Blanche est ma voix – ( Susanne Derève) –

Mes illusions perdues,
plus pauvre qu’en ma jeunesse, je suis,
et mes cheveux coupés.
Pour vêtir un roi nu, n’ai qu’un maigre édredon
que chacun tire à soi
et quand sur vous, mes frères,
les mâchoires d’acier des frontières se ferment,
j’appelle, j’appelle encore,
blanche est ma voix,
noyée dans le grondement du flot,
blanche,
la supplique qui monte des radeaux
accrochés à nos flancs, au bout de leur errance,
blanche la plainte,
qui fuse des barbelés, le cri du sang
épandu sur la neige,
et sous les bombes, les gravats,
les villes qu’on assiège,
blanches d’horreur les pupilles,
blancs les membres brisés.
Mes illusions perdues …
à Kaboul Ispahan Téhéran ,
blanc le cahier d’écolière,
blancs le niqab et le linceul,
la corde et le nœud coulant,
et quand sur vous mes sœurs,
les mâchoires d’acier des prisons se referment,
j’appelle, j’appelle encore
au delà des frontières , blanche est ma voix …
***
sur la Chapelle Maradène ( commune de Martel, Lot) , acquise par Miklos Bokor ,
dont il a entièrement recouvert les murs intérieurs de fresques monumentales
qu’il a voulues comme « sa mémoire » de la Shoah, voir :
Chapelle Maradène, journée du patrimoine – Martel 2020
Aytekin Karaçoban – Pourquoi –

Pourquoi Pourquoi mon désir s’accroit-il, juste au moment de tailler la vigne, d’apprendre au temps de t’écrire, de déployer un chemin de rêves sous ses pieds pour qu’il apprenne aussi à ne pas se contenter seulement de sa science de traverser le réel ? Pourquoi pas, par exemple, juste au moment où je glisse ma voiture entre deux lignes dans le parking ou bien au moment où je saisis le sourire forcé de la vendeuse chez le boulanger ? Pourquoi fondent les notes, se tendent les voix les heures deviennent lierres dont les fibres tressent des cordes quand j’attends une mélodie valable de l’opéra à trois sous de la vie ? Pourquoi l’envie de me mesurer avec l’ouragan de la foule, de courir en hurlant se mêle-t-elle dans l’affaire juste au moment où mon pied glisse sur la marche et pourquoi pas quand je regarde en colère dans mon fauteuil moelleux les canons à eau déployés en plein hiver pour repousser des migrants qui tentent de traverser la frontière ? Je fais semblant comme si ces heures n’existaient pas comme si tu n’étais pas mon abri, mon refuge, mon sauveur juste au moment où mon pied touche le sol. Ma mémoire devient l’attrape-guêpe. Partout le brouillard.
Ce que Orphée contemporain disait lorsqu’il réparait sa lyre cassée
Recours au poème (6/11/2022)
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