Saint-Pol Roux – Des flammes
Des langues !
Une fois la semaine, une douzaine de fantoches
(et ce citron de perspective qu’ils seront
pions de province demain) envahissent ma table.
Après qu’avec les tisonniers
jaillis de leurs yeux ils se sont réciproquement
écarté leurs cendres de moustache,
une flamme avivée rampe, se tord,
pétille, gicle en chacune des douze bouches
aux joues réfractaires,
et ces flammes tant s’expriment
qu’on ne distingue plus qu’elles bientôt
et que leur somme parvient
à symboliser un bûcher de sectaires ridicules,
martyrisant la pureté, la vaillance,
la gloire vraie, la merveille absolue,
et les femmes et les amis absents…
0 ces opiniâtres aspics !
Ce jour-là, le Supplice du Feu m’est familier
dans son intégrale épouvante.
Aussi passer devant un rôtisseur me rappelle que,
chez moi, l’on rôtit hebdomadairement,
et que ma patience (ô ma pauvre, ta lassitude ?)
m’y transforme en oie (suis-je modeste !)
de première grandeur.
D’écœurement mon front se dore,
de dépit mon foie se racornit,
de stupeur mes os craquètent…
A se jeter par la fenêtre dans la faim des mendiants qui rôdent !
Mais le devoir d’hôte me rive à la broche.
Des langues !
Paris, 1888 SAINT-POL-ROUX « Les Reposoirs de la Procession » (II)
Louis Aragon – Les roses de Noël
photo perso – Chanac
LES ROSES DE NOËL (extrait)
Quand nous étions le verre qu’on renverse
Dans l’averse un cerisier défleuri
Le pain rompu la terre sous la herse
Ou les noyés qui traversent Paris
Quand nous étions l’herbe ]aune qu’on foule
Le blé qu’on pille et le volet qui bat
Le chant tari le sanglot dans la foule
Quand nous étions le cheval qui tomba
Quand nous étions des étrangers en France
Des mendiants sur nos propres chemins
Quand nous tendions aux spectres d’espérance
La nudité honteuse de nos mains
Alors alors ceux-là qui se levèrent
Fût-ce un instant fût-ce aussitôt frappés
En plein hiver furent nos primevères
Et leur regard eut l’éclair d’une épée
Noël Noël ces aurores furtives
Vous ont rendu hommes de peu de foi
Le grand amour qui vaut qu’on meure et vive
À l’avenir qui rénove autrefois
Oserez-vous ce que leur Décembre ose
Mes beaux printemps d’au-delà du danger
Rappelez-vous ce lourd parfum des roses
Quand luit l’étoile au-dessus des bergers
Louis ARAGON « La Diane française »(éd. Seghers)
Ahmed Bouanani – Si tu veux revoir les chiens noirs de ton enfance
Si tu veux… Je me dis chaque jour
Si tu veux revoir les chiens noirs de ton enfance
fais-toi une raison
jette tes cheveux dans la rivière de mensonges
Plonge plonge plus profondément encore
Que t’importe les masques mais
fais-toi une raison et meurs s’il le faut
et meurs s’il le faut
avec les chiens noirs qui s’ébattent dans les dépotoirs des
faubourgs parmi les têtes chauves les gosses des bidonvilles
mangeurs de sauterelles et de lunes chaudes.
en ce temps-là il pleuvait des saisons de couleurs
il pleuvait de la lune des dragons légendaires
le ciel bienfaiteur s’ouvrait sur des cavaliers blancs
même que sur les terrasses de Casablanca
chantaient des vieilles femmes coquettes
une nuit un enfant attira
la lune dans un guet-apens
dix années plus tard
il retrouva la lune
vieille et toute pâle
plus vieille encore que les vieilles femmes sans miroirs
les grands-mères moustachues palabrant comme la mauvaise pluie
alors alors il comprit
que les saisons de couleurs étaient une invention
des ancêtres Ce fut la mort des arbres la mort des géants de la
montagne El ghalia bent el Mansour ne vivait pas au-delà des
sept mers sur le dos des aigles il la rencontra au bidonville
de Ben Msik si ce n’est pas aux carrières centrales près des
baraques foraines elle portait des chaussures en plastique
et elle se prostituait avec le réparateur de bicyclettes…
mon mal est un monde barbare
qui se veut sans arithmétiques ni calculs
je drape les égouts et les dépotoirs
j’appelle amis
tous les chiens noirs
Mon usine est sans robots
mes machines sont en grève
les vagues de mon océan parlent
un langage qui n’est pas le vôtre
je suis mort et vous m’accusez de vivre
je fume des cigarettes de second ordre
et vous m’accusez de brûler des fermes féodales
écoutez
écoutez-moi
Par quelle loi est-il permis au coq
de voler plus haut que l’aigle ?
en rêve le poisson voudrait sauter jusqu’au 7e ciel
en rêve j’ai bâti des terrasses et des villes entières
Casablanca vivait sous la bombe américaine
Ma tante tremblait dans les escaliers et il lui semblait voir le
soleil s’ouvrir par le ventre Mon frère M’Hammed avec la
flamme d’une bougie faisait danser Charlie Chaplin et Dick Tracy
Ma mère…
Dois-je vraiment revenir à la maison aux persiennes ?
les escaliers envahis par une armée de rats
la femme nue aux mains de sorcellerie
Allal violant Milouda dans une mare de sang
et les Sénégalais « Camarades y mangi haw-haw »
coupant le sexe à un boucher de Derb el Kabir…
Dois-je vraiment revenir aux chiens noirs de mon enfance ?
La sentinelle se lave les pieds dans tes larmes
ton rêve le plus ébauché bascule dans le monde barbare du jour
et de la lune
Tu ne tiens pas debout
tes équations dans les poches
le monde sur les cornes du taureau
le poisson dans le nuage
le nuage dans la goutte d’eau
et la goutte d’eau contenant l’infini
Les murs du ciel saignent
par tous les pores des chiens
entonnent un chant barbare qui fait rire les montagnes
C’est un chant kabyle ou une légende targuie
peut-être est-ce tout simplement un conte
et ce conte s’achève en tombant dans le ruisseau
il met
des sandales en papier
sort dans la rue
regarde ses pieds
et trouve qu’il marche
pieds nus
Les murs du ciel saignent par tous les pores
Le vent les nuages la terre et la forêt
Les hommes devenus chanson populaire
Derrière le soleil
des officiers
creusent
des tombes
Un homme
est
mort
sur le trottoir
une balle de 7,65 dans la nuque
et puis
et puis voici
une vieille qui se lamente
en voici une autre qui raconte aux enfants des histoires de miel
et de lait où il est question de sept têtes et de la moitié
d’un royaume
le vent fou se lève soudain sur ses genoux
éteint le feu sous la marmite
dégringole les escaliers
et
s’en va
s’amuser sur les pavés de la rue Monastir en racontant
les mêmes histoires lubriques aux fenêtres des alentours
et la poitrine pleine et les yeux plus hauts que le ciel
toutes les maisons les terrasses et le soleil
franchissent le plafond jusqu’à mon lit
Mes cheveux
ou mes mains
retrouvent l’usage
de la parole
De ce que j’ai le plus aimé je veux
préserver la mémoire intacte
les lieux les noms les gestes – nos voix
un chant
est
né – était-ce un chant ?
De ce que j’ai le plus aimé je veux
préserver la mémoire intacte mais
soudain voilà
les lieux se confondent avec d’autres lieux les
noms glissent un à un dans la mort
une colline bleue a parlé – où donc était-ce ?
un chant est né ma mémoire se réveille
mes pas ne connaissent plus les chemins mes yeux
ne connaissent plus la maison ni les terrasses la maison où
vivaient des fleurs autrefois un vieux chapelet de la Kaâba
et des peaux de moutons
Dans ce monde en papier journal
il n’y a pas
de vent fou
ni de maisons qui dansent
il y a
derrière
le soleil
des officiers
creusant
des tombes
et dans le silence
le fracas des pelles
remplace
le chant
……
Victor Hugo buvait dans un crâne
à la santé des barricades
Maïakovsky lui
désarçonnait les nuages dans les villes radiophoniques
(il fallait chercher la flûte de vertèbres aux cimetières du futur)
Aujourd’hui
il me faut désamorcer les chants d’amour
les papillons fumant la pipe d’ébène
les fleurs ont la peau du loup
les innocents oiseaux se saoulent à la bière – il en est même
quelques-uns qui cachent un revolver ou un couteau
Mon coeur a loué une garçonnière
au bout de mes jambes
Allons réveillez-vous les hommes
Des enfants du soleil en sortira-t-il encore des balayeurs et
des mendiants ?
où donc est passé celui-là qui faisait trembler les morts dans
les campagnes ? et celui-là qui brisait un pain de sucre en
pliant un bras ? et celui-là qui disparaissait par la bouche
des égouts après avoir à lui tout seul renversé un bataillon
de jeeps et de camions ?…
Toutes les mémoires sont ouvertes
mais
le vent a emporté les paroles
mais
les ruisseaux ont emporté les paroles
il nous reste des paroles étranges
un alphabet étrange
qui s’étonnerait à la vue d’une chamelle.
L’aède s’est tu
Pour s’abriter de la pluie Mririda
s’est jetée dans le ruisseau
A l’école
on mange
de l’avoine
la phrase secrète ne délivre plus
Cet enfant ne guérira-t-il donc jamais ?
Prépare-lui ma soeur la recette que je t’ai indiquée et n’oublie
pas d’écraser l’oiseau dans le mortier…
mais enfin de quoi souffre-t-il ?
Vois-tu
mon père à moi n’a pas fait la guerre Il a hérité de ses ancêtres
un coffret plein de livres et de manuscrits il passait des
soirées à les lire Une fois il s’endormit et à son réveil il
devint fou
Quinze jours durant il eut l’impression de vivre dans un puits
très profond il creusait il creusait furieusement mais il
ne parvenait pas à atteindre la nappe d’eau
il eut grande soif
le seizième jour ma mère lui fit faire un talisman coûteux
qui le rendit à la raison seulement seulement depuis ce
jour-là il devint analphabète il ne savait plus écrire son
nom
Quand il retrouva le coffret il prit sa hache et le réduisit en
morceaux Ma mère s’en servit pour faire cuire la tête du
mouton de l’Aïd el Kébir Aujourd’hui encore lorsque je
demande à mon père où sont passés les livres et les manuscrits
il me regarde longuement et me répond
Je crois je crois bien que je les ai laissés au fond du puits.
–
Destination – Afrique -exotique (RC)
Image; Th Sankara – ( ex président du Burkina-Faso, – assassiné)
–
Un ptit tour en Afrique ?
Des pays en devenir
Le rêve ou l’avenir,
Je vais en touristique
Ne parlant que de moi
Du côté bien-heureux
De ces gens chaleureux
Je vous jure, de toute bonne foi
Ici, point on ne gèle
C’est déjà un avantage
Du fait de mon grand age
D’ailleurs je vais dans les hôtels
–
Les quatre étoiles me vont bien
Le tapis rouge est là
Sous mes gestes las
On ne manque de rien
A mon service on s’précipite
Et c’est si sympathique
Ces pays , de noms exotiques
Que les gens noirs habitent
Surchargés de peaux d’ombres
C’est un beau camouflage
J’avoue, avec l’usage
J’apprécie le sombre
Au coin du restaurant
Y en a qui tendent la main
———-A chacun son destin …
Partout y a des mendiants
Toujours prêts à profiter
Des touristes de passage
Encombrés de bagages
Au soleil de l’été !!
Ils ont pourtant dla chance
D’écouter dla musique
En mouvements diaboliques
Favorisant la danse !
Ici c’est l’beau temps
Et pas b’soin d’parapluie
La pluie, çà, c’est d’un ennui !
Qui fait fuir les gens…
—J’ai entendu aux infos
Que l’on parlait de guerre
De faim et de misère
Mais tout cela est faux
Ou , c’est un peu plus au nord
Y a toujours des gens
Qui sont jamais contents
Et qui comptent les morts
De défilés en parades
Y a eu d’l’animation
Des soldats en mission
Qui montaient la garde
Au bout de l’avenue
Et ils jouaient les durs
Mais avaient de l’allure
Avec leur belle tenue
La casquette à visière
Des gradés arrogants
Avec leurs gants blancs
– ce qu’ils étaient fiers ! –
Enfin ici, c’est cool
D’abord je m’en balance
Je suis là, en vacances
J’ai même joué aux boules
Avec le cuisinier
Il était très aimable
Sur la plage, sur le sable
Et sous les palmiers
Puis sieste en transat
Le cocktail en main
Cà vaut pas le vin
A l’abri des nattes
Il fait très chaud ici
Mais sans faire de frime
Y a aussi la clim’
Qui fonctionne aussi
J’aurais pu aller ailleurs
Mais quelle importance
Pour être en vacances
—–Y a toujours meilleur
Le décor original
Pour un court séjour
Vaut ce petit tour
Bamako,, et Dakar, au Sénégal
Vivant à l’occidental
Le quartier d’la plage
Est un gros village
Faut qu’j’envoie mes cartes postales.
—
pour souligner un certain contraste entre mon texte « touristique », au second degré,
et certains ressentis poétiques concernant le même pays,
ou l’actualité de certains pays d’Afrique: récemment la Côte d’Ivoire, aujourd’hui le Mali.., rendez-vous sur cette page de la poésie-actuelle… qui a pour mot clef,justement, Bamako…
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