voir l'art autrement – en relation avec les textes

Articles tagués “Mario Luzi

Mario Luzi – Que de vie !



Afficher l'image d'origine

détail d’une peinture de Frida Kahlo
.

« Que de vie ! »
une voix aiguë d’enfant s’élève
là où une foule d’oiseaux
arrachés à leur gazouillement
de branche en branche
s’enfuit dans l’effeuillement du bois
sous le froid contre jour,
trace un sillage de plumes et de cris,
abandonne les phrases brisées
d’un discours qui achoppe, fête
et fuite, tandis que des hommes à l’affût
en préparent le massacre ;
“que de vie !” répètent des derniers,
ces plus lumineux battements d’ailes
sur toute la broussaille entre mer et marais […]

car on ne perçoit jamais la vie
si fort qu’au moment de sa perte.

Mario Luzi, « Du fond des campagnes », L’Incessante Origine, Flammarion, 1985, pp. 112-115.
.

.


Mario Luzi – Nature


peinture: J Dubuffet

peinture: J Dubuffet

 

La terre et à elle accordée la mer
et partout au-dessus, une mer plus joyeuse
à cause de la rapide flamme des moineaux
et du trajet
de la lune reposante, et du sommeil
des doux corps entrouverts à la vie
et à la mort dans un champ ;
à cause aussi de ces voix qui descendent
s’échappant de mystérieuses portes, et bondissent
au-dessus de nous comme des oiseaux fous de revenir
en chantant au-dessus des îles originelles :
ici, se préparent
un grabat de pourpre et un chant qui berce
pour celui qui n’a pu dormir,
si dure était la pierre,
et si tranchant l’amour.

Mario Luzi, La Barque in Prémices du désert, Gallimard, Collection Poésie, 2005, p. 69.


Mario Luzi – Nature


peinture: John Marin

                            peinture:          John Marin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La terre et à elle accordée la mer
et partout au-dessus, une mer plus joyeuse
à cause de la rapide flamme des moineaux
et du trajet
de la lune reposante, et du sommeil
des doux corps entrouverts à la vie
et à la mort dans un champ ;
à cause aussi de ces voix qui descendent
s’échappant de mystérieuses portes, et bondissent
au-dessus de nous comme des oiseaux fous de revenir
en chantant au-dessus des îles originelles :
ici, se préparent
un grabat de pourpre et un chant qui berce
pour celui qui n’a pu dormir,
si dure était la pierre,
et si tranchant l’amour.

Mario Luzi, La Barque in Prémices du désert, Gallimard, Collection Poésie


Mario Luzi – A la vie


 

 

photographe non identifié : barque sur lac en Tanzanie

“A la vie”,

Amis, depuis la barque on voit le monde
et en lui une vérité qui s’avance
intrépide, un soupir profond
qui va des estuaires jusqu’aux sources ;
la Madone aux yeux transparents
descend lentement à la rencontre des mourants,
recueille la somme de la vie, des douleurs
les désirs cachés depuis des années, sur la face humide.

“A la vie”, dans Prémices du désert. Poèmes 1932-1956, Gallimard, Poésie, 2004, traduit par Jean-Yves Masson et Antoine Fongaro, p. 60

 


Mario Luzi – à l’image de l’homme ( extrait )


sculpture: visage dans une plaquette - pierre   art punique

sculpture:                 visage dans une plaquette – pierre                   art punique

 

 

 

 

Trop différente de nous. Trop

hors de portée de l’appel

ou du signal de retour.

Anéantie même

douceur et tourment

du souvenir et de la différence.

 

D’au-delà de toute mesure

humaine il nous regarde,

cet âge qui fut souverain,

pétrifié par sa distance

soustrait par l’oeuvre du temps

au temps et au changement.

 

Ô ère qui es la nôtre

et qui te fossilises peu à peu,

fais-moi sortir du ventre

de ton dur monument

comme chenille, comme chrysalide dans le vent.

L’après, le plus, doit venir à l’aide.
.

 
.


Mario Luzi – De la tour


peinture –           Giorgio Morandi –          paysage          1929

De la tour

Cette terre grise lissée par le vent dans ses croupes,
dans son galop vers la mer,
dans sa ruée de troupeaux sous les dômes
et les contreforts de l’intérieur, vue
dans le vertige depuis les glacis, file
la lumière, file de mystérieuses années-lumière,
file un seul destin de multiples façons,
dit : « regarde-moi, je suis ton étoile »
et en cet instant s’enfonce plus profond
dans le cœur l’épine de la vie.
Cette terre toscane nue et pure
où court la pensée de celui qui reste
ou qui, issu d’elle, s’en éloigne.
.
.
.
Mario Luzi : “Prémices du désert”

et puisque Giorgio Morandi, avec sa peinture, accompagne, ce texte  de M Luzi,  voir  cette belle  analyse  :

Morandi vu par Philippe Jaccottet

Philippe Jaccottet s’est le plus souvent gardé de parler des peintres qui le touchent le plus, et l’on comprend que, devant l’art éminemment dépouillé et «silencieux» de Giorgio Morandi, le poète ait trouvé vain d’ajouter à «ces poèmes peints un poème écrit». Et pourtant il semble bien légitime, aussi, que le contemplatif de Grignan, touché par les toiles du peintre autant que par les «rencontres» faites dans la nature (un verger, une prairie, un flanc de montagne) s’interroge sur le pourquoi de cette émotion commune et de cet étonnement répété, renvoyant à l’énigme du visible et de notre présence au monde.

Tout un chacun peut d’ailleurs se le demander: pourquoi cet art si statique et répétitif apparemment, voire apparemment insignifiant, avec ses paysages comme assourdis et ses natures mortes (que Jaccottet propose, à l’allemande, d’appeler plutôt «vies silencieuses») de plus en plus sobres et dépouillées, pourquoi cet art des lisières du silence et du «désert» monacal nous parle-t-il avec tant d’insistante douceur, et, plus on y puise, avec tant de rayonnante intensité ?

Révélant l’attachement profond de Morandi aux oeuvres de Pascal et de Leopardi, tous deux poètes des abîmes métaphysiques qu’il rapproche sur le même «fond noir» constituant l’arrière-plan de Morandi et Giacometti, et figurant en outre le «ciel» de notre siècle cerné d’horreur et de vide, Philippe Jaccottet montre bien que, loin de se détourner de «la vie», comme on a pu le lui reprocher à lui-même, le peintre travaille, avec une intensité extrême, à ce qui pourrait représenter une démarche de survie: «Comme si quelque chose valait encore d’être tenté, même à la fin d’une si longue histoire, que tout ne fût pas absolument perdu et que l’on pût encore faire autre chose que crier, bégayer de peur ou, pire, se taire».

A plusieurs reprises, citant Jean-Christophe Bailly qui compare le rituel pictural de Morandi à la cérémonie du thé japonaise, Jean Leymarie évoquant les fleurs du peintre «coupées, peut-être, par des anges», ou Valéry célébrant la «patience dans l’azur», Jaccottet fait siennes et rejette à la fois ces variations rhétoriques en concluant qu’«il y a de quoi désespérer le commentaire, mais «pour la plus grande gloire de l’oeuvre». Et de risquer cependant lui-même de passer pour «un fameux niais» en se livrant tout de même au commentaire, bien plus éclairant d’ailleurs, à nos yeux, que ceux de maints «spécialistes».

Sans paradoxe, Philippe Jaccottet confirme aussi bien notre sentiment que l’eau dormante de Morandi contient un feu puissant, une puissance d’unification et un élan du bas vers le haut que le poète rapproche, d’une manière saisissante, de l’apparition de l’ange incandescent surgi, du fond du paysage, au deuxième chant du Purgatoire de Dante. Rien pourtant de symboliste ni même d’explicitement religieux dans l’art de Morandi, que Jaccottet apparente néanmoins à une «conversation sacrée» et à un art de transfiguration qui ferait de chaque humble objet un petit monumnent, une stèle à la lisière du temps, ou ce bol blanc (blanc de neige, de cendre ou de lait matinal) dans lequel le pèlerin, à l’étape du «puits du Vivant qui voit», recueillera l’eau de survie.

Philippe Jaccottet. Le bol du pèlerin (Morandi). Editions La Dogana, 83p. A relever la qualité de la présente édition, enrichie de dessins et d’illustrations polychromes.


Mario Luzi – nature


peinture: Marsden Hartley

La terre et à elle accordée la mer
et partout au-dessus, une mer plus joyeuse
à cause de la rapide flamme des moineaux
et du trajet
de la lune reposante, et du sommeil
des doux corps entrouverts à la vie
et à la mort dans un champ ;
à cause aussi de ces voix qui descendent
s’échappant de mystérieuses portes, et bondissent
au-dessus de nous comme des oiseaux fous de revenir
en chantant au-dessus des îles originelles :
ici, se préparent
un grabat de pourpre et un chant qui berce
pour celui qui n’a pu dormir,
si dure était la pierre,
et si tranchant l’amour.

Mario Luzi, La Barque in Prémices du désert, Gallimard

 

peinture Marcel Jean 1936