Max Jacob – Madame la Dauphine

Madame la Dauphine
Fine, fine, fine, fine, fine, fine
Fine, fine, fine, fine
Ne verra pas, ne verra pas le beau film
Qu’on y a fait tirer
— Les vers du nez —
Car on l’a menée en terre avec son premier-né
En terre et à Nanterre
Où elle est enterrée.
Quand un paysan de la Chine
Shin, Shin, Shin, Shin, Shin, Shin
Veut avoir des primeurs
— Fruits mûrs —
Il va chez l’imprimeur
Ou bien chez sa voisine
Shin, Shin, Shin, Shin, Shin, Shin
Tous les paysans de la Chine
Les avaient épiés
Pour leur mettre des bottines
Tine ! tine !
Ils leur coupent les pieds.
M. le comte d’Artois
Est monté sur le toit
Faire un compte d’ardoise
Toi, toi, toi, toi,
Et voir par la lunette
Nette ! Nette ! pour voir si la lune est
Plus grosse que le doigt.
Un vapeur et sa cargaison
Son, son, son, son, son, son,
Ont échoué contre la maison.
Son, son, son, son,
Chipons de la graisse d’oie
Doye, doye, doye,
Pour en faire des canons.
–
extrait du « Laboratoire central » et accompagnant un lieder de Francis Poulenc
Max Jacob – Un chapeau d’instituteur

peinture: Suzanne Valadon
Du large je ne reconnais pas ma maison sur la falaise :
on l’a passée au lait de chaux.
Du bourg je ne reconnais pas ma maison sur la falaise :
on a mis de l’ardoise au lieu de chaume.
Du sentier je ne reconnais pas ma maison sur la falaise :
on a mis une grille en fer.
Et du coup mon cœur se fond,
il y a un lit de ville à la place du lit clos.
Je partirai sans vous regarder, Marie,
car sûrement vous avez des paillettes sur votre robe au lieu de broderie,
et une coiffe de poupée sur vos cheveux, effrontée !
Adieu, Marie, il y a une odeur de pipe dans la maison
et un chapeau d’instituteur sur la table.
Max JACOB « Poèmes de Morven le Gaélique » (Gallimard)
Max Jacob – A un filleul de quinze ans
A UN FILLEUL DE QUINZE ANS.
Tu réprouves ce que je dis,
Tu parais écoeuré de moi,
Tu salues (ô torticolis) !
Et tu souris (ô quel empois)!
Tu méprises un vieux citharède
dans une enjambée de tes pneus.
Le dédain ce n’est pas une aide :
Comprendre c’est aimer un peu.
Tu te crois un très beau jeune homme,
et plus encore intelligent!
tous les romans que tu consommes
moisis, pivotent dans ton sang.
Si c’était blesser que tu souhaites…
mais non!! tu es doux et poli..
vrai Dieu, je te mettrais en boîte
et ficelé comme un colis.
Jean, ta ressemblance m’angoisse
avec mes quinze ans de jadis.
Songe à de futures disgrâces :
J’en suis le miroir aujourd’hui.
–
MAX JACOB. »derniers poèmes »
Max Jacob: – vie et marée
Vie et marée
Quelquefois, je ne sais quelle clarté . nous faisait
entrevoir le sommet d’une vague et parfois aussi le bruit
de nos instruments ne couvrait pas le vacarme de l’océan qui se rapprochait.
La nuit de la ville était entourée de mer.
Ta voix avait l’inflexion d’une voix d’enfer et le piano n’était plus qu’une ombre sonore.
Alors toi, calme, dans ta vareuse rouge, tu me touchas l’épaule du bout de ton
archet, comme l’émotion du Déluge m’arrêtait.
« Reprenons! » dis-tu.
O vie 1 ô douleur! ô souffrances d’éternels
recommencements !
que de fois lorsque l’Océan des nécessités m’assiégeait !
que de fois ai-je dit, dominant des chagrins trop réels ! hélas!
« Reprenons! » et ma volonté était comme la villa si terrible cette nuit-là.
Les nuits n’ont pour moi que des marées d’équinoxe.
——–
Max JACOB« Le Cornet à dés »
(Gallimard)
Bibliothèque des Arts Décoratifs Échelle de sensations