Ah! quand de ta tête poussaient des baobabs En touffes bourrues comme les forêts du Bengale Et qu’y grondaient les tigres tigrés Qu’y jacassaient cent mille singes jongleurs Quand de ta tête jaillissaient des bambous clairs Ah! les bambous, ils ployaient aux sourires de tes rêves J’y entendais siffler le vent matutinal Chassant la brume au ras de l’eau Quand ta tête flottait parmi les nénuphars Fleur d’épave oublieuse et rieuse
Sous les saules qui pensent aux saules T’en souviens-tu? Venait la pluie, venait l’orage Surgissait le terrible ouragan qui battait les montagnes Nous étions seuls et nous dansions alors Et remplissions les creux rouges des volcans De songes et de mémoires, d’images fabuleuses Pour le sommeil des hommes de plus tard.
J’ai 27 ans aujourd’hui. Je sais que je recevrai de mon homme une petite carte dans les jours qui viennent. C’est si compliqué pour lui de connaître le temps du voyage. Une carte fleurie pleine de pensées délicates qui aura traversé les orages en mer,. les ports inconnus. J’ai glissé ce matin un brin de mimosa frais dans une enveloppe pour lui, pour que nos fleurs se croisent et se répondent en haute mer. Drôles de gestes en ces jours terribles de bombardements et de misère. Un prince avec de la menthe dans ses poches et un bassin aux nénuphars pour s’y tenir au bord et glisser leur nez dans son cou c’est ce quelles voulaient les petites fillettes
Puis le temps est passé elles sont allées sur le port faire claquer les talons de leurs souliers acheter du muguet à des revendeurs à la sauvette Elles ont passé des heures à lire les noms des bateaux à écouter les mâts se balancer dans le vent et petit à petit sans quelles s’en rendent compte la mer les a prises leur a jeté un marin dans les bras avec son costume à boutons dorés son pompon rouge son sourire et elles n’ont plus pensé à rien d’autre qu’aux éternels départs et retours et les bateaux inlassablement ont rayé chacune de leurs nuits
Sur l’eau morte et pareille aux espaces arides Où le palmier surgit dans les sables brûlants, Le nénuphar emplit de parfums somnolents L’air pesant où s’endort le vol des cantharides.
Sur l’eau morte à l’aspect uni comme les flancs D’une vierge qui montre aux cieux son corps sans rides, Le nénuphar, nombril des chastes néréides, Creuse la lèvre en fleur de ses calices blancs.
Sur l’eau morte entr’ouvrant sa corolle mystique, Le nénuphar apporte un souvenir antique : — Vénus marmoréenne, éternelle Beauté,
Ton image me vient de l’immobilité, Et sous ton front poli je vois tes yeux de pierre, Comme les nénuphars profonds et sans paupière.