Jacques Duron – jazz des années folles

Saxophone dauphin des profondes marées
Saxophone sorcier d’étoiles éphémères
Inimitable amant nocturne enchantement
Des sanglots que la chair arrache aux dieux sauvages
Saxophone féerie des peuples sans châteaux
Fol montreur de trésors perdus pour le grand jour
Ondulante magie de notre connivence
Neptune déchaînant l’aventure aux aguets
Saxophone incendie dans le sein rougissant
D’une captive en fleurs ivre d’un sang nouveau
Misérable fureur déluge de folies
Déluge sur l’idée de la mélancolie
Dédale de langueurs ténèbres de délices
Serpents de quel grand cœur moderne et malheureux
Roulez de notre ennui les flots vastes et vains
Où s’abîment sans joie les ombres de l’amour.
Armand Robin – Testament dans la nuit
image :montage RC
Moi, Constantin, fils de Constantin,
En Espagne nommé maître Ildefonse,
Sans être d’intègre esprit,
J’écris un testament à la lueur des bougies.
Des phalènes sous mes yeux tournent près des bougeoirs
Ils frissonnent et mes doigts ont des frissons ;
Au maître qui créa les bougeoirs je lègue donc
Les nuits de juin avec tous leurs papillons.
Qu’un jour par hasard le traîne le cafard,
Parmi les rues il étendra sa marche le soir,
Sans retard sur les vérandas tourneront les papillons noirs,
Sur le gazon, les boules bleues s’éteindront sans retard.
Il verra les phalènes, visages sur fumée d’or,
Il posera son pas, de mon nom prendra mémoire.
Aux poètes de ces jours et des jours à venir
Je lègue mon poêle de faïence
Avec son intime feu d’idées, de mi-idées,
Autrement dit de bagatelles pas dignes qu’on les allume,
Et je leur lègue mon encrier, cette pleine lune
Que me vendit un marchand tzigane.
Qu’un jour par hasard en des ans différents,
Tel moi-même cette nuit haussant ma voix,
Ils aillent déployant papiers et parchemins
Et sanglotant : « Éterniser la nuit! Comment? »,
C’est moi qui gratterai dans le cri de leurs plumes,
Ce sera moi dans leurs danses, lascivités vers les nuées,
Car dans la nuit j’ai tellement promurmuré, démurmuré
Que je connais jusqu’à l’abîme les partitions de la nuit.
A ma fille Kira, qui danse,
Je lègue le septième firmament
Avec séraphins par tout terzo s’agenouillant,
De très hauts « pas un mot, a, des lueurs sans clarté
Et toute chose naturelle, comme coffre à secrets.
Qu’elle y apprenne ses ballets !
A mon ami Théo, pour quand pleut le crépuscule sur la ville,
Une ruelle pas entamée pour y marmonner
Et même un certain portail du quartier Leazno
Avec un Neptune de fer forgé.
Hélas! il est parti dégoûté de la cité,
Maintenant c’est au ciel un astre apaisé.
A tous les êtres de bonté le charme entier qui a germé
Sur cette terre et, tel un abécédaire,
Les saisons de l’année en doré en argenté,
Les papillons et même les moucherons
Le soir près des acacias en géants buissons,
Une aube, dont nul ne revient, en arrière-fond.
Pour mes poèmes des furies phosphorescentes
Irradiant dans un ravin de ténèbres, de méchanceté.
Pour ma Basanée, ma Svelte, mon Ombrageuse,
mes yeux qui ont pleuré.
(Armand Robin) (1939)
Ulysse est de retour ( RC )
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Ulysse est de retour – c’est ce qu’il paraîtrait
Mais se souvient-on, encore de ses traits ?
Ou le reconnaître à quelque chose, peut-être sa bague ?
si son corps émerge un jour d’entre toutes ces vagues…
Or comme la chance tourne, aussi, les vents contraires
Permettent avec Neptune, un retour vers la terre
Contre les sorcières — des efforts insensés
Pour retrouver l’épouse, le pays ( au diable la Circé !)
Non loin d’une petite île, la mer Egée, porte son épave
La côte dentelée, chuchote un murmure, d’entre les agaves,
Les pins , les figuiers , jardin méditerranéen, de Picasso
Les fenêtres ouvertes, la terrasse blanche, et les plantes en pots.
Le voila debout, couvert d’algues marines,
Et sa cuirasse, au cuir d’auréoles salines
Entreprend, blessure oblige, une ascension lente
Glissant des cailloux, que fatigue sa pente…
En route pour sa demeure, il tient à la main
Une lance brisée, un filet d’oursins..
Le retour fera la une, il va falloir que l’on danse
————-Après de longues années d’absence.
Les animaux le reconnaissent d’abord, – têtes curieuses
Des récits du guerrier, pêche miraculeuse
Les centaures,, les nymphes et les chèvres
Chouettes et hiboux, taureaux – et même les lièvres
Ne se souviennent ni d’Hélène, ni de Troie
Mais du héros au regard lointain ( ou bien à l’étroit )
Car, bien au-delà de l’horizon des mers
Selon l’odyssée rapportée par Homère,
Il faut oublier le sang versé, et les larmes
Enterrer les compagnons perdus, et les armes.
Le repos du guerrier évoque les femmes-fleur
La paix retrouvée diffuse du bonheur, l’odeur,
Pour célébrer » la joie de vivre «
Avec Bacchus à s’en faire ivre…
Notre héros est de retour ! La célébrité !
Devant quand même décliner, son identité…
Pénélope, ses prétendants à l’amour
Ne comptaient plus ( après un tel détour)
Qu’ils puissent perdre leur pari
Et la dame, sa patience » en tapisserie »…
Qu’elle défaisait , après le jour , la nuit,
N’a pas dormi, pour mieux tricoter son ennui
L’araignée nocturne, amante pieuse, re-défait sa toile
Comme faisant des voeux, ou porter le voile,
Fait de ses semaines,une longue chaîne de patience
A refaire les gestes, les mêmes, en permanence
Mais guettant l’horizon, et sa moindre barque,
Attendant Ulysse – lui seul sait bander son arc…
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RC 16 juin 2012
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– ( et liens sur six oeuvres de P Picasso)