Antonio Gamoneda – Cecilia

Tu dors sous la peau de ta mère et ses rêves pénètrent dans tes rêves. Vous allez vous éveiller dans la même confusion lumineuse.
Tu ne sais pas encore qui tu es ; tu demeures indécise entre ta mère et un frémissement vivant….
…Entre en ta mère et ouvre en elle tes paupières,
entre doucement dans son cœur ;
Redeviens fruit dans le silence.
Soyez comme un arbre qui enveloppe la palpitation des oiseaux
et il s’incline, et en descendent le parfum et l’ombre….
plusieurs textes de cet auteur sont visibles, en traduction française sur le blog d’Ahmed Bengriche
Père, Mère – (Susanne Derève)

Père, mère, on vous abrite toute une vie, oiseau fragile nous portant d’un coup d’aile au-delà de nos rêves, ou talisman de pierre nous plombant de regrets Tes rêves, père, comme un livre entr’ouvert dans mon regard d’enfant, de jeunesse guerrière,d’eaux neuves, de poissons glorieux entre tes mains agiles Tes rêves, mère aux pantoufles de vair, façonnés de tendresse et de rires d’étoles de velours et de tables dressées Dans vos sourires flottait la tranquille certitude de l’amour, et je le cueille encore,orchidée sauvage dans les prairies fécondes du destin, je le dessine au-delà de la perte et de l’oubli en palimpseste du souvenir pour récrire l’histoire de vos vies, plus fervente et plus douce,telle qu’en vos rêves juvéniles avant la pluie, avant le naufrage de la mémoire,des paroles, des non-dits, avant que le dernier train qui s’éloigne ne me laisse seule et dépourvue au bord du quai, serrant mon blanc mouchoir d’adieu, Père, Mère aimés, sans bien comprendre encore que je vous ai perdus
Alain Leprest – J’ai peur

J’ai peur des rues des quais du sang
Des croix de l’eau du feu des becs
D’un printemps fragile et cassant
Comme les pattes d’un insecte
J’ai peur de vous de moi j’ai peur
Des yeux terribles des enfants
Du ciel des fleurs du jour de l’heure
D’aimer de vieillir et du vent
J’ai peur de l’aile des oiseaux
Du noir des silences et des cris
J’ai peur des chiens j’ai peur des mots
Et de l’ongle qui les écrit
J’ai peur des notes qui se chantent
J’ai peur des sourires qui se pleurent
Du loup qui hurle dans mon ventre
Quand on parle de lui j’ai peur
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur du coeur des pleurs de tout
La trouille des fois la pétoche
Des dents qui claquent et des genoux
Qui tremblent dans le fond des poches
J’ai peur de deux et deux font quatre
De n’importe quand n’importe où
De la maladie délicate
Qui plante ses crocs sur tes joues
J’ai peur du souvenir des voix
Tremblant dans les magnétophones
J’ai peur de l’ombre qui convoie
Des poignées de feu vers l’automne
J’ai peur des généraux du froid
Qui foudroient l’épi sur les champs
Et de l’orchestre du Norrois
Sur la barque des pauvre gens
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur de tout seul et d’ensemble
Et de l’archet du violoncelle
J’ai peur de là-haut dans tes jambes
Et d’une étoile qui ruisselle
J’ai peur de l’âge qui dépèce
De la pointe de son canif
Le manteau bleu de la jeunesse
La chair et les baisers à vif
J’ai peur d’une pipe qui fume
J’ai peur de ta peur dans ma main
L’oiseau-lyre et le poisson-lune
Eclairent pierres du chemin
J’ai peur de l’acier qui hérisse
Le mur des lendemains qui chantent
Du ventre lisse où je me hisse
Et du drap glacé où je rentre
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur de pousser la barrière
De la maison des églantines
Où le souvenir de ma mère
Berce sans cesse un berceau vide
J’ai peur du silence des feuilles
Qui prophétise le terreau
La nuit ouverte comme un oeil
Retourné au fond du cerveau
J’ai peur de l’odeur des marais
Palpitante dans l’ombre douce
J’ai peur de l’aube qui paraît
Et de mille autres qui la poussent
J’ai peur de tout ce que je serre
Inutilement dans mes bras
Face à l’horloge nécessaire
Du temps qui me les reprendra
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur
José Carreira Andrade – Biographie à l’usage des oiseaux
peinture-collage issue du site Wallhere
La rose se mourait au siècle où je naquis,
et la machine avait chassé trop tôt les anges.
Quito voyait passer la dernière diligence
parmi les arbres qui couraient en lignes droites,
les clôtures et les maisons des nouvelles paroisses,
au seuil des champs
où de lentes vaches ruminaient le silence
et le vent éperonnait ses plus légers chevaux.
Vêtue du couchant, ma mère gardait
au fond d’une guitare sa jeunesse
et parfois le soir la montrait à ses fils,
l’entourant de musique, de lumière, de paroles.
J’aimais l’hydrographie de la pluie,
les puces jaunes du pommier
et les crapauds agitant deux ou trois fois
leur lourd grelot de bois.
La grande voile de l’air sans cesse se mouvait.
La Cordillère était du ciel la vaste plage.
La tempête venait et quand battait le tambour,
ses régiments mouillés chargeaient ;
alors le soleil, de ses patrouilles d’or,
ramenait sur les champs une paix transparente.
Je voyais les hommes baiser l’orge sur la terre,
des cavaliers s’engloutir dans le ciel,
et descendre à la côte aux parfums de mangos
les lourds wagons des mugissants troupeaux.
La vallée était là avec ses grandes fermes
où le matin laissait couler le chant des coqs
et onduler à l’ouest une moisson de cannes
ainsi qu’une bannière pacifique;
le cacao gardait dans un étui sa secrète fortune,
l’ananas revêtait sa cuirasse odorante
et la banane nue, une robe de soie.
Tout est passé déjà en houles successives,
comme les chiffres vains d’une légère écume.
Les années vont sans hâte confondant leurs lichens;
le souvenir n’est plus qu’un nénuphar
qui montre entre deux eaux son visage de noyé.
La guitare est solitaire cercueil de chansons
et le coq blessé à la tête longtemps se lamente.
Tous les anges terrestres ont émigré,
jusqu’à l’ange brun du cacao.
JORGE CARRERA Traduit par Edmond Vandercammen
René Depestre – La machine Singer

Salvador Dali – Machine à coudre avec parapluies
Une machine Singer dans un foyer nègre
Arabe, indien, malais, chinois, annamite
Ou dans n’importe quelle maison sans boussole du
tiers-monde
C’était le dieu lare qui raccommodait
Les mauvais jours de notre enfance.
Sous nos toits son aiguille tendait
Des pièges fantastiques à la faim.
Son aiguille défiait la soif.
La machine Singer domptait des tigres.
La machine Singer charmait des serpents.
Elle bravait paludismes et cyclones
Et cousait des feuilles à notre nudité.
La machine Singer ne tombait pas du ciel
Elle avait quelque part un père,
Une mère, des tantes, des oncles
Et avant même d’avoir des dents pour mordre
Elle savait se frayer un chemin de lionne.
La machine Singer n’était pas toujours
Une machine à coudre attelée jour et nuit
A la tendresse d’une fée sous-développée.
Parfois c’était une bête féroce
Qui se cabrait avec des griffes
Et qui écumait de rage
Et inondait la maison de fumée
Et la maison restait sans rythme ni mesure
La maison ne tournait plus autour du soleil !
Et les meubles prenaient la fuite
Et les tables surtout les tables
Qui se sentaient très seules
Au milieu du désert de notre faim
Retournaient à leur enfance de la forêt
Et ces jours-là nous savions que Singer
Est un mot tombé d’un dictionnaire de proie
Qui nous attendait parfois derrière les portes
une hache à la main !
Minerai noir
Anthologie personnelle
et autres recueils
Poésie Points
Nuit bleue, nuit blanche (Susanne Derève)
Picasso- Mother and child (study) 1904
Nuit bleue nuit blanche
nuit jaune de la lueur des lampes
fermée sur le silence
alourdie de ce corps qui repose
Est-ce le tien
Est-ce celui de l’enfant
Est-ce la fièvre
la trace d’un baiser déposé
sur son front une larme séchée
un souffle qu’on retient
On retire la main
on voudrait s’en aller
à peine si on l’ose
sur la pointe des pieds
mais sa main est crispée
à la dérive du sommeil comme une bouée
Lassitude grise des nuits de veille
sous les paupières un carrousel
d’or et de rose
Dormir se glisser sous les draps
près du corps qui repose
sentir son cœur qui bat en suivre
le refrain
l’étreindre quand chantent les lumières
de la ville au matin
et sous mes doigts l’aube légère
de tes bras qui m’enserrent
me hissent vers l’éveil
mais déjà l’enfant babille et m’appelle
Salah Al Hamdani – Le jour se lève sur Bagdad
Avant l’Euphrate il y avait un horizon
qui guidait le nomade
une larme au-dessus d’une dune
une averse sur les falaises
une grêle d’enfance
une lumière qui inondait l’argile
L’Euphrate est ma mère
et je le reconnais comme on enjambe son matin
pour un tatouage de soleil
sur un palmier
dans une vieille cour.
Des mains sur le fauteuil – ( RC )
sculpture: Urs Fischer – 2015
Sur un fauteuil style Louis XVI
sorti de chez l’antiquaire
il y a les mains de ma mère
( qui auraient pu préférer les chaises ) ….
Pour être plus précis dans le décor,
celui-ci n’a rien de spécial,
mais quand même, c’est pas normal…
il y a juste les mains, pas le corps .
Il existe peut-être,
mais dans l’au-delà :
– en tout cas on ne le voit pas – :
ça a l’allure d’un spectre
qui voudrait se faire inviter
pour partager le dessert
avec mon frère
à l’heure du thé :
C’est une sorte d’ambassadrice ,
qui ne s’encombre pas d’apparence
et joue sur la transparence ,
( sauf pour ses mains lisses )
Elles n’ont rien de squelettiques ,
pleines de jeunesse,
elles sont d’une tendresse
bien énigmatique….
Ces mains , d’une autre époque
se posent doucement ,
plutôt affecteusement ,
quand c’est le « five o’clock » ;
– toujours avec exactitude – ,
avant bientôt, de s’évanouir
comme un tendre souvenir
( un rendez-vous quotidien, dont j’ai pris l’habitude ).
–
RC – juill 2017
Décapiter les fleurs du jardin – ( RC )
Tu as tenu dans tes bras le bouquet de l’été,
Que le vent tiède a fleuri ,
et lentement , coupées de leurs racines,
les têtes ont fléchi.
Tu as tenu dans tes bras ton ventre arrondi,
que l’amour a fleuri ,
mais éloigné de ses racines ,
ton corps s’est flétri .
Il n’y a eu que sécheresse
et le froid, l’hiver
et la détresse
et la bouche amère.
Il y a un mot pour décrire
celui qui n’a plus de parents
mais il n’y en a pas pour dire
une mère perdant son enfant.
Comment interroger le destin,
quand , fleur après fleur
se perd dans le lointain
la plus petite lueur ?
La mort était-elle dans ton sein
pour qu’ainsi, elle vienne
décapiter les fleurs du jardin
et les priver d’oxygène … ?
–
RC – août 2016
–
en liaison avec « poème à l’orphelin » de M Tsvetaieva
Novalis – O Mère, celui qui t’a vue
XIV
Sculpture Vierge à l’enfant, Musée Unterlinden Colmar
–
–
O Mère, celui qui t’a vue
pour toujours échappe à l’Enfer.
Il souffre d’être loin de toi,
il t’aime d’amour éternel,
et le souvenir de tes grâces
donne des ailes à son âme. (…)
Tu sais, ô Reine bien-aimée,
que je suis à toi tout entier.
N’ai-je pas, depuis tant d’années,
joui de tes faveurs secrètes ?
A peine éclos à la lumière,
j’ai bu le lait de ton sein bienheureux.
Mille fois tu m’es apparue ;
je t’adorais d’un cœur d’enfant ;
ton Enfant me tendait ses mains
pour mieux me reconnaître un jour.
Tu souriais avec tendresse,
tu m’embrassais — instants divins !
Il est bien loin, ce paradis.
A présent, le chagrin m’accable.
J’ai longtemps erré, triste et las.
T’ai-je donc si fort offensée ?
Humble comme un enfant, je m’attache à ta robe :
éveille-moi de ce rêve angoissant.
Si l’enfant seul peut voir ta face
et compter sur ton sûr appui,
délivre-moi des liens de l’âge,
fais de moi ton petit enfant.
L’amour et la foi de l’enfance
Depuis cet âge d’or restent vivants en moi.
NOVALIS « Cantiques »
Bassam Hajjar – maisons pas encore achevées
Maisons improvisées dans l’étendue vide
pas encore achevées
et vides encore
d’ habitants.
Mais elles sont, depuis le commencement, habitées par le personnage
des souvenirs.
( Comme s’il n’y avait pas de mur et qu’avec cela, malgré cela,
on y ouvrait une porte. Comme s’il n’y avait pas de père, de
mère, d’enfants, et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
lits, des vases, des livres et une table. Comme s’il n’y avait pas
de salle de séjour et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
canapés, une table basse, une lampe, une télévision, des tiroirs
pour le papier à lettres, les journaux intimes,
les numéros de téléphone, les adresses postales, la note de l’épicier, la facture d’électricité, la boîte d’aspirine, les stylos à encre, les crayons à papier, le livret de famille, le vieux passeport, la boîte de dragées et la vieille montre, la boucle d’oreille qui reste en
attendant de retrouver l’autre, le carnet, beaucoup de clés,
dispersées ou reliées par un anneau et personne ne se souvient
maintenant si elles ouvraient des portes et où sont ces
portes…)
–
extrait de « Tu me survivras – «
Claude Saguet – A ma mère
à ma mère
Mon délire vient
d’un grand orage,
d’un lieu inexploré
à l’Est de l’Angoisse.
Tendresse verte aux carrefours
je le retrouve, couleur d’émeute,
en de lointains faubourgs
noyés de linges tristes.
Le soir peut faire la roue
quand j’écarte les branches,
ou vêtir de neige
la soif des oiseaux,
il assiège mes oreilles
plein de détonations.
En vain la mer efface
le bleu sourd du brouillard,
et griffe de ses sources
les filets de la pluie,
il balise d’injures
la nuit qui me ressemble.
Mon délire vient
de mille chaînes
coulées dans le regard
où tout se contredit.
(Terre de fièvres éditions Tribu juin 1984)
–
Chef Indien Seattle – Vous devez apprendre à vos enfants …
Vous devez apprendre à vos enfants
que le sol qu’ils foulent
est fait des cendres de nos aïeux.
Pour qu’ils respectent la terre, dites à vos enfants
qu’elle est enrichie par les vies de notre race.
Enseignez à vos enfants
ce que nous avons enseigné aux nôtres :
que la terre est notre mère ;
que tout ce qui arrive à la terre
arrive aux fils de la terre ;
et que si les hommes crachent sur le sol,
ils crachent sur eux-mêmes
poème bantou – feu – ( trad Leopold Sédar Senghor )

peinture perso: maternelle age 5 ans ( j’ai probablement été fortement aidé… toujours est-il que j’ai toujours cette peinture, d’un format 50×65 cm)
–
Feu
« Feu que les hommes regardent dans la nuit, dans la nuit profonde,
Feu qui brûles et ne chauffes pas, qui brilles et ne brûles pas.
Feu qui voles sans corps, sans coeur, qui ne connais case ni foyer,
Feu transparent des palmes, un homme sans peur t’invoque.
Feu des sorciers, ton père est où ? Ta mère est où ? Qui t’a nourri ?
Tu es ton père, tu es ta mère, tu passes et ne laisses traces.
Le bois sec ne t’engendre, tu n’as pas les cendres pour filles, tu meurs et ne meurs pas.
L’ âme errante se transforme en toi, et nul ne le sait.
Feu des sorciers, Esprit des eaux inférieures, Esprit des airs supérieurs,
Fulgore qui brilles, luciole qui illumines le marais,
Oiseau sans ailes, matière sans corps,
Esprit de la Force du Feu,
Ecoute ma voix : un homme sans peur t’invoque »
–
Poème Bantou
(traduit par Léopold Sedar Senghor)
–
je serai mère , bientôt – ( RC )

photo extraite d’un film de Bergman: – Liv Ullman ( peut-être provenant du film « la honte’ )
je serai mère , bientôt
–
Au tirage au sort, la courte paille ou la grande
En dialogues biologiques,Dieu m’a dit : tu seras femme
Tu porteras, les plis les rides, de la peau et du temps
De ces mots , aussitôt faite, ai eu joies et désarrois
Je vis, j’ai vécu, je me souviens, je le suis devenue
J’ai accueilli, je me suis de Marie l’immaculée, éloignée
J’ai cueilli auprès des hommes, du plaisir , le fruit
D’amour, et ce fruit s’est enraciné .
D’amour , mon sang s’est transmis
Avec lui celui de mon père, ma mère ;
De don, de souffrance , mon fruit
Je l’ai senti m’envahir, et son poids
Je me suis vue m’épanouir, – en poids aussi
Par la vie, ainsi en moi, autrement
Tensions, joie, encombrement ;
Des mouvements de toi ressentis,
Puisque c’était TOI , ici
La Caresse de l’au-delà *, et battre
L’écho de dedans, de la maison rose
J’ai écouté, mes paupières closes
La vie à transmettre , ce chant d’intérieur,
Long fil ininterrompu, je l’ai portée, je t’ai porté
J’ai porté le futur, je porte les futurs.
En germination, je suis déesse à mon tour, et
La mort sera battue en brèche
L’au delà, le divin, n’est pas ailleurs
Il est en moi, Vie je donnerai
Je serai mère, bientôt
RC avril 2011
–
* la superbe expression » La Caresse de l’au-delà * » provient d‘Arthémisia. ( que j’ai « questionnée « serré » pour essayer de transcrire la sensation de pré-naissance.. )
–
–
E.E.Cummings – s’il existe des cieux ,ma mère
s’il existe des cieux, ma mère(rien que pour elle) en aura
un. Ce ne sera pas un ciel de pensées ni
un ciel fragile de muguets mais
ce sera un ciel de roses rougenoires
mon père serait (profond comme une rose
grand comme une rose)
debout près de ma
se balançant au-dessus d’elle
(en silence)
avec mes yeux qui sont en réalité qui
est une fleur et non un visage avec
des mains
qui murmurent
Voici ma bien-aimée ma
(soudain dans la lumière du soleil
il s’inclinera
et le jardin tout entier s’inclinera)
E.E.—maintenant que triglyphe est là)
——
E.E.Cummings
. Traduction inédite de Jacques Demarcq.
–
Salah Al Hamdani – Seul le vieux tapis fleurissait le sol
Seul le vieux tapis fleurissait le sol
La maison avait changé d’adresse
ma photo avait changé de place
la table avait été pliée derrière la porte
la chaise de mon père, aussi,
seul le vieux tapis fleurissait le sol
Je t’ai trouvée enfin
dans un jardin nu
avec ton grand châle noir
l’esprit en dérive
enfilée dans tes prières
l’âge cousu sur le visage
J’ai cru serrer un palmier agonisant
Puis dans mes bras,
j’ai reconnu ma mère.
Salah Al Hamdani – ( Irak)
2004 (« Poèmes de Bagdad »,)
–
Edoardo Sanguinetti – Ballade des femmes
BALLADE DES FEMMES
« quand j’y pense, que le temps est passé,
à ces mères anciennes qui nous ont portés
et puis aux jeunes filles qui furent nos idylles
et puis aux femmes, aux filles et à ces belles filles
si je pense féminin, je pense à la joie :
que je pense masculin, je pense rabat-joie :
quand j’y pense, que le temps est venu,
à cette résistante qui a combattu,
à celle qui fut touchée, à celle qui fut blessée
à celle qui est morte et qu’on a enterrée,
si je pense féminin, je pense à la paix :
que je pense masculin, et penser ne me plaît :
quand j’y pense, que le temps retourne,
que le jour arrive et que le jour ajourne
je pense au giron qu’un ventre de femme enrobe
maison ce ventre qui porte une robe,
ce ventre une caisse qui va finir,
quand arrive le jour, on va tous dormir
parce que la femme n’est pas ciel, elle est terre
une chair bien en terre, qui refuse la guerre :
en cette terre, où je fus semé
j’ai vécu ma vie et j’ai planté,
ici je cherche la chaleur que le cœur ressent,
la longue nuit qui devient un néant
je pense féminin, si je pense à l’humain :
viens ma compagne, je te prends par la main ; »
Jean-Luc Lagarce – j-etais-dans-ma-maison-et-j-attendais-que-la-pluie-vienne-
Jean-Luc Lagarce, écrivain, auteur d’un journal conséquent, et auteur de nombreuses pièces de théâtre, dont celle-ci , entendue en lecture, récemment, en extrait.,par des comédiens de la compagnie « Nocturne » – troupe de Clermont l’Hérault (34).,et qui présentera bientôt à Mende ( le 7 février)– « Le pays Lointain »,– du même auteur.
voila le « scénario ».de « j’étais dans ma maison »
J’étais-dans-ma-maison-et-j-attendais-que-la-pluie-vienne-
Cinq femmes dans la maison, vers la fin de l’été, de la fin de l’après-midi au matin du lendemain, lorsque la fraîcheur sera revenue et que la nuit et ses démons se seront éloignés.
Cinq femmes et un jeune homme, revenu de tout, revenu de ses guerres et de ses batailles, enfin rentré à la maison, maintenant, épuisé par la route et la vie … revenu à son point de départ.
Elles tournent autour de ce jeune homme, elles le protègent et se rassurent aussi les unes et les autres.
Elles marchent à pas lents, elles chuchotent leur propre histoire, cette absence d’histoire qu’elles vivent depuis qu’il les quitta, et son histoire à lui, sa longue ballade à travers le monde, sa fuite sans but et sans raison.
C’est une lente pavane des femmes autour d’un jeune homme endormi. On lutte une fois encore, la dernière, à se partager les dépouilles de l’amour, on s’arrache la tendresse exclusive.
On voudrait bien savoir.
Les soeurs et les épouses et les mères encore, et les amantes qu’on oublia et celles qu’on ne voulait pas voir, dont on ne voulait pas comprendre le désir et qui attendent, qui promirent d’attendre et qui le firent, au-delà du raisonnable, qui détruisirent leurs vies, leurs pauvres vies inutiles, à ne rien faire d’autre qu’attendre, en vain, sans autre raison que surveiller la vallée, la route qui descend vers la vallée et dont on perd peu à peu la trace, …
Luis Cernuda – Parle-moi, ma mère
« Parle-moi, ma mère ;
Je te donne ce nom car
Aucune femme ne le fut d’aucun homme
Comme tu l’es pour moi.
Parle-moi, dis-moi
Un seul mot en ces jours immobiles,
En ces jours informes
Qui contre toi se dressent
Tels d’amers poignards
Aux mains de tes propres fils. »