Dominique Le Buhan – l’histoire continue des saisons

peinture Arkhip Kuindzhi
Le gris du jour, de la nuit le clair-obscur
s’unissent en l’histoire continue des saisons :
au revers de l’action, c’est être patience
que d’éprouver des heures durant leur cours :
c’est attendre de l’objet l’ombre au soleil,
savoir qu’à ce moment la chair aura l’éclat —
c’est espérer de la flamme la crue des couleurs
liées à des textures perçues sans les toucher.
Ce feu sécrète en nous le ductile espace
par les jeux du bois sec et de la cendre —
et déjà la rose d’hiver donne le blanc,
blanc repris par fleurs qui percent la neige,
puis la tulipe à son tour est la fraîcheur,
la rose avive la brique et le bleu de l’ardoise,
enfin la pivoine de son rouge touche le vert —
et le bruit de nos mots est un murmure sonore.
–
extrait des « heures inégales » ed Fata Morgana
Jean Métellus – dans la nuit

Dans la nuit,
Couleur de ma peau, ciment des mystères,
Silence du soleil, démence des despotes
Un rêve instable murmure les hauts faits de l’histoire
Déplisse les cicatrices habitées par le temps
Dans la nuit,
Royaume des maudits, forteresse à jeun,
Forêt de peurs et de pleurs
Le goût de la lumière allumera-t-il la colère
Brisera-t-il la tutelle de l’ignorance et de l’impudence ?
Dans la nuit,
Baptistère et suaire des prières,
Terreau et tombeau des songes,
L’étreinte de la douleur vient froisser une tapisserie défaite
Elle effrite une mosaïque déjà en miettes
Dans la nuit,
Abri et prison du désir et des promesses
Mon pays affamé, craquelé, se réveillera-t-il ?
Mes frères bâillonnés, malmenés, se lèveront-ils ?
Malgré la misère, malgré les chimères
Malgré les convulsions des illusions
Libéreront-ils des mots d’aurore et d’ambre ?
Ils chanteront l’espoir,
Sanctuaire de l’audace et de la foi,
Demeure de la sagesse qui domine les hasards.
Sylvia Mincès – Sanglots jetables

près d’immenses planètes hexagonales
pleurent et pleurent sur infini
les ravissantes fées-musiques
cantates aux lourds plis chauds
cheveux fa jambe ré
s’arrachent le baldaquin
d’un dieu mineur exalté
désireux avant bleu
d’occuper mille croches
aux sommeils utérins
sanglot à la blondeur d’âme-vestale
sanglot plus frisé que moutons
sanglot-murmure un peu cassé
je viens de déchirer le mien
achèterais — très cher — sanglot stradivarius
— bon état
Claude-Michel Cluny – Parlements

Ils se tiennent parfois dans des trous, qui ressemblent aux citernes des morts de Mycènes.
Mais ils ne portent pas nos beaux masques d’or, ils ne sont pas là pour l’éternité.
Pour l’Ossolète l’âge n’est qu’un déclin, la mort une voirie, jamais ils n’ont embaumé, empaqueté de monarque.
On ne sait même s’ils ont des rois.
Est-ce du pouvoir qu’ils bavardent au fond d’un trou, sans couronne, sans gardes?
La pourtant un murmure infuse, qui fait qu’on devine des Parlements de sous-sol, où se psalmodient peut-être des lois qu’on ne connaîtra pas.
Les Ossoletes non plus : après trois pas, le moment qui s’achève tombe dam une urne sans fond, un passé sans âge.
Les basses fosses où ils s’entassent et, qui sait? légifèrent, ne sont guère que des sacs à linge profonds et bêtes comme un suffrage universel. Les dieux font-ils collection de ces secrets perdus ?
plus d’infos sur l’auteur ? voir lien
Gustave Roud – campagne perdue

Sépare-toi de ton double endormi, quitte la chambre du Temps,
le seuil débouche dans une perle!
Nacre et nuit, l’espace gris et rose s’irise et tremble au seul battement de ton désir.
L’espace devient couleur de ta pensée. Tu peux choisir.
L’aube? Le ciel miroite aussitôt comme un ventre de truite.
La nuit d’août? Ce grésillement d’étoiles tout à coup sur le lac d’odeurs
où fermente le vin des roses mortes.
Décembre, si tu veux… La fontaine, sa voix d’été perdue,
coule sans mot dire sous les glaçons,
louche rappel des grelottants réveils d’adolescence.
Tu peux marcher dans l’herbe, dans la neige, cueillir une fleur,
une pomme au jeune pommier Lebel, mâcher le miel des premières violettes
en chassant d’un claquement de mains le corbeau d’octobre
noix au bec à travers l’essaim des feuilles jaunes.
Tu désires l’orage – et l’éclair fend d’un fil de feu la suie et l’argent des nues.
L’étendue n’est qu’un chatoiement du possible autour de tes mains et de tes lèvres.
Murmure pluie! et les molles flèches de l’averse ruisselleront à tes bras nus.
Ta main debout – le soleil flambe aux croupes fumantes des collines…
Tu es le maître de l’espace et le Temps n’est plus pour nous deux
qu’un présent inépuisé.
GR –Une solitude dans les saisons
Ahmed Mehaoudi – Le matin s’éveille

Le matin s’éveille sur un temps nuageux, les choses de la vie circulent banalement, et même dans un cadre urbain triste et monotone , la place Carnot dans son vert bouteille , son kiosque à musique, ses terrasses bondées de consommateurs , ce tout le monde qui chuchote , les furieux klaxons angoissants , la ville s’enfonce dans le jour chacun dans l’espoir de vivre mieux
…la ville pourtant est dépeuplée ,il y a comme un grand vide , un manque à faire pleurer , un sentiment qui ne s’avoue pas ,un sentiment qui n’a pas de mot , peut-on l’expliquer , lui donner un nom , inutile il est abstrait et il vous tient à la gorge , c’est beaucoup plus une envie de monter au ciel et de disparaître ,
à croire que plus personne ne respire en ville , que personne n’est vivant , et pourtant le bruit du monde vibre tout près comme un être qui ronfle dans la nuit ..
Ce matin, il y a comme un froissement de silence, une voix tremblante sans qu’elle se discerne d’une voix qui s’est tue ; je regarde cette tentative de pluie, elle ne vient pas,
j’y entends un murmure, peut-être une complainte, un petit chant doux,
je voudrais tant écouter, mais mon cœur est si fermé ce matin que je me sens étrangement absent de moi-même …
Est-ce donc çà l’amitié quand l’autre part et vous quitte à jamais ? Il n’y a pas de larmes , ni cri de détresse , un rien , un néant …
le matin s’éveille , sans lui qu’est-ce pour moi cette ville ,
un étonnant terrain vague où se confond des formes inconnues que je ne reconnais plus pourtant si familiers , des formes et des formes à l’infini jusqu’à la sortie du dernier virage …
Il me le disait , me le disait au grès de nos cafés et de nos vertiges littéraires , je m’en irai , quel vide vous aurez à vivre ,
ici où l’on m’avait confisqué mon bonheur , et où j’avais piteusement vécu ,
ici où je m’étais allongé dans la boue d’une insolente farce ,
comme quoi il n’y a rien de mieux que de se rendormir et de reporter ce réveil matinal à plus tard …je me recouvre de ma couverture , allons le rejoindre dans notre rêve…
Thomas Vinau – Quelque chose
Il y a quelque chose en lui
d’un enfant mort
qui se battrait
avec un vieux chat
Quelque chose de poussière et de cendre
de murmure et d’oubli.
il y a quelque chose en lui
qui chante
comme un Indien s’en va.
Quelque chose
de la bête qui fuit
de l’ironie d’un ciel
d’une petite brûlure
quelque chose
d’un méandre qui gonfle
d’un complot qui s’ourdit
D’une tempête perdue
dans les yeux d’une fille.
quelque chose de tendre
qui crie .
Adeline Baldacchino – Déjetée
peinture: John Sloane
extrait d’un titre de son blog poétique, sur tumblr
Ainsi donc la douceur aussi n’était qu’un mirage, juste avant ce bruit de collision contre le beau mur étroit du silence, ajointé dans la nuit dans l’aube au soleil par tous les temps. Je cherchais l’aigle encore et le serpent, Zarathoustra qui détourne le regard. Ainsi donc indifférente elle était mais vivante la mer. Et ce n’était rien pourtant qu’un peu de murmure à la surface du temps, les cuisses déjetées du monde ouvertes sur la matière des chants qui ne transmutent plus rien. Le vent répétait des caresses d’ombre sans chair, défaisait les faux miracles de la parole recommencée. Ne plus dormir, juste regarder glisser dans l’éternel instant, dur et lumineux, l’écart insistant du désir au monde. Le cœur y loge tout entier souverain fragile et nu, puissant qui ne sait plus
rien.
Trouver sa propre entrée – ( R C )
–
peinture: Raoul Ubac
Il doit bien y avoir quelque part,
une entrée gardée secrète,
qui mène vers un ailleurs
qu’empruntent des explorateurs,
et – dont ils n’ont jamais parlé :
C’est une parole mutique
dont chacun connaît la clef,
le sésame, pour y accéder…
se guidant peut-être à tâtons,
sur les parois de la conscience .
C’est difficile à expliquer…
Malgré toute la bonne volonté,
dont je pourrais faire preuve,
je ne peux rien dire …
Il faudrait que je trouve ma propre entrée…
Je suis dans un espace clos,
où nulle lumière ne pénètre,
juste guidé par le murmure familier,
du bruissement du sang
dans mon corps .
Peut-être verrais-tu dans le noir,
si tu étais à ma place,
quelque luciole voleter,
ou une étoile qui clignote…
( si c’est un signe …)
Mais ceux-ci sont trompeurs,
et finissent par s’effacer
aussi soudainement qu’ils sont apparus,
à la façon d’une cigarette
indiquant une présence,
et qui a fini de se consumer.
–
RC – avr 2016
Lindita Aliu – Le bonheur léger
photo lux coacta
C’était un amour étrange,
j’étais comme une partie de tous ces hommes sans que jamais
je ne les eusse vus en rêve.
Ils étaient présents, lors même que m’endormait
le murmure rocailleux du temps.
J’éprouvais un bonheur sans poids,
qui menait je ne sais où.
Il ne s’arrêtait que lorsque des arbres ou des nuages lui faisaient obstacle.
Il semait des mots à tous vents, toutes les lettres folâtraient de par le jardin.
Et aujourd’hui je ressens plus fortement l’hiver du jour que le poids de la terre entière.
Il m’ôte le sens de toute chose, en aplatit les raisons sur l’étendue intemporelle de son propre cercle.
Les lettres, désormais, décrochent mes yeux, me trouent le corps.
Ah ! douleur de mes yeux, eux qui autrefois étaient si savants.
Me torture aussi le désir qui ruisselait sur moi, maternellement, comme une pluie.
–
Lindita Aliu est une auteure du Kosovo
Des pas mènent à la source – ( RC )
Photo perso – source du pêcher – Florac
Des pas d’oiseaux dans la boue,
eux qui mènent à la source,
dont on perçoit le murmure
contournant les rochers.
Mais d’où vient-elle, cette eau,
sinon du secret de la montagne obscure,
des vallons habillés de mousse,
du souffle du temps,
– une résurgence mystérieuse.
où s’étire le liquide ?
et c’est le miroir facétieux des neiges
dissoutes par le printemps :
une langue muette qui se délie
et s’infiltre dans toutes les failles,
pour s’unir à d’autres langues, bruire
comme un oiseau nouveau né,
grossir son cours
s’élargir, chanter, puis rugir
à mesure que se dessinent les pentes.
Elles n’en retiennent, une fois apaisées,
que le reflet des arbres pensifs,
les nuages qui se mirent,
dans leur substance même
courant et nourrissant le sol.
–
RC – nov 2016
Nicolas Rouzet – le cercle et la parole
photo: Ernst Haas
Il y a le cercle et la parole
et l’heure où chaque naissance
annonce l’aube rageuse
l’attente du regard
Une main aveugle
dure à tâtons
devance le jour
dessine comme par jeu
la frontière qui sépare
le silence de la parole
le geste du murmure
De son pouce
se traverse la brèche
s’effleure le néant
d’où l’on sauve
la braise
et la brindille
Et que l’oreille
se tende
vers ce soupirail
qu’elle entende
que nos fantômes
n’ont pas changé de nom
que tous se croient encore vivants
dans l’espace ouvert
par l’éclat
le mirage
de nos âmes !
Tapiès – rideau fer – ( RC )
Assemblage: Antoni Tapiès Porte métallique et violon- Fondation Tapiès
On attendra longtemps
l’ouverture du jour.
Il y aura du sang
répandu autour .
La vie est dans la verdure ;
Derrière le rideau de fer
on pratique la torture
et on désespère.
On imagine, un délire :
faut-il une révolution,
pour que le rideau se déchire
et que le chant du violon
se détache de la croix noire
taggée sur le mur :
c’est un signe d’espoir
un premier murmure
car la clôture grise
n’emprisonne pas le chant :
Ce n’est pas une marchandise
vouée à l’enterrement.
–
RC juill 2016
Derrière le mur, le ciel joue un concert – ( RC )
–
–
Derrière le mur,
Le ciel joue un concert,
Avec des cuivres,
Et des ors,
Brodés sur les nuages.
L’herbe est profonde,
Le champ en pente douce,
Jusqu’à la rivière,
Dont on perçoit,
Juste le murmure .
On dirait que dehors t’attend,
Mais tu restes immobile,
Derrière le mur .
Les os sont fragiles,
Mais tu peux risquer quelques pas,
Et ouvrir la porte.
Le crépuscule n’est pas la nuit,
Et du soleil couchant,
C’est sa lumière encore,
Qui donne le relief à la vie.
–
RC – mai 2015
Marina Poydenot – chemin de lumières
Chemin de lumières
Chaque journée, plus brève une poignée de lumière dans la forêt sombre. « Cette brièveté est infinie » te murmure ta vie passée directement de l’adolescence au vieillissement. As-tu grandi en petitesse ? Bientôt il n’y aura plus qu’un rayon sur ton pas et tu verras que la forêt était un champ d’étoiles. Tu découvriras enfin le visage de celui qui tenait la lampe de poche.
Claude Esteban – Mémoire
Non, la mémoire ne se résume nullement à la somme des choses mortes entassées
dans la tête. Elle est tapie au creux d’une odeur, d’une feuille froissée par la pluie, d’un
murmure. Et que l’on fasse taire en soi le bruissement de la pensée; qu’on s’arrache à
ce théâtre de mauvais rêves, le paysage se recompose, les formes s’animent, les
couleurs recommencent à vibrer. Rien ne bouge pour celui qui se détourne, tout
s’éveille au-devant de celui qui reste à l’écoute et il ne craint plus. On cherche à
l’endroit d’une ancienne blessure, et c’est à peine si la peau tressaille. Et c’est à
présent l’immobile qui devient une fiction, et cette lassitude d’avoir tant vécu
comme une invitation à poursuivre encore.
Claude Esteban
in » La mort à distance «
Pierre La Paix – Sublime retour
Les déserts des bonheurs oubliés,
Si larges, si veufs… si neufs !
J’ai cherché dans la nuit de l’oubli,
Des sourires tiens
Que l’absence avait emportés.
Le silence imprudent de ton départ
A balafré sur les atomes des jours
Les regrets fanés,
Les secrets profanés
Que le temps effaçait mal…
Mais à l’espoir tenace de te revoir,
Mon cœur a cru.
Et au clair des lunes sans toi,
J’ai souvent chanté le refrain
Unique qui finissait nos serments.
Fou, j’ai rédigé
«Dans le murmure de toi »
Le psaume accompli
Qui confirmait l’adieu douloureux.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts
Dis-tu ?
Mais celle de mes yeux réclame encore
Le frou-frou de tes joues câlines
A l’insu des muets matins,
L’aube toute affolée de toi
T’a ramenée revivre
Le printemps heureux
Qui nous manquait tous deux.
Tremblants sous l’effet du retour,
Refusant d’accepter l’impossible
Nous avons redessiné Cupidon
Avec les doigts d’Aphrodite
Et sa flèche sans douleur nous a piqués.
Reste avec moi cette nuit…
Reste avec moi cette vie…
–
Pierre La Paix
–
Profondes clameurs 2011
* vous pouvez retrouver « sublime regain » à ce lien
http://www.facebook.com/note.php?note_id=255307977835321
–
Taire le silence ( RC )
Si j’apprends à taire le silence
En jetant quelques cailloux dans l’eau
Alors, la surface remue, et se souvient
En cercles concentriques, des éclaboussures
Et des gestes ténus,
Qui repoussent quelques secondes la léthargie,
En laissant , une place à la vie.
Mon geste n’est plus là, mais seulement sa trace
Comme lorsque je passe un doigt distrait
Sur la couche de poussière recouvrant le buffet.
J’apprends à lire, les instants fugitifs,
Le murmure de l’histoire, et l’invisible est crédible
Les brioches dorées, le zeste des parfums,
Le sillage d’un regard, au détour d’un reflet,
Le souffle des choses, agitant les feuillets
Les chapitres du bonheur, que révèle
Un pinceau de lumière à travers les nuées
Eloignées des étoiles, et dénuées
De l’ombre – qui fait l’importance.
Si j’apprends à taire le silence,
C’est pour mieux traduire
Une langue d’avant qui te ressemble
La prolongation d’une grâce
Que n’offrent ni les mots
Ni la parole rhétorique,
Les doigts ouverts de l’invisible
Quand ils te dessinent à mes yeux:
Une veine qui palpite à ton front,
Et la courbe d’une hanche…
J’apprends à lire, les instants fugitifs,
A rassembler les indices,
Peut-être à inventer,
A rajouter des brillances
Et des couleurs de voix,
Imiter rivières et cascades,
Et l’ombre des collines
Qui dessine des courbes
Sur le désir de l’instant
Que les lèvres promettent.
RC – 6 octobre 2012 ( évocation d’une démarche créative… je pensais à la photographie )
–
Claude Esteban – l’immobile qui devient une fiction

photo Willy Ronnis quai Malaquais
Ne garderai-je du jour que cette longue lassitude et la poussière des chemins au fond des yeux ?
Je m’assiérai n’importe où, je tenterai seulement de reprendre souffle, sans hâte et comme pour mieux me souvenir. L’espoir, quand on s’arrête de marcher, devient inutile, mais le vieux désir d’être encore ne disparaît pas avec lui.
Et je suis là, comme quelqu’un qui s’étonne que son corps le soutienne et le défende,
ce corps meurtri, ce corps appesanti, le mien pourtant, et que je méprisais.
Les grandes lois du soleil et de l’ombre nous échappent, nous mesurons l’espace
aux battements d’un coeur quand il est neuf, mais que la machine au-dedans hésite ou s’emballe, les repères se dissipent
et chaque pas devient une épine dans la chair.
N’importe, je suis là, je regarde mes mains, je n’oublie pas qu’elles ont touché la splendeur intacte du monde et qu’il y eut des moments d’allégresse à sentir la sève trembler sous les doigts.
Non, la mémoire ne se résume nullement à la somme des choses mortes entassées dans la tête.
Elle est tapie au creux d’une odeur, d’une feuille froissée par la pluie, d’un murmure.
Et que l’on fasse taire en soi le bruissement de la pensée; qu’on s’arrache à ce théâtre de mauvais rêves, le paysage se recompose, les formes s’animent, les couleurs recommencent à vibrer.
Rien ne bouge pour celui qui se détourne, tout s’éveille au-devant de celui qui reste à l’écoute et il ne craint plus.
On cherche à l’endroit d’une ancienne blessure, et c’est à peine si la peau tressaille.
Et c’est à présent l’immobile qui devient une fiction, et cette lassitude d’avoir tant vécu comme une invitation à poursuivre encore.
Claude Esteban, La mort à distance, Gallimard, 2007
–
Maria Luisa Spazian – mordre le temps comme le pain
–
Je voudrais mordre le temps comme le pain.
Trouver une résistance, laisser l’empreinte de mes dents.
Avaler l’essence, sentir la nourriture
Qui doucement envahit le sang.
Mais, fleuve invisible, le temps s’écoule.
Il murmure à mes côtés. A portée de main
Il me passe un poisson-fable, une pépite d’or
Déjà réabsorbée par des tourbillons.
Maria Luisa Spazian
Cesare Pavese – Paysage VIII
Cesare Pavese – Paysage VIII
Les souvenirs commencent vers le soir
sous l’haleine du vent à dresser leur visage
et à écouter la voix du fleuve.
Dans le noir
l’eau ressemble aux mortes années.
Dans le silence obscur un murmure s’élève
où passent des voix et des rires lointains ;
Bruissement qu’accompagne une vaine couleur
de soleil, de rivages et de regards limpides.
Un été de voix. Chaque visage enferme
pareil à un fruit mûr une saveur passée.
Les regards qui émergent conservent un goût d’herbes
et de choses imprégnées de soleil sur la plage
le soir.
Ils conservent une haleine marine.
Comme une mer nocturne est cette ombre incertaine
de fièvres et de frissons anciens, que le ciel frôle à peine ;
chaque soir, elle revient.
Les voix mortes
ressemblent à cette mer se brisant en ressacs.
–
L’incendie orageux en crinière que la gorge engouffre ( poésie de mouvement d’un cil)

∏ The stormy fire by the mane that throat. engulfs
Les feuilles ont perdu leur haleine.
Le vent les a à peine soulevés.
Le rythme des oiseaux s’est perdu dans l’effort
Comme une âme en poussière.
Le cœur bat. L’usure de tes cheveux flottants.
Et le serment de ta voix. Et le serrement
Qui s’en ai allé très loin. Le séisme
Par son destin qui détachent les vertus invisibles.
L’incendie orageux en crinière que la gorge engouffre.
Aussi le sentiment qui se déploie avant de s’écraser.
Nous qui restons là à nous assortir par la compression
Du murmure des fissures mauves des violettes
Et des plaintes sans jamais se vanter. Enfonce. Le secret du vide
D’un clou, nous pouvons tout décrocher d’un mouvement d’épingle.
D’un supplice. Toutes ces choses qui veulent rompre
Sans volonté. Toutes ces choses qui s’ignorent superstitieusement.
Nous pouvons vivre une vérité [mer. 19.10.11] 18.50
றouvemenʨ d’un ciℓ (➳ elsewherə
The leaves have lost their breath.
The wind has just raised its.
The pace of the birds got lost in the effort
Like a soul in dust.
The heart beats. The usure of your hair floating.
And the oath of your voice. And tightness
Which would have gone very far. The earthquake
By his fate which detaches the invisible virtue.
The stormy fire by the mane that throat engulfs.
Also the feeling that unfolds before crashing.
Us who remain here by sorting ourselves through the compression
Of the murmur of purple fissures of violets
And complaints without never boast. Sinks. The secret of the vacuum
On a nail, we can all get from a movement of a pin.
On torture. All these things that want to break
Free will. All these things that are ignored superstitiously.
We can live a truth