Tu me vois au-delà de l’eau – ( RC )

Je sais que tu me vois
au-delà de l’eau ….
Crois-tu encore que j’existe ?
Malgré tes souvenirs,
ce que tu distingues,
n’est même pas mon reflet,
car je suis de l’autre rive,
Le fleuve est infranchissable,
c’est un mirage
où ta pensée se noie….
( sur un thème d’Eric Costan )
F-J Temple – Haute plage

à Richard Aldington
Ombres des vieux soleils couchés
ainsi vont les chevaux sur les rivages
comme des âmes dans la nuit.
.
Tel est le souvenir effacé par les vagues
où le phare debout veille au désert du vent.
.
En ce temps-là familier des centaures
seule une voix parlait dans le palus :
le dieu-butor aux étoiles rêvait
sur un empire aux couronnes de sel.
.
Nous voici désormais condamnés aux mirages
à l’herbe amère des anciens jours.
.
Pâle une lune morte se souvient.
.
.
Foghorn
Editions Grasset
Agusti Pons – Quand il m’embrasse, des baisers de sa bouche

et son souffle confond le mien
et son bras dur rejoint nos corps
et son désir se propage lentement.
Ah, qui pourrait alors arrêter les heures!
Arrêter le monde et sa rotation lente:
capturer l’Éternel comme si un secret inutile
nous transformait en lumière de l’univers.
Quand il vient à moi
mon parfum le réclame
et mes cheveux parfumés, impatients,
et mon sourire trahit mon amour
comme si amoureux , l’amant était piégé!
Je suis en colère contre le vent quand je suis son refuge
et le protège de tout malheur:
je me donne à lui – et je le deviens –
et avec lui je soutiens notre seul mirage:
le royaume des dieux et le sable du désert.
Jean-Paul Toulet – Le Tremble est blanc L’heure qu’il est (fragment)
Le temps irrévocable a fui.
L’heure s’achève.
Mais toi, quand tu reviens, et traverses mon rêve,
Tes bras sont plus frais que le jour qui se lève,
Tes yeux plus clairs.
A travers le passé ma mémoire t’embrasse.
Te voici.
Tu descends en courant la terrasse
Odorante, et tes faibles pas s’embarrassent
Parmi les fleurs.
Par un après-midi de l’automne, au mirage
De ce tremble inconstant que varient les nuages,
Ah ! verrai-je encore se farder ton visage
D’ombre et de soleil !
Paul-Jean TOULET « Chansons » in « Les Contrerimes » (Éd. Emile-Paul frères)
Paul-Jean Toulet (Le tremble est blanc)
Pierre Bonnard Jeune fille jouant avec un chien
Le temps irrévocable a fui. L’heure s’achève.
Mais toi, quand tu reviens, et traverses mon rêve,
Tes bras sont plus frais que le jour qui se lève,
Tes yeux plus clairs.
A travers le passé ma mémoire t’embrasse.
Te voici. Tu descends en courant la terrasse
Odorante, et tes faibles pas s’embarrassent
Parmi les fleurs.
Par un après-midi de l’automne, au mirage
De ce tremble inconstant que varient les nuages,
Ah ! verrai-je encor se farder ton visage
D’ombre et de soleil ?
.
Les Contrerimes Poésie / Gallimard
Adeline Baldacchino – Déjetée
peinture: John Sloane
extrait d’un titre de son blog poétique, sur tumblr
Ainsi donc la douceur aussi n’était qu’un mirage, juste avant ce bruit de collision contre le beau mur étroit du silence, ajointé dans la nuit dans l’aube au soleil par tous les temps. Je cherchais l’aigle encore et le serpent, Zarathoustra qui détourne le regard. Ainsi donc indifférente elle était mais vivante la mer. Et ce n’était rien pourtant qu’un peu de murmure à la surface du temps, les cuisses déjetées du monde ouvertes sur la matière des chants qui ne transmutent plus rien. Le vent répétait des caresses d’ombre sans chair, défaisait les faux miracles de la parole recommencée. Ne plus dormir, juste regarder glisser dans l’éternel instant, dur et lumineux, l’écart insistant du désir au monde. Le cœur y loge tout entier souverain fragile et nu, puissant qui ne sait plus
rien.
Nicolas Rouzet – le cercle et la parole
photo: Ernst Haas
Il y a le cercle et la parole
et l’heure où chaque naissance
annonce l’aube rageuse
l’attente du regard
Une main aveugle
dure à tâtons
devance le jour
dessine comme par jeu
la frontière qui sépare
le silence de la parole
le geste du murmure
De son pouce
se traverse la brèche
s’effleure le néant
d’où l’on sauve
la braise
et la brindille
Et que l’oreille
se tende
vers ce soupirail
qu’elle entende
que nos fantômes
n’ont pas changé de nom
que tous se croient encore vivants
dans l’espace ouvert
par l’éclat
le mirage
de nos âmes !
Digérer le désert – ( RC )
Comme ces animaux, dont l’apparence se coule dans le fond,
Tu habites le désert, et t’y confonds.
Femme des sables, tu n’espères que les courants,
Les vagues d’un océan de dunes, qui, lentement, se déplacent.
Tu te couches dans le sable, tu t’étends sur l’horizon,
dont rien n’arrête la fuite.
Tu regardes passer les caravanes, mesurant le temps,
dans leur progression lente.
Tes désirs sont une piste, aspirée dans un mirage .
Et cette piste, s’efface avec le vent .
Ainsi la vie s’étire, blanche, sous la lumière brûlante,
écrasant tout de son feu.
Et comme l’ombre est rare, juste celle de buissons épineux,
tu attends que le jour bascule, ne souhaitant rien .
Le violet de la nuit s’orne d’une lune interrogative .
Si tu jette des cailloux vers les étoiles, elles te les renvoient .
Tu peux les maudire, elles restent indifférentes à ton sort.
Elles contemplent d’autres pays.
Ceux dont tu n’as pas l’idée, enchaînée par la distance .
Il ne reste que les pierres, où se concentre ta colère .
Juste le temps que tu digères le désert.
RC – oct 2015
un furtif passage – ( RC )
Quelle est cette lumière étrange
Qui ici, soudain, règne ?
Est-ce la parole de l’ange,
qui , tout – à – coup, saigne,
Dans cette pièce austère
Où rien ne bouge,
Au fond du verre
aux reflets rouges ?
J’y vois un mur transpercé,
L’éclair fendant les nuages ;
Ton image inversée,
Celle de ton visage.
L’arrondi des sourcils…
Le reste se fond dans l’obscur,
Une vision, du reste , bien fragile,
Qui se dissout lentement dans le mur.
C’est peut-être un vestige de la pensée,
Certains y verraient un mirage,
Un fantôme tentant la traversée
des apparences, – comme en furtif passage…
–
RC – oct 2015
Catherine Pozzi – Ave
Ave
Très haut amour, s’il se peut que je meure
Sans avoir su d’où je vous possédais,
En quel soleil était votre demeure
En quel passé votre temps, en quelle heure
Je vous aimais,
Très haut amour qui passez la mémoire,
Feu sans foyer dont j’ai fait tout mon jour,
En quel destin vous traciez mon histoire,
En quel sommeil se voyait votre gloire,
Ô mon séjour.
Quand je serai pour moi—même perdue
Et divisée à l’abîme infini,
Infiniment, quand je serai rompue,
Quand le présent dont je suis revêtue
Aura trahi,
Par l’univers en mille corps brisée,
De mille instants non rassemblés encor,
De cendre aux cieux jusqu’au néant vannée,
Vous referez pour une étrange année
Un seul trésor
Vous referez mon nom et mon image
De mille corps emportés par le jour,
Vive unité sans nom et sans visage,
Cœur de l’esprit, ô centre du mirage
Très haut amour.
….
Catherine Pozzi (1882-1934)
–
La Provence se penche pour un baiser profond (RC )
–
Il est des calanques, comme une personne que vous aimez,
En la conduisant vers la mer, juste pour y tomber dans son lit,
En allant vers le mirage sauvage de l’eau,
La Provence se penche pour un baiser profond,
Sertie de roches blanches, coupantes
– Comme menaçant la terre, en la poussant
Dans les flots sertis de diamants mobiles,
Avec ses pins qui résistent, avec leurs manches vertes,
Leurs racines puisant le ciel d’un soleil,
Et la pente fourbue des rochers
– S’éparpille en îles,
Battues par le vent sauvage de l’azur.
–
RC – 12 avril 2013
–
Le ciel est tout autour ( RC )

photo: daveb ombres d’une caravane Sahara
–
Le ciel est tout autour d’eux
C’est l’effort d’ une longue marche
A travers les dunes ;
Il y a les ombres qui devancent
La caravane et le sable
Qui ondule , égal à lui-même
Et juste marqué, de grains de rochers
Echappés de montagnes.
Le ciel est tout autour d’un creux
Il se rassemble et roule
Comme s’égarent les pistes
Désignées par les anges
En chemins des possibles
Que le soleil ardent
Apprécié des serpents
Efface en poussières…
Le ciel est tout autour d’un bleu
Si évanescent , mais dense
Qu’accrochent , peut-être
Le mirage d’une étendue d’eau
Là bas, si loin…
Dans nos pas de fourmi,
Une oasis, une illusion
Qui vient , puis s’efface
Le ciel est tout autour d’un feu
– Il s’est coulé dans le noir
Quelques flammes et du bois sec
Les nomades lui font cercle
Le désert est affable
Tout est silence, et les outres circulent,
Les chameaux, à genoux,
Soupirent, au chemin de demain.
RC – 19 septembre 2012
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Miquel Marti I Pol – Les mots nous accablent
–
Miquel Marti I Pol, traduit par lignelila, voir son post, qui par ailleurs, sur son blog a plein de choses intéressantes
—
Finalement, les mots nous accablent,
Nous courbent les épaules et nous soumettent
à la beauté incertaine des concepts.
Regarde, ce n’est pas difficile.
Tu peux reprendre l’après-midi
Mot après mot et y ajouter
Des formules qui t’éloignent des choses
Et te rendent, lentement, inaccessible.
Tu peux dire : « l’ombre bénigne
des arbres », « la quiétude solennelle des pierres », « la profonde
présence de la rivière » et, ainsi, te croire
libéré de la gêne
Des gens et du temps.
Et toi, pendant ce temps, où es-tu ?
Aucun de ces mots
Ne te contient et c’est en vain que tu t’efforces :
Le rythme n’a pas changé
Et les gens naissent, grandissent, aiment et meurent,
Les après-midi sont les choses
Et le battement du sang et les mots
Concrets : arbre, terre
Et, surtout, les gens qui les habitent.
À quoi bon sauver l’esprit
Si tu perds le corps dans d’inutiles mirages.
(Traduction du catalan du poème « Al capdavall els mots ens afeixuguen », Miquel Martí i Pol, He heretar l’esperança (1963-1967))
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René Char – Le parc des Névons
—
Dans le parc des Névons
Ceinturé de prairies
Un ruisseau sans talus,
Un enfant sans ami
Nuancent leur tristesse
Et vivent mieux ainsi
Dans le parc des Névons
Un rebelle s’est joint
Au ruisseau, à l’enfant,
A leur mirage enfin.
Dans le parc des Névons
Mortel serait l’été
Sans la voix d’un grillon
Qui, par instant se tait.
–