voir l'art autrement – en relation avec les textes

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Raymond QUENEAU (Sourde est la nuit l’ombre la brume)


EDVARD MUNCH ( Nuit d’ été, Asgardstrand ), 1902
 
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Sourde est la nuit l’ombre  la brume
Sourd est l’arbre  sourd le caillou
Sourd est le marteau sur l’enclume
Sourde est la mer   sourd le hibou
 
Aveugles  la nuit et la pierre
Aveugles  l’herbe et les épis
Aveugle est la taupe sous terre
Aveugle  un noyau dans le fruit 
 
Muettes  la nuit et la misère
Muets sont les chants et la prairie
Muette est la clarté de l’air
Muet  le bois  le lac  le cri
 
Infirme est toute la nature
Infirmes sont bêtes et rocs
Infirme est la caricature
Infirme l’idiot qui débloque
 
Mais qui voit ? qui entend ? qui parle ?

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( Les ZIAUX  III  Poésie / Gallimard)

Justo Jorge Padrôn – Pierre


DSCN4031.JPG

photo : Pergé  – Turquie

 

 

Pierre
De la profondeur la plus dure de la pierre
guettent toujours la mort et son langage.

Le vert reste muet, exilé
devant son brusque effroi.
En son aridité de sphinx,
la pierre nous incite à la superstition
et à la haine qui s’épanche.
De près ou de loin, elle attend
et cherche la tiédeur la plus vive du sang.

Voyez-la ancrée dans la nuit,
occupant l’endroit où chante le jour.
Elle veut être la surprise qui nous aveugle dans ce silence
d’être pierre au milieu des pierres.


Emily Dickinson – moment critique


peinture:    Euan Uglow

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  • C’était le moment critique.

Tout au long jusqu’alors

Avait eu lieu un temps atone, un temps muet…

Alors la seconde hésita, stoppa, frappa son dernier coup.

Une autre avait commencé

Et simultanément une âme

Etait partie sans qu’on la vît.

E D


Francis Ponge – Racines


peinture: Serge Plagnol: corps vertical

 

 

 

L’espoir est donc dans une poésie par laquelle le monde envahisse à ce point l’esprit de l’homme

qu’il en perde à peu près la parole, puis réinvente un jargon.

Les poètes sont les ambassadeurs du monde muet.

Comme tels, ils balbutient, ils murmurent, ils s’enfoncent dans la nuit du logos,

-jusqu’à ce qu’enfin ils se retrouvent au niveau des RACINES, où se confondent les choses et les formulations.


Francis Ponge

in « Le monde muet est notre seule patrie »

 

 


Miguel Veyrat – Je me laisserai porter par ton souffle


installation: James Turrell

Je me laisserai porter par ton souffle,
si léger qu’il me conduira
—sans but,
au-dessus des vallées qui précèdent
les bois où tu portes le regard.
Toi, tu vas plus loin que là où
je vois, mais tu me laisses seul
pour que je monte jusqu’à l’abîme.
J’oblique. Je bois ton souffle.
Je me voile la face refusant de voir
le premier reflet
qui m’attend là-bas et qu’à jamais
j’emporterai dans le verre
de mes yeux. Je tomberai donc
vers le haut, en tournoyant
muet et aveugle, transparent.


Jean-Pierre Siméon – Fulguration


   » un caillou c’est une mémoire qui dure

 

mais une mémoire par bonheur muette

 

que par bonheur on ne peut pas ouvrir « 

 

 

 

et  du même  auteur,  toujours  au sujet des cailloux;

 

deux ou trois choses encore avant que
je te donne la seule chose que je puisse
un nom ça a une mémoire ça
traîne une histoire ça a
le vent peut être il
n’y a rien à comprendre
faut être dedans c’est tout l’entendre
de dedans et quand il s’arrête
le coeur s’arrête avec c’est
je n’ai rien trouvé mieux pour que tu saches
un caillou c’est une mémoire qui dure
que par bonheur on ne peut pas ouvrir
et c’est un chose si légère un caillou
il s’est caché dans les trains il a
comme moi comme tous ce sera semblant
Belette ma Belette je te laisse
je reste le caillou il n’y a rien à comprendre
je reste ce caillou près de toi ce caillou .


Eugene Durif – L’étreinte, le temps 07


photographie: Bernard Descamps

Le drap dans la terre

achève de pourrir,

la fenêtre pour rien

enserre l’ horizon muet,

sans geste, des chemins creux

où nous allions jusqu’ aux berges

et caresses de loin en silence

comme temps suspendu dans  l’ oubli du temps.

-Le blanc des yeux, celui du drap froissé sous la terre.

NB:  « suspendre le temps »  est aussi  le titre  d’un texte  de JoBougon, que je cite dans re-ecrit: voir  http://re-ecrit.blogspot.com/2011/06/suspendre-le-temps-poeme-jobougon.html