Hugo Le Maltais – Matricule des anges

photo RC de l’île Tioman
A l’heure où s’endorment les pigeons
La lumière se recroqueville,
Au creux humide de la nuit.
Carlingue de lune,
Sur un ciel de rouille bleue
Sous les néons électriques
Les naufragés s’entassent
Entre la chaleur d’un grec et
Les vapeurs
D’une 8-6
Les dieux nocturnes
Ont des enseignes lumineuses
Sex-shop, doner kebab et
Pharmacie de garde.
Les oies sauvages piquent vers le sud
Le feu crépite
Un verre de porto blanc à la main,
Je m’absente du monde.
(J’ai égorgé la nuit, qui s’est répandue dans une aurore écarlate…)
Du blues, et une nuit toute blanche – ( RC )
Je traverse une nuit toute blanche
qui a l’allure d’un vieux blues
où dansent quelques idées
à côté des poubelles.
C’est-il de me réveiller sur le pavé,
en côtoyant des bouteilles vides
et les flaques où se reflètent
les néons des boîtes à strip-tease ?
Des mots me viennent
et apprivoisent des blessures anciennes
quand je me redresse d’un pas mal assuré
en faisant quelques mètres, plutôt syncopés.
Ce sont des vieux rythmes
qui me bandent la tête,
alors que je m’efforce de traverser
cette nuit de blues, toute blanche.
–
RC- avr 2020
le prunier touchera bientôt terre – ( RC )
peinture : Piet Mondrian
Les nuages ruent
à la façon de chevaux se cabrant
sur le soir qui s’en va
et se brodent d’or.
Si c’est l’agonie du jour
et le vent debout
tout semble se confondre
dans des bribes d’histoire
comme des photos
virant au sépia
les oiseaux décrochés
d’un ciel en grumeaux.
L’herbe ici; venue en premier plan
importe plus que les murailles
de la ville et les néons
clignotant .
C’est une question de mise au point
le proche et le lointain
ne se mettent pas d’accord
— peut-être le photographe
a regardé au plus près
le jardin
qui se laisse aller .
Les buissons ont débordé
sur les allées
les lourds arrosoirs
ont cessé leur ballet
à la mort du grand-père
le prunier mal taillé
s’est penché pour soupirer
sous les premières pluies d’automne ;
il touchera bientôt terre.
–
RC – août 2017
Le périmètre, qui maintient l’étranger à distance – ( RC )
photo: junipergallery.com
Je m’installe à une table.
Elle est très longue
il y a des traînées de bière qui brillent ;
les bancs sont des barres revêches,
sous des néons verdâtres;
c’est dans un quartier populaire de Prague ;
un groupe d’ouvriers, aux vestes matelassées,
s’assoit.
il fait froid dehors ;
des trams fatigués scindent un espace de brume,
on voit jusqu’au terre-plein au centre de l’avenue,
avec des herbes roussies qui s’obstinent .
Ici, le carrelage s’essaie à la géométrie
sombrant dans des zones où le ciment le nivelle.
L’ordonnance des panneaux où les spécialités
locales, sont alignées en colonnes,
est contredite, par un nuage échappé
d’une huile de friture, quelque part dans la cuisine .
Je pense à d’autres endroits ;
L’ailleurs des quartiers des ports,
l’odeur persistante du mazout,
et toujours le périmètre,
qui maintient l’étranger à distance .
Il faut du temps ,pour secouer
le manteau de solitude,
au milieu de quelques plantes maigres,
qui, elles aussi,
ne semblent pas à leur place.
–
RC – janv 2015
Ne rien saisir – ( RC )
photo: Jens Schott Knudsen.
Chercher et ne rien saisir…
Suivre un chemin, qui se déroule.
N’étant pas une voie tracée.
Bordée de signes semblent nous être destinés.
En fait c’est un langage qui ne s’adresse pas à soi.
Pas à soi en tant que personne…
Un bavardage qui prolifère, et dans les néons, et dans les annonces.
Une voix chuchotante, qui dissimule sa violence
sous l’amabilité, le jovial.
On peut toujours saisir ce qui nous est tendu, offert.
C’est d’abondance,
mais c’est courir le risque du leurre renouvelé.
Il n’y a de vraisemblance qu’à fermer ses yeux ( et donc n’en rien saisir),
la lumière ne s’accrochant aux choses
que pour mieux en cacher l’ombre .
Ainsi Ulysse continue son voyage
en restant sourd au chant des sirènes.
L’éclat des jeux des lumières, les fanfares pour toute occasion
peuvent poursuivre.
Je ne les écoute pas.
–
RC
D’autres villes – ( RC )

peinture: James Whistler – Valparaiso nocturne en bleu et or.
Pendant la nuit, qui s’enfonce entre violet et silence,
Clignotent encore quelques néons,
Leur reflet alternativement vert et jaune
Sur l’asphalte mouillée. Têtus.
Les baraques du chantier du port, désertées.
Et au loin le flux chuintant des voitures,
Les boucles de l’échangeur éclairées d’orange.
Cependant les nuages sournois masquent alternativement une lune.
Un oeil fixe, cloué là haut.
Il nous dit la présence solaire, – ailleurs.
Ailleurs à l’opposé de la terre.
Sous d’autres climats.
Avec d’autres langues.
Mais, la même course du jour,
Se déplaçant comme une vague.
D’autres villes, s’enfonçant bientôt,
Entre le violet et le silence …
Et le clapotis des flots.
Alors qu’ici s’annoncera l’aube ,
Sur un jour recommencé.
Les immeubles seront encore au même endroit.
A l’assaut des colllines.
Les grues pourront reprendre leur ballet.
L’oeil fixe de la lune , s’est effacé,
Discrètement, dans la brume .
–
RC – mars 2014