Le moine et le poisson – ( RC )

Nous allons suivre au long de ces vers
un jeune moine plein d’ambition,
qui par jeu , ou simple convoitise
entreprit ( pour améliorer l’ordinaire)
d’attraper un petit poisson,
or – qu’on se le dise,
rien dans les Saintes Écritures,
n’interdit, personne, au monastère
de se transformer en pêcheur :
les amateurs de friture
ou de fruits de mer
sont , par nature,
avant tout des hommes :
Ceux qui seraient tentés
( en dehors des pommes )
peuvent toujours, en confession
avouer tous leurs péchés
y compris celui de gourmandise
délaisser un moment la Passion –
pour des préoccupations plus terre-à-terre:
A aucun moment le règlement ne précise
qu’on ne mange pas de poisson
en célébrant le Mystère
les jours sans vendredi :
c’est donc à la fraîche
que notre moinillon
sentant grandir son appétit
partit à la pêche …
– mais son manque de discrétion
fit qu’aucun poisson ne montra son nez,
n’ayant pas envie d’accompagner
les poireaux et le potiron…-
( notre moine revint bredouille
et déclara – devant la communauté -)
…qu’il faudra faire contrition
et se contenter de nouilles
et de bouillon !
Anna Jouy – Notre premier lit sera une nuit de pluie

Notre premier lit sera une nuit de pluie. Ta main et la mienne larmes semblables. Je goûterai ce que font les rivières aux corps de sable. Je profiterai des vertus de l’eau pour envahir ton monde, là où la main ignore, là où le nez, la langue et les cheveux ne savent rien. Je t’engloutirai, du secret de ton sexe à la tempe sourde. Il faudra. Tu ne sauras rien de ce baptême, je serai transparente, liquide averse. Tu ne sentiras qu’un frisson, le froid délicieux qui embrasse l’être et le pousse à chercher des épousailles.
Jean Tardieu – fantômes

Ce n’est pas tout à fait la terre
que connaît un chacun.
Je découvre mille mystères
Dans les coins, un par un.
Le train, c’est une histoire étrange
avec tout ces regards !
Aux braves gens les mauvais anges
sont mêlés tôt ou tard.
Une route se remémore
tous les pas disparus
Mais elle attend — et rien encore
n ‘est vraiment apparu.
Qu il faille un peu manger pour vivre.
On connaît bien cela
Mais je veux qu’un dieu noua délivre
de qui nous mangera.
J’ai vu souvent de longs passants
sur l’asphalte foncé :
Ce n’étaient que des vêtements
où loge la fumée.
Peut-être, étant assez distrait.
m’étais-je trompé d’heure
Et les ai-je vus de trop prés
Au moment où ils meurent.
Moi-même, un jour, prés d’un miroir
Je fus bien étonné
de ne plus rien apercevoir
Ni mon front, ni mon nez !
Le ciel passait à travers moi
Tout était calme et lisse
Et j’entendais le temps qui glisse
Sur le sol gris et froid.
1940
texte publié dans la revue « poésie 84 »
Louis Guillaume – l’ancre de lumière
extrait de "LA NUIT PARLE" (1961)
A Marthoune.
La mer semblait de pierre calcinée, mate et pourtant transparente et, à une grande profondeur, sur un lit de sable gris, je distinguais fort bien l’ancre lumineuse qui m’empêchait de dériver.
Il était seul, mon bateau, seul au milieu de l’immensité noire et, seul à bord, penché au-dessus de l’abîme, je ne quittais plus des yeux, minuscule et seule, elle aussi, dans le désert couvé par l’océan, cette croix de feu sous la courbe d’un sourire.
Et, à force de fixer sur elle mon regard, elle m’apparut comme un visage, comme ton visage nocturne, mon amie. –

Les bras de l’ancre devinrent ta bouche, la tige dessinait la ligne de ton nez et le jas celle de tes sourcils. Si distant et si attachant, c’était bien ton visage qui brillait là-bas, qui liait ma barque à la terre malgré les ressacs et les courants, et continuait de veiller,
même lorsque je scrutais l’horizon.
— Lève l’ancre ! dit une voix soudaine.
Alors, tu poussas un cri si déchirant que je m’éveillai à ton côté.
Et notre lit tanguait dans l’ombre.
Roger Wallet – ça ressemble à une vie
photo: Willy Rizzo
Ca ressemble à une vie
bonjour tristesse
le titre qui lui a plu il ne connaît
pas l’auteur mis à part du passé
il ne connaît
pas d’auteur Saint-Ex bien sûr comme tout le monde
et puis l’aîné l’a offert à son frère…
il l’a dans un coin de l’atelier adieu tristesse / bonjour tristesse /
tu es inscrite dans les lignes du plafond / tu es inscrite dans les yeux que j’aime…
ému les yeux que j’aime cette voix…
c’est comme si c’était elle qui lui parlait
et il le relit le sait vite par cœur le poème de P.Eluard au début
je vous le rapporte je il se sent gauche. je l’ai lu.
un silence. c’est très…
il se tait
elle est debout elle le regarde
aurait pas dû venir c’est trop… compliqué ?
prenez-en un autre elle sourit. lui : le cœur qui
bat comme un fou là-dedans
la main tremble elle doit le voir [il pense]. s’approche de la bibliothèque
la dévisage les yeux le nez la bouche
– le mot rien que le mot le fait frissonner
–
vous…
rien d’autre.
tourne le dos s’excuse
il sent sa main sur sa nuque ses yeux sa bouche….
( extrait du site des éditions des Vanneaux )
Le bestiaire – ( RC )
Tu ne les as jamais vus
mais tu t’en fais une idée
à ce qu’on t’a colporté :
Ils ont tendance, à leur insu
à se cristalliser
pour prendre consistance,
se construire une existence,
et se matérialiser.
Ce sont des récits épiques
avec des animaux hors norme
aux curieuses formes :
des bêtes fantastiques…
que l’on dessine
et dont aucun dictionnaire
ne comporte d’exemplaire ,
car tu l’imagines
aussi bien que je te vois :
un griffon sanguinaire ,
un aigle t’emportant dans ses serres,
des reptiles à trente doigts …
Ils sèment l’inquiétude
dans les récits bibliques ,
( sans précision anatomique
ni grande exactitude ) .
Cela remonte au plus profond des âges :
ce dragon a une mauvaise haleine :
compter neuf têtes à l’hydre de Lerne :
les légendes demeurent et voyagent .
Et si on parle d’animal,
on voit dans les fresques comme à travers le temps :
ainsi ces figures d’éléphants
de l’armée d’Hannibal .
Ils nous semblent bien bizarres,
eux qu’on trouve sculptés dans les chapiteaux ,
par rapport à ceux qu’on voit en photo :
l’imaginaire nourrissant l’art.
La comparaison n’est pas de mise :
Si on les reconnait pourtant
c’est bien que des éléments
rappelent leur présence grise…
Ce n’est pas un corps de libellule ,
et de grands yeux étonnés
côtoient une trompe ressemblant davantage à un nez
avec des oreilles minuscules .
Les hommes les représentant
ne l’ont fait que par ouï-dire
un vague récit pour les décrire ;
un souvenir persistant
de légendes terribles :
de ces récits rapportés,
il a suffi de les interpréter
et de les rendre plus visibles
( et donc plus concrets
dans leur apparence ):
de quoi nourrir les croyances,
les faisant passer pour des faits .
Toutes les variations étant permises ,
il n’est pas étonnant que l’imaginaire
abonde dans le bestiaire ,
et qu’on l’utilise
souvent dans la religion :
la bête, opposée à l’humain
( et à plus forte raison aux saints )
est objet de suspiscions
et de hantise
pour l’inconscient collectif ,
voila donc le motif
qui les place en dehors de l’église
souvent agressifs
et symboles de terreur ,
beaucoup plus rares à l’intérieur.
Des moutons, et autres inoffensifs
accompagnent les humains .
Ce sont des animaux domestiques
beaucoup plus pacifiques
qui occupent le terrain
Pas de vautours
ni oiseaux de proie
autour de la croix
ce serait plutôt basse-cour.
On voit bien , avec les rois mages
l’âne et le boeuf,
avec un petit Jésus ( tout neuf ),
réunis pour une belle image
comme une photo de groupe
par contre pas de loup , ni de renard :
ce n’est pas pas hasard
qu’ils ne sont pas dans la troupe !
Il fallait bien faire une sélection :
on ne pouvait pas rassembler tout le monde
à des kilomètres à la ronde :
ne sont venus à la réunion
que les animaux familiers
qui accompagnent
les paysans de nos campagnes
( pas les fourmiliers
ni les dromadaires
pourtant sympathiques ):
les exotiques
du bout de la terre
pouvant rester chez eux ,
car ceux des tropiques
ne correspondent pas à la symbolique
décidée par les dieux
et puis de toute façon
on a beau faire des prouesses,
on ne peut y mettre toutes les espèces :
—- il y en a à foison !
– on a choisi les plus communs
> les résultats de cette élection
mènent bien à une discrimination:
on en prend quelques uns
que chacun peut identifier :
entre les allégoriques
les fantastiques,
les carnassiers
et herbivores,
il y a abondance
et même concurrence :
une vision multicolore
A l’instar des papillons ,
on pourrait en dresser un catalogue ;
ce ne sont pas nos homologues
– il y en a des millions –
les bêtes des antipodes
ou des profondeurs
ont aussi leurs admirateurs
( comme les scarabées et gastéropodes ) .
–
RC – juin 2017
Magali Bougriot – Nostalgie d’un baiser
Elle.
Tout en elle me faisait vibrer. Mais comme dans chaque symphonie, chaque partie a sa place, son temps sa mesure, son intensité. Un subtil mélange de sons dans un alliage percutant, profond et puissant.
Elle.
Tout commençait par la trame de fond, la cadence, son regard. Dans ses yeux gris, vert, bleu, je ne saurais jamais vraiment les définir tant leur couleur était variable, j’y plongeais les miens, dans une immensité sans fond, un voyage dans l’hyperespace, une sorte de doux flottement jusqu’à trouver la connexion, l’accroche, ce moment où la grosse caisse lourde et lancinante entre en raisonnance. Le rythme singulier d’un battement de coeur, boom….boboom….boom…boboom…Régulier, constant, rassurant, nous sommes ici, nous sommes 2 et nous vibrons sur la même longueur d’onde. L’alchimie peut opérer. Aucun contact nécessaire, juste ses yeux, les miens, et la myriade de messages synaptiques qui parcourent nos corps au rythme cadencé du sang qui afflux dans nos artères. Boom… Boboom….boom…boboom… Puis s’insinue le doux son d’un violoncelle, le glissement d’une main le long d’un bras, annonce d’une mélodie, les cordes frottées délicatement, le son pur, chaud, une promesse chuchotée… » Je ne veux que toi…. »
Ma peau frissonne sous la pulpe de ses doigts et déjà je sais que la musique s’empare de moi, la transe s’installe, toujours plus profondément, fixant chaque instant sur les partitions de ma mémoire. Ses mains. Ses doigts. Divins, indéfinissables de perfection. Des mains pareilles sont faites pour caresser, pour étreindre, et à ce moment c’est moi qui me glissais entre elles, consciente de ce privilège. Mais comment ne pas toucher sa peau? Ce voile rosé et parfumé dont je percevais déjà les effluves si loin que je pouvais être d’elle. Un appel à la rencontre, le sucré, vanillé, une confiserie à portée de mains, de nez… Les sens en éveil pour mieux m’en délecter… Se retenir…. Et faire durer…. Se retenir… Je parcourais alors les contours de son visage du bout de mes doigts hésitants, comme on toucherait une oeuvre d’art, dans un respect protecteur, sous ses doigts l’exception, en être consciente et ne pas vouloir briser le rêve par des gestes trop brusques, sous peine de se réveiller et de tout perdre… Encore un peu… Encore un peu…. Je revois ses traits tendus, si particuliers, qui rappelaient les gravures grecques aux lignes saillantes et anguleuses, à chaque centimètre un son, nous composions le début d’un requiem. Quand nos corps vinrent à se rapprocher par l’attraction incontrôlée, quand de mes bras je vins la serrer contre moi,quand sur mon ventre, ma poitrine je senti la pression de son propre ventre, de sa propre poitrine, écrasant le peu de self contrôle qui nous restait, c’est tout le rang des cordes qui se mit en scène, dans une envolée légère.
La montée crescendo de la cadence, les doubles croches décrochant nos limites, toujours rythmées par les contre basses s’alliant à la grosse caisse dans nos yeux qui ne risquaient pas de perdre pieds. À quelques centimètres seulement, des secondes qui s’étirent, un temps qui se détend, tout semble figé et si mouvant pourtant. Je peux sentir la chaleur de son souffle contre mes lèvres, un dernier questionnement dans nos regards, vraiment? Maintenant? Tu es sûre? Un silence sur la partition, ce petit carré noir maitre de tout, et tout se suspend, l’éternité. Bien sur que je suis sûre! Bien sûr qu’on l’est! Et dans l’apothéose générale, les cuivres et flûtes entrent en jeu, jouant leur plus belle prestation, alors que les cymbales s’emballent, dans un fracas salvateur.
Nos lèvres se retrouvent en ce premier baiser comme après des millénaires d’absence. Celles qui ne s’étaient pourtant jamais rencontrées se connaissent comme si rien ne les avaient un jour désunies, et rien ne pourra les désunir à présent…
–
Magali Bougriot – Nostalgie d’un baiser

peinture: Richard Lindner – kiss
–
il est des choses qui ne s’effacent pas…
Elle.
Tout en elle me faisait vibrer. Mais comme dans chaque symphonie, chaque partie a sa place, son temps sa mesure, son intensité.
Un subtil mélange de sons dans un alliage percutant, profond et puissant.
Elle.
Tout commençait par la trame de fond, la cadence, son regard.
Dans ses yeux gris, vert, bleu, je ne saurais jamais vraiment les définir tant leur couleur était variable,
j’y plongeais les miens, dans une immensité sans fond, un voyage dans l’hyperespace, une sorte de doux flottement jusqu’à trouver la connexion,
l’accroche, ce moment où la grosse caisse lourde et lancinante entre en raisonnance.
Le rythme singulier d’un battement de coeur,
boom….boboom….boom…boboom… Régulier, constant, rassurant,
nous sommes ici, nous sommes deux et nous vibrons sur la même longueur d’onde.
L’alchimie peut opérer.
Aucun contact nécessaire, juste ses yeux, les miens,
et la myriade de messages synaptiques qui parcourent nos corps au rythme cadencé du sang
qui afflue dans nos artères.
Boom… Boboom….boom…boboom…
Puis s’insinue le doux son d’un violoncelle, le glissement d’une main le long d’un bras,
annonce d’une mélodie, les cordes frottées délicatement, le son pur, chaud, une promesse chuchotée… » Je ne veux que toi…. »
Ma peau frissonne sous la pulpe de ses doigts et déjà je sais que la musique s’empare de moi,
la transe s’installe, toujours plus profondément, fixant chaque instant sur ceux de ma mémoire.
Ses mains. Ses doigts. Divins, indéfinissables de perfection.
Des mains pareilles sont faites pour caresser, pour étreindre, et à ce moment
c’est moi qui me glissais entre elles, consciente de ce privilège.
Mais comment ne pas toucher sa peau?
Ce voile rosé et parfumé dont je percevais déjà les effluves si loin
que je pouvais être d’elle. Un appel à la rencontre, le sucré, vanillé,
une confiserie à portée de mains, de nez…
Les sens en éveil pour mieux m’en délecter… Se retenir…. Et faire durer…. Se retenir…
Je parcourais alors les contours de son visage du bout de mes doigts hésitants,
comme on toucherait une oeuvre d’art, dans un respect protecteur,
sous ses doigts l’exception, en être consciente et ne pas vouloir briser le rêve par des gestes trop brusques, sous peine de se réveiller et de tout perdre…
Encore un peu… Encore un peu….
Je revois ses traits tendus, si particuliers, qui rappelaient les gravures grecques aux lignes saillantes et anguleuses, à chaque centimètre un son, nous composions le début d’un requiem.
Quand nos corps vinrent à se rapprocher par l’attraction incontrôlée,
quand de mes bras je vins la serrer contre moi,
quand sur mon ventre, ma poitrine je sentis la pression de son propre ventre,
de sa propre poitrine, écrasant le peu de self contrôle qui nous restait,
c’est tout le rang des cordes qui se mit en scène, dans une envolée légère.
La montée crescendo de la cadence, les doubles croches décrochant nos limites,
toujours rythmées par les contre-basses s’alliant à la grosse caisse dans nos yeux qui ne risquaient pas de perdre pied.
À quelques centimètres seulement, des secondes qui s’étirent, un temps qui se détend, tout semble figé et si mouvant pourtant.
Je peux sentir la chaleur de son souffle contre mes lèvres, un dernier questionnement dans nos regards, vraiment?
Maintenant?
Tu es sûre?
Un silence sur la partition, ce petit carré noir maitre de tout, et tout se suspend, l’éternité.
Bien sur que je suis sûre! Bien sûr qu’on l’est!
Et dans l’apothéose générale, les cuivres et flûtes entrent en jeu, jouant leur plus belle prestation, alors que les cymbales s’emballent, dans un fracas salvateur.
Nos lèvres se retrouvent en ce premier baiser comme après des millénaires d’absence.
Celles qui ne s’étaient pourtant jamais rencontrées se connaissent
comme si rien ne les avait un jour désunies, et rien ne pourra les désunir à présent…
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