Deux volumes et deux bouteilles ( presque un Morandi )- ( RC )
photographe non identifié
C’est comme un aria,
un brin suspendu ,
avant l’extrémité du parcours de l’archet…. ,
La lumière chatoie,
comme vibre encore la corde :
l’eau reste attentive dans la carafe,
L’épaisseur du verre soupire,
hésite à donner de l’ombre sur le mur,
– ou alors si légère –
une pâte qui entoure le creux,
immobilisée, – fusion de la silice –
participe au léger grain du fond :
ainsi le ferait le bourdon,
soutenant l’envol des voix…
posées comme les deux objets
aux rayures noires, régulières ,
– légèrement ironiques – .
De taille semblable,
ils sont insolemment lisses,
ronds, mais sans rouler,
contrepoint musical
On pourrait imaginer les voir
quitter le sol,
se mettre en mouvement
perturber le liquide ,
sautiller en désordre
dans cet accord trop parfait
auquel seuls croient
les gris cristallins
de la photographie .
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RC avr 2017
Arthemisia – le néant blanc
Au silence des vases ( RC )
aquarelle : Giorgio Morandi
Silence des vases :
une suite de silhouettes
Se découpent sur les strates
Des ombres enlacées.
Tiendrait encore dans la main,
La matité d’une terre-cuite
Portant encore la trace du doigt
Modelant la glaise des anses.
Accord de trompette avec un basson,
Rayon de soleil sur le manteau hivernal
Se pose le reflet du verre
Sur l’assemblée des pots
Alignés sur la table
Silhouettes confondues
Bravant le fond étalé de beige
Un éclat bleu de Morandi.
RC – mars 2013

Nature morte (Giorgio Morandi 1962)
et un petit hommage à Arthemisia…., – ainsi que – ainsi que ( encore )
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Mario Luzi – De la tour
De la tour
Cette terre grise lissée par le vent dans ses croupes,
dans son galop vers la mer,
dans sa ruée de troupeaux sous les dômes
et les contreforts de l’intérieur, vue
dans le vertige depuis les glacis, file
la lumière, file de mystérieuses années-lumière,
file un seul destin de multiples façons,
dit : « regarde-moi, je suis ton étoile »
et en cet instant s’enfonce plus profond
dans le cœur l’épine de la vie.
Cette terre toscane nue et pure
où court la pensée de celui qui reste
ou qui, issu d’elle, s’en éloigne.
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Mario Luzi : “Prémices du désert”
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et puisque Giorgio Morandi, avec sa peinture, accompagne, ce texte de M Luzi, voir cette belle analyse :
Morandi vu par Philippe Jaccottet
Philippe Jaccottet s’est le plus souvent gardé de parler des peintres qui le touchent le plus, et l’on comprend que, devant l’art éminemment dépouillé et «silencieux» de Giorgio Morandi, le poète ait trouvé vain d’ajouter à «ces poèmes peints un poème écrit». Et pourtant il semble bien légitime, aussi, que le contemplatif de Grignan, touché par les toiles du peintre autant que par les «rencontres» faites dans la nature (un verger, une prairie, un flanc de montagne) s’interroge sur le pourquoi de cette émotion commune et de cet étonnement répété, renvoyant à l’énigme du visible et de notre présence au monde.
Tout un chacun peut d’ailleurs se le demander: pourquoi cet art si statique et répétitif apparemment, voire apparemment insignifiant, avec ses paysages comme assourdis et ses natures mortes (que Jaccottet propose, à l’allemande, d’appeler plutôt «vies silencieuses») de plus en plus sobres et dépouillées, pourquoi cet art des lisières du silence et du «désert» monacal nous parle-t-il avec tant d’insistante douceur, et, plus on y puise, avec tant de rayonnante intensité ?
Révélant l’attachement profond de Morandi aux oeuvres de Pascal et de Leopardi, tous deux poètes des abîmes métaphysiques qu’il rapproche sur le même «fond noir» constituant l’arrière-plan de Morandi et Giacometti, et figurant en outre le «ciel» de notre siècle cerné d’horreur et de vide, Philippe Jaccottet montre bien que, loin de se détourner de «la vie», comme on a pu le lui reprocher à lui-même, le peintre travaille, avec une intensité extrême, à ce qui pourrait représenter une démarche de survie: «Comme si quelque chose valait encore d’être tenté, même à la fin d’une si longue histoire, que tout ne fût pas absolument perdu et que l’on pût encore faire autre chose que crier, bégayer de peur ou, pire, se taire».
A plusieurs reprises, citant Jean-Christophe Bailly qui compare le rituel pictural de Morandi à la cérémonie du thé japonaise, Jean Leymarie évoquant les fleurs du peintre «coupées, peut-être, par des anges», ou Valéry célébrant la «patience dans l’azur», Jaccottet fait siennes et rejette à la fois ces variations rhétoriques en concluant qu’«il y a de quoi désespérer le commentaire, mais «pour la plus grande gloire de l’oeuvre». Et de risquer cependant lui-même de passer pour «un fameux niais» en se livrant tout de même au commentaire, bien plus éclairant d’ailleurs, à nos yeux, que ceux de maints «spécialistes».
Sans paradoxe, Philippe Jaccottet confirme aussi bien notre sentiment que l’eau dormante de Morandi contient un feu puissant, une puissance d’unification et un élan du bas vers le haut que le poète rapproche, d’une manière saisissante, de l’apparition de l’ange incandescent surgi, du fond du paysage, au deuxième chant du Purgatoire de Dante. Rien pourtant de symboliste ni même d’explicitement religieux dans l’art de Morandi, que Jaccottet apparente néanmoins à une «conversation sacrée» et à un art de transfiguration qui ferait de chaque humble objet un petit monumnent, une stèle à la lisière du temps, ou ce bol blanc (blanc de neige, de cendre ou de lait matinal) dans lequel le pèlerin, à l’étape du «puits du Vivant qui voit», recueillera l’eau de survie.
Philippe Jaccottet. Le bol du pèlerin (Morandi). Editions La Dogana, 83p. A relever la qualité de la présente édition, enrichie de dessins et d’illustrations polychromes.
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