Les grèves bleues du soir – Susanne Derève

Gustave Courbet – Marine
Retrouvé les mouettes rieuses
l’aigrette blanche
et sur les grèves bleues du soir
un très léger nuage d’un rose tendre
d’aquarelle
Mouettes languides au vol nonchalant
qu’aucun orage ne menace
léguez-moi un brin d’insouciance
une plume d’allégresse
Je plongerai les mains au cœur
des vagues pour y cueillir les algues dorées
du jusant
et les pierres brûlantes de l’été je les choisirai
fines et plates
pour les faire ricocher loin sur l’eau
jusqu’à former un vol éblouissant de pierres
un ballet aérien gansé de fines éclaboussures
d’argent
avant que la gravité ne les entraîne
vers les profondeurs sous-marines
les fonds de vase brune
Moi qui les voyais déjà rejoindre dans le ciel
mon doux nuage d’aquarelle
Impromptu – Susanne Derève

Léon Spilliaert – La digue d’Ostende
Impromptu
Mot
rire sourire éclat
Dans le grand embarras du jour
le ciel hésite encore
entre brume et soleil
ombre close et lumière
pâle estampe que froisse la brise d’été
marine aux voiles blanches
un frêle esquif encalminé cherchant le vent
le vol impromptu du vent
l’éclat de rire des goélands
le mot à mot secret de l’aube
un sourire ténu aux lèvres du Levant
un pont entre tes paroles – ( RC )
détail d’une peinture de Botticielli (Vénus et Mars )
J’ai entendu la mer
dans la conque marine.
Et dans le ressac,
m’est parvenue ta voix,
dans le silence qui se retire,
suivant la marée basse.
Il y a du silence en toute chose,
et c’est un pont entre tes paroles.
Elles se poursuivent dans le temps,
et l’émotion tinte de leur écho.
C’est une voix sereine
qui rend sa grâce
au sourire d’un enfant,
auquel tu redonnes le souffle.
Je t’ai écoutée,
comme le ressac,
dans la conque marine.
Paul Gravillon – un feu d’artifice suspendu
Un feu d’artifice suspendu
s’enfonce dans le passé de la nuit
et l’illumine
Il jette des pièces d’argent
qui ont toutes les couleurs de la nacre
tous les mariages de la nuit et du jour
auxquels font contrepoint les basses
des mains entr’ouvertes
aux gris diaphanes
et des doigts demi joints
aux velours mauve
les bois s’estompent
à la lisière du soir
et tu t’avances
derrière ton masque de dentelles
froissées
ton œil pervenche
ta joue ambrée
ta moiteur crépusculaire
deux gouttes blanches
jaillissent de ton bouquet de plumes
des chauves-souris aux cris orange
fixées dans le vol
par le cerf-volant mordoré de leur beauté
déchirent un duvet rosé
leur élan vert
zigzague derrière elles
comme les veines du ciel
et de ton ventre
un doux tourbillon de papillons
saumon et pourpre
palpite
dans la transparence marine
où je m’enfonce
–
P G
Antonella Aneda – Avant le dîner
[Prima di cena]
[Avant le dîner]
Avant le dîner, avant que les lampes ne chauffent les lits et que le feuillage
des arbres ne devienne vert-noir et la nuit déserte. Dans le court espace du
crépuscule défilent des saisons entières et méconnues; le ciel alors se charge
de nuages, de courants qui soulèvent bûches et ronces. Contre les vitres de la
fenêtre bat l’ombre d’une tempête mystérieuse. L’eau renverse les buissons,
les bêtes chancellent sur les feuilles mouillées. L’ombre des pins s’abat sur les
planchers; l’eau est gelée, de la forêt. Le temps s’arrête, disparaît.
Soudainement, dans le calme solennel des allées, dans le vide des fontaines,
dans les pavillons éclairés toute la nuit, l’hôpital resplendit tel une résidence
de Saint-Pétersbourg en hiver.
Il y aura un cauchemar pire
entrouvert entre les feuilles des jours
aucune porte ne claquera
et les clous plantés au commencement de la vie
plieront à peine.
Il y aura un assassin étendu sur le palier
son visage dans les draps, l’arme à ses côtés.
Lentement la cuisine s’entrouvrira
sans le bruit des vitres brisées
dans le silence d’un après-midi d’hiver.
Ce ne sera pas l’amertume, ni la rancune, seule
– pour un instant – la vaisselle
deviendra immense d’une splendeur marine.
Alors il faudra s’approcher, monter peut-être
là où le futur s’étrécit
à l’étagère remplie de pots
à l’air renversé de la cour
au vol sans déploiement de l’oie,
avec la mélancolie du patineur nocturne
qui d’un coup connaît
le sens du corps et de la glace
se tourner à peine,
s’en aller.
Traduit par Francis Catalano et Antonella D’Agostino
Antonella Anedda – Avant le dîner
Antonella Anedda ( Prima di cena )
Avant le dîner, avant que les lampes ne chauffent les lits et que le feuillage des arbres ne devienne vert-noir et la nuit déserte. Dans le court espace du crépuscule défilent des saisons entières et méconnues; le ciel alors se charge de nuages, de courants qui soulèvent bûches et ronces. Contre les vitres de la fenêtre bat l’ombre d’une tempête mystérieuse. L’eau renverse les buissons, les bêtes chancellent sur les feuilles mouillées. L’ombre des pins s’abat sur les planchers; l’eau est gelée, de la forêt. Le temps s’arrête, disparaît. Soudainement, dans le calme solennel des allées, dans le vide des fontaines, dans les pavillons éclairés toute la nuit, l’hôpital resplendit tel une résidence de Saint-Pétersbourg en hiver. Il y aura un cauchemar pire entrouvert entre les feuilles des jours aucune porte ne claquera et les clous plantés au commencement de la vie plieront à peine. Il y aura un assassin étendu sur le palier son visage dans les draps, l’arme à ses côtés. Lentement la cuisine s’entrouvrira sans le bruit des vitres brisées dans le silence d’un après-midi d’hiver. Ce ne sera pas l’amertume, ni la rancune, seule - pour un instant – la vaisselle deviendra immense d’une splendeur marine. Alors il faudra s’approcher, monter peut-être là où le futur s’étrécit à l’étagère remplie de pots à l’air renversé de la cour au vol sans déploiement de l’oie, avec la mélancolie du patineur nocturne qui d’un coup connaît le sens du corps et de la glace se tourner à peine, s’en aller.
Ci sarà un incubo peggiore socchiuso tra i fogli dei giorni non sbatterà nessuna porta e i chiodi piantati all’inizio della vita si piegheranno appena. Ci sarà un assassino disteso sul ballatoio il viso tra le lenzuola, l’arma posata di lato. Lentamente si schiuderà la cucina senza fragore di vetri infranti nel silenzio del pomeriggio invernale. Non sarà l’amarezza, né il rancore, solo - per un attimo - le stoviglie si faranno immense di splendore marino. Allora occorrerà avvicinarsi, forse salire là dove il futuro si restringe alla mensola fitta di vasi all’aria rovesciata del cortile al volo senza slargo dell’oca, con la malinconia del pattinatore notturno che a un tratto conosce il verso del corpo e del ghiaccio voltarsi appena, andare. 1992 - On peut trouver d'autres textes de Antonella A, sur ce site, ainsi que de nombreux auteurs de poésie italienne