Au jardin des explorateurs – (Susanne Derève)

Au jardin des explorateurs le parfum de miel des genêts,les pierres noires, trois cloches ailées sonnant midi. Longeant le môle, une voile blanche ploie sous le vent, telle Boudeuse,qui prit la mer vers l'Amérique et que suivit son Etoile. Terre, avaient-ils crié, Nassauvias,Bougainvillées ! Est-ce un souffle dans les feuillées ou bien leur voix qu’on croit surprendre et qui se tait ?
Escale – (Susanne Derève)

Charles Sheeler – Upper Deck
C’est ici que les grands navires font escale
monstres abandonnés au long des quais déserts
après avoir largué les miasmes délétères
de pétrole et de suif, qu’ils traînent à fond de cale
Parfois accompagnés de grands oiseaux de mer
ils fendent l’horizon, navires en cavale
émergeant de la brume, tandis que les haleurs
se préparent au bal pour les mener à terre
On croirait voir au loin de blanches cathédrales
érigeant vers le ciel leurs cheminées de fer
coupoles que la nuit habille de lumières,
saltimbanques parés pour le grand festival
avant d’aller rejoindre les débarcadères
pour y mourir un jour dans le bruit infernal
des chignoles et des grues et le cri du métal
insensibles et sourds au refrain de la mer
De la sueur des hommes- (Susanne Derève)

Pierre Péron – port de commerce Brest
Que sait-on de la poussière des grues
et de la sueur des hommes
Que sait-on des derniers relents de la nuit
quand l’humidité ronge insinue
coule sous les paupières
la sève brûlante du sommeil arraché
au café du petit matin
Muscles gourds sous les bleus de chauffe
corps durcis endurcis muets
corps las
du cliquetis des bielles
de l’aigre stridulation des essieux
de leur implacable giration de chronomètre
Métal glacé des crevasses profondes
gerçures plaies immondes
Que sait-on de l’asphalte
suintant de graisse et de cambouis
flaches saumâtres
de ces navires à quai
gueules béantes
dont les entrailles grondent
réclamant leur tribut
de fournaise et de bruit
épaves moribondes
étoiles nues
absentes ensevelies
Mais aussi
que sait-on des aubes légères
du pavois d’or de la lumière
dans le ciel blanc de pluie
Que sait-on de la tendresse des hommes
entre leurs mains rebelles
Que sait-on de la vie …
Eugenio de Andrade – J’entends courir la nuit
J’entends courir la nuit par les sillons
Du visage – on dirait qu’elle m’appelle,
Que soudain elle me caresse,
Moi, qui ne sais même pas encore
Comment assembler les syllabes du silence
Et sur elles m’endormir.
.
.
.
« Il n’y a pas d’autre manière d’approcher
de ta bouche : tant de soleils et de mers
brûlent pour que tu ne sois pas de neige :
corps
ancré dans l’été : les oiseaux de mer
couronnent ton visage
de leur vol : musique inachevée
que les doigts délivrent :
lumière répandue sur le dos et les hanches,
encore plus douce au creux des reins :
pour te porter à ma bouche, tant de mers
ont brûlé, tant de navires. »
Eugénio de Andrade, Blanc sur blanc, Gallimard, Collection Poésie
Pentthi Holappa – les navires naufragés
peinture: Katheryn Holt naufrage
LES NAVIRES NAUFRAGÉS
Il n’y a pas d’abri contre la douleur, ni sous une cuirasse
ni dans le ventre de la mère. Y en aurait-il dans une
urne funéraire?
Prends garde aux nuits de pleine lune, quand la mer
reflète
les lumières de la ville !
Le ciel pourrait s’effondrer sur tes épaules.
Ta foi fragile dans les anges du ciel pourrait
se briser, si tu les voyais cueillir sur les récifs
les brassées d’or
des navires naufragés.
Tu te mettrais à pleurer, après l’esquisse d’un sourire.
L’homme est un enfant, qui même sous les coups n’apprend pas
que les miracles s’effacent dès qu’on les
contemple.
Ceci
n’est pas le pire malheur, mais plutôt de rester
au port
quand les anges déroutent les bateaux vers les hauts-
fonds.
Un chemin tracé entre les étoiles – ( RC )
photo Ile Vaadhoo des Maldives: provenance
Il y a une musique,
dont je ne connais pas l’origine ,
elle me vient du vent, sans doute.
Elle m’entoure parfois de son écume,
comme si j’étais une île,
et qu’il suffise d’avoir les yeux ouverts ,
pour recevoir la brise
et comprendre la chanson .
Alors je suis poreux,
comme peut l’être une éponge,
mais elle boit les mots
qui me viennent à l’esprit.
Au loin des navires passent, indifférents ;
de toute façon
ils ne sauraient traduire
le poème qui s’écrit par ma main ,
ni le souffle qui gonfle les voiles :
Dans un autre sens ,
c’est peut-être trouver un chemin
tracé entre les étoiles .
–
RC – mai 2017
D’où partaient les navires – ( RC )
Il y a un port d’où partaient des navires,
( en tout cas, on voit une jetée
qui s’avance, en briques descellées,
d’un timide assaut vers le large,
où le gris s’étale, indifférent ) .
L’endroit est déserté,
de gros anneaux sont rouillés.
Peut-être est-ce le reste d’une ville
se prolongeant au-delà,
engloutie petit à petit,
malgré son orgueilleuse suffisance,
colosse aux pieds d’argile,
dont le corps plonge aussi
dans le sommeil de ce qui a été.
Seules veillent les mouettes.
Il y a un port d’où partaient des navires,
on peut le penser.
Mais , attirés par le lointain,
derrière la ligne pâle de l’horizon ,
ils ne sont jamais revenus,
emportant les derniers habitants
de la cité délaissée,
peu à peu lézardée.
Elle finit par sombrer
comme un de ces vaisseaux
mal entretenus,
où l’eau finit par se faufiler
partout entre les rues .
Seul, un promeneur , venu de nulle part …
–
RC – mai 2016
Vois le navire, il s’enlise – (RC )
–
Tanguent les beaux navires …
La mer n’est pas fidèle
Soudainement froncée de sels,
– L’horizon y chavire,
Au milieu de montagnes d’écume,
Vois le navire, il s’enlise,
Et des vagues subit l’emprise
Perdu sous le tissu des brumes…
– Sous la tempête inhumaine,
Que deviennent les ailes des bateaux,
Et qu’il pleut à seaux,
Quand les océans se déchaînent ?
Partis, fiers matelots
Maintenant , marins épuisés,
Mats et coques brisés,
Et les voiles en lambeaux…
Sombres les espoirs,
Autres qu’une dérive,
Et sans autre perspective
— Que la mer à boire…
Sous des paquets d’eau,
D’émeraude profonde,
Il y a dessous , tout un monde,
… Une foule aux yeux clos,
Des poissons des abysses,
Aux promesses de naufrages
Se fraient un passage,
Remontant des précipices.
Nourris de l’imagination,
De l’esprit du dessinateur,
Voila , de toutes les peurs,
Le réel, dépassant la fiction.
Les calamars géants,
Au regard incrédule,
Déploient leurs tentacules,
Sous un ciel phosphorescent,
Avides d’un prochain repas,
Sous la colère des éléments,
Les monstres attendent patiemment
Du frêle navire, le trépas….
….
Lorsque la tempête retombe,
Flottent encore quelques débris,
Il n’y a plus d’elle , qu’une mer assombrie,
De tout son poids de masse profonde.
—
RC – février 2014
Au bord de l’aquarelle – (RC )

aquarelle: William Turner – Venise
–
Les couleurs transparentes se posent,
Et laissent les reflets en papier blanc,
Il faut les contourner,
Pour que la caresse de l’éclat
De la lumière,
Prenne tout son sens,
Et que le ciel éblouissant,
Se tienne à distance,
Des eaux tranquilles,
Et des palais de Venise.
Le coeur se serrerait
A oublier ce paysage,
Saisi dans un instant,
D’un crépuscule,
D’un soleil sanglant.
Et le vent,
Echappé d’une bouche noire
Resterait palpable,
Presque,
Au dessus des navires,
Approchant du port…
Chaque détail, accrochant la lumière,
Reste ici, inscrit
Il traverse notre regard,
Comme celui du peintre,
Et nous parvient dans une aube nouvelle,
Un coin de la mémoire,
Une vague suspendue,
L’ombre des pins,
Superposée à elle-même,
Lovée dans le perpétuel
Mouvement du temps …
…Au bord de l’aquarelle.
–
RC- janvier 2014

aquarelle John Singer Sargent – Venise: Ponte San Giuseppe di Castello 1903
Jean-Jacques Dorio – Il n’y a pas de mots pour la peinture
pour Guy TOUBON
Il n’y a pas de mots pour la peinture
Il y a le concert dans le champ des couleurs qui s’irisent
Il y a un port vêtu de grandes coques noires et de probité candide
Il y a un port et ses navires au tranchant de la brosse dans les bouteilles d’encre des porte-conteneurs
Il y a ce paysage sans cesse visité dont il ne faut pas faire une montagne mais lumières de pourpre d’or et de mystère,
sur cette toile présente où toute réalité se dissout et nous invite à Renaissances !
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Voyager dans vos paroles ( RC )

dessin: Celine Colombel
Mon souvenir ira voyager dans vos paroles
En possible accueil, c’est une trace ténue
Qu’en vous soigneusement , vous garderez émue
En une dernière escale, comme une aile frôle
Au plus sûr de votre cœur, ce sera une place.
Pour l’ ami aux paroles prodigues
Ayant peut-être égaré , le nom. Il navigue
Au milieu de l’esprit – rien ne l’embarrasse
C’est un homme vivant , qui part et s’élance
Comme un ciel d’orage sur les mâts
– L’homme le plus tenté par l’amour s’ébat
Et vents, poussent navires avec élégance…
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RC – 01-2012
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