Ilarie Voronca – les mains vides

Tes émissaires se tiennent sur notre seuil
« Que chacun apporte ce qu’il a de meilleur », disent-ils
Les riches ont entassé leurs joyaux, leurs étoffes,
Chargés de bagues leurs doigts ont plus d’éclat que leurs yeux,
Le parler des monnaies a couvert celui de leur mémoire
Ils n’entendent pas la marche des hommes de l’avenir
Mais nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Une fois encore nous sommes les méprisés, les humbles.
Eux, ils ont rempli les vaisseaux. Ils marchent
A la tête d’armées glorieuses. Ils appellent
Du fond des temps leurs moissons, leurs troupeaux,
Nul trophée n’est oublié et sur leur front
Le songe de leur force élève une couronne
Mais nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Nous avons vu l’inoubliable étoile,
La fanfare altière des forêts dans l’orage
Le soleil dans les arbres comme en le bois d’un cerf,
Les océans traçaient autour leur cercle de feu
Chaque chose murmurait « rappelle-toi bien »
Il fallait garder l’image non pas la chose
Et nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Eux, ils apportent ce qu’ils ont pris, mais non
La flamme sans parure en l’urne de leur âme,
Toujours le contenant, jamais le contenu,
La pierre mais non pas sa voix muette,
L’oiseau mais non la fumée de son vol,
Le métal non l’éclat dans les roues de l’aube
Mais nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Notre part a été la part du faible.
Non pas demander, mais se donner tout entier,
Nous distribuant dans l’univers pour mieux ensuite
Le recevoir en nous. O ! Mers, montagnes, astres,
Nous n’avons retenu que vos reflets,
Du riche bétail dans les étables nous avons préféré le souffle,
Et nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Nous venons les mains vides, le regard serein
Car les noms sont en nous. Tes émissaires sauront les lire
Les autres entassent tout ce dont ils nous ont dépouillés
Et le monde purifié dans le feu de leur envie
Nous protège et nous accueille. Les autres s’écroulent
Sous le fardeau des triomphes et des parures
Mais nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Mots suivant le chemin d’avant – ( RC )

montage Viki Olner
En avance sur le chemin d’après,
les mots dansent et se répondent.
Mais nul ne peut les saisir:
ils glissent comme grains de sable
accumulés par un souffle de vent.
Ils sont sans apprêt,
légers, pourtant
portés par l’écho,
plus légers que ces cailloux qu’on sème,
avec l’espoir qu’ils repoussent,
deviennent falaises ou montagnes.
Si les mots se répondent et s’assemblent
c’est d’abord qu’ils s’aiment
tout autant
que si on suivait le chemin d’avant.
ce texte est une « réponse » à un de ceux d’ Elisa Ka – ———février 2023
Ludovic Massé – la terre du liège ( extrait )

estampe chinoise musée Guimet Paris
Tout au long de ces années d’exil, j’appris peu dans les livres,
seulement de quoi ne pas être vaincu aux examens,
mais la petite jungle où je pataugeais, parmi une faune sans griffe ni crinière,
ensauvagea plus encore mon caractère et mes sentiments,
m’immunisa pour toujours contre les tentations et les ambitions dérisoires.
Profit unique, vraie richesse engrangée d’une âme goulue,
sagesse surgie de l’instinct, privilège providentiel qui m’a permis de vivre
avec plus de joie que de résignation.
Comme on l’imagine, j’emportais toute ma vie passée avec moi, contre moi,
jour et nuit, sans jamais la lâcher, la compromettre d’une distraction ou d’une lâcheté.
Quoiqu’il advint, j’étais sûr de trouver la paix dans mes refuges.
Aux heures les plus absorbantes, les plus périlleuses de ma vie d’étudiant,
je m’évadais irrésistiblement des maquis du savoir pour me retremper
dans ceux de la nature. Cependant qu’on me rivait des chaînes,
je galopais dans les montagnes ; mon âme débordait d’arbres et de fleurs.
Titos Patrikios – maison amie

Résidence provisoire
Encore une maison amie
où habiter une semaine,
un mois entre le lac et les montagnes basses.
Une semaine, pas plus,
Un mois, pas davantage, loin de toi.
Chaque journée ici, au moment de sa fin,
ne s’assemble pas avec l’autre.
Quand tombe l’obscurité je place des haillons
dans les fentes des fois que la mort y pénètre,
quand le temps tourne je change d’habits et de démarche
des fois qu’elle me reconnaisse.
Encore une maison amie,
encore une maison étrangère
encore une journée aux joints béants.
poème extrait de la revue Apulée
Alejandro Oliveros – cartes

Nous sommes des habitants
sans rues ni places.
Les frontières de cette terre
ne correspondent pas
à nos cartes.
Les montagnes sont plus froides
mais moins hautes ;
les fleuves plus paisibles,
sans boas ni piranhas ;
il y a bien des plaines,
mais sans sécheresses mortelles,
et les mers sont bleues,
mais sans raisins sur les rameaux.
On ne nous trouvera pas
sur ces cartes ;
sur la rose des vents,
aucune fenêtre.
Nos rivages
se sont perdus, et avec eux
notre nord
et nos demeures.
Laetitia Lisa – aux lignes de fuite

photo Benjamin Hilts
d’abord
la lumière s’était parée de tout son or
pour le déposer sur le feuillage
l’herbe elle-même
semblait animée d’une autre vibration
passant de la lumière crue de novembre
à celle de la chaleur elle-même
puis le soleil a disparu
entièrement
derrière les montagnes
que le ciel avait teintées d’un bleu gris tendre
laissant juste au-dessus d’elles
une portion de rouge orangé flamboyant
en remontant plus haut dans le ciel
une barre de nuages
découpée dans le même bleu
faisait écho aux montagnes
suspendue entre rien et tout
on avançait dans le paysage
dont on ne percevait plus les reliefs
tout baigné qu’il était
dans des tonalités de gris de Payne
dans l’alignement des lignes de fuite
de grands arbres
dont je connais l’image
mais pas le nom
se détachaient du ciel
resté étrangement lumineux
leur tronc semblant interminable
comme grandi par la nuit
leurs branches nues
s’élançaient vers les premières étoiles
et leurs rameaux tissaient vers elles
tout un réseau de dentelles et de velours
d’un noir profond
ils semblaient être la porte vers un autre monde
au matin duquel
ils relèveraient leurs filets
Abdallah Zrika – Vides tortueux
photo » Géo » La voix berbère – janvier 2018
—
Rien
Rien
Le ciel est chauve
sauf de quelques corbeaux
Les poils de la terre
ressemblent aux poils des oreilles
L’atmosphère est vide
vide
même du vide
Les passants ont une tête de clef tordue
La peur est blanche
au sommet des montagnes
Les fronts sont des planches mortuaires
Les livres des pierres tombales
Les ponts des dos de vieillards
Les arbres des mollets de malade
L’ennui tourbillonne comme la poussière
Les ombres se sont gravées dans la terre
Les chiens qui aboient là-bas
Sont les seuls à vouloir congédier
Le rien
Nuit somnambule – ( RC )
Je vois la nuit somnambule…
Elle progresse sans rien voir,
l’obscurité l’accompagne,
frôlant les arbres, puis déversant son encre.
La nuit noie tout, et se confond en portes secrètes,
ouvertes à travers un décor qui transforme
celui de l’espace diurne .
Les hommes , pour ne pas la voir,
utilisent d’artifices,
en disposant le long des routes
de petites lumières,
ou bien des enseignes publicitaires
qui clignotent, histoire de détourner
l’attention de la nuit.
Celle-ci enveloppe les immeubles,
comme les pierres du chemin ;
Les précipices de la montagne,
ont devancé l’appel du sombre.
Peut-être se heurte-t-elle à eux,
et ne retrouve pas elle-même son chemin.
Elle pourrait rester sur place,
ou tourner en rond,
toujours somnambule
si un jour le soleil ne venait pas :
on ne sait pas si elle l’attend avec impatience,
ou s’enfuit , effrayée, à l’autre bout de la terre .
–
RC – nov 2017
Des nuages avalant des montagnes – ( RC )
C’est une soif,
immense, inextinguible,
Elle ferait se vider les lacs ,
assécher les rivières,
si tu étais ce géant,
décrit dans tant de légendes .
Mais il y a plus fort que toi :
on peut voir couramment
des nuages
avaler des montagnes .
–
RC – mars 2018
Herberto Helder – Maudit soit celui qui a jeté la pomme dans l’autre monde
peinture: Marc Chagall: N’importe ou hors du monde
S’il y avait des escaliers sur la terre et des anneaux dans le ciel
Je gravirais les escaliers et aux anneaux, je me pendrais
Dans le ciel je pourrais tisser un nuage noir
et qu’il neige, qu’il pleuve et qu’il y ait de la lumière sur les montagnes
et qu’à la porte de mon amour l’or s’accumule
J’ai embrassé une bouche rouge et ma bouche s’est teintée
J’ai porté un mouchoir à ma bouche et le mouchoir a rougi
Je suis allé le laver à la rivière et la rivière est devenue rouge
Et la frange de la mer, et le milieu de la mer
Et rouges les ailes de l’aigle
Descendu boire
Et la moitié du soleil et la lune entière sont devenues rouges
Maudit soit celui qui a jeté la pomme dans l’autre monde
Une pomme, une mantille d’or et une épée d’argent
Les garçons ont couru après l’épée d’argent
Et les filles ont couru après de la mantille d’or
Et les enfants ont couru, ont couru après la pomme.
Alain Grandbois – Il y avait les palais noirs…
Il y avait les palais noirs et les hautes montagnes sacrées
Il y avait ces trop belles femmes au front trop marqué de rubis
Il y avait les fleuves avant-coureurs de la fin du Monde
Il y avait la pourriture la moisissure et cette chose qui ne s’exprime pas
Il y avait ces mauvaises odeurs les excréments des êtres
Il y avait trop de dieux
(Alain Grandbois, Poèmes inédits, 1985 )
docu animé: Andantonius – lady sanguine
Laetitia Lisa – En habits d’oubli
peinture rupestre grotte de Chaturbhujnath Nala, Inde, environ 10,000 av JC
Je longe le champ de blés verts
hâtant le pas dans l’herbe haute
pour recevoir encore
un dernier baiser du soleil
avant qu’il ne se couche
en draps ocre et dorés
demain la pluie
demain le froid
pour l’heure la douceur du vent
le chant des grillons et les hirondelles en formation
avec elles je me baigne en le ciel
allongent les brasses lorsque les courants frais
effleurent mes bras nus
avec elles je reste immobile un instant
sous les caresses des courants tièdes
je plonge
dans le bleu des montagnes
jusqu’à ce que la nuit revienne parfaire l’esquisse
de ses gris colorés
je ne peux rien contre le froid et la grêle
tueurs des promesses si près d’éclore dans mon verger
je ne peux rien contre le feu du soleil
tueur des promesses si près de porter fruit dans le tien
sur le dos de quelques mots ailés revenus nous chercher
nous dansons en habits d’oubli
ourlés de nuit .
————
plus d’écrits de L L ? voir son site-blog
Antoine Mou los – Où vont ceux qui t’en vont ?
il s’aperçoit soudain
que partout où il allait
il y avait quelqu’un
qu’à chaque fois
qu’il a fui
il n a rien laissé pour mort
qu’à chaque fois qu’il pleuvait
il tirait la langue pour boire
un peu de pluie
il tombe des nues
des routes de goudron blanc
crèvent les montagnes
et s’élèvent en hurlant
vers le soleil
La mer au-dessus des nuages – ( RC )
photographie : Dalibor Stach. Sans titre
–
Les temps ont bien changé,
la mer est au plus haut,
juste en-dessus des nuages.
La lumière peine
à se forcer un passage
dans un ressac aérien.
Je me suis allongé sur l’herbe:
un velours noir.
Il se déroule en un grand tapis,
jusque vers les montagnes.
J’ai assisté au grand vol des sirènes,
groupées comme pour une parade,
et leur chant appuyé sur le soir,
juste avant que les vagues
n’engloutissent le jour,
et moi avec…
–
RC juill 2016
Michael E Stone – Hiver en Arménie
photo Bradford Washburn
La terre s’est habillée d’ hiver.
Les peupliers sont nus.
Les sommets des montagnes arrondis
Blancs de neige,
un regard au-dessus
de noirs champs labourés
sur des collines roulantes.
D’ épars reflets d’obsidienne
Attrapent le soleil bas par l’ouest,
brillant comme des lumières de Noël,
dessus et en-dehors, dessus et en- dehors,
comme des vents de la route.
L’esprit de la brume
descend
de très loin .
photo du site « enrouesverslest »
Envahissement du ciel , par le corps d’une géante – ( RC )
photo: Raoul Ubac – nu solarisé 1938
Flottante, entre deux peaux,
Ou bien ayant quitté un temps la terre …
C’est un nuage de chair,
– Ainsi l’indique la photo.
L’envahissement du ciel,
Par le corps d’une géante :
Confisquées: les montagnes et leurs pentes ,
Battement à tire d’elle…
Peuplée de formes blanches,
Il n’y a de neige douce,
Que cette peau de rousse,
Et vers nous elle penche.
Souffle une brise dans tes cheveux,
- As tu froid, ainsi découverte ,
- Quel message, portent tes lèvres entr’ouvertes ?
- Que nous confient tes yeux ?
Tu prends tout l’espace de la vision
Occupes la totalité du paysage,
Nous protégeant des orages ,
de leur sourde invasion :
Prenons nos désirs pour la réalité,
Allons nous réfugier sous le parapluie,
De son corps : un prélude à la nuit,
> Indulgence et sensualité .
Une ondulation des hanches ,
Répand des sourires sur la ville,
Le creux de ton nombril est une île,
Où pas un cyclone ne se déclenche .
Et de ces syllabes à détacher,
S’il faut parler mété-o,
Je préfère t’aimer haut
Ayant quelque mal à m’arracher
A l’humaine condition …
Pour admettre que les caresses,
Conviennent aussi aux déesses ,
( et qu’il peut pleuvoir en émotions ).
–
RC – sept 2015
Le temple qui fut – ( RC )

peinture Yan Wang–
Ruin of England |
–
Du temple qui fut
Il y a l’ombre des colonnes
( ce qu’il en reste )
qui s’étend sur le sol
et se déplace petit à petit
avec la trajectoire du soleil;
Un astre qui revient avec obstination
caresser chaque jour la planète.
Bien entendu, il y a
tout ce qui se dresse:
des montagnes sévères
au plus petit végétal
qui profite de la chaleur
et se révèle à sa lumière.
Les grands immeubles des villes
en semblent saturés,
au point qu’ils renvoient,
étincelants de leurs glaces
les rayons, et l’image déformée
de ce qui les entoure.
Leur présence hautaine se rapproche
pourtant du temple qui fut.
Avec de futures civilisations,
on peut imaginer ce qu’il en restera .
Les ombres sur le sol à leur tour
s’étendront sous l’orbite
de l’étoile la plus proche;
Le futur gardant,
en une sorte de persistance rétinienne,
Le support des ruines des jours , qui ont précédé.
–
RC – fev 2015
En témoin immobile – ( RC )
En témoin immobile,
Personne ne crie,
Et dans l’attente,
Le mouvement de la terre
Se poursuit, jusqu’aux collines,
Sans tester la distance,
Qui m’en sépare,
Puisque je suis soudé à elle …
Cette terre , avec sa vie propre,
Qui glisse sur elle-même,
Avalant l’impact sourd
Des météorites,
Et des ères salutaires,
Courues d’espèces,
Dont on retrouve les fossiles,
Eux même englués dans la roche.
Et même si des indices,
Nous écrivent ce passé,
Dicté sous nos pieds,
Encore aujourd’hui,
S’étire l’argile,
Détrempée des fins d’hivers,
Comme aussi, sur les pentes,
Se détachent des blocs mutiques.
Laissés sur place,
Au seuil au sommeil ,
Des mers basculées.
> Elles ne disent que leurs lointains.
Et les vagues sont loin,
Justement,
Gelées dans des mémoires.
Les nôtres ne pouvant les contenir.
On se demande,
Quels furent ses habits,
A la terre, encore,
Où ce qui fut forêts denses,
Est maintenant soustrait,
Dans l’étendue ventée ,
D’horizons de pierres,
Et de montagnes effacées…
–
RC – février 2014
Mizpirondo – à l’approche de la pierre

cote rocheuse en Sardaigne
Egon Schiele – Sensation
–
De vastes vents violents ont tourné le dos à la glace
et j’ai été forcé de plisser les yeux.
Sur un mur rugueux j’ai vu
le monde entier
avec tous ses vallées, ses montagnes et ses lacs,
avec tous les animaux qui courent autour
Les ombres des arbres et les taches de soleil
m’ont rappelé les nuages.
Je marchais sur la terre
Et je ne ressentais rien dans mes membres
je me sentais si léger.
(trad RC )
–
Hohe Grosswinde machten kalt mein Rückgrat
und da schielte ich.
Auf einer krätzigen Mauer sah ich
die ganze Welt
mit allen Tälern und Bergen und Seen,
mit all den Tieren, die da umliefen –
Die Schatten der Bäume und die Sonnenflecken erinnerten
mich an die Wolken.
Auf der Erde schritt ich
und spürte meine Glieder nicht,
so leicht war mir.
–
Egon Schiele est, bien sûr, l’artiste expressioniste autrichien bien connu, dont ce site propose les oeuvres complètes…
–
L’histoire cohabite sa géographie – ( RC )
Du creux ombreux aux pentes neigeuses,
Le parcours des siècles,
Des pays conquis, esclaves soumis,
Il n’est plus de paroles audibles,
Et des routes détournées,
A faire taire la voix des peuples,
Quand la vague redescend,
Et conduit, du sommet à l’abîme,
Les hommes blessés,
Envahisseurs ou envahis, ;
Ils finissent par se confondre,
Et s’imbriquer, au point,
Que les origines,
Se perdent dans la nuit des temps,
Et de la géographie,
Qui, à quelque chose près,
A toujours ses montagnes,
Et ses îles en place,
Malgré les accidents de l’histoire.
(texte créé en « réponse » à celui de Norbert Paganelli- lien ci-dessous)–
STRUGHJERA / DÉLIQUESCENCE
Colette Peignot (Laure ) – d’où viens-tu ?

peinture – Ferdinand Hodler Dents-du-Midi- dans les nuages (Jungfrau )
D’où viens-tu avec ton cœur
déchiré aux ronces du chemin.
Les mains calleuses de casseur de pierre
et ta tête gonflée comme une
outre piquée ?
.
Nous sommes ceux qui crient dans le désert
qui hurlent à la lune.
.
Je le sens bien maintenant : « mon devoir m’est remis. » Mais
lequel exactement ?
C’est parfois si lourd et si dur que je voudrais courir dans la
Campagne.
Nager dans la rivière
oublier tout ce qui fut, oublier l’enfance sordide et timorée.
Le vendredi saint, le mercredi des cendres.
l’enfance toute endeuillée à odeur de crêpe et de naphtaline
L’adolescence hâve et tourmentée.
Les mains d’anémiée.
Oublier le sublime et l’infâme
Les gestes hiératiques
Les grimaces démoniaques.
Oublier
Tout élan falsifié
Tout espoir étouffé
Ce goût de cendre
Oublier qu’à vouloir tout
on ne peut rien
Vivre enfin
« Ni tourmentante
Ni tourmentée »
Remonter le cours des fleuves
Retrouver les sources des montagnes
les femmes les vrais hommes travailleurs
qui enfantent
moissonnant
M’étendre dans les prairies
Quitter ce climat
Ses dunes, ses landes sablonneuses, cette grisaille et
ses déserts artificiels,
Ce désespoir dont on fait vertu,
Ce désespoir qui se boit
se sirote à la terrasse des cafés
s’édite… et ne demanderait qu’à nourrir très bien son homme
Vivre enfin
Sans s’accuser
ni se justifier
Victime
ou coupable
comment dire ?
Un tremblement de terre m’a dévastée
.
On t’a mordu l’âme
Enfant !
Et ces cris et ces plaintes
Et cette faiblesse native
Oui –
Et s’ils ont vu mes larmes
Que ma tête s’enfonce
jusqu’à toucher
le bois
et la terre
LAURE (Colette Peignot)

photographie – Garry Winogrand – El Morocco, 1955
–
Massimo Pastore – Abstrait palpable
–
Ho donato la mia spalla nuda
alla notte, quando le stelle
si facevano spazio coi denti
tra le inquietudini del cielo
allora cantavo una canzone lenta
sillabata, quasi come se le parole
scuotessero la lingua
mutando stagioni, dissapori e assolute verità
e con le scarpe sugli occhi
andavo legando, slegando sotto il cielo
montagne di teoremi
o piccole poesie.
Massimo Pastore, da Gesù dei carruggi, 2001
.
Lucien Clergue, Vénus d’Arles
J’ai donné mon épaule nue
à la nuit, quand les étoiles
ouvraient l’espace de leurs dents
parmi les inquiétudes célestes
je chantais alors une chanson lente
syllabée, presque comme si les mots
bousculaient la langue
transmuant saisons, brouilles et vérités absolues,
et, souliers sur les yeux,
j’allais liant, déliant sous le ciel
des montagnes de théorèmes
ou de menues poésies.
Massimo Pastore, extrait de Gesù dei Carruggi
(trad. Valérie Brantôme)
–
Jean Daive – Le monde est maintenant visible .
Le monde est maintenant visible
entre mers et montagnes.
Je marche entre les transparences
parmi les années
les fantômes
et le matricule de chacun.
Les pierres
les herbes sont enchantées.
Tout se couvre
jusqu’au néant
de pétroglyphes.
Je compte les mâts
penchés près du rivage.
À perte de vue, la prairie des cormorans
car chaque maison est un navire
qui se balance.
Plutôt le crime ou plutôt
la mort des amants ou
plutôt l’inceste du frère
et de la sœur ou ―
je prends le temps
de manger une orange.
Dans ces moitiés d’assiettes et
autres fragments trouvés
avec pierres taillées, dessinées ou peintes
masse de cailloux, graviers avec sable
mesurent un site
une ville que j’explore
avec l’énergie d’un oiseau.
.
Jean Daive, L’Énonciateur des extrêmes, Nous, 2012, pp. 39-40.
–
Wislawa Szymborska – Ciel
Ciel (début et fin , 1993)
–
Voilà par quoi on aurait dû commencer: le ciel.
Fenêtre sans rebord, sans feuillure, sans vitres.
Ouverture et rien d’autre,
mais ouverte largement.
Nul besoin d’attendre une nuit sans nuages,
ni de lever la tête
pour regarder le ciel.
Je l’ai derrière mon dos, sous ma main, sur mes paupières.
Le ciel m’enveloppe fermement,
me soulève.
Les montagnes les plus hautes
ne sont pas plus près du ciel
que les vallées les plus profondes.
Pas un endroit où il y en aurait davantage
que dans un autre endroit.
Un nuage est aussi lourdement
écrasé par le ciel qu’une tombe.
Une tombe n’est pas plus au septième
qu’un hibou qui agite ses ailes.
Une chose qui tombe dans le vide
tombe du ciel dans le ciel.
Fluides, liquides, rocheuses,
enflammées et aériennes
étendues du ciel, miettes du ciel
ciel qui souffle et ciel qui s’entasse.
Le ciel est partout
jusqu’aux ténèbres sous la peau.
Je mange du ciel, j’évacue du ciel.
Je suis piège piégé,
habitant habité,
embrasseur embrassé,
question en réponse à question.
Le diviser en Ciel et terre
n’est pas la façon idoine
d’appréhender ce Tout.
Ça permet juste de survivre
à une adresse plus précise,
plus facile à trouver,
si jamais on me recherche.
Mes traits particuliers:
admiration et désespoir.
WISLAWA SZYMBORSKA
(site : Parfums de livres parfums d’ailleurs)
–