calleuse aux bagues d’argent,
Notre logis d’amant, notre grenier cabine,
De mes papiers la confusion divine,
L’année terrible : malheurs et liesse
De ton enfance, de ma jeunesse.
(Moscou 1919, sa fille Ariadna allait avoir huit ans.)
Marina Tsvetaieva – La maison
Maison – épaisse verdure,
Vigne vierge et chèvrefeuille,
Maison peu familière.
Maison si peu mienne !
Maison – au regard sombre
Aux âmes lourdes,
Le dos tourné à la cité,
Les yeux fixés sur la forêt,
Gaie, aux cornes de cerf,
Joyeuse, comme une ourse,
Chaque fenêtre – un regard,
Et dans toutes – une personne !
Le fronton dans la glaise
Chaque fenêtre – une icône
Chaque regard – une fenêtre,
Les visages, des ruines,
Les arènes de l’histoire,
Marronniers du passé
Moi j’y chante et j’y vis.
Les chemises aux bras longs
Se lamentent dans le vent,
Liberté du passé,
D’un combat dans ces murs.
Lutte pour vivre et survivre,
Chaque instant, chaque volée,
Lutte à mort de ses bras,
Mort pour vivre et chanter !
Sans odeur de richesse,
Sans confort de fauteuil,
Le méchant, la pauvresse
S’y retrouvent à plaisir.
Le bonheur des oiseaux,
Dans les niches et recoins,
Temps pour nous – de nos comptes,
Des vengeances populaires,
Une maison dont je n’aurai pas honte.
(Entre juillet et septembre 1935.)
Marina Tsvetaieva – mon autographe dans la figure
texte extrait des « écrits de Vanves »
—
Partis nulle part, ni toi ni moi
Perdues pour nous toutes les plages.
Propriétaires d’un sou, été brûlant,
Pas dans nos prix les océans,
De la misère – goût toujours sec,
Tourne la croûte sèche dans la bouche,
Plat – bord de l’eau, mangé l’été !
Espace de pauvres, poches retournées.
Anthropophages de Paris
Replets, joufflus, panse luisante
Vous tous, mangeurs de poésie,
Ripailles de graisse, un franc l’entrée
Et pour la bouche, lotions-poèmes,
Refrains, sonates et versets,
Voûtes célestes, fronts étoiles.
Eau de toilette – le chant aux lèvres.
Mangé l’été, Paris ! Plages sèches !
Pour vous – soyez maudits
Pour vous la honte ! Recevez
Mon autographe dans la figure :
De mes cinq sens – cinq doigts signant,
Meilleurs souvenirs, bons sentiments.
(Paris- La Favière 1932-1935.)
Marina Tsvetaieva – Ma maison
Ma maison
Sous ses sourcils froncés,
Maison de ma jeunesse,
Comme si j’y étais retournée :
Bonjour, voilà, c’est moi !
Si reconnue, si familière
Sous son manteau de lierre,
Cachant son front, comme gênée
D’être si grande et fière,
[…]
Des yeux sans chaleur
Loin du bruit de la rue,
Des fenêtres le verre
Sans reflet. Toutes nues,
Contemplant un jardin
Depuis cent ans désert,
Sans connaître personne
Et sans voir les passants !
Cachée dans les tilleuls,
Survivance et puissance,
Antique et digne aïeule,
Photo perdue d’enfance,
Négatif de mon âme !
–
(Vanves, 1932 – du recueil » inédits de Vanves » ).
–
Marina Tsvetaïeva – les poèmes non écrits
Marina Tsvétaïéva – Tentative de jalousie

penture : Nicole Cerutti: Baptiste à la flûte
Marina Tsvetaeva – sur la mort de R M Rilke

edw Munch: (estampe) le baiser de la mort 1899 - musée Ed Munch
« Chaque mort, même une mort qui sort du rang,- je parle de la tienne, Rainer, invariablement se retrouve au rang des autres morts, entre la dernière avant et la première après.
Personne, jamais, n’est resté penché au-dessus d’un cercueil sans que cette pensée ne lui traversât l’esprit :
« Qui était le dernier, qui sera le prochain ? »
Manière de créer entre nos morts, nos morts personnels, une relation qui n’existe que dans une conscience donnée et différente dans chaque conscience donnée (…)
Chaque mort nous renvoie à chacune d’elles »
(traduit du russe par Nathalie Dubourvieux)
————
— Ingrid G, m’a fourni la « réponse de Rilke »…
———–
Sacrifice
Je t’ai connue. Mon corps, depuis, par chaque veine,
fleurit en répandant un parfum plus subtil ;
vois, je marche plus droit, d’un pas toujours plus souple,
et pourtant tu ne fais qu’attendre. Qui es-tu ?
Je sens le mouvement qui m’éloigne sans cesse
d’un passé qui de moi s’en va, feuille après feuille.
Seul demeure dressé l’astre de ton sourire
tout autour de ta tête et bientôt de la mienne.
À tout ce qui, au fil de mes années d’enfance,
est encore anonyme et comme un miroir d’eau
je donnerai un nom, grâce à toi, sur l’autel,
qui est tout entouré du feu de tes cheveux
et à qui tes seins font une douce couronne.
Rainer Maria Rilke,
—
Marina Tsvetaieva- Non au siècle
Mon siècle.
Je donne ma démission.
Je ne conviens pas et j’en suis fîère !
Même seule parmi tous les vivants,
Je dirai non ! Non au siècle.
Mais je ne suis pas seule, derrière moi
Ils sont des milliers, des myriades
D’âmes, comme moi, solitaires.
Pas de souci pour le poète,
Le siècle
Va-t-en, bruit !
Ouste, va au diable, – tonnerre !
De ce siècle, moi, je n’ai cure, ,
Ni d’un temps qui n’est pas le mien. ^’
Sans souci pour les ancêtres,
Le siècle !
Ouste, allez, descendants – des troupeaux.
Siècle honni, mon malheur, mon poison
Siècle – diable, siècle ennemi, mon enfer.
1934
—
Marina Tsvetaieva – Interdit cet amour
–
Interdit cet amour, ô femme aimée, ;
Douce l’onde des cheveux et des fleurs.
Destin accompli, mystère — tes voies
Je ne les sonderai pas
Ô bien-aimée ! chemin de croix.
J’étais nu et tu m’as revêtu
De tes cheveux, une averse !
Et du flot de tes larmes
Je ne compterai pas les pièces ‘ Dépensées pour l’huile et le parfum, . . J’étais nu et tu m’as revêtu De la vague de ton corps, tel un mur.
De mes doigts je frôlerai ta nudité
Douce comme l’onde, fraîche comme l’air,
J’étais droit et tu m’as incliné,
Dans mon linceul enveloppé. Dans tes cheveux creuse-moi un lit Et revêts-moi de lin Qu’ai-je à faire de la myrrhe, Du linceul, des parfums ?
J’étais droit et tu m’as fait ployer,
Revêtu d’une averse de pleurs.
MARINA TSVETAIEVA – le plus grand des mensonges (1917)
En 1917, Marina Tsvetaieva écrivait ce texte que l’on trouve dans les « inédits de Vanves »
Je te conterai le plus grand des mensonges
Je conterai pour toi le soir qui tombe et l’ombre.
Les feuilles vertes et les vieilles souches
Et les lumières éteintes et rien ne bouge.
Venu de loin, un homme, sa flûte en main,
Jeune, assis, nu, il joue sans fin.
La grande tromperie je conterai,
La lame perfide dans la main
Le trou brûlant de la lame en mon sein
Et de tes femmes les boucles blondes,
Et le sourire de tes enfants.
Et des vieillards le menton blanc.
Je te conterai le plus grand des fracas
Le tumulte sonore de mon siècle, le fer
Du galop des chevaux contre les pierres.
Marina TSVETAIEVA – A Alia
Toujours extrait de l’anthologie des « inédits de Vanves », de MARINA TSVETAIEVA
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À Alia*
Un jour, ô ma gracieuse créature,
Je deviendrai pour toi un souvenir,
Perdu dans tes yeux bleus, au loin
De ta mémoire, dans le lointain.
Tu oublieras : et mon profil au nez busqué,
Et mon front couronné de fumée,
Mon rire importun et fréquent
Ma main calleuse aux bagues d’argent,
Notre logis d’amant, notre grenier cabine,
De mes papiers la confusion divine,
L’année terrible : malheurs et liesse
De ton enfance, de ma jeunesse.
(Moscou 1919, sa fille Ariadna allait avoir huit ans.)
Marina Tsvétaieva – la maison de Moscou ( 1916 )
Ce texte est extrait d’une publication de poèmes inédits de « Vanves »…
que je me suis procuré récemment…
La maison de Moscou.
Dans ma ville immense c’est la nuit, Maison en sommeil, je te fuis, Les passants pensent : femme, fille Mais moi je ne retiens que – la nuit
Le vent balaie ma route, c’est juillet
Musique, fenêtre, une lueur,
À l’aube, au vent, je marche vite,
Mais je n’ai retenu que – la nuit.
Peuplier, lumière, fenêtre, ‘
Fleur dans ma main. Une cloche sonne,
Un pas au loin et il ne suit personne, Une ombre là, et ce n’est pas la mienne
À ma bouche – goût de fleur.
Sur mon sein
Feux dorés, fils serrés en collier.
Votre songe – c’est moi, libérez
Ô amis, le poète de ses liens.
(Moscou, 1916, Insomnie, cycle de onze poèmes.)
Marina Tsvétaieva– Si vous saviez (1913)
Si vous saviez, passants attirés
Par d’autres regards charmants
Que le mien, que de feu j’ai brûlé,
Que de vie j’ai vécu pour rien.
Que d’ardeur, que de fougue donnée
Pour une ombre soudaine ou un bruit…
Et mon coeur, vainement enflammé,
Dépeuplé, retombant en cendres.
Ô, les trains s’envolant dans la nuit
Qui emportent nos rêves de gare…
Sauriez-vous tout cela, même alors,
Je le sais, vous ne pourriez tout savoir.
Pourquoi ma parole est si brusque
Dans l’éternelle fumée de cigarette
Et combien de tristesse noire
Gronde sous mes cheveux clairs.
voir aussi chez esprit nomades, beaucoup de choses qui lui sont consacrées…