Grisaille – (Susanne Derève) –

Pluie, l’aboiement d’un chien invisible dans la grisaille (autrefois l’éclair roux d’un grand setter à travers champs enluminait l’automne). Là-bas, au creux des îles, la pluie de mousson est à elle seule pays et paysage, néant où sombre le désir, quand elle ne fait ici que ternir l’horizon comme une vitre sale, une photo brouillée. La mer, au loin semble si sage.
Un Janus en état de marche – ( RC )

Janus ( sculpture de Max Ernst )
–
Janus est là, qui nous regarde
de ses yeux ronds.
On ne saura jamais
si le double de son visage
apparaît derrière son dos.
Son corps de rectangle
a plutôt l’aspect
d’une planche à découper.
Incrustées à la verticale
deux coquilles Saint-Jacques
pour le voyage initiatique
qui l’emmènera
plus loin qu’on ne le pense,
( amulettes précieuses
nous rappelant que la mer
n’est jamais loin ).
Une petite tortue,
qui lui sert de bourse,
est aussi du voyage.
Elle évolue au rythme
éternellement lent
du marcheur .
En effet Janus
semble être immobilisé,
les deux pieds soudés
sur une plaque de bronze.
Mais comme la tortue,
l’espérance est le guide
le rapprochant du terme
de son pèlerinage.
L’important n’est pas d’arriver,
mais de partir à point….
Ici, on a les oiseaux – (Susanne Derève) –

Ne t’inquiète pas : ici, on a les oiseaux, qui font de charmants tête à queue sur la gouttière, Ils piaillent, piaillent - et pas besoin de leur répondre - recouvrent de leur chant l’incessant va et vient des voitures qui vrombissent au bas du jardin, et sèment leurs miasmes de gazoline au soleil Ne t’inquiète pas pour moi, appelle quand tu peux, les oisillons sont nés, ils tendent un bec avide comme un enfant jamais rassasié de tendresse ; et puis voilà qu’un moinillon prend son premier envol, atterrit tout ébaubi à mes pieds, recouvre doucement ses esprits pour gagner le couvert d’une patte incertaine Le second s'égosille au bord du nid s’avance,puis recule, effrayé,tel nageur vacillant pris de vertige en haut du grand plongeoir Et pas de mère oiselle pour lui venir en aide sous le vent …

Jean-Yves Reuzeau – Au réveil

J’ai revu cette rivière sauvage, avec ses truites de liberté fraîche. J’en ai bu l’écume et caressé les galets fatigués. Je me suis étendu sur la mousse du sous-bois, parmi les murmures langoureux de l’ombre. Je me suis perdu ; ivre de senteurs, ivre de mots... Je me suis perdu dans la liberté d’un rêve, et au réveil les oiseaux portaient des muselières.
Ecume de sommeil, 1975
**
Je est un autre
Anthologie Bruno Doucet
Couleur – Susanne Derève

Max Ernst – La naissance de Vénus
J’ai jeté une couleur sur la toile
puis une autre
rouge
bleue
en émerge un violet profond
et dans le soudain rayon qui l’éclaire
quelque chose de toi
un jaune ardent
un soleil pâle
un gris de faille au fond des yeux
comme un tendre passe-muraille
Oiseaux – (Susanne Derève)

Max Ernst – Monument aux oiseaux
Petits coups de becs de l’amour
Je regardais ce matin s’ébattre deux ramiers
sur les basses branches du charme
et ce midi ils sont assis tout près de l’arbre
sur un banc de bois au soleil
Elle les yeux baissés d’un air faussement sage
et lui penché sur elle
Que se disent-ils ?
Moi qui n’ai que ta voix où nicher
la dame à la baguette (RC )

gravure-collage: Max Ernst
–
Il y a toujours
Sur les billets de banque
Des portraits de héros
Sauveurs des nations,
Des princes et des savants
Et quelques faits marquants
Partagés en histoire ,
Légendes du pays.
Et pourquoi pas bientôt
De super- héros
Ceux des bandes dessinées
Les Mandrakes et hommes araignée
Qui nous serviraient
De papier monnaie…
—
Il y a quelquefois
Dans les livres d’images
Des dames en corsage
Qui mènent à la baguette
Des pensées sauvages
Pas celles qui sont en pot…
Des belles plantes
Le regard pas sage
Le masque coquillage
Au milieu des cascades
Qui vous portent des regards
Légèrement entr’ouverts
A vous inviter
A découper les pages
–
RC – 2 octobre 2012
Guy Goffette – Dès l’aube tout est dit
–
Dès l’aube tout est dit
–
les pas que nous ferons,
l’herbe en porte déjà
la trace, et nos paroles,
la brume en use le tranchant
sur le sein des collines,
l’échine bleue de la rivière
les tuiles cassées par le gel
et sur les trois notes inlassables
du merle dans le cerisier
qui s’émerge. Tout est dit,
mais le plus dur reste :
trouver la juste dédicace.
Mais que cherchais-tu donc qui ne fût pas
le vent debout, ni le ressac d’enfance
dans les soirs gris, ni le redoublement
du vertige d’aimer
une autre terre que celle-ci, un autre
ciel, un autre temps ? Que cherchais-tu
sur la route que tu n’aies pas trouvé déjà
dans l’herbe familière
et déjà reperdu, bague de rosée ou signe
qu’un homme allant à son pas t’a laissé
sur la vitre avant de disparaître,
ouvrant les arbres
un puits où la lumière se nourrit de tes yeux
-.