Marina Tsvetaieva – le plus grand des mensonges

Je te conterai le plus grand des mensonges
Je conterai pour toi le soir qui tombe et l’ombre.
Les feuilles vertes et les vieilles souches
Et les lumières éteintes et rien ne bouge.
Venu de loin, un homme, sa flûte en main,
Jeune, assis, nu, il joue sans fin.
La grande tromperie je conterai,
La lame perfide dans la main
Le trou brûlant de la lame en mon sein
Et de tes femmes les boucles blondes,
Et le sourire de tes enfants.
Et des vieillards le menton blanc.
Je te conterai le plus grand des fracas
Le tumulte sonore de mon siècle, le fer
Du galop des chevaux contre les pierres.
-extrait des « écrits de Vanves » 1917
Kamel Abdou – le linceul de la résignation

Ils t’ont habillé du linceul
De la Résignation Et tu t’es souvenu du Barbu
Et tu as hurlé « que la joie demeure
que la joie demeure »
qui m’empêchera de chanter tes yeux
et qui me fera oublier la chaleur
de tes mains rugueuses qui s’étreignent ?
Où est-il celui qui signait d’un Soleil ?
Mère j’ai égrené les pustules de la Révolte
J’ai craché dans les gueules
Béantes des cellules
J’ai lu Hikmet à m’en soûler
Et j’ai pleuré à Diar Yassine
Dérisoire révolution
Pourras-tu tourner le dos à l’espoir
Et t’en aller résolument
Chercher les hommes et leur expliquer
Leur diras-tu «je cherche la beauté »
Aux Hommes aux mains calleuses
Leur diras-tu
Les mots sont tous magiques
Leur parleras-tu
Des yeux de la Bien-aimée
Mais que diras-tu quand les mots se dénudent
Versets et Décrets obstruant les portes
Eclate mon poème au curur du mensonge.
oui le Départ était un arrachement de ferrailles
déchirées le rebeb escalade la mémoire millénaire
Anéantissement dans la retraite du Cheikh… Le chacal
chasse le lion…
Une odeur de bout de pain brûlé
j’ai vingt ans et je suis épuisé
Oui tu ne sauras jamais la terreur des yeux écarquillés
Qui ne verront jamais ; tu ne sauras jamais la douleur
Du verbe se donnant tour à tour au pré épanoui au noir
De tes yeux aux rêves du sourire à la saveur sauvage
Des fruits libres aux flétrissures du vers
Une odeur de bout de pain trahi
J’ai vingt-cinq ans et je suis épuisé
Oui la malédiction du sein a un souffle d’incantation
Et tu ne connaîtras jamais le silence de la mort te cernant
Tu ne pourras même pas t’accrocher à la douceur
D’une chanson à la joie d’un retour. Tu ne t’es jamais
Arrêté dans la foule d’Alger pour pleurer
Une odeur de bout de pain renié J’ai cinquante ans et j’ai peur
L’angoisse
Dis mère
Dis-moi que nous avons le droit d’aimer
Le droit de rencontrer d’autres yeux
Sans avilir le Regard
Il faut croire mère
Que toi et moi pourrons un jour
« crucifier le refus
et répudier la Nuit »
mais Re Dis-moi ce conte du
mot qui fait fondre la pierre
extrait du recueil de la poésie Algérienne ed « points »
–
Natasha Kanapé Fontaine – Réserve II
peinture: T C Cannon
Ecoutez le monde
s’effondrer
ponts de béton
routes d’asphalte
Aho pour la joie
Aho pour l’amour
Surgit la femme
poings serrés
vers la lumière
Voici que migrent
les peuples sans terres
nous récrirons la guerre
fable unique
Qui peut gagner sur le mensonge
construire un empire de vainqueurs
et le croire sans limites
Ce qui empoisonne
ne méritera pas de vivre
ce qui blesse ne méritera pas le clan
cinq cents ans plus tard
sept générations après
Tous ces châssis pour barrer les routes
tous ces murs érigés entre les nations
tous ces bateaux d’esclaves
ces bourreaux n’auront eu raison de rien
Si j’étais ce pigeon qui vomit
sur les hommes de bronze
fausses idoles carnassiers ivres
se tâtant le pectoral gauche
avec la main droite
lavée par les colombes
Qui d’autre est capable
de provoquer l’amnésie
octroyer la carence
à ceux qu’il gouverne
Qui d’autre sait appeler union
ce qui est discorde
pour s’arracher le premier
pour s’arracher le meilleur
des confins de toutes les colonies
qui d’autre sait appeler croissance
ce qui est régression
construction
ce qui est destruction
les peuplades pillées à bon escient
au nom du roi et de la reine
au nom du peuple qui meurt de faim
à Paris
à Londres
à Rome
à New York
à Dubaï
à Los Angeles
à Dakar
au nom du peuple
qui se bâtit par douzaine
à Fort-de-France
à Port-au-Prince
à La Havane
à Caracas
à Santiago
à Buenos Aires
Aho pour la joie
Aho pour l’amour
Qui d’autre sait nommer le mensonge
pour le voiler
La ville persiste en moi
assise sur l’avenue des Charognards
je guette l’allégresse
la haine qui me pousse à hurler
Je guette le nom des ruelles
de la grande mer
qui laisse passer les pauvres
à l’abri des vautours
La guerre est en moi comme partout.
–
Pour écouter les poèmes de NKF sur lyrikline rendez-vous ici…
Pierres de basalte, comme un mensonge – ( RC )
photo perso :cascade de Déroc – Aubrac
C’est un peu une frontière incertaine,
où se dispute un sable noir,
proche de la vase ;
des plantes spongieuses,
et l’illusion de solide,
que des pierres symbolisent.
Aussi, si je risque quelques pas,
sur les pierres découvertes,
ce serait comme un gué,
permettant de passer
de l’autre côté.
Mais ce sont des rêves mouillés,
qui peuvent à chaque instant glisser,
sous la plante des pieds .
On imagine ces roches comme un mensonge,
venu se plaindre aux eaux .
Peut-être n’ont-elles aucune consistance,
et elles peuvent disparaître,
comme elles sont venues,
trichant , en quelque sorte,
prêtes à se dissoudre,
si besoin est .
Le petit ruisseau qui sourd,
ne les écoute pas,
juste le cri des grenouilles,
qui ne croient pas en leurs histoires.
Car des pierres, il y en a plus bas.
Elles ont chuté,
basculé du plateau,
hexagones de basalte
à la géométrie trompeuse,
entraînant une partie du ciel,
chute vertigineuse .
Là s’interrompt l’horizontale :,
tout est en suspens,
quelques instants,
avant que l’eau ne chute à son tour,
et s’évade en cascade blanche .
RC- oct 2017
Marc Exavier – L’espoir est un soleil impair
Lithographie: Georges Braque: soleil et lune II ( 1959)
( extrait des « chansons pour amadouer la mort)
L’espoir est un soleil impair
Un frisson volé aux miroirs
L’espoir est une ruche folle
Une ruée de clignements
Une rumeur aux gras de sel
Une marée mure de sang
L’espoir est un chemin aveugle
Un désespoir qui se recharge
Un écho qui choisit les mensonges
Un gisement de ciels
L’espoir est un fleuve qui rêve
Dans le soir fumant de la soif
L’espoir est une légende confuse
Où l’amertume fermente et soigne
Son goût de cendre et de tumeur
J’habite mes ossements
Cœur à chaos nageur soluble
Une erreur qui crée ses calculs
La vie est un soleil aveugle.
–
On peut lire d’autres extraits ici…
Armand Robin – poème pour adultes ( XV )
XV
Il y a les gens à bout de force,
Il y a les gens de la ville de « Neuve-Usine »
Qui jamais ne sont allés au théâtre,
Il y a des pommiers polonais aux fruits inaccessibles aux enfants,
Il y a des enfants rendus malades par des médecins vicieux,
Il y a des garçons acculés au mensonge,
Il y a des jeunes filles acculées au mensonge,
Il y a des vieilles chassées de leur logement par de tout jeunes gens,
Il y a des épuisés mourant de caillots au cœur,
Il y a des calomniés, couverts de crachats,
Il y a des gens dévalisés dans les rues
Par de banals bandits pour qui on cherche une définition légale,
Il y a des gens qui attendent des paperasses,
Il y a des gens qui attendent la justice,
Il y a des gens qui attendent longtemps.
Nous réclamons ici, sur terre,
Pour l’humanité harassée,
Des clefs qui aillent avec les serrures,
Des logis pauvres mais avec fenêtres,
Des murs sans moisissure,
Le droit de haïr les paperasses,
De tendres claires heures humaines,
Le retour au logis sans danger d’être tué
Et la séparation toute simple entre ce qui est dit et ce qui est fait.
Nous réclamons ici, sur terre
(Terre pour laquelle nous nous sommes jetés en gage
Et pour qui des millions dans les combats sont tombés),
Nous réclamons les feux de la vérité, le blé de la liberté,
L’esprit en flamme,
Oui, l’esprit en flamme,
Nous le réclamons tous les jours,
Nous nous plaignons à partir du Parti.
(Armand Robin) (1955)
Patrick Berta-Forgas – Tournée mondiale n° 4
–
La guerre
comme un film en trois démissions
à l’écran sombre du mensonge
: ce pire, des forces …
Il arrivera
de nouveaux mots
pour refaire le calque
de la communion perdue
de la vérité.
Les illusions resserrent le rêve !
Il va pleuvoir
ici et là …
L’alarme du monde
dans la prière
d’une terre lissée
de discours …
La guerre, partout,
en sujet de vie !
Toute la mort
en bordures de fleurs …
Ce printemps
de souvenir,
de mémoire
quand s’aveuglent
les yeux et les coeurs
aux images arrêtées
de la folie.
–
P BF – mars 2011
Jean-Pierre Duprey – le plus beau jardin

peinture: Gustave Klimt – grand peuplier
–
Le plus beau jardin cache un mensonge.
Qu’est-ce donc mon dieu ces peupliers vagues,
des morts peut-être ?
Ils déchirent leurs feuilles et les collent sur la rivière.
(Jean-Pierre Duprey)
–
The most beautiful garden conceals a lie.
What are they, , my god, these vague poplars
Maybe some deads ?
They tear their leaves, and sticks them upon the river.
Jean-Jacques Ampère – Urania
Urania.
Adieu ce beau soleil de la terre amoureux,
Esclave de ses fils et se levant pour eux,
Qui n’avait d’autre soin dans toute la nature
Que de lui faire au ciel reluire une ceinture !
Adieu la Terre enfin, paresseuse beauté,
Se berçant sur son lit dans l’espace arrêté…
Plus de ciel ! il n’est pas. Son azur est un mensonge.
Plus rien qu’un vide immense où le regard qui plonge
Voit dans l’espace noir des flots d’astres nombreux,
Trop loin pour que jamais nous soyons rien pour eux
En un coin de ce vide… et là-bas… notre monde.
Jean-Jacques Ampère
–
Niels Franck – Une seule voie
–
– une seule voie – extrait du blog de J M Maulpoix
–
J’oublie Gaza
la Tchétchénie
Guantanamo.
J’oublie les écoles incendiées et les enfants brûlés vifs
les parents aux yeux éteints
– d’où toute lumière a soudain disparu.
J’oublie les enfants bourrés de résidus chimiques
ceux qui à chaque instant frappent à la frontière
d’une vie inconnue. Mais personne ne leur ouvre.
J’oublie le fanatisme des matches de football
l’éternelle bousculade les braillements des spectateurs qui veulent leur mamelle.
J’oublie ceux qui luttent pour davantage de vacances
davantage de temps sans les autres.
J’oublie qu’une cuite est déjà un petit séjour
à la clinique de désintoxication (aussi nommée la Cale sèche).
J’oublie les milliers d’antennes de télé plantées partout
espèce d’extincteurs qui crachent des images de rêve
jusqu’à ce que les rêves explosent dans toutes les têtes.
J’ai déjà mentionné les politiciens
mais j’oubliais de dire qu’ils font partie de la bêtise
du cynisme
de l’étroitesse d’esprit
de l’hypocrisie
du calcul glacé
de ce qui mène directement au pouvoir.
Les terroristes aussi je les ai mentionnés
mais j’oubliais de dire qu’ils font partie de la bêtise
du cynisme
de l’étroitesse d’esprit
de l’hypocrisie
du calcul glacé
de ce qui mène directement au martyre.
–
La langue aussi je l’ai oubliée au milieu de tout ça
et la jouissance retorse que l’on éprouve à retourner ses mots et ses idées. Retourner. Retourner
si bien que pour finir rien n’est ce qu’il paraît être.
Rien : toujours déguisé autrement.
J’oublie que la langue n’est plus fiable
cette langue retouchée et archi-pelotée
une langue pleine de coupures, d’ajouts et de recollages.
Une langue qui ne sait plus que citer le mensonge.
J’oublie que la guerre des religions ne finit jamais
parce qu’on n’en finit pas de se battre pour la vérité.
J’oublie que tous ceux qui croient ont vu la lumière
trouvé la vérité.
J’oublie qu’ils sont toujours sur la bonne voie.
Tous les autres ont trouvé le mensonge
et doivent avancer à tâtons dans une obscurité éternelle
prendre la route qui mène directement au vide
à l’inanité
à l’insanité.
Comme si la seule manière d’éviter le vide
était de s’enrôler dans la guerre.
J’oublie les services secrets et leurs officiers
attachés au secret.
J’oublie les centrales nucléaires
photographiées par un lointain satellite.
J’oublie que le premier secret
dévoile en secret le deuxième.
J’oublie les nationalistes furieux
pour lesquels la nation n’est qu’une famille contrefaite
malheur à qui n’en est pas membre :
il faudra le chasser avant potron-minet
à l’aide du balai, de la poële et de torchons mouillés s’il le faut.
J’oublie tout ce qu’une haine peut renfermer de détresse
même si la détresse ne renferme aucune haine.
La détresse est toujours toute seule : privée de compassion
privée d’avenir aimé
privée de sens aimé.
J’oublie les femmes obligées de vivre toute une vie voilées
parce que les hommes tremblent de peur devant leur propre lubricité.
Pas de corps aimé. Pas de caresses.
J’oublie le suicide par internet
les fonds de spéculation
les empires médiatiques.
J’oublie les procès intentés aux dictateurs affaiblis
pour qui l’enfance de l’art est de simuler la folie.
J’oublie les images glacées des réclames montrant le chemin qui mène tout droit au bonheur
– Oh, le bonheur !
J’oublie combien le monde est merveilleux.
Pardon si j’ai dit
autre chose.
–
Niels Franck
–
Joseph Brodsky – Elegie
–
ÉLÉGIE
Ma bonne amie, c’est bien toujours le même
bistrot, le même barbouillage aux murs,
les mêmes prix… Le vin est-il meilleur?
Je ne crois pas. Non, ni meilleur ni pire.
Pas de progrès, et c’est très bien ainsi.
Seul le pilote de l’avion postal
picole, ange déchu.
Les violons
continuent de troubler, par habitude,
mon imagination.
A la fenêtre,
blancs comme la virginité, des toits.
Les cloches sonnent. Il fait déjà sombre.
Pourquoi as-tu menti?
Pourquoi mon ouïe
ne sait plus distinguer la vérité
et le mensonge, veut des mots nouveaux,
sourds, étrangers, que tu ne connais pas
mais qui ne peuvent être prononcés
que par ta voix, comme avant…
Joseph Brodsky
1968
(Traduit par Michel Aucouturier)(éditions Gallimard)
Patrick Laupin – La rumeur libre
La rumeur libre
Salué par les armes de la pluie
et de la peur
on ne peut pas défaire la folie
meurtrière du monde
si j’aime encore quelque chose
c’est tout juste
les pierres et la lumière
des visages inconsolés d’univers
des sols errants en mal de preuve
étymologique
le cri du milan pilleur d’épreuve
l’illuminante pitié pétrifiée
des oiseaux de l’orage
leur détresse leur désarroi
dans l’aube
le malheur donné pour personne
la foule incarnée du mensonge
tout ce qui n’existe pas
celle qui se jeta de si haut
et détruisit en une seule fois
le lien unique qui la liait
au soleil
tes yeux ravin d’averse
le péril d’or cru dans la lumière
une sainte pitié dans les églises
de pierre
le manège machinal des arbres
sous les remparts
le mal d’aurore ébloui dans l’aube
unique délivrance
des noms de ville très loin
très seul dans leur sainte
sévérité lasse
Valparaiso Vancouver
un coeur couvert et muet
qui ne s’explique pas
des cimes à mi-chemin
la terre et la lumière
dont je ne dis rien
des roseaux sans geste
le grand ciel lavé des eaux
dans la pâleur usée d’octobre
des linges esseulés dans la magie
blanche du matin
le grésil des syllabes
reposoir ému de mes pas
le brûleur qui passe d’un trait
c’est rapide impitoyable au coeur
déchire collines au temps rompu
et l’once friable des ciels de marne
ce mal infini fermé terrestre
vingt mille mineurs en grève descendant
à pied le bassin houiller des Cévennes
des livres de métaphysique sacrés
dans le désordre de mon esprit
Jacob Boehme Vico Giordano Bruno
le cimetière où tu reposes
l’immense peine et la fatigue de ceux
qui désirent encore vivre
le roc inamovible de l’été
le prieuré rose sur le chemin
du val d’Aoste
cette route départementale bordée
d’arbres où je reste
la craie murée qui pense
et le bruit d’eau claire précipitée
dans la rivière froide
ton visage à la lumière du torrent
quelque règles d’or équanimité parfaite
Rimbaud obstiné et tendre définitivement
enragé « écrire maintenant jamais
je suis en grève »
on massacre à Satory
Louise Michel est déportée à Cayenne
Saint-Just immobile et silencieux deux heures
durant le discours du neuf Thermidor
« je voudrais vous parler mais quelqu’un
cette nuit a flétri mon coeur »
il sera guillotiné le lendemain
les grands poètes espagnols qui ont donné
leur écriture et n’ont pas eu peur
Miguel Hernandez Antonio Machado Gabriel Celaya
« La poésie est une arme chargée de futur »
Blas de Otero unique douleur de parler clair
« Je demande la paix et la parole
j’ai dit justice Océan Pacifique etc. »
Germain Nouveau devenu mendiant sur les routes
du Sud sa doctrine de l’amour
le vieux Cézanne lui fera l’aumône longtemps
sur le parvis de l’église d’Aix-en-Provence
et le visage de mon frère que j’aime encore
par les larmes
la brûlure de chaux vive aux portes de l’usine
la douleur physique de ce qui a péri
avec le rythme.
In La rumeur libre, Éditions de l’Aube
.
.
D’Reality – L’inévitable évidence
Voir le blog récent de D’Reality

peinture: Marlène Dumas - qui a eu une exposition importante à la dernière Biennale d'Art Contemporain de Lyon
L’inévitable évidence
février 21, 2012 in Du Velours et du Satin |, poésie
–
En un instant je suis là, nue sous la pluie. Perméable au désir. Sans armes face à l’inévitable évidence.
En un instant, tout est compris, sans armure et sans peur. Les sens en éveil au silence, à la nuit.
Ce soir, les forces s’affrontent et nous épargnent leur lutte. Nous sommes hors du temps, là où le réel n’a pas d’emprise, là où se cacher est dérisoire, là où le mensonge est démasqué.
Nous sommes nus face à l’illusion. Plus présents que jamais.
Le corps comme seul carte, comme seul chemin. Sans obligation ni devoir, à l’instinct, à l’écoute… l’œil qui se perd et s’oublie. La main tendue sans attentes. Le frisson perdu sur la peau. Tout est neuf et tout est beau comme le secret éclos sous la caresse. Comme la vérité s’illumine à la vie.
Dans un souffle la clé du temps ouvre la porte et tout est comme avant, et rien n’est plus pareil. Dans nos yeux, l’élégance du silence… sans espoir ni oubli.

peinture: Richard Diebenkorn: l'homme à la fenêtre 1958, - à noter que ces deux reproductions proviennent du très beau blog de Weimar, qui associe art, photographies, par thèmes, vivement conseillé à la visite
–
Abdelmadjdid Kaouah – Le sel

lac de cratère de Kelimutu_ Indonésie
Le sel
—
Voilà j’ai atteint la rive noire
Là où le rêve n’a plus de miroir
Ni force pour traîner ses fourmis
Ses dérisoires mensonges et
Ses petites lâchetés en guise
De destin
La rive noire où il n’est plus de Mahatma
Ni de seigneur hautain
Pour répandre les épreuves
Le soleil se lève et se couche
Et la bouche essuie la bave des jours
Le sel est amer sur la table
Et en guise de vie nous redessinons
Les cerceaux boiteux de notre enfance
Voilà la rive noire
Est atteinte par petites brassées
A la cadence d’un survivant
La rive noire
C’est avant toute une saison
La saison mentale de tes premiers poèmes
Te voici à nouveau livré aux feuilles d’automne
La couronne des défaites
Le frémissement d’une chair envoûtée
Et tu sais que rien ne sert de se lamenter
Au seuil d’un nouvel avatar
Le bruit seul s’absente
Et tu ne sais si le chemin t’attend
Pour t’accompagner ou pour effacer
Les traces de ton destin
Ainsi l’automne s’abat
Sur toi comme une proie
–
ABDELMADJID KAOUAH
c’est à cet auteur que Rabah Belamri faisait écho dans « poésie mise à nu »
–
MARINA TSVETAIEVA – le plus grand des mensonges (1917)
En 1917, Marina Tsvetaieva écrivait ce texte que l’on trouve dans les « inédits de Vanves »
Je te conterai le plus grand des mensonges
Je conterai pour toi le soir qui tombe et l’ombre.
Les feuilles vertes et les vieilles souches
Et les lumières éteintes et rien ne bouge.
Venu de loin, un homme, sa flûte en main,
Jeune, assis, nu, il joue sans fin.
La grande tromperie je conterai,
La lame perfide dans la main
Le trou brûlant de la lame en mon sein
Et de tes femmes les boucles blondes,
Et le sourire de tes enfants.
Et des vieillards le menton blanc.
Je te conterai le plus grand des fracas
Le tumulte sonore de mon siècle, le fer
Du galop des chevaux contre les pierres.