Julian Tuwim – Les joncs

La menthe parfumait l’eau des étangs,
Et les joncs dodelinaient leur chanson ;
L’aube rosissait, l’eau se fit vent,
Le vent berça la menthe et les joncs.
Comment savoir alors que ces herbes
Se feraient poèmes au gré des ans,
Et que de très loin je hurlerais le nom des simples,
Au lieu de me coucher parmi les fleurs simplement ?
Comment deviner la future douleur
D’arracher les mots au monde vivant,
Comment savoir qu’à se pencher sur l’eau, sur les fleurs
On se faisait souffrir des années durant ?
Je savais seulement que les joncs
Cachaient des fibres fines et légères,
De quoi tresser un filet fluet et long,
Un filet pour ne rien faire…
Dieu immense de mes années d’enfant,
Dieu très bon de mes aurores claires,
Jamais plus donc il n’y aura d’étang,
Ni de menthe dans la lumière ?
Je suis donc condamné sans rémission
A quêter des mots désespérants ?
Et les joncs, les simples joncs de ma chanson,
Jamais je ne les verrai simplement ?
Traduction Jacques Burko
Pour tous les hommes de la terre
Orphée
La Différence
Le parfum de l’absence – (Susanne Derève)

Max Ernst – Frottage
L’absence a ce matin une odeur de sarriette
et de menthe
Hirondelle lutine que tu dessines
légère
entre les bras du temps
est-ce un tourment le beau tourment du jour
un tango de printemps où versent
les automnes
et la voix qui chantonne son accent de velours
sait-il le parfum de l’absence
les feuilles clairsemées que l’arbre abandonne
au grand vent aux gants de brume de l’hiver
avec ses cheminées de nuages
le tambourin des toits de zinc sous la pluie
et la voix qui claironne sait-elle
l’odeur du bois coupé
les mains qui s’affairent au dehors
le heurt des bûches qu’on entasse
pendant que l’esprit baguenaude
loin si loin plus loin que le froissement
d’ailes d’un oiseau migrateur,
plus loin que le cliquetis des rails le sourd balancement
d’un wagon sur les rails paysages brouillés
de vallons d’arbres de bosquets
qu’on déroulerait sans fin
dont on ne dirait ni le nom ni l’odeur
ni la matière rugueuse ou lisse
ou lisse et douce sous le doigt
Et la voix qui fredonne, sait-elle le grain du bois
écharde fine sous la peau
Sait-elle l’aiguillon de l’attente
ce parfum entêtant de sarriette
et de menthe que j’invoque tout bas
Andrei Tarkovski – Premier rendez-vous
image: montage perso à partir d’oeuvres de Jamil Naqsh
Premier rendez-vous.
Nous célébrions comme une épiphanie
Chaque seconde de nos rencontres.
Nous étions seuls au monde.
Plus hardie et plus légère qu’aile d’oiseau
Dans l’escalier comme un vertige
Tu dévalais les marches deux à deux
Et à travers les ruisselants lilas
M’emmenais dans ton royaume
De l’autre côté du verre miroir.
Et quand la nuit advint
Me fut octroyée la grâce.
Les portes de l’autel s’ouvrirent
Et dans la pénombre s’allumant
Lentement ta nudité me salua.
« Sois bénie… », murmurai-je
A l’éveil, sachant bien téméraire Ma parole.
Car tu dormais
Et les lilas sur la table tâchaient
A poser l’azur du ciel sur ta paupière,
Et ta paupière d’azur touchée,
Etait sérénité, ta main était tiédeur.
Dans le cristal, le pouls des fleuves,
L’envol des monts, la houle des mers.
Endormie sur le trône, tu gardais
La sphère lucide au creux de la main.
Et – Juste Dieu ! – tu fus à moi.
Tu t’éveillais, transfigurant
Le quotidien vocabulaire d’homme,
D’accents pleins et forts de ta voix
S’emplit et le mot « toi » livra
Son nouveau sens et signifia « Roi »
Métamorphosé, le monde, jusqu’aux
Objets rustiques, cuvette, broc,
Quand entre nous s’interposa
Une eau veinée et dure, en sentinelle.
Alors nous fûmes emportés je ne sais ou,
Comme mirages s’écartèrent devant nous
Des cités bâties par miracle.
A nos pieds se couchait la menthe,
Les oiseaux se plaisaient à nous suivre,
Les poissons remontaient les cours d’eau
Et le ciel bascula dans l’instant
Où le Sort nous emboîtait le pas,
Tel un fou qui empoigne un rasoir.
Arséni Tarkovski
Claude Roy – la nuit
La Nuit
Elle est venue la nuit de plus loin que la nuit
À pas de vent de loup de fougère et de menthe
Voleuse de parfum impure fausse nuit
Fille aux cheveux d’écume issue de l’eau dormante.
Après l’aube la nuit tisseuse de chansons
S’endort d’un songe lourd d’astres et de méduses
Et les jambes mêlées aux fuseaux des saisons
Veille sur le repos des étoiles confuses.
Sa main laisse glisser les constellations
Le sable fabuleux des mondes solitaires
La poussière de Dieu et de sa création
La semence de feu qui féconde les terres.
Mais elle vient la nuit de plus loin que la nuit
À pas de vent de mer de feu de loup de piège
Bergère sans troupeaux glaneuse sans épis
Aveugle aux lèvres d’or qui marche sur la neige.
(L’Enfance de l’Art, ed. Fontaine, 1942)
Sang-luisant, comme une vie (RC)
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D’après « pas trop vite », de Cribas
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dessin: Marcel Duchamp: un fort et un vite
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ce qui me permet ici de sortir un peu du phrasé « classique », que j’ai adopté ces derniers temps…
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Il faut être sang
Luisant comme une vie
Il faut être lent ,vite
Pour que le temps évite
En dents de scie,parfumées à la menthe
Allangui, sans vie violente
A faire de l’après, l’avant
Et surtout prendre le temps
D’être à peu près compris
C’est toujours ça de pris
Prendre sur soi, juste à temps
Etre à soi, pourtant
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RC avril 2012
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