Jean Creuze – écorces (1 )
Écorces
Lier les mots qui se fabriquent dans la forge de notre
tête.
En faire vivre certains
commettre le meurtre d’autres.
Chauffer, taper, tordre au rouge le fer.
Chuchoter enfin ce qui nous habite
pour l’ultime tentative de la parole.
Des paroles données.
Silencieusement pointe la respiration.
Pulsation qui donne la vie.
Le soufflet active le feu
le mot juste jaillit
transforme nos corps et nos âmes
comme le travail acharné du forgeron
sur l’enclume transforme le métal.
Allongé sur le sol
sous le ciel bleu azur
beauté de l’oiseau dans les airs,
herbes folles dans le vent,
souveraineté des arbres.
Danse de l’univers présent
dans les vibrations lentes du jour qui passe.
Vols d’insectes éphémères,
parfums de fleurs,
odeurs d’humus,
chants de grillons,
craquements d’écorces.
Des forces de l’intérieur s’énervent.
Chasser les ombres du visage
pour s’enluminer-
Nouvelle peau.
La vague passe, se calme, s’anéantit.
Temps suspendu,
le corps flotte.
Soleil rouge,
sensation d’inachèvement
et caresse des ombres :
sa majesté la nuit approche.
Cortège d’étoiles,
respiration douce,
j’affronte l’inconnu,
clignements de cils,
goutte d’éther.
La figue éclate a force de mûrissement au soleil de l’été.
La terre grasse s »enfonce
sous les pas .l’automne est là, avec son humeur faite de rosée
de rafales de vent, de pluie froide.
Des hommes harassés, avinés, burinés, dépités, rendus sont là au coin de la rue,
attendent, rejetés du monde, comme de vieilles eaux usées auxquelles on aurait retiré toutes forces.
Dans ma tête un grand silence.
Tombés par terre, abandonnés,
résignés, abattus, esclaves.
Quels bourreaux? Comment faire?
L’alcool comme seul compagnon.
Idées vagues, brouillées,
délire, obsession, mensonges,
mal de tête,
perte de mémoire.
Oublier son histoire,
nier sa vie,
sacrifier son être.
Que faire avant l’hiver,
avant que le froid ne vous emporte?
Compagnon misère.
Le ciel est clair aujourd’hui, un vent frais se lève et fait
Frissonner les feuilles dans les arbres.
Quelques pensées me tapent le front, et s’évanouissent aussitôt.
Pour laisser le vide.
Le trou noir.
Ce noir si plein que l’on n’attend jamais.
Et pourtant, c’est le rien que l’on redoutait tant.
Il est là, accompagné de son malaise.
On ferme les yeux pour regarder à l’intérieur.
Dans un ultime effort encore.
Le noir toujours.
ça se dissipe.
Le rouge apparaît,
puis le jaune lumière
des éclats de blanc dans le rouge,
du bleu chartreuse,
du vert émeraude. qui coule de mes yeux ?
Serait-ce de la peinture
Les feuilles se remettent à tinter dans le vent et cette
musique douce emporte mes pensées.
Robert Piccamiglio – Smith & Wesson
- peinture-serigraphie: Andy Warhol – Dracula
Je viens de me faire deux meurtres
au Smith et Wesson calibre 35
Trois balles chacun dans la tête
de la cervelle plein les murs
des petits os plein le parquet
Ensuite je prends les corps
je les enveloppe dans le tapis
j’attache le tout
avec la ficelle qui sert à tirer
les rideaux du salon
J’oublie pas non plus d’effacer
mes empreintes
de tirer la chasse d’eau
du cabinet de toilette
après avoir essuyé le parquet
avec des serviettes en papier
Ensuite je redescends les escaliers
les deux meurtres
c’était au deuxième
que çà se passait
Je repasse devant la loge de la concierge
je lui décroche un vache de sourire
en soulevant mon chapeau
Arrivé à ce stade de l’histoire
je me dis que moi aussi
pourquoi pas dans le fond
n’écrirai-je pas des romans
policiers pour faire du fric
et rouler dans de chouettes
bagnoles décapotables
avec sur le siège de gauche
une poule super vison de chez Cardin
négligemment posé sur l’épaule
Alors je reprends tout
comme Chase au début
je viens de me faire deux meurtres
au Smith et Wesson calibre 35
de la cervelle partout
des morceaux d’os pareil
éparpillés sur le parquet
Cathy Garcia – Suture
Cathy Garcia, poète, a aussi son blog, où beaucoup d’informations peuvent être trouvées sur son oeuvre éditée
SUTURE
Lunes de cire
Echo des frontières
Tracées au khôl
Nuit émaciée
Aux éclats de souffre
La langue des anges
Dérange les nerfs
Prend la douleur
Trois fois nouée
Mots souillés
Paupières éparpillées
Aux portes
Langues humaines
Langue de la soif
Première
Obstinée
Rapprocher les lèvres
Recoudre le mot
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La plaie le meurtre
Par un baiser
Ou le silence