Mokhtar El Amraoui – miroirs
sculpture Gloria Freedman
Miroirs
A ces songes de la mer dont les vagues colportent la rumeur
Ô miroirs !
Engloutissez, donc, ma mémoire,
Dans vos veines de tain et de lumière.
Là-bas,
Dans le jardin des échos,
Arrosé des plaintes des vagues,
Je dévalerai la plaine de l’oubli
Où j’ai laissé fleurir un coquelicot,
Pour ma muse
Qu’un peintre agonisant a étranglée.
D’elle, me parvient
Le parfum ensanglanté
De toiles inachevées.
C’est dans le lait de ses rêves
Qu’ont fleuri le cube et la sphère.
Ô interstices du monde !
Laissez-moi donc percer
Ses inaudibles secrets !
©Mokhtar El Amraoui
Muse à musée (RC )
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La muse reste tranquille,
Enveloppée de sa tunique,
Geste antique de pierre
Egarant ses couleurs d’un oeil si lointain,
Qu’un rectangle de lumière, étalé sur le sol,
Ose une caresse blanche,
D’un doigt de soleil,
Désignant du marbre, la cuisse,
Et la rondeur des heures,
Puis les ors des cadres,
Lourds, de scènes bibliques,
des tableaux vernis.
Un ange joufflu, peint au plafond,
Observe d’un oeil repu,
La progression lente,
D’un visiteur attardé,
Penché sur les étiquettes,
Et dont les souliers vernis
Répondent aux cracs du parquet
Sans pour autant réveiller,
Le gardien endormi.
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RC- 28 mai 2013
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Alda Merini – folie
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Folie, ma grande jeune ennemie,
il fut un temps où je te portais comme un voile
sur les yeux, me découvrant à peine.
je me suis vue dans le lointain ta cible,
et tu m’as prise pour ta muse ;
lorsqu’est venue cette chute de dents
qui m’endolorit encore parmi les dépouilles,
tu as acheté cette pomme de l’avenir
et m’as donné le fruit de ton parfum.
—
Follia, mia grande giovane nemica,
un tempo ti portavo come un velo
sopra i miei occhi e mi scoprivo appena.
Mi vide in lontananza il tuo bersaglio
e hai pensato che fossi la tua musa;
quando mi venne quel calar di denti
che ancora mi addolora tra le spoglie,
comprasti quella mela del futuro
per darmi il frutto della tua fragranza.
–
Vuoto d’amore, Einaudi, 1991
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Journée immobile ( RC )
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La muse est malade
Conduit un astre ,pâle
Couleur de fiel
En coulures de miel
Une vague d’argent déferle
En un éclair, pareil
Confisque un soleil
D’or et de perles
La lune reste fade,
Une journée lointaine, râle
Laissée en rade
Aux couleurs sales
Les navires sont immobiles,
Se découpent en nombre
De coques sombres
Tout près de l’île.
Ma terre est encore si lointaine
Quand je revois son éclat
Malgré le soleil là;
Si las – et la route qui y mène.
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RC – 30 septembre 2012
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Anna Akhmatova – Pourquoi te déguises-tu ?

Dessin encre de P Alechinsky: tête de lion
Pourquoi te déguises-tu
En vent, en pierre, en oiseau ?
Pourquoi me souris-tu du ciel
Comme un éclair inattendu ?
Cesse de me tourmenter ! Ne me touche pas !
Laisse-moi à la gravité de mes soucis …
Un feu ivre passe en vacillant
Sur les marais gris desséchés.
La muse dans sa robe trouée
Chante d’une voix traînante, monotone.
Sa force miraculeuse
Est dans son angoisse cruelle et jeune.
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Anna Akhmatova
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