Pierre Seghers – Le Vert-Galant
Maria Giannakaki Mare Monstrum
Longtemps, je t’ai cherchée dans les ruelles de ma nuit
Dans la ville grondante aux mille et mille roues
Dans la pluie, dans la boue, longeant le fleuve gris
Où luisent les feux tremblotants des barques
qui s’échouent
Sur le pavé sonnant longtemps je t’ai suivie
Et la fièvre et la faim, sur ton visage, en masque dur
Te marquaient du rire de l’assassin. Quand s’est enfuie
Ton ombre, et sa pureté battue raclant les murs
Rôdait encore ton faux sourire de fille apache
Tard, quand s’éteignaient les yeux des casernes de la
Banlieue. Je t’ai cherchée comme l’ombre qui tâche
De rejoindre le corps vivant et chaud qu’elle appela
Ce soir où je te vis dans l’île, sombre et seule
Pauvre comme un oiseau traqué, l’aile qui pend
Blessé par les chasseurs et perdu et qui se
Le dit, avec un chant désespéré que nul n’entend.
Des chalands descendaient sur l’eau grise et la brume
Sur eux se refermait. Des sirènes, des cris
Etouffés, l’odeur du soir humide et pauvre qui s’allume
Aux feux des derniers ponts comme des feux pourris
Nous entouraient, pris entre le flot des hommes
et l’eau sale.
Je n’oublierai jamais l’immensité de ton regard
Ni le reproche muet, ni les bras tendus à
La mort, ni la clôture infranchissable, par
Des mains humaines tressée, faite de fer, basse mortelle.
Je ne t’oublierai pas. D’autres ont repêché
Ton corps vanné, ton corps glacé de femme pauvre
Je ne t’oublierai pas ; et j’aurai tant cherché
Ton image effacée, seule et réelle au
Vrai de cette vie fausse, aux lanternes, quand va
Le Faucheur, qu’un jour viendra, ô sœur première
Pour ton ombre à mon ombre unie dans la lumière
De l’humble paradis de ceux qui n’en ont pas.
Revue Poésie 41, n°6
Comme une main qui se referme (Poèmes de la Résistance 1939-1945)
Ed Bruno Doucey 2011
Alfred Jarry – Cynégétique de l’omnibus
train pour Versailles ( on s’y croirait )– quand même les sièges font tache…
—
Des diverses espèces de grands fauves et pachydermes non encore éteintes sur le territoire
parisien, aucune, sans contredis ne réserve plus d’émotions et de surprises au trappeur
que celle de l’omnibus.
Des Compagnies se sont réservées le monopole de cette chasse ;
à première vue l’on ne s’explique pas leur prospérité; la fourrure de l’omnibus est en effet
sans valeur et sa chair n’est pas comestible.
Il existe un grand nombre de variétés d’omnibus, si on les distingue par la couleur ;
mais ce ne sont là que des différences accidentelles, dues à l’habitat et à l’influence
du milieu.
Si le pelage du « Batignolles-Clichy-Odéon », par exemple, est d’une nuance
qui rappelle celle de l’énorme rhinocéros blanc, le « borelé » de l’Afrique du Sud,
il n’en faut chercher d’autre cause que les migrations périodiques de l’animal.
Ce phénomène de mimétisme n’est pas plus anormal que celui qui se manifeste chez
les quadrupèdes des régions polaires.
Pour lire l’écrit de Jarry en entier, voir ce site….
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migrations ( RC )
Il y a des oiseaux qui se posent sur le champ
Et qu’éparpille un peu de vent;
Comme il ondule les blés dressés
Sous sa main tiède, caressés.
Il y a les oiseaux qui se suivent dans l’attente
En formations serrées, à la fin de l’été,
Et qui dessinent des nuées mouvantes,
Comme le sable poussé par les vagues de la marée.
Aussi semblables que les grains voisins,
Et pourtant différents, comme les messages
Dont ils portent les nouvelles, en passage
Migrations , des ailleurs lointains.
Les familles des cigognes, qui bâtissent leurs nids
Sur les cheminées de Lithuanie
Viennent peut-être reprendre leur place,
Fidèles, aux sommets de celles d’Alsace
C’est au dessus de la Pologne
Que passent les cigognes,
Malgré les aventures du vol, et des longs kilomètres,
On pourrait les identifier, peut-être,
Chacune à sa patte, une bague de fiançailles
A célébrer du pays, les retrouvailles.
RC – 29 Juillet 2012