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Nâzim Hikmet – ( A propos du Mont Uludag) –


Arkhip Kuindzhi – Cimes enneigées -1895
Voilà sept ans que nous nous fixons
les yeux dans les yeux
cette montagne et moi.
Et nul ne bouge       ni elle
				ni moi.
On se connaît pourtant de près.
Elle sait rire et se fâcher
comme tout ce qui vit pour de vrai.

Pourtant
	surtout en hiver
	surtout la nuit
	surtout quand le vent souffle du sud
avec ses pics neigeux
	ses forêts de pins
	ses alpages
	ses lacs gelés
elle remue légèrement dans son sommeil
et l’ermite qui habite tout là-haut
avec sa longue barbe en désordre
et sa robe volant au vent
dévale vers la plaine en hurlant
		en hurlant devant le vent
Et parfois
	surtout en mai, au point du jour
	toute bleue, sans bornes ni limites
	immense, heureuse et libre
elle s’élève, pareille à un monde nouveau.

Et il y a des jours, parfois
où elle ressemble à son image sur les bouteilles de
limonade...

Et je devine que dans l’hôtel que je n’ai jamais vu
mesdames les skieuses boivent du cognac
en prenant du bon temps avec messieurs les skieurs.

Et il y a des jours
où l’un de ces montagnards aux sourcils noirs
et au large pantalon bouffant de bure jaune
égorgeant son voisin sur l’autel de la sacro-sainte propriété
devient notre hôte
pour passer quinze ans à la chambrée numéro dix-sept...


1947

(Dominant sa prison, l’Uludag, Mont Olympe de Bithynie , a été pour Nâzim Hikmet une image obsédante.) . .

Nostalgie

dessins originaux d’Abidine

Editions fata morgana


Martine Cheval – marches


Les marches sur les routes du soleil,
la lumière qui penche elle aussi,
vers les cailloux de contes à ramasser
avant que de les raconter.
Les marches en montagne, dans les bois, les vallées,
celle de l’Ourika et Oulmès,
Oukaimeden, Besse, l’Atlas et tant d’autres…

Les haltes des cabanes à construire
et les fleurs en couronnes à la manière des Russes :
les filles en princesses des contes qu’elles lisaient,
les garçons en « homme fleurs » de l’Arabie du Sud.

extrait de « Jardins d’enfants »


Moisson du jour – (Susanne Derève) –


Giovanni Giacometti – L’alouette –

Les hélices du jour sur la montagne.
Si près du ciel nous sommes,du bleu sans faille
de la lumière
où plongent les ailes du moulin,
et j'en suis le meunier,
j'en mouds le grain en farine d'azur,

j'en pétris la mie tiède,du rouge et de l'or
des forêts de sureaux et de hêtres où la route
serpente,nonchalante,
au flanc ensoleillé du Causse.

A nos pieds la toile étincelante                                  
des prairies d’hiver,                                                              
le vaste amphithéâtre des sapins,
en sentinelle ardente,                                   
le fil ténu de la rivière …                                        

Déjà le jour chancelle,un fin quartier de lune
fauche les blés du ciel,
dans le vase étroit de la combe,  
le vin noir de la nuit s'enracine …
Meunier déchu,j'y noie mes rêves 
d’éternel.




Age d’or – (Susanne Derève) –


Photographie RC (Lozère)

                       
Le jardin le mur 
les sapinières
le dos nu de la montagne

Si loin que porte l’oeil
les courbes se succèdent jusqu’à cerner 
le ciel   

Moi qui emprunte des chemins détournés                                                                                    
de rocaille et de pierre
le lézard me dit "hâte-toi"
et je lui donne à boire
la rosée de la nuit

si pâle ce matin 
- peut-être de l’averse -
L’orage avait fendu les fruits
et les guêpes à midi 
creusaient 
l’entaille brune

Blonde était la lumière
qui s’attardait ce soir 
sur la montagne 
au-delà du jardin du mur 
de la frange bleue des sapins
et du vieux pont sur la rivière

 
 


Wladyslaw Slzengel – loin ( conversation avec un enfant )


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Conversation avec un enfant

Mille neuf cent quarante deux.
La mère et l’enfant.
Un atelier, un bloc…
L’enfant au visage de lys
La mère aux cheveux de lait
Dis moi mère, demande le petit,
que signifie : loin…


Loin, c’est au-delà des montagnes,
des forêts et des rivières…
Loin c’est les rails…
Loin, c’est un voyage en mer,
des bateaux et de grands espaces livides,
et des montagnes au soleil pourpre…
Loin, c’est des îles dorées
et le souffle des brises parfumées,
une verdure éclatante
et le sable doux et sec.


Mais comment expliquer à l’enfant
le sens du mot : loin…
quand il ignore ce qu’est une montagne,
ou à quoi ressemble une rivière…
et n’a pas comme sa mère… et n’a pas comme moi
ces images plein les yeux,
alors comment expliquer à l’enfant
le sens du mot : loin …
Loin, mon enfant chéri
(une larme frémit sur les cils)
loin, c’est comme de notre bloc

jusqu’au bloc Toebbens…

Et dis-moi maman chérie
que signifie : autrefois…
Autrefois, c’est une soirée en ville,
des lampes qui brillent, des néons…

C’est le calme d’un appartement tranquille et un poêle bien chaud
Autrefois, c’est des gâteaux de Ziemianska
autrefois, c’est un déjeuner avec la radio autrefois,
c’est chaque matin Notre Revue »’
et le soir le cinéma Palladium.

Autrefois, c’est un mois à la mer, autrefois,
c’est…des photos d’une excursion
et une photo d’un mariage sous le voile
et du pain blanc sans paille…

Mais comment expliquer à l’enfant
ce passé clair et glorieux
quand il n’en sait rien… absolument rien…
comment expliquer : autrefois …

Tu vois, mon enfant chéri, déjà triste et vieux,
autrefois, ça signifie quand autrefois…
ils ne nous rationnaient pas le miel

et dis-moi, maman, dis-moi
C’est quoi, ce que j’entends la nuit…
ces longs sifflements… au loin…
qu’est-ce qui siffle, et pour quoi faire….

Comment expliquer à l’enfant,
quel exemple quel motif prendre,
pour expliquer le sifflement nocturne
et lointain des locomotives…
comment expliquer les rails
et la longue route vers l’infini
la joie de filer en sleeping
dans des express fous.

Gares, signaux, aiguillages,
nouvelles villes, rues,
billets, correspondances, bagages,
journal, buffet et porteur.

Le miroitement de petites lumières la nuit
les trainées lilas des fumées.

Comment expliquer… et pour quoi faire,
qu’il y a encore un monde quelque part au loin ça,
veut dire, mon petit garçon,
toi qui tords tes doigts de chagrin,
que ça peut s’étendre plus loin que Toebbens…
et encore plus loin que le miel…

notice biographique sur l’auteur ( poète du ghetto de Varsovie )


Ecrin – ( RC )


 

 

py_0077_soulier  de satin.jpg

photo d’origine, légèrement modifiée… « l’année du  soulier  de satin » voir site de la société Paul Claudel

 

Eclairée de côté par un projecteur,
qui imite le soleil,
pointant ses flèches
entre le creux de la montagne,
je te vois, seule sur la scène.

Je devrais plutôt me perdre ici
dans les plis mauves
de ces rideaux de velours
qui drapent le mur vide,
côté jardin.

J’ai envie de disparaître
dans la douce obscurité de leurs plis.
L’été indien
poursuivant sa vie liquide
avec sa couleur purpurine.

Il y a encore ce bouquet
de fleurs rouges
sur la scène.
Un rouge tellement intense,
qu’il crie la teinte du désir.

Le reste du décor
est comme un écrin,
dont on ne voit pas les ombres .
Je risque un pas
et c’est ta main que j’étreins .

Illuminated from the side by a projector,
who imitates the sun,
pointing his arrows
between the hollow of the mountain,
I see you, alone on the stage.

I should rather get lost here
in the purple folds
of these velvet curtains
who drape the empty wall,
Garden side.

I want to disappear
in the soft darkness of their folds.
Indian summer
continuing his liquid life
with its purpurine color.

There is still this bouquet
of the red flowers
on the stage.
Such intense red,
let him cry out the hue of desire.

The rest of the decor
is like a jewel case,
whose shadows cannot be seen.
I risk a step
and it’s your hand that I hold.


Au-delà des sommets – ( RC )


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Le montagnard connaît la rudesse des roches,
          les failles et précipices,
          les forêts qui s’essoufflent,
et finissent par renoncer,
vers les hauteurs…
         le vent glacial,
         l’aspiration vers les cîmes,
(souvent voilées de nuées),
         les pistes incertaines,
         les plaques de neige.

Toutes les chaînes,
dans leur présence pesante,
accrochant encore le jour,
alors que la vallée s’endort….

Le but affiché est de
« conquérir un sommet » ,
              comme si,
         grâce à ce verbe,
on pouvait se l’approprier .
Ce serait plutôt une métaphore,
pour sa propre vie :
       un parcours d’obstacles,
passer au travers d’épreuves,
éviter pièges et dangers:

       Faire de son existence
une progression pénible,
       s’ouvrir de nouvelles voies,
planter un drapeau tout en haut.

Mais il n’y a pas d’autre alternative
que redescendre,
le vent sifflant dans les oreilles,
fourbu et courbatu,
avec le sentiment de revenir
      malgré soi,
( Gros Jean comme devant) ,
>     ne s’étant rien approprié du tout,
devant,        comme à la montée
affronter les éléments .

Et si la vie se concrétise dans la montagne,
quel que soit le sommet
          on voit bien qu’un jour elle s’arrête,
                     et qu’il n’y a rien au-delà    .


RC – oct 2017


Thomas Transtörmer – Les pierres


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Les pierres que nous avons jetées,
je les entends
tomber, cristallines,
à travers les années.
Les actes  incohérents de l’instant
volent dans la vallée en glapissant
d’une cime d’arbre
à une autre,
s’apaisent
dans un air plus rare
que celui du présent,
glissent,  telles des hirondelles
du sommet d’une montagne à l’autre,

jusqu’à ce qu’elles atteignent
les derniers hauts plateaux

à la frontière de l’existence.
Où nos actions ne retombent
cristallines

sur d’autres fonds
que les nôtres.
17 Poèmes 1954


Frederic Nietszche – Le signe de feu


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Ici, où parmi les mers l’île a surgi,
pierre du victimaire se dressant escarpée,
ici, sous le ciel noir, Zarathoustra
allume son feu des hauteurs, —
signes de feu pour les pilotes en détresse,
point d’interrogation pour ceux qui savent répondre…

Cette flamme aux courbes blanchâtres,
—    vers les froids lointains élève les langues de son désir,
elle tourne sa gorge vers des hauteurs toujours plus pures —
semblable à un serpent, dressé d’impatience :
Ce signe je l’ai placé devant moi.

Mon âme elle-même est cette flamme: insatiable,
vers de nouveaux lointains,
sa tranquille ardeur s’élève plus haut.
Pourquoi Zarathoustra a-t-il fui les animaux et les hommes ?

Pourquoi s’est-il enfui brusquement de toute terre ferme ?
Il connaît déjà six solitudes —,
Mais la mer elle-même ne fut pas assez solitaire pour lui,
il se hissa sur l’île, sur la montagne il devint flamme,
maintenant, vers une septième solitude
il jette son hameçon chercheur par-dessus sa tête.

Pilotes en détresse !          Ruines de vieilles étoiles !
Et vous, mers de l’avenir !           cieux inexplorés !
vers tout ce qui est solitaire je jette maintenant l’hameçon :
répondez à l’impatience de la flamme
péchez pour moi, le pêcheur des hautes montagnes,
ma septième, ma dernière solitude ! —

Frédéric NIETZSCHE « Dithyrambes à Dionysos »    (1888) in « Poésies » (Mercure de France)


Des pas mènent à la source – ( RC )


Florac  source  pêcher    01.JPG

Photo perso  –  source  du pêcher  – Florac

 

 

Des pas d’oiseaux dans la boue,
eux qui mènent à la source,
dont on perçoit le murmure
contournant les rochers.
Mais d’où vient-elle,     cette eau,
sinon du secret de la montagne obscure,
des vallons habillés de mousse,
du souffle du temps,
– une résurgence mystérieuse.
où s’étire le liquide  ?
et c’est le miroir facétieux des neiges
dissoutes par le printemps :
une langue muette qui se délie
et s’infiltre dans toutes les failles,
pour s’unir à d’autres langues, bruire
comme un oiseau nouveau né,
grossir son cours
s’élargir, chanter, puis rugir
à mesure que se dessinent les pentes.
Elles n’en retiennent, une fois apaisées,
que le reflet des arbres pensifs,
les nuages qui se mirent,
dans leur substance même
courant et nourrissant le sol.


RC – nov 2016


Gisela Hemau – Représentation


image: Terry LongAfficher l'image d'origine

 
REPRESENTATION

L’acrobate monte dans un coffret
Tout d’abord il faut être si petit
Qu’on y trouve de la place dit-elle et nous offre sa fourrure
Puis entre les bestioles du corps de la mort et des adieux
elle montre l’ascension de son propre bras
Nous sommes là pour la vue
Mais nous n’atteignons pas la montagne

Comme nous rétrécissons constamment la fourrure
où nous nous égarons est à la fin
une forêt impénétrable .

 

 

 

-Gisela Hemau traduction Rüdiger Fische

VORSTELLUNG

Die Akrobatin begibt sich
in ein schwarzes Kâstchen
Erst einmal muss man so klein sein
dass man hineinpasst
sagt sie und offeriert uns ihren Pelz
Dann zwischen Leib-
Tod- und Abschiedstierchen
zeigt sie
die Bergbesteigung
des eigenen Arms
Wir sind da weeen der Aussicht
Aber wir erreicnen den Berg nicht
Weil wir immerfort schrumpfen
ist der Pelz in dem wir verirrt sind
bis zum Ende
ein unpassierbarer Wald

 
Gisela Hemau Aufter Rufweite,
Kônigshausen & Neumann, Würzburg 2oo3


Confrontés à la matière, même… – ( RC )


 

photo Martin Pierre –                   falaises du Vercors

Confronté à la matière même,
il y a toujours cette  opposition,
ce défi qu’elle  nous propose,
en particulier quand les dimensions font,
qu’il s’agit d’un obstacle.

Comment  traverser  l’obstacle,
comment s’y appuyer,
le palper, en jouer , comment en tirer parti,
pour essayer de surpasser ses propres limites
( les nôtres  et les  siennes ).

Mais la matière est.
Elle  s’impose.
Elle n’est jamais  vaincue,
De par sa continuité, son existence,
de son inertie même.

Qui ,  des navigateurs,    se sont  risqués  sur la mer ,
en tablant sur  des vents calmes,
des oracles  favorables,
n’ont pas oublié les dangers qu’elle  recèle,
et leur sillage       n’a pas  laissé  d’empreinte .

Quand je vois le trapèze hautain de la montagne,
sa face  bleutée parcourue  d’ombres,
striée de troncs d’arbres,
la pente est toujours là .  Elle  s’oppose de le même façon,
même  si je l’ai franchie hier .

Quand  j’établis un itinéraire  sur la carte,
je sais que des détours  s’imposent,
qu’il me faudra contourner les précipices,
et  emprunter obligatoirement, les quelques ponts
jetés  au-dessus  de la rivière.

Supposons  que je doive franchir un désert,
c’est  toute une stratégie à mettre en place,
pour qu’on puisse s’assurer de subsister
matériellement,       pas seulement question climat,
mais en anticipant sur l’imprévisible…

Quelles  que soient les heures et moments,
ce qui a été  hier, est encore là aujourd’hui.
Ce n’est pas une  vue  de l’esprit,
Et justement,         par son essence même,
la matière impose sa masse par rapport  à l’abstraction.

C’est un corps,  un vrai corps,…. sur lequel on habite.
Il se manifeste de toutes façons,
Même  de la façon la moins perceptible
Comme  s’il déguisait, selon les  circonstances,
Sa façon d’être…

Il affirme  obstinément sa présence.
Ce corps  est matière, et se rappelle  à nous.
C’est  en quelque  sorte une partie  de notre existence  .

RC-  juin 2015

(  texte  né  de la  confrontation  avec des  écrits  de Claude Dourguin,  dont  voici  deux  courts  extraits ).

Les pins reviennent, clairsemés, avec leurs branches irrégulières, mal fournies, leur port un peu bancal qui
témoigne assez de ce qu’ils endurent. Nul tragique, pourtant, ne marque le paysage, entre conte et épopée
plutôt la singularité des lieux soumis à des lois moins communes que les nôtres, obligés à un autre ordre.

Chaque arbre tient à son pied, qui s’allonge démesurée et filiforme son ombre claire, grise sur la neige. Ces grands peuplements muets et fragiles d’ombres légères comme des esprits, le voyageur septentrional les connaît bien, une affection le lie à eux. Il traverse sans bruit leur lignes immatérielles dans le souvenir vague, qui les fait éprouver importunes, grossières, de la densité, de la fraîcheur, de l’odeur terrestre ailleurs, sur quelque planète perdue.

La contemplation de la montagne implique une intériorité plus grande que celle de la mer…. /…

C’est toute une trame narrative, avec ses anecdotes en sus, le passage d’un bateau de pêche, l’apparition d’une  voile là-bas, le train des nuages au ciel, qui se met en place. La montagne, elle, souvent déserte, immobile ne connaît que les modifications de la lumière, beaucoup moins rapides sous les climats qui sont les siens.


Mary Jo Hoose – Oh enterrez-moi !


Oh enterrez-moi en haut d’ une montagne de la région
Au flux des eaux cristallines s’écoulant comme une fontaine éternelle.

Avec sa colline de verte émeraude , piquetée de belles fleurs sauvages.
Et de grands pins parfumant l’air sous la chaude douche de l’été.

Trouvez un vieux chêne avec des branches pleines d’ombre.
Les petits oiseaux chantant pour moi depuis leurs nids .

Oh enterrez-moi auprès du lumineux et chaud soleil ,
Lorsque la pleine lune brille , sur une nuit étoilée.

Reliée à la cabane de mon pays bien-aimé ,
Regardée et protégée par mon chien fidèle .

Oh enterrez-moi auprès des dieux de la grande cathédrale bleue .
Où le vrai sommeil éternel est paisible .

Mary Jo Hoose

( tentative  de traduction  RC )


Claude Vigée – Les pas des oiseaux dans la neige


photo de cieletespacephotos.fr

 

Les pas des oiseaux dans la neige

 

Deux étoiles filantes

sur la montagne obscure :

déjà leur cœur de braise

agonise et s’éteint  .

Que reste-t-il de nous

quand le temps se retire ?

à peine une buée, ce souffle qui s’efface

sur le miroir brisé   .

L’œil ne suit que la trace

du vent dans les nuées;

Et pourtant nous y danserons,

chanteurs au bec léger,

crânes d’oiseaux en fête

aux frêles osselets

déjà remplis de rien :

un peu de cendre blanche

sur la langue muette  .

 

D’autres  textes  de Claude Vigée  sont  visibles   dans le site  « recours au poème »

voir  également  l’article  qui célèbre le fait que C Vigée  remporte  le prix national de poésie 2013.


Jean-Jacques Dorio – Il n’y a pas de mots pour la peinture


peinture perso -   détail -

peinture perso – détail –              2013

 

pour Guy TOUBON           

         

Il n’y a pas de mots pour la peinture

Il y a le concert dans le champ des couleurs qui s’irisent  

Il y a un port vêtu de grandes coques noires   et de probité candide 

Il y a un port et ses navires au tranchant de la brosse dans les bouteilles d’encre des porte-conteneurs  

Il y a ce paysage sans cesse visité dont il ne faut pas faire une montagne mais lumières de pourpre d’or et de mystère,  

sur cette toile présente où toute réalité se dissout et nous invite à Renaissances !

Jean-Jacques Dorio


Ali Chumacero – De l’amoureuse racine


photo Pat-in-the-cloud

photo Pat-in-the-cloud

Avant que le vent fût mer chavirée

que la nuit eût attaché son vêtement de deuil

que les étoiles et la lune eussent établi dans le ciel

l’incandescence de leur corps.

Avant que la lumière,

ombre, montagne

eussent vu se lever les âmes de leurs cimes,

avant que quelque chose eût flotté sur l’air;

temps avant le commencement.

Quand l’espérance n’était pas encore née

et que les anges n’erraient pas dans leur fixe blancheur;

quand l’eau n’était pas même dans le savoir de dieu;

avant, avant, bien avant.

Quand il n’y avait pas encore de fleurs

sur les sentiers parce qu’il n’y avait ni sentiers ni fleurs ;

quand le ciel n’était bleu,

ni rouge la fourmi :

toi et moi nous étions déjà là.

 

Ali Chumacero dans dans Poésie du Mexique,  traduite et présentée par Jean-Clarence Lambert

 


Octavio Paz – Pierre de Soleil


aquarelle perso -  d'après  une peinture de plus grand format

aquarelle perso – d’après une peinture de plus grand format

Pierre de 

Soleil

un saule de cristal, un peuplier d’eau sombre,
un haut jet d’eau que le vent arque,
un arbre bien planté mais dansant,
un cheminement de rivière qui s’incurve,
avance, recule, fait un détour
et arrive toujours:
un cheminement calme
d’étoile ou de printemps sans hâte,
une eau aux paupières fermées
qui jaillit toute la nuit en prophéties,
unanime présence en houle,
vague après vague jusqu’à tout recouvrir,
verte souveraineté sans crépuscule
comme l’éblouissement des ailes
quand elles s’ouvrent dans le milieu du ciel,

un cheminement entre les épaisseurs
des jours futurs et du funeste
éclat du malheur comme un oiseau
pétrifiant la forêt par son chant
et les félicités imminentes
entre les branches qui s’évanouissent,
heures de lumière que grignotent déjà les oiseaux,
présages qui s’échappent de la main,

une présence comme un chant soudain,
comme le vent chantant dans l’incendie,
un regard qui retient en suspend
le monde avec ses mers et ses montagnes,
corps de lumière filtré par une agate,
jambes de lumière, ventre de lumière, baies,
roche solaire, corps couleur de nuage,
couleur du jour rapide qui bondit,
l’heure scintille et prend corps,
le monde, oui, il est visible par ton corps,
il est transparent grâce à ta transparence,

je vais entre des galeries de sons,
je flue entre les présences résonnantes,
je vais au travers les transparences comme un aveugle,
un reflet m’efface, je nais dans un autre,
ô forêt de piliers enchantés,
sous les arcs de la lumière je pénètre
les couloirs d’un automne diaphane,

je vais au travers ton corps comme par le monde,
ton ventre est une place ensoleillée,
tes seins sont deux églises où l’on célèbre
le sang et ses mystères parallèles,
mes regards te couvrent comme du lierre,
tu es une ville que la mer assiège,
une muraille que la lumière divise
en deux moitiés de couleur pêche,
un lieu de sel, de roches et d’oiseaux
sous la loi du midi ébahi,

vêtue par la couleur de mes désirs
comme ma pensée tu vas nue,
je vais au travers tes yeux comme par l’eau,
les tigres boivent le rêve de ces yeux,
le colibri se brûle dans ces flammes,
je vais au travers ton front comme par la lune,
comme le nuage au travers ta pensée,
je vais au travers ton ventre comme par tes rêves,

ta jupe de maïs ondule et chante,
ta jupe de cristal, ta jupe d’eau,
tes lèvres, tes cheveux, tes yeux,
toute la nuit tu es pluie, tout le jour
tu ouvres ma poitrine avec tes doigts d’eau,
tu fermes mes yeux avec ta bouche d’eau,
sur mes os tu es pluie, dans ma poitrine
un arbre liquide creuse des racines d’eau,

je vais au travers tes formes comme par un fleuve,
je vais au travers ton corps comme par une forêt,
comme par un sentier dans la montagne
qui se termine en un abîme abrupt
je vais au travers tes pensées effilées
et à la sortie de ton front blanc
mon ombre précipitée se brise,
je recueille mes fragments un à un
et je poursuis sans corps, je cherche à tâtons,

couloirs sans fin de la mémoire,
portes ouvertes vers un salon vide
où pourrissent tous les étés,
les bijoux de la soif brillent tout au fond,
visage évanoui dès que je me le remémore,
main qui s’effrite si je la touche,
cheveux d’araignées en tulmute
sur des sourires d’il y a tant d’années,

à la sortie de mon front je cherche,
je cherche sans trouver, je cherche un instant,
un visage d’éclair et d’orage
courant entre les arbres nocturnes,
visage de pluie dans un jardin d’obscurités,
eau tenace qui flue à mon côté,

je cherche sans trouver, j’écris en tête à tête
il n’y a personne, tombe le jour, tombe l’année,
je tombe dans l’instant, je tombe au fond,
invisible chemin sur des miroirs
qui répètent mon image brisée,
je marche depuis des jours, instants cheminés,
je marche sur les pensées de mon ombre,
je marche sur mon ombre en quête d’un instant,

je cherche une date vive comme l’oiseau,
je cherche le soleil dès cinq heures du soir
tempéré par les murs de brique rouge:
l’heure mûrissait ses grappes
quand elle s’ouvrait sortaient les jeunes filles
de son entraille rosée et elles s’éparpillaient
parmi les cours dallées du collège,
haute comme l’automne elle cheminait
enveloppée par la lumière sous l’arcade
et l’espace en l’entourant l’habillait
d’une peau plus dorée et transparente,

tigre couleur de lumière, cerf brun
dans les environs de la nuit,
j’ai entrevu une jeune fille penchée
sur les balcons verts de la pluie,
adolescent visage innombrable,
j’ai oublié ton nom, Mélusine,
Laure, Isabelle, Perséphone, Marie,
tu as tous les visages et aucun,
tu es toutes les heures et aucune,
tu ressembles à l’arbre et au nuage,
tu es tous les oiseaux et un astre,
tu ressembles au tranchant de l’épée
et à la coupe de sang du bourreau,
lierre qui avance, enveloppe et déracine
l’âme et la divise d’elle-même,

écriture de feu sur le jade,
crevasse dans la roche, reine des serpents,
colonne de vapeur, source dans le roc,
cirque lunaire, pic des aigles,
grain d’anis, épine minuscule
et mortelle qui donne des peines immortelles,
bergère des vallées sous-marines
et gardienne de la vallée des morts,
liane qui pend au bord du précipice,
plante grimpante, plante vénéneuse,
fleur de résurrection, raisin de vie,
dame de la flûte et de l’éclair,
terrasse du jasmin, sel dans la plaie,
bouquet de roses pour le fusillé,
neige en août, lune de l’échafaud,
écriture de la mer sur le basalte,
écriture du vent dans le désert,
testament du soleil, grenade, épi,

visage en flammes, visage dévoré,
adolescent visage persécuté
années fantômes, jours circulaires
qui donnent dans la même cour, sur le même mur,
l’instant brûle et ils sont un seul visage
les successifs visages de la flamme,
tous les noms sont un seul nom,
tous les visages sont un seul visage,
tous les siècles sont un seul instant
et pour des siècles et des siècles
une paire d’yeux ferme le passage au futur,

il n’y a rien face à moi, rien qu’un instant
racheté cette nuit, contre un rêve
d’union d’images rêvées,
durement sculpté contre le rêve,
arraché au rien de cette nuit,
à bout de bras, soulevé lettre à lettre,
tandis que le temps se jette dehors
et il cogne aux portes de mon âme
ce monde avec son horaire sanguinaire,

un instant, un instant seulement tandis que les villes,
les noms, les saveurs, le vécu,
s’effritent sur mon front aveugle,
tandis que la pesanteur de la nuit
humilie ma pensée et mon squelette,
et mon sang circule plus lentement
et mes dents se gâtent et mes yeux
s’embrument et les jours et les ans
accumulent leurs horreurs vides,

tandis que le temps ferme son éventail
et qu’il n’y a rien derrière ses images
l’instant s’abîme et surnage,
entouré de mort, menacé
par la nuit et son lugubre bâillement,
menacé par le brouhaha
de la mort vivace et masquée
l’instant s’abîme et se pénètre,
comme un poing qui se serre, comme un fruit
qui mûrit vers l’intérieur de lui-même
et lui-même se boit et se répand
l’instant translucide se ferme
et mûrit vers l’intérieur, pousse en racines,
croit à l’intérieur de moi, m’occupe entièrement,
son feuillage délirant m’expulse,
mes pensées seulement sont ses oiseaux,
son mercure circule par mes veines,
arbre mental, fruits saveur de temps,

ô vie à vivre et déjà vécue,
temps qui revient en une marée
et se retire sans tourner le visage,
ce qui s’est passé n’est pas mais commence à être
et silencieusement se jette
en un autre instant qui s’évanouit:

face au soir de salpêtre et de pierre
armée de couteaux invisibles
d’une rouge écriture indéchiffrable
tu écris sur ma peau et ces plaies
comme un vêtement de flammes me recouvrent,
je brûle sans me consumer, je cherche l’eau
et dans tes yeux il n’y a pas d’eau, ils sont de pierre,
et tes seins, ton ventre, tes hanches
sont de pierre, ta bouche a un goût de poussière,
ta bouche a un goût de temps empoisonné,
ton corps a un goût de puits condamné,
passage de miroirs que répètent
les yeux de l’assoiffé, passage
qui revient toujours à son point de départ,
et tu me conduis, aveugle, par la main
à travers ces galeries obstinées
jusqu’au centre du cercle et tu surgis
comme un éclat qui se fige en hache,
comme une lumière écorchée, fascinante
comme l’échafaud du condamné,
flexible comme le fouet et svelte
comme l’arme soeur de la lune,
et tes paroles tranchantes creusent
ma poitrine et me dépeuplent et me vident,
un à un, tu arraches mes souvenirs,
j’ai oublié mon nom, mes amis
grondent parmi les porcs ou pourrissent
mangés par le soleil dans un fossé,

il n’y a rien en moi qu’une large plaie,
un creux que jamais personne ne fouille,
présent sans fenêtres, pensée
qui revient, se répète, se reflète
et se perd dans sa propre transparence,
conscience transpercée par un oeil
qui se regarde se regarder jusqu’à se noyer
de clarté:
moi j’ai vu ton atroce écaille,
Mélusine, briller, verdâtre, à l’aube,
tu dormais enroulée dans les draps
et au réveil tu as crié comme un oiseau
et tu es tombée sans fin, cassée et blanche,
rien n’est resté de toi, rien que ton cri
et à la fin des siècles je me découvre
avec de la toux et une mauvaise vue, mélangeant
de vieilles photos:
il n’y a personne, tu n’es personne,
une montagne de cendres et un balai,
un couteau ébréché et un plumeau,
une peau pendue à quelques os,
une grappe déjà sèche, un trou noir
et dans le fond du trou les deux yeux
d’une enfant noyée d’il y a mille ans,

regards enterrés dans un puits,
regards qui nous voient depuis le début des temps,
regard enfant de la mère vieille
qui voit dans le fils grand un père jeune,
regard mère de la fille solitaire
qui voit dans le père grand un fils enfant,
regards qui nous regardent depuis le fond
de la vie et sont les pièges de la mort
– où est l’envers: tomber dans ces yeux
est-ce revenir à la vie véritable?

tomber, revenir, me rêver et que me rêvent
d’autres yeux futurs, une autre vie,
d’autres nuages, mourir d’une autre mort!
– cette nuit me suffit, et cet instant
qui n’en finit pas de s’ouvrir et de me révéler
où j’étais, qui je fus, comment tu t’appelles,
comment moi je m’appelle:
pouvais-je bâtir des plans
pour l’été -et tous les étés-
à Christopher Street, il y a dix ans,
avec Phyllis qui avait deux fossettes,
où les moineaux buvaient la lumière?,
sur la place de la Réforme Carmen me disait-elle
« l’air ne pèse rien, ici c’est toujours octobre »
ou l’aurait-elle dit à l’autre que j’ai perdu
ou l’aurais-je inventé et personne ne me l’a dit?,
aurais-je marché dans la nuit d’Oaxaca,
immense et vert foncé comme un arbre,
parlant seul comme le vent fou
et en arrivant à ma chambre -toujours une chambre-
les miroirs ne m’auraient-ils pas reconnu?
depuis l’hôtel Vernet nous avons vu l’aube
danser avec les châtaigners -« il est déjà très tard »
disais-tu en te peignant et moi, aurais-je vu
des taches sur le mur sans rien dire?,
sommes-nous montés ensemble à la tour, avons-nous vu
tomber le soir depuis le récif?,
avons-nous mangé des raisins à Bidart?, avons-nous acheté
des gardénias à Perote?,
noms, places,
rues après rues, visages, marchés, rues,
gares, un parc de stationnement, chambres seules,
taches sur le mur, quelqu’un qui se peigne,
quelqu’un qui chante à mes côtés, quelqu’un qui s’habille,
chambres, endroits, rues, noms, chambres,

Madrid, 1937,


Gao Xingjian – la montagne de l’âme ( extr 01 )


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*

La vérité n’existe que dans l’expérience de chacun,
et même dans ce cas, dés qu’elle est rapportée, elle devient histoire.

Il est impossible de démontrer la vérité des faits et il ne faut pas le faire.

Laissons les habiles dialecticiens débattre sur la vérité de la vie.

Ce qui est important, c’est la vie elle-même.
Ce qui est réel, c’est que je suis assis à côté de ce feu dans cette pièce noircie
par la fumée de l’huile, que je vois ces flammes dansant dans ses yeux,
ce qui est vrai, c’est moi-même,
c’est la sensation fugitive que je viens d’éprouver,
impossible à transmettre à autrui.

Dehors, le brouillard est tombé,
les montagnes sombres se sont estompées,
le son de la rivière rapide résonne en toi et cela suffit.


Ta voix, cristalline, dévalant les collines – ( RC )


 


-


Il y a le bruissement des feuilles dans ma tête, 
d'accords sur ocres.
Harpe d'herbes qu'accompagne la poussée du vent, 
      ce n'est pas encore  l'automne...

Les oiseaux  alignés sur les fils, 
traits de flûte tirés de biais entre les arbres clarinettes,
Les blés mûrs des violoncelles, 
agacés de l'ombre sonore du piano,

La montagne de l'orchestre, 
qui disait tour à tour le sombre et l'éclat,

Et puis ta voix, cristalline, dévalant les collines, 
Percée soudaine du soleil entre les nuées.
-

RC – 9 août 2013

( l'expression « ombre sonore » est de Max Jacob dans  "vie et marées")

-


Théo Léger – Perdu dans la Montagne un soir de novembre


 

 

 

 

peinture: Marsden hartley

peinture: Marsden Hartley

Perdu dans la Montagne un soir de novembre

 

 

Amples demeures des morts. La sourde. L’endormie.

J’entends se déchirer la caresse des branches

contre sa pierre énorme

j’entends la violente larme des torrents.

Je rôde sur une rive de fumée.

J’éveille une barque l’eau neutre les roseaux.

Je trouble à peine leur silence.

Je passe et ne laisse aucune ombre.

Chemin perdu, j’appelle.

A peine un écho me répond

un vent d’hiver.

Où sont les anciens voyageurs ?

Où sont mes camarades mes frères ?

Où sont ils ?

Soupir innombrable des pins contre une pente obscure.

 

 


Gisela Hemau – Représentation


 

Acrobate: Chapiteau roman de l’église d’Anzy-le-Duc ( Bourgogne)

 

 

 

 

L’acrobate monte dans un coffret

Tout d’abord il faut être si petit

Qu’on y trouve de la place

dit-elle et nous offre sa fourrure

Puis entre les bestioles du corps

de la mort et des adieux

 

elle montre

l’ascension

de son propre bras

Nous sommes là pour la vue

Mais nous n’atteignons pas la montagne

Comme nous rétrécissons constamment

la fourrure où nous nous égarons

est à la fin

une forêt impénétrable.

 

Gisela Hemau    traduction Rüdiger Fischer

VORSTELLUNG

Die Akrobatin begibt sich

in ein schwarzes Kâstchen

Erst einmal muss man so klein sein

dass man hineinpasst

sagt sie und offeriert uns ihren Pelz

Dann zwischen Leib-

Tod- und Abschiedstierchen

zeigt sie

die Bergbesteigung

des eigenen Arms

Wir sind da weeen der Aussicht

Aber wir erreicnen den Berg nicht

Weil wir immerfort schrumpfen

ist der Pelz in dem wir verirrt sind

bis zum Ende

ein unpassierbarer Wald.

 

aquarelle perso :Chapiteau roman de l'église  d'Anzy-le-Duc

aquarelle perso :   Chapiteau roman   de l’église d’Anzy-le-Duc  2001

 

 

 


Pierre Torreilles – Où je suis


photo perso: rochers en Margeride

photo perso: rochers en Margeride

 

 

Où je suis
——–
Ordre
de ce qu’ont tu

le grand désordre évanescent,
l’oubli déchiqueté d’une mémoire souveraine,
je suis le Décillant.

Chaque épave
, gravide,
laisse à mes doigts l’écho.
…je sculpte le silence
,parole improvisée,

la montagne sonore.

L ‘oiseau est ma ponctuation.

Voici
le grand ressac,
l’ absence écrite,

sur l’ épaule du jour
la terre,
en suspens, ô bannissement ressassé !
la volonté féconde et la ténèbre qui l’accueille

le feu
de quelque encerclement.

Sans ombre le déclin
à la merci de la rupture,
le corps
bleu
maintenant qui me voit.
S ‘entre-dévorent , .
éblouissant,
la lumière et la nuit dans la parole qui sommeille.

Viennent bientôt m’habiller l’aube,
ruse,
de ses mots éloignés le silence,

le corps de l’air.
De nulle écoute l’horizon
quand accoste ma résonance.
*
Le mot,
déjà reçu,
dans mes pas
, oublié,
oblique lame sinueuse
l’éclat…
de quel sentier,
livide cicatrice?
Vacille
le miroir le fleuve où s’est réfugiée la mer.

Soudain tari
le puits,
intime appui du jour
abrupte éclosion de ma bouche sonore.

Quel fil descend
depuis l’ éther jusqu’en la terre,
s’étend au plus profond où séjourne l’éveil?
Du plus obscur survient l’imprononcé,
détrempé de lumière.

extrait de  « Où se dressait le cyprès blanc  »  Gallimard  1992

 


Porfirio Mamani-Macedo – eaux promises VI


peinture: Otto Mueller

peinture: Otto Mueller

Dis-moi si quelque chose te rappelle hier. Un fleuve ? Une montagne derrière une ombre ? Peut-être quelqu’un que tu as aimé en silence ? Qui ? Peut-être un inconnu qui s’est égaré en pleurant au coin d’une rue bleue ? Dis-moi si mes paroles d’hier te rappellent quelque chose, aujourd’hui étant déjà du temps passé ! La parole naissante est sans importance quand tu passeras. Elle continue de chercher dans l’herbe l’arbre promis ! Les nuits succéderont aux jours, comme à tes pas en succéderont à d’autres, encore inconnus. Maintenant je ne suis personne dans le bruit immense de ton regard distrait, mais je vis dans chaque instant qui passe.

Traduit de l’espagnol (Pérou) par Max Alhau

– See more at: http://www.recoursaupoeme.fr/porfirio-mamani-macedo/eaux-promises-vi#sthash.W0wzJmGZ.dpuf


Claude de Burine – Montagne


peinture Karl Fredrieck Hill

peinture      Carl Fredric Hill

Montagne 

Peut-être
Qu’en se mettant
En face
En face du soleil
Dans la merveille du sang
Pourrons-nous
Traverser la nuit
Pourrons-nous écrire
Les mots les plus simples
Comme quelqu’un
Qui met ses sandales
Pour aller dans l’herbe.

 

 

Claude de Burine

poétesse dont on trouve des productions sur le site lieucommun


Sabine Sicaud – jours de fièvre


 

Ce que je veux ? Une carafe d’eau glacée.
Rien de plus. Nuit et jour, cette eau, dans ma pensée,
Ruisselle doucement comme d’une fontaine.
Elle est blanche, elle est bleue à force d’être fraîche.
Elle vient de la source ou d’une cruche pleine.
Elle a cet argent flou qui duvête les pêches
Et l’étincellement d’un cristal à facettes.

Elle est de givre fin, de brouillard, de rosée,
Jaillit de chaque vasque en gerbes irisées,
Glisse de chaque branche en rondes gouttelettes.
Au coeur de la carafe, elle rit. Elle perle
Sur son ventre poli, comme une sueur gaie.
En mille petits flots, pour rien, elle déferle,
Ou n’est qu’un point comme un brillant dans une haie.

Elle danse au plafond, se complaît dans la glace,
Frappe aux carreaux avec la pluie. Ah ! ces cascades…
C’est le Niagara, vert bleu, vert Nil, vert jade,
C’est l’eau miraculeuse en un fleuve de grâce ;

Toute l’eau des névés, des lacs, des mers nordiques,
Toute l’eau du Rocher de Moïse, l’eau pure
D’une oasis perdue au centre de l’Afrique ;

Toute l’eau qui mugit, toute l’eau qui murmure,
Toute l’eau, toute l’eau du ciel et de la terre,
Toute l’eau concentrée au creux glacé d’un verre !
Je ne demande rien qu’un verre d’eau glacée…

Vous ne voyez donc pas mes doigts brûlants de fièvre,
Mes doigts tendus vers l’eau qui fuit ? Mes pauvres lèvres
Sèches comme une plante à la tige cassée ?
La soif qui me torture est celle des grands sables
Où galope toujours le simoun. Je ne pense
Qu’à ce filet d’eau merveilleuse, intarissable,
Où des poissons heureux circulent. Transparence,
Fraîcheur… Est-il rien d’autre au monde que j’implore ?

Alcarazas, alcarazas… un café maure
Et, dans la torpeur bleue où des buveurs s’attardent,
Un verre débordant parmi les autres verres,
Un verre sans couleurs subtiles qui le fardent,
Mais rempli de cette eau si froide, nette, claire…
Ah ! prenez pour cette eau ce qui me reste à vivre,
Mais laissez-la couler en moi, larmes de givre,
Don de l’hiver à ce brasier qui me consume.

Vous souvient-il de ces bruits clairs, dans de l’écume,
Au bord d’un gave fou ? J’ai soif de tous les gaves.
Les sabots des mulets, vous souvient-il, s’y lavent,
Les pieds du chemineau s’y délassent. Dieu juste,
Ne puis-je boire au moins comme le pré, l’arbuste,
Le chien de la montagne au fil de l’eau qui court ?
Cette eau… Cette eau qui m’échappe toujours,
Qui, nuit et jour, obsède ma pensée…
Ne m’accorderez-vous deux gouttes d’eau glacée ?

 


Jacques Dupin – Grand vent


Peinture:  Emil Nolde   – mer  d’automne VII  – 1910

Grand vent

Nous n’appartenons qu’au sentier de montagne
Qui serpente au soleil entre la sauge et le lichen
Et s’élance à la nuit, chemin de crête,
À la rencontre des constellations.
Nous avons rapproché des sommets
La limite des terres arables.
Les graines éclatent dans nos poings.
Les flammes rentrent dans nos os.
Que le fumier monte à dos d’hommes jusqu’à nous !
Que la vigne et le seigle répliquent
À la vieillesse du volcan !
Les fruits de l’orgueil, les fruits du basalte
Mûriront sous les coups
Qui nous rendent visibles.
La chair endurera ce que l’œil a souffert,
Ce que les loups n’ont pas rêvé
Avant de descendre à la mer.

Jacques Dupin, Gravir, Gallimard, 1963 – du recueil  » le corps  clairvoyant  »


Beatrice Douvre – Jusqu’à l’immense Où vivre prend mesure


 

 

 

 

Habiter la halte brève
La rive avant la traversée
La distance fascinée qui saigne
Et la pierre verte à l’anse des ponts

Dans la nuit sans fin du splendide amour
Porter sur l’ombre et la détruire
Nos voix de lave soudain belliqueuses
L’amont tremblé de nos tenailles
Il y a loin au ruisseau
Un seuil gelé qui brille
Un nid de pierre sur les tables
Et le pain rouge du marteau
La terre
Après la terre honora nos fureurs
Ô ses éclats de lampes brèves

Midis
Martelés de nos hâtes
Tant d’éphémères mains, tant de vent
Ce soir
Tarde la magique lueur
Et ton nom est incertain
Parmi de pauvres roses
Ton nom défait les fleuves où la lumière nage
J’ai patienté pour accueillir
Longue ta voix le long des longues herbes
Mais tu es seul parmi la pierre des étoiles
Ta voix prolonge la source des vivants
J’attends pour te reprendre de n’être qu’un langage

L’aube étincelle dans l’herbe des vigueurs
Souffle mûr mêlé du sang des hommes
Tu marchais réinventant le pas du sol comme une soif
Dans le vent neuf
Je te regarde tu courais
Geste habité du voeu de naître
Auprès des croix
Qui font parfois les pierres profondes

Le visage traversé
Dans des jardins à jambes de verre, et de roses
Quand recommence la mer tendue
Des lampes, et le froid
Et que l’on tient, dans les mains, le dernier monde
Rêve, et à l’avant du rêve un corps l’éclaire
J’ai peur de ces troupeaux dans le progrès des lampes
Peur de la terre des pas
Près de la porte où penche
La nuit lourde de l’aile
Il y a ce péril
Des lampes dans la maison
Ce désir
Comme un taureau dans l’or
Un feu de bois de rose
Coupé par l’hiver

La voix changée m’emmenait dans ses tours
Je dérivais au son des campagnes
Dont l’été meurt
Marcher maintenait une lampe
Des lacets d’oiseaux noirs de songes
Cherchant farouchement le ciel
D’un bord à l’autre
Comme une voix changée qui chante
Qui refuse
Marcher maintenant m’éclairait

Des mains brunes ce soir ont recueilli
Longuement l’eau patiente du soir
Du vent passait
Dans le vent des doigts
Amers des fileuses
Et au-devant
Les troupeaux sont la pierre même
Etrangement
Debout dans la paille limpide
Venue
Des mains fidèles des fileuses
Aux fronts de vent.

Regarde-moi courir, m’éloigner dans l’apparence
Vers les rires bleus de l’air
Immense
La soif divisée
J’ai l’appétit fermé par le malheur
Comme ces bêtes au front silencieux
Ont mille morts mille hontes légères
Un vent du sol entier
Parcourt mes membres, leur perfection
De sable froid
Soulève encore une piste de pas
Et d’autres pas se perdent sur la mer
D’autres mains, doucement infinies
J’ai l’âge travesti des forêts, mais je danse.

La part du jour froissée d’oiseaux
Jusqu’aux fatigues
Nos pas
Relancés en lueurs
Déjà
L’air élargi
Là sous le volet lourd
Ô d’heures encore chaudes
Jusqu’à l’ouvert où vaincre
L’inanité
De nos demeures

Femmes pleines de nuit, aux voiles vierges et noirs, vous saignez dans les ports et vos barques sont sèches.
Le silex de vos mains taille des regards de diamant aux enfants qui vous pendent.
Il vous faudra perdre le vent de vos cheveux et revenir aux Villes. Mendiantes au ventre
lourd, vous dressez des drapeaux avec vos âcres jupes odorantes.
L’acier de vos paupières ressemble aux grands radeaux qu’on voit sur les tableaux de mer.
Rires, et l’évidence de vos pas nus sur le marbre des pelouses ; indifférentes aux grandes croix
qui trouent le ciel bas et mauve.
Je bénis vos épaules que creuse un sein maudit, et vos bras matinaux, blancs de draps,
comme un lait de montagne.

BEATRICE DOUVRE