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Samaël Steiner – Au bout du bout de la côte


photo RC – proche du phare de l’île vierge Finistère nord

Tout à l’heure je serai sur la pointe friable,
au bout du bout de la côte.
Je regarderai l’Océan déraciner des arbres de sable,
des arbres centenaires, qui
depuis des centaines se déracinent plusieurs fois par seconde,
avec toujours des yeux pour l’aventure.

Tout à l’heure j’aurai fini de traverser le marais,
j’en aurai fini avec cette route qui va s’en aller,
qui se traîne et crache des ombres aux tournants.

Tout à l’heure je serai à cet endroit de la côte
d’où les vagues, entre elles,
paraissent un attelage de bœufs,
et je regarderai les bêtes toutes d’écume,
labourer les sables éteints.

Tout à l’heure il sera tard.
Les mouettes mangeront les dernières minutes
agitées dans le soleil et le cri de la terre
que le jour quitte, s’élèvera de toutes les issues,
comme une clameur de fête.

Tout à l’heure, arrivé à cette place haute,
en surplomb de l’océan,
je regarderai rentrer les bateaux fatigués,
comme des chiens qui ont couru le vent.
Je regarderai le vent traverser l’air,
les cheveux et les doigts de pieds déjà plein de sel.

Et lorsque les rocs irascibles se mettront à chanter,
lorsque les arbres se prendront pour les phoques
et se mettront à marcher droit de côté,

j’y serai,
debout,les yeux ouvert à l’étranger.
J’y serai
sur l’aile friable,
à la pointe de la pointe,
au dernier caillou de la côte,
que l’ombre de l’oiseau peut,
à elle seule, recouvrir.

J’y serai.

(Extrait de : Textes par trois – Printemps 2010)

poème extrait du site  » le manoir des poètes »


Pablo Neruda – Ode à la mer


photo RC – îles Perenthian -Malaisie

Ici dans l’île
la mer
et quelle étendue!
sort hors de soi
à chaque instant,
en disant oui, en disant non,
non et non et non,
en disant oui, en bleu,
en écume, en galop,
en disant non, et non.


Elle ne peut rester tranquille,
je me nomme la mer, répète-t-elle
en frappant une pierre
sans arriver à la convaincre,
alors
avec sept langues vertes
de sept chiens verts,
de sept tigres verts,
de sept mers vertes,
elle la parcourt, l’embrasse,
l’humidifie
et elle se frappe la poitrine
en répétant son nom.
ô mer, ainsi te nommes-tu.
ô camarade océan,
ne perds ni temps ni eau,
ne t’agite pas autant,


aide-nous,
nous sommes
les petits pêcheurs,
les hommes du bord,
nous avons froid et faim
tu es notre ennemie,
ne frappe pas aussi fort,
ne crie pas de la sorte,
ouvre ta caisse verte
et laisse dans toutes nos mains
ton cadeau d’argent:
le poisson de chaque jour.

Ici dans chaque maison
on le veut
et même s’il est en argent,
en cristal ou en lune,
il est né pour les pauvres
cuisines de la terre.


Ne le garde pas,
avare,
roulant le froid comme
un éclair mouillé
sous tes vagues.
Viens, maintenant,
ouvre-toi
et laisse-le
près de nos mains,
aide-nous, océan,
père vert et profond,
à finir un jour
la pauvreté terrestre.
Laisse-nous
récolter l’infinie
plantation de tes vies,
tes blés et tes raisins,
tes boeufs, tes métaux,
la splendeur mouillée
et le fruit submergé.

Père océan, nous savons
comment tu t’appelles,
toutes les mouettes distribuent
ton nom dans les sables:
mais sois sage,
n’agite pas ta crinière,
ne menace personne,
ne brise pas contre le ciel
ta belle denture,


oublie pour un moment
les glorieuses histoires,
donne à chaque homme,
à chaque femme
et à chaque enfant,
un poisson grand ou petit
chaque jour.
Sors dans toutes les rues
du monde
distribuer le poisson
et alors
crie,
crie
pour que tous les pauvres
qui travaillent t’entendent
et disent
en regardant au fond
de la mine:


«Voilà la vieille mer
qui distribue du poisson».
Et ils retourneront en bas,
aux ténèbres,
en souriant, et dans les rues
et les bois
les hommes souriront
et la terre
avec un sourire marin.
Mais
si tu ne le veux pas,
si tu n’en as pas envie,
attends,
attends-nous,
nous réfléchirons,
nous allons en premier lieu
arranger les affaires
humaines,
les plus grandes d’abord,
et les autres après,
et alors,
en entrant en toi,


nous couperons les vagues
avec un couteau de feu,
sur un cheval électrique
nous sauterons sur l’écume,
en chantant
nous nous enfoncerons
jusqu’à atteindre le fond
de tes entrailles,
un fil atomique
conservera ta ceinture,


nous planterons
dans ton jardin profond
des plantes
de ciment et d’acier,
nous te ligoterons
les pieds et les mains,
les hommes sur ta peau
se promèneront en crachant
en prenant tes bouquets,
en construisant des harnais,
en te montant et en te domptant,
en te dominant l’âme.


Mais cela arrivera lorsque
nous les hommes
réglerons
notre problème,
le grand,
le grand problème.
Nous résoudrons tout
petit à petit:
nous t’obligerons, mer,
nous t’obligerons, terre,
à faire des miracles,
parce qu’en nous,
dans la lutte,
il y a le poisson, il y a le pain,
il y a le miracle.

Traduit par Ricard Ripoll i Villanueva


Vue mer – (Susanne Derève)


Brest – Port de commerce – photo perso –

 

Vois-tu ,

la digue au loin, le bras amoureux des terres     

enlaçant  le rivage,

et sur le blanc corsage des vagues,  

la loupe étincelante  du soleil quand cède                                

le brouillard ,

son scintillement  de perle noire .

 

Le port baigne encore dans la brume,                                               

emprisonnant des effluves de colza et de souffre,                                     

écharpes blanches pour rouges squelettes

   – de ces épaves agonisantes qui gisent à quai

     dans l’odeur rance  d’huile et de fiente 

     comme de vieux lampions brisés –

 

Au long  de la Criée veillent  les mouettes nonchalantes ,

un bécasseau becquette ,

     indifférent

au soleil qui déverse soudain ses cuillères d’argent

sur les cafés crème en terrasse, 

ses dentelles de baptiste sur l’eau,

et tire un instant de l’insondable oubli

la rouille brune  des  cargos. 

 


Mouettes- ( Susanne Derève) –


Milton Avery – Birds

Elles volent de concert
les mouettes
volent et volent

dans un concert de cris
un seul son guttural
qui plombe le silence

Et minéral
seul lui répond
celui des pierres

sous l’aile du ressac
dernier coup de cymbale
avant la haute mer


Bornéo – ( SD/RC )


Raoul Dufy – Le cargo noir

et une version plus récente du texte de R C

Jean Dufy – Port du Havre


Bassam Hajjar – Après elle, il n’y avait que la mer


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peinture: Josef Sima

 

Elle se tenait, distraite,

sur le bord du haut belvédère,
et après elle,
il n’y avait que la mer.

Un corps chétif, qu’elle tenait dans ses bras,

et après elle, il n’y avait que la mer,

et des passants qui continuaient des promenades solitaires

comme doivent l’être les promenades

avant le couchant

quand la mer est dans toutes les directions.

 

Elle se tenait, distraite,

et les mouettes répétaient leur vol

parmi les barques rouillées.

Sur le vieux port,

des vendeurs de poisson

des bateaux de pêche, des marins

buvant de l’ouzo glacé.

Vin rouge de Chypre.

Deux vieillards bavardaient en anglais

et prenaient avec joie

des photos de la mer

des rochers du rivage

et de l’air.

Elle se tenait, distraite,

et ne savait pas si elle était triste seulement

parce que la mer était là-bas

dans toutes les directions.

Tu penses, quand succède à ton sommeil

un matin lumineux,

que faire, seul, de ces matins lumineux ?

Heureux et chanceux

dorment afin de reprendre les journées ensoleillées

et leur sommeil se remplit de sable,
de vagues et de sel.

Tu penses, quand succède à ta journée

une lourde nuit,

que faire, seul, de cette quiétude

que vous vous partagez, toi,
la table et les murs ?

Ils sont heureux et chanceux

lorsqu’ils découvrent avec tranquillité

que le temps est emporté par le jardin
et le soleil

et les vendeurs de pistaches
dans les kiosques.

Tu penses, lorsque succède aux pensées

une tristesse légère

que faire, seul, d’un tel bonheur ?

(Limassol, 25 avril 1988)                    –  extrait de  « Tu me survivras »


Franck Venaille – D’un vol entier de mouettes


destael mouettes 1955

                                                  Nicolas de Staël   Les Mouettes

 

 

D’un vol entier de mouettes

J’entends la plainte, alors

 

Qu’elles survolent l’immense

Territoire d’où elles furent

 

Autrefois bannies

Leurs cris de colère leur fureur

 

Et plus que tout, cet indéfinissable

sanglot de gorge qui fait si mal !

 

  

 

Franck Venaille

Requiem de guerre – Mercvre  de France

 


Benjamin Fondane – là nous voyageons ensemble .


Je ne suis pas le pilote

de ce bateau que les aubes ont lavé à grande eau –

et les soirs. Je n’ai pas

le droit de commander aux houles

ni mettre de côté

un peu d’écume pour mes vieux jours. Toutes ces autres

écumes, les mouettes,

obéissent à d’autres regards. Je n’ai pas,

voyageur toléré sur le pont, en partage

avec vous, que le droit d’être jeté dessus

le bord, à l’achevé du cycle. De ce droit

ce n’est pas mon dessein d’user. Je vous respecte

marins et vous pilote,

je vous serre la main, commandant. Sur ce pont

vous êtes tous chez vous. Oui, mais moi-même

je ne suis pas d’ici

et me laisse laver par les aubes. Je triche.

Je ne partage pas votre vie. Ma sueur

ne se joint pas à votre travail. Mon visage

est loin. Oui, mais le soir

sous la lampe j’exprime le jus de la journée

sous mon pressoir. Le temps est fini. On commence

un autre voyage. Mais là

nous voyageons ensemble

dans un poème dont je suis le pilote

en un temps, en un temps où il n’y a pas de temps.


Tomas Tranströmer – Novembre aux reflets de nobles fourrures


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C’est parce que le ciel est gris
que la terre s’est mise à briller :
les prairies et leur verdure timide,
le sol labouré et noir comme du sang caillé.

Il y a là les murs rouges d’une grange.
Et des terres submergées
comme les rizières lustrées d’une certaine Asie —
où les mouettes s’arrêtent et se souviennent.

Des creux de brume au milieu de la forêt
qui doucement s’entrechoquent.
L’inspiration qui vit cachée
et s’enfuit dans les bois comme Nils Dacke.

 

 

 

Tomas Tranströmer, Baltiques. Œuvres complètes 1954-2004. Poésie/Gallimard


Philippe Delaveau – Voyage intérieur


peinture: Alain Sicard

 

 

 

VOYAGE INTERIEUR

La pièce qui me sert de bureau : une cabine
d’un bateau improbable sur les eaux des collines
pour affronter les rigueurs du poème et ses décisions :
il s’approche insuffisamment de la côte et nous escaladons
ensemble les enchantements du rêve. Ses caprices.
Vagues et vents : nous respirons à pleins poumons.

Pas de barre où installer mes mains. Ni d’instruments pour la navigation.
Une table. Un stylo. L’ordinateur comme un radar. Des mouettes
au-dessus, qui se moquent ! jamais plus. Jamais trop. Jamais
encore. Et nous allons au gré de l’aventure.
Les cyprès de la haie mendient de leurs mains. L’herbe
connaît la folie des boussoles sous les pylônes.
Tout tremble comme une salle à qui l’on joue la comédie.
Au juste que joue-t-on ?

Pourtant la journée lumineuse : à cette heure, froid bleu,
ciel blanc. Le soleil sur la piste s’apprête
à décoller cahin cahan. Même on entend gronder le réacteur
de la lumière. Tout l’Est est glorieux jusqu’aux lointains méandres
comme un matin de Pâques.

© – Philippe Delaveau –