Jacques Dupin – le prisonnier

Terre mal étreinte, terre aride,
Je partage avec toi l’eau glacée de la jarre,
L’air de la grille et le grabat.
Seul le chant insurgé
S’alourdit encore de tes gerbes,
Le chant qui est à soi-même sa faux.
Par une brèche dans le mur,
La rosée d’une seule branche
Nous rendra tout l’espace vivant,
Etoiles,
Si vous tirez à l’autre bout.
Hugo Claus – Contre le mur (Exercice 1)

.

.
Poèmes
traduit du Néerlendais par Marnix Vincent
Ed. L’AGE D’HOMME
Michel Foissier – hombres dans l’ombre des révolutions

hombres dans l’ombre des révolutions
il construit une échelle de bois blanc
une volée de marches pour voler à nouveau
escalier qui porte à la porte des femmes
chambre où se découvre le pot aux roses de la mémoire
aveugle écossant des images de papier glacé
ses doigts révèlent des héroïsmes de soldats de plomb
il rêve de ce miroir obscur où se reflète une étoile
araignée d’argent dans la gourmandise de sa toile
chapeau de feutre visage de plomb
il est cousu dans un linceul de silence
et puis dans la douleur d’un petit lit de fer
chemise tachée de sang
avec lui nous tombons la face contre le mur
dans le pressentiment du petit jour
Ce n’est pas ici que s’arrête la rivière – ( RC )

photo roc Calascio – Abruzzes Italie
Sur la forteresse noire
que garde la montagne amère
se succèdent les guetteurs
qui ne regardent pas les oiseaux,
se moquant des frontières,
libres comme l’air.
Les murs sans joie
sont si hauts
qu’ils découpent le ciel,
comme avec un couteau.
Mais l’air se referme aussitôt,
compact dans sa jupe claire -.
Le temps a plus de chance,
il ne se laisse pas arrêter,
il ne franchit pas de portes
comme l’eau de la rivière.
Elle , qui reflète aussi bien le soleil
que les étoiles mortes,
dans le flux continu
des heures.
Les guetteurs l’ont perdu de vue
au creux des bras touffus
de la forêt de la plaine.
La matin contourne avec elle
les rochers,
et ne s’arrête qu’arrivé
au bord de la mer
pour reprendre haleine.
Les murs sans joie
ne renferment que de la haine
et une puissance illusoire
qui s’éteint quand le jour décroît,
absorbée par la nuit,
mais ce n’est pas ici
que s’arrête la rivière.
RC oct 2022
Le ruban noir – ( RC )

J’ai vu cette main en gros plan,
posée sur un membre,
ou un corps souple .
Peut-être était-ce celui d’un autre
plutôt que celui de la personne
à qui appartient la main.
Rien ne l’indique .
Ou peut-être une petite différence
de pigmentation de la peau :
Les doigts sont face à nous .
La main repose, légère,
abandonnée.
Lassitude, tendresse ?
Elle s’enfonce apparemment
dans la peau, souple, accueillante.
Mais les ombres sont pourtant assez marquées :
elles tirent sur le mauve.
Ce qui surprend ,
c’est aussi l’ombre portée du bras
sur l’arrière plan,
placé précisément sur l’axe diagonal du tableau ;
comme si celui-ci était plaqué
sur la surface d’un mur,
donc n’ayant pas l’espace nécessaire
pour qu’il puisse se poser
sans faire une contorsion.
C’est une main féminine,
et le torse, horizontal,
si ç’en est un,
montre un petit grain de beauté
au niveau du pouce :
cela fait un ensemble empreint de douceur,
mais l’arrangement de l’ensemble
ne semble pas tout à fait naturel :
la position rappelle un peu
celle de la main de l’Olympia, de Manet.
Le titre attire notre attention
sur un ruban noir étroit,
noué au niveau du poignet.
C’est un détail,
qui réhausse le côté un peu blafard de la chair;
et on se demande s’il y a un sens particulier,
donné par sa présence:
s’il était placé plus haut,
ou ailleurs,
plus épais, d’une teinte différente.
Si le nœud n’était pas si apparent…,
et s’il n’y avait rien du tout,
seulement son empreinte ?
Comme un ruban du même type
est aussi présent dans l’Olympia,
mais autour du cou, et noir également
c’est une similitude,
comme l’oblique du bras,
qui n’est peut-être pas fortuite ,
et on s’attendrait sur d’autres toiles,
à des rapprochements similaires…
–
Jean-Luc Sarré – Le jour le silence

Aveugle elle vacille
bergerie en plein ciel
les pierres
dans son dos
le silence qu’elles longent
les dévore
(demeuré dans son dos
je vois ce dos que rien n’efface
trembler dans la lumière
comme si la nuit
jamais
ne devait survenir)
extérieur blanc
poésie flammarion
le mouvement,même, contre l’inertie des choses – ( RC )
photo: Andrew John
C’est comme une couleur intense
arrachée au mur.
Un mur brun de pierre,
posé à même le sol, rugueux,
et il y a cette forme rouge …
Souple, elle coule, légère…
elle ne s’accroche à rien,
soulevée par le vent ,
à la façon d’une flamme,
que seul le regard peut saisir … ( ! ) .
Elle se gorge d’une lumière,
que la rocaille refuse ,
et suit la silhouette d’une danseuse ;
le mouvement même ,
contre l’inertie lourde des choses…
–
RC – aout 2018
Adeline Baldacchino – Déjetée
peinture: John Sloane
extrait d’un titre de son blog poétique, sur tumblr
Ainsi donc la douceur aussi n’était qu’un mirage, juste avant ce bruit de collision contre le beau mur étroit du silence, ajointé dans la nuit dans l’aube au soleil par tous les temps. Je cherchais l’aigle encore et le serpent, Zarathoustra qui détourne le regard. Ainsi donc indifférente elle était mais vivante la mer. Et ce n’était rien pourtant qu’un peu de murmure à la surface du temps, les cuisses déjetées du monde ouvertes sur la matière des chants qui ne transmutent plus rien. Le vent répétait des caresses d’ombre sans chair, défaisait les faux miracles de la parole recommencée. Ne plus dormir, juste regarder glisser dans l’éternel instant, dur et lumineux, l’écart insistant du désir au monde. Le cœur y loge tout entier souverain fragile et nu, puissant qui ne sait plus
rien.
Mouvements figés – ( RC )
photographe non identifié
Mouvements de la main
tendue, vers toi
contre la surface
que je ne peux franchir.
Mouvements de la lumière,
s’accrochant à moi,
c’est ainsi
que tu me vois
Mouvements du jour,
plaqués sur l’image :
un mur sans fissure
s’emparant de l’espace .
Mouvement figé,
immobilisé de même ,
ne pouvant dépasser,
le rectangle de la photo.
Mouvement du regard :
il va vers toi, et toi vers moi,
mais il y a le mur,
infranchissable des pixels .
–
RC – oct 2017
Joseph Brodsky – un fantôme avait vécu ici
J’ai jeté mes bras autour de ces épaules, regardant
Ce qui a émergé derrière ce dos,
Et vis une chaise poussée légèrement en avant,
Se fondant maintenant avec le mur illumimé.
La lampe semblait trop éblouissante pour montrer
à leur avantage le mobilier défectueux ,
Et c’est pourquoi un canapé en cuir marron
Brillait d’une sorte de jaune dans un coin.
La table avait l’air nue, le parquet brillant,
Le poêle assez sombre, et dans un cadre poussiéreux
Un paysage n’a pas bougé. Seul le buffet
M’a semblé avoir quelque animation.
Mais une mite tourna autour de la pièce,
m’arrêtant du regard
Et si, à un moment donné, un fantôme avait vécu ici,
Il était parti, abandonnant cette maison.
- titre original: mes bras autour de ces épaules
( tentative de traduction,: RC )
–
I threw my arms about those shoulders, glancing
at what emerged behind that back,
and saw a chair pushed slightly forward,
merging now with the lighted wall.
The lamp glared too bright to show
the shabby furniture to some advantage,
and that is why sofa of brown leather
shone a sort of yellow in a corner.
The table looked bare, the parquet glossy,
the stove quite dark, and in a dusty frame
a landscape did not stir. Only the sideboard
seemed to me to have some animation.
But a moth flitted round the room,
causing my arrested glance to shift;
and if at any time a ghost had lived here,
he now was gone, abandoning this house.
Joseph Brodsky
Greffées contre le mur de la nuit – ( RC )
–
Tu pénètres dans une forêt particulière,
où les arbres sont des mains
fichées dans le sol,
remuant dans le crépuscule du quotidien.
Et le fil tendu des lignes blanches,
des tracés des avions,
que les doigts ne peuvent pas attraper .
Ils saignent d’une sève incolore,
ne pouvant se refermer que sur l’air,
dont l’atmosphère trompe sur son épaisseur,
habitée des ombres du soir.
Il reste le vol noir des oiseaux
qui ne renonce pas, à leur échappée,
et se joue du mouvement maladroit des mains .
Elles se referment de lassitude,
comme ces fleurs lorsque la lumière s’éteint ;
Plantes étranges rétrécies d’un coup par la terre ,
Le corps dissimulé.
Peut-être incarné dans un sol,
parcouru de longs filaments sanguins,
racines bien fragiles, prolongements d’un coeur lointain .
Il faut s’attendre à ne trouver demain,
que des manches , au tissu raidi par le froid,
et des gants vidés de substance,
mous et inertes ,
Comme si la greffe
n’avait pas réussi
à franchir le mur de la nuit.
–
RC – juill 2015
Sadegh Hedayat – je n’écris que pour mon ombre
dessins Ernest Pignon-Ernest
Je n’écris que pour mon ombre projetée par la lampe sur le mur ; il faut que je me fasse comprendre d’elle.
Le vitrail rouge – ( RC )
Vitrail: Marc Chagall
Il y a un mur, entre moi et la lumière.
Ce mur a beau être de verre,
à chaque fois, il s’obscurcit,
au sang des cœurs trahis.
C’est une fontaine vermeille.
Elle joue avec le soleil,
mais les oiseaux sont englués
à travers le vitrail ensanglanté .
C’est une lave de couleur ,
qui traduit la douleur,
contrepoint de surfaces grises ,
qui , peu à peu envahit l’église .
Un amour sans fin était promis ;
il faut croire qu’il a péri .
Il se suffira pas de quelques prières,
pour le revoir de sitôt sur la terre .
–
RC – nov 2016
( en rapport avec le texte de Mokhtar El Amraoui, visible sur son blog )
Bassam Hajjar – maisons pas encore achevées
Maisons improvisées dans l’étendue vide
pas encore achevées
et vides encore
d’ habitants.
Mais elles sont, depuis le commencement, habitées par le personnage
des souvenirs.
( Comme s’il n’y avait pas de mur et qu’avec cela, malgré cela,
on y ouvrait une porte. Comme s’il n’y avait pas de père, de
mère, d’enfants, et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
lits, des vases, des livres et une table. Comme s’il n’y avait pas
de salle de séjour et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
canapés, une table basse, une lampe, une télévision, des tiroirs
pour le papier à lettres, les journaux intimes,
les numéros de téléphone, les adresses postales, la note de l’épicier, la facture d’électricité, la boîte d’aspirine, les stylos à encre, les crayons à papier, le livret de famille, le vieux passeport, la boîte de dragées et la vieille montre, la boucle d’oreille qui reste en
attendant de retrouver l’autre, le carnet, beaucoup de clés,
dispersées ou reliées par un anneau et personne ne se souvient
maintenant si elles ouvraient des portes et où sont ces
portes…)
–
extrait de « Tu me survivras – «
Ombres sur le mur – ( RC )
installation lumineuse de C Boltanski
Ce qui se pose sur le mur n’a pas de poids.
Lui, qui chuchote des figures mobiles,
de celles qu’on n’attrape pas:
C’est qu’elles sont agiles
se déplacent et se confondent.
Nulle part elles ne s’accrochent.
Elles papillonnent et vagabondent,
mais jamais ne s’approchent :
C’est que les ombres restent discrètes
sur notre existence
elles se traduisent juste en silhouettes :
en un jeu de connivences.
–
RC – juin 2016
Derrière le mur, le ciel joue un concert – ( RC )
–
–
Derrière le mur,
Le ciel joue un concert,
Avec des cuivres,
Et des ors,
Brodés sur les nuages.
L’herbe est profonde,
Le champ en pente douce,
Jusqu’à la rivière,
Dont on perçoit,
Juste le murmure .
On dirait que dehors t’attend,
Mais tu restes immobile,
Derrière le mur .
Les os sont fragiles,
Mais tu peux risquer quelques pas,
Et ouvrir la porte.
Le crépuscule n’est pas la nuit,
Et du soleil couchant,
C’est sa lumière encore,
Qui donne le relief à la vie.
–
RC – mai 2015
Sur une photographie de Dora Maar – Man Ray – 1936 ( RC )
Les mains posées sur le mur,
aplaties , blanches, sous leur poussée,
et même transparent, invisible obstacle,
celui-ci porte aussi leur ombre.
Elles se mêlent, d’un défi obscur
à la promesse du vivant.
Le visage voisine son négatif,
à la façon d’un masque.
Lui aussi regarde un au-delà
caché derrière nous.
Des fentes le parcourent.
Ou bien est-ce inscrit dans notre oeil?
Ainsi ce serait ce poids de ciment,
griffé par les années,
supportant son être et l’enfermement
en empreintes négatives.
–
RC – janv 2016
Il est minuit depuis si longtemps – (RC )
–
Il est minuit depuis si longtemps
…. Le long des parcours du jour.
J’ai traversé le sommeil,
> Et dehors, la caresse
Des courants tièdes,
N’atteignait pas le mur.
J’y étais enfermé,
Et mes bras menus ne pouvaient rien
Contre le froid, contre l’attente …
Et la douceur des choses
N’était qu’à deux pas.
Des promesses de l’été.
Les paroles gelées sous les lèvres,
La jeunesse habillée d’oublis,
Les yeux grand ouverts
Derrière des paupières inutiles
Sont à l’écart des champs de jeunes blés,
Où le vent s’ondoie.
Il faudrait que la terre tremble,
Que les lézardes prolifèrent,
Et que les pierres se descellent,
Pour que le sortilège tombe avec,
Et que le regard puisse enfin,
Goûter vraiment, à la douceur des choses.
Le baiser à la terre,
La ronde du soleil …
Le temps d’un autre départ,
Pour retrouver le désir,
Sa propre route, au dedans,
Pour y courir librement, les pieds nus .
–
RC – juillet 2014
–
Herta Müller – L’homme est un grand faisan sur terre ——–( petit extrait )
–
Windisch ferme les yeux. Il sent la courbe de ses yeux entre ses mains. Ses yeux qui n’ont pas de visage.
Avec ses yeux seuls et sa pierre dans la poitrine, Windisch dit à haute voix : « L’homme est un grand faisan sur terre. »
Ce que Windisch entend, ce n’est pas sa voix. Il sent que sa bouche est nue. Ce sont les murs qui ont parlé.
–
Herta Müller avec ce récit poignant et très imagé, obtient le Prix Nobel pour « L’homme est un grand faisan sur terre »
Variation d’ombre 01 – ( RC )

photo Phil Carlson
–
Ce sont des lignes qui se forment,
On ne peut décider,
Desquelles ont prise sur la réalité,
Elles invoquent la lumière traversière.
De la branche et de l’ombre,
Même posée, sur la course d’une rivière,
Et suivant ses remous,
Elle reste impalpable,
Du mur liquide,
Au mur vertical, pierres jointoyées,
Ne pouvant capter
La course solaire.
Oui, le jour toujours invoqué,
Et l’image projetée,
Le corps léger d’un oiseau,
Ployant les tiges.
Son ombre,
Notre regard,
Reconstruit une vie,
Se passant ailleurs.
–
RC- janvier 2014
–
En « réponse » à Jean-Yves Fick « variation#1 »

photo Mary Soyez
Blas de Otero – frondaisons de fronts troublés

Peinture Delacroix: Lutte de Jacob avec l’ange
Frondaison de fronts troublés
Ceci à l’immense majorité, frondaison
de fronts troublés et de cœurs souffrants,
à ceux qui luttent contre Dieu, défaits
d’un seul coup en leur profonde ténèbre.
À toi, et à toi, mur rond
D’un soleil assoiffé, jachères faméliques,
à tous, oh oui, ils vont à tous, et tout droit,
ces poèmes faits chairs et chansons.
Entendez-les pareils à la mer. Ils mordent la main
de qui la passe sur leur échine bouillante.
Éclate à l’écart leur mugissement tout proche
Et ils s’écroulent comme une mer de plomb.
Hélas, cet ange cruellement humain
accourt pour vous sauver, et il ne sait comment
–
Es a la inmensa mayoría, fronda
de turbias frentes y sufrientes pechos,
a los que luchan contra Dios, deshechos
de un solo golpe en su tiniebla honda.
A ti, y a ti, tapia redonda
de un sol con sed, famélicos barbechos,
a todos, oh sí, a todos van, derechos,
estos poemas hechos carne y ronda.
Oídlos cual el mar. Muerden la mano
De quien la pasa por su hirviente lomo.
Restalla al margen su bramar cercano
Y se derrumban como un mar de plomo.
¡ Ay, ese ángel fieramente humano
corre a salvaros, y no sabe cómo !
–
Blas de Otero
extraits des recueils ÀNGEL FIERAMENTE HUMANO et REDOBLE DE CONCIENCIA, – Buenos Aires,
rsaupoeme.fr/chroniques/le-scalp-en-feu-2/michel-host#sthash.Mc9IsUyt.dpuf
Blas de Otero – Vertige

photo David Julian
VERTIGE
Désolation et vertige s’unissent.
On dirait que nous allons tomber,
Qu’on nous étouffe par dedans. Nous nous sentons
Seuls, et notre ombre sur le mur
n’est pas la nôtre, c’est une ombre qui ne sait pas,
qui ne peut se rappeler à qui elle appartient.
Désolation et vertige se rassemblent
dans notre poitrine, s’échappent comme un poisson,
on dirait que notre sang dérape,
nous sentons que nos pieds vacillent.
Le vent souffle empli de souvenirs
et au fond de l’âme son va-et-vient nous fait mal,
nous apercevons des mers bleues,
dans l’infini brouillard de l’hier.
Désolation et vertige se fourrent
dans nos yeux et nous empêchent de voir.
Un mouchoir dans le vent vole égaré,
qui vient et s’en va, comme un bout de papier,
et tes mains le lavent avec les larmes
que nos yeux y ont versé.
Désolation et vertige s’unissent.
On dirait que nous allons tomber,
qu’on nous étouffe par dedans.
Nous restons
à regarder fixement le mur,
pleurer nous ne pouvons et nous restent
les larmes amoncelées, en travers,
nous nous bouchons les yeux de nos mains,
nous pressons nos doigts sur nos tempes,
nous entendons qu’on nous appelle au loin,
nous ne savons d’où, ni pourquoi…
VÉRTIGO
Desolación y vértigo se juntan.
Parece que nos vamos a caer.
que nos ahogan por dentro. Nos sentimos
solos, y nuestra sombra en la pared
no es nuestra, es una sombra que no sabe,
que no puede acordarse de quién es.
Desolación y vértigo se agolpan
en el pecho, se escurren como un pez,
parece que patina nuestra sangre,
sentimos que vacilan nuestros pies.
El aire viene lleno de recuerdos
y nos duele en el alma su vaivén,
divisamos azules mares, dentro
de la niebla infinita del ayer.
Desolación y vértigo se meten
por los ojos y no nos dejan ver.
Un pañuelo en el viento anda perdido,
Que viene y va, como un trozo de papel,
y lo lavan tus manos con las lágrimas
que nuestros ojos han vertido en él.
Desolación y vértigo se juntan
Parece que nos vamos a caer,
que nos ahogan por dentro. Nos quedamos
mirando fijamente a la pared,
no podemos llorar y se nos queda
el llanto amontonado, de través,
nos tapamos los ojos con las manos,
apretamos los dedos en la sien,
-sentimos que nos llaman desde lejos,*-
no sabemos de dónde, para qué…
—
Abdallah Zrika – Les murs vides de mon corps
LES MURS VIDES DE MON CORPS
Je ne sais pas.
Mais ce que je sais, c’est le jour où j’ai décidé de m’arracher de mon corps. Je ne sais pas comment cela est arrivé.
Mais je me suis trouvé comme ça : j’ai ôté tous mes vêtements. J’ai ouvert un peu la porte. Je ne sais pas comment j’ai fait.
J’ai voulu sortir tout nu.
J’ai voulu tout jeter comme on jette une ordure. J’ai senti à ce moment-là que tous les gens étaient contre moi, que même les mots me fuyaient, que j’étais devenu vide. Complètement vide.
Un vide qui résonne. Et complètement vide de mots. Moi qui avais décidé de ne mettre aucun vêtement, aucun nom, aucune désignation…
J’ai senti que toute chose se détachait de moi, se dissipait, je n’avais pas ôté seulement mes vêtements – leurs vêtements si je puis dire, leurs : je ne sais pas dire autrement – , mais j’ai ôté tout ce que j’ai vécu. Peut être n’ai-je rien à laisser qui m’appartienne, tout leur appartient, même mes ordures. J’ai ouvert encore un peu la porte. J’ai vu le premier mur devant la porte.
Même ce mur m’est apparu tout nu, rasé, chauve. J’ai reculé un peu pour écrire le premier mot qui m’est venu après avoir pris une décision. mais j’ai senti que ma tête était vide, d’un vide incroyable.
Le papier est resté blanc, d’une blancheur presque bleue. j’ai senti que les mots sont comme les vêtements, lourds et suant, que toute chose est lourde d’une lourdeur insupportable et qu’il n’y a que moi à être léger, très léger.
Puis je me suis retrouvé en train d’ouvrir toutes les fenêtres, même le robinet d’eau, et d’allumer toutes les allumettes que j’avais. Plus tard, j’ai entendu frapper et une lettre glisser sous la porte ; une voix suffocante disait : facteur. je ne sais pas pourquoi mes doigts n’ont pas bougé affin de toucher la lettre restée, moitié à l’intérieur, moitié à l’extérieur, sous la porte. Je ne pouvais rien toucher comme si une paralysie totale me prenait. je sentais seulement mes yeux qui bougeaient tout seuls, ou il me semblait qu’ils bougeaient, je ne savais pas.
C’est terrible ce qui m’arrivait, une faim incroyable m’avait prise mais je ne pouvais toucher le pain qui était sur le coin de la table. Puis j’ai vu que le mur était vide, d’un vide que je n’avais jamais vu, que je n’avais jamais senti avant. Et ces jambes – mes jambes – , allongées là, avec des poils lourds, d’une lourdeur que je ne peux supporter. Je n’ai pas su ce qui s’est passé lorsque la nuit est venue. Je n’ai pas allumé la lumière, les heures se sont succédé, et je n’ai pas senti le sommeil.
Et au matin, je n’ai pu distinguer les mots que j’entendais de loin. Je n’ai pas ouvert la porte quand j’ai entendu frapper encore. Et lorsque je les ai entendus, en plein jour, je ne suis pas sorti comme je l’avais décidé le premier jour. Je n’ai pas fait attention à la voix du robinet ouvert. Et je n’ai pas touché – oui, touché – le pain posé sur le coin de la table, je l’ai jeté par la suite afin que la table soit tout à fait vide.
Je ne supportais rien, même pas un tout petit point sur la table. J’ai jeté plusieurs papiers sur lesquels j’avais écrit, avant. J’ai laissé la chaise et je me suis assis sur le froid du sol. Je me suis réjoui de voir le verre vide, les allumettes brûlées jetées ici et là. J’ai éprouvé une joie énorme en voyant une mouche morte. Je me suis vu comme cette mouche, sans mouvements. Les pattes croisées et déformées. Je suis resté comme ça, sans bouger, lorsque j’ai entendu des voix, dehors, et je n’ai pas regardé par la fenêtre.
Tout est loin. Loin. Je me sens très petit, d’une petitesse sans égale, et toute chose est plus grande, très grande. Même ce point que je vois sur le mur. Tout est grand, très grand. Comment ne m’en suis-je pas rendu compte auparavant ? Je me sens très détaché de tout, solitaire, d’une solitude terrible.
Même la faim s’est détachée de moi.
Je la sens plus grande que moi, plus grande que cette pièce même. Je ne parviens pas à la distinguer. J’ai vu une lettre posée là, une lettre que je n’ai pas ouverte, là depuis trois jours. Je ne l’ai pas touchée. Je sens que ma tête est vide, complètement vide, et aucune pensée n’est dedans. Rien. Rien.
Ce mot qui résonne vide dans mon vide. Je sens que quelque chose me tient cloué là, entre ces choses qui ne me concernent pas. J’ai encore entendu – ou imaginé – frapper avec insistance à la porte. Ce sont les autres. C’est leur porte.
Ce n’est pas moi, je n’ai aucune porte. Je n’ai aucun mur.
Ce sont les murs des autres. Je n’ai aucune maison. Même ces choses-là leur appartiennent, à eux.
Ce sont eux qui les ont jetées hors de leurs portes à eux, ce sont eux qui m’ont jeté ici. J’habite entre leurs murs et devant leurs portes. Les gens qui frappent à cette porte, frappent à leurs portes, et peut-être me disent-ils de m’éloigner de leurs portes, de leurs murs.
Que vais-je dire ?
Ai-je vraiment quelque chose à dire ?
–
Abdallah Zrika dans Petites proses, éditions de l’Escampette.
–
Au pied du mur ( RC )
Au pied du mur ( RC) – pour Richard Serra
Richard Serra: dessin: Coltrane – 1999
–
Au pied du mur
Je m’enroule en volumes
Le corps penché
Entre les plaques rouillées de Serra…
Mise en oeuvre de la masse
D’un labyrinthe noir
de rectangles qui n’en sont pas
D’où je perds ma présence
En vain, géométrisé
D’équilibre le dessin s’assoit
Et de simplicité ajustée
La création , en puissance me boit
Le noir s’impose à plat
Et de poids se fait liberté.
———————————————————————–
( ce texte se réfère donc à l’oeuvre de Richard Serra, et l’impression d’une grande expo au monastère royal de Brou ( à côté de Bourg-en Bresse), il y a longtemps… 1985… en lien ce dossier pédagogique du centre national d’Arts Plastiques, bien documenté : téléchargeable )
RC- décembre 2011
Richard Serra Vice-versa 2003 – installation, sculpture
–
Nicolas de Stael – grand concert ( RC )
- peinture; N De Staël : le grand concert 1955 (avant le suicide de l’artiste)
Face au grand mur de la douleur, Nicolas de Staël
A accompagné dans leur vol, les oiseaux , à toutes profondeurs.
Face au mur de la vie, si le bleu le noir et le blanc ne s’épousent pas.
C’est par un cri de couleur que tu as plongé dans le vide.
Peut -être pour retrouver l’espace des grands a-plats
Le reproche de l’ombre et le tragique du rouge
Il fait nuit sur ton corps, qui n’a pas suivi celui des oiseaux
Il fait nuit sur ta vie, qui nous disait l’inverse,
L’éclat d’un citron, d’un vase, et les rythmes des voiliers
Posés d’aplomb sur les surfaces peintes au couteau.
Mais si tu es gisant, brisé au pied des rochers
La musique des teintes, nous invite, symphonie
Où jouent les masses dressées sur l’écarlate
L’ombre du piano noir, l’ocre de la contrebasse
A ton grand concert, la neige des partitions
Des musiciens absents, à écouter les couleurs.
RC 25 mai 2012
–
– – voir aussi « le pinceau de la ville »
Faced with the great wall of pain, Nicolas de Staël
Accompanied in their flight, the birds, at any depth.
Facing the wall of life, if the blue black and white does’nt embrace.
This is a cry of color that wherefrom you plunged in the vacuum.
Perhaps to find space for a large flat-painted surfaces
The reproach of the shadow , the tragic of red
It’s dark on your body, which did not follow the birds
It is night of your life, who said the opposite,
The splendor of a lemon, a vase, and the rhythms of sailboats
Placed squarely on the painted surfaces with the painting knife.
But if you’re lying, broken at the foot of the rocks
Music of colors, invites us, symphony
Where the masses are standing on the scarlet
The shadow piano black, the ocher of the double bass
To your great concert, the snow of music sheets
Absent with musicians, listening to the colors.
–
voir aussi cet article dont je fais référence
———–>
Ce tableau évoque d’abord pour moi l’incommunicabilité : Malgré le pont que font les partitions entre les deux instruments , la musique semble étouffée par l’horizontalité de ce rouge écrasant , horizontalité contre laquelle semble s’élever péniblement la voix du violoncelle dans sa tonalité incertaine..
Pourtant ,, quand le regard s’attarde sur le tableau , l’éclat que donne cet agencement de couleurs au blanc éblouissant des partitions pourrait être un hymne à la musique ?
Je ne sais pas . Deux impressions contradictoires …
05/25/2012 à 21 h 20 min (Modifier)
Ta lecture est « plausible »,… étant donné que j’ai une vue plus « abstraite », je ne la partage pas ici, mais par contre oui, pour certains de ses tableaux: par exemple un nu sur le même fond rouge…
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voir aussi le poème de Jean Senac, ici…
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