Une minuscule église de pierre – ( RC )

C’est quelque part, en avant
sur une pointe de terre
juste avant de plonger dans la mer,
que les pierres affrontent le vent.
Au milieu d’elles
des hommes ont construit
cet abri contre la pluie
une toute petite chapelle
coincée entre des rochers,
infiniment solitaire,
minuscule église de pierre,
qui semble s’être échouée
un jour de grande marée .
Des saints que l’on a vénérés
s’y sont peut-être réfugiés
après avoir débarqué .
Ils connaissent des langues mythiques
surtout en Bretagne,
( elle qui fut très ancienne montagne
où abondent mégalithes ) .
Il se peut que les pierres pensent par elles-mêmes,
gardant la mémoire de contrées anciennes
et des fêtes païennes
où les dieux n’étaient pas les mêmes .
S’accommodant d’autres coutumes,
épousant les mousses et les lierres,
ce n’est pas seulement pour les prières
mais pour combattre la brume
évoquer les diables et les sirènes
et toutes les légendes des siècles passés :
ces pierres, nous les avons caressées ,
et des âmes déposées, recueilli les joies et les peines .
RC – 2019
Les inscriptions cohabitent avec les mousses – ( RC )
On a bien construit
de hautes pyramides,
de puissants ziggourats,
des buildings prétentieux,
pour que la pierre et le béton
se dressent
pour défier l’espace
et le temps.
On a peint sur les murs,
des fresques colorées ,
les églises furent habitées
de fantômes sculptés ,
la messe a été dite,
et les paroles se sont perdues
à mesure que les voûtes
buvaient les fumées des cierges.
La tour de Babel s’est écroulée,
le phare d’Alexandrie est sous les eaux,
les fresques sont illisibles,
les statues décapitées,
les épitaphes nous parlent
d’une langue
qui s’est égarée
comme des vaisseaux dans la brume.
Il y a eu des archipels
bâtis sur le sable,
des temples enfouis
sous les vagues denses, de la forêt
et des murs dont les inscriptions
cohabitent avec les mousses,
dialoguant quelque temps encore
avec la neige et le vent .
–
RC – août 2016
photo : détail de la tombe d’Elizabeth Hayden
Les pierres du Mont Lozère – ( RC )
photo perso 2005 : Mont Lozère et « clapas »
On a semé sur le mont Lozère,
quantité de pierres,
de gros calibre,
parfois en équilibre .
Elles sommeillent,
la face contre le ciel,
portent le monde à l’envers,
le nez en l’air…
Elles se disputent souvent
avec l’âpre vent,
la tempête et le froid
où les arbres peinent à tenir droit.
Entens-tu leur chanson
qui accompagne les saisons ?
Sur leur peau douce
ne s’aggrippent pas les mousses
Ne crains pas leur fuite :
ce sont des masses de granite,
lentement accumulées
qui ne risquent pas de s’envoler.
Ce sont des sentinelles
dépourvues d’ailes ,
qui veillent sur la plaine,
et le décor de la scène ,
où les millénaires peuvent s’écouler:
leur muette consistance
parle de leur patience :
ce n’est pas demain qu’elles vont s’écrouler…
–
RC – avr 2017
Max Pons – Eve
– Bas-relief , Autun , art roman – tentation d’Eve
–
ÈVE
Toi la première et la dernière
Je te recommence patiemment
Toi perdue et retrouvée
Détruite et reformée
Toujours la même
Me voici
Lucide et heureux
Devant cette glèbe
Cette argile fertile
Te pétrir
Te lisser
Te polir
Te reconnaître enfin
Te finir
Me voici
Devant ce val délicatement veiné
À la naissance d’un fleuve d’ombre et de feu
Estuaire au limon de vie
Devant ces meules lourdes de louanges
Cette fête de courbes
Ce langoureux
ballet
Paysage pour la grande faim
Du dehors et du dedans
Me voici
Après une longue errance
Aux confins de toute une flore
D’algues et de mousses
Depuis toujours je te connais
Inventée avant de te toucher
Faite pour que je te révèle
Ce que tu es