Leon-Paul Fargue – Intérieur
peinture Anton Pieck
Des toiles, des choses sèches pendent aux poutres…
Le vieux fusil dort fixement
Au mur clair…
Rêve à ton gré.
Tout est comme autrefois.
Ecoute…
La haute cheminée
Fait sa plainte ancienne et son odeur éteinte
Et tasse son échine de vieil oiseau noir…
Elle porte encore au front ses images d’âme crue
Et ses vases de loterie aux prénoms d’or…
Et l’horloge recluse dans l’ombre et la bure
Berce son cœur avec une douceur obscure…
Pareils à des visages ronds de spectateurs
Les plats se penchent aux balcons du vieux dressoir
Où des files de fruits qui font la chaîne, fleurent
Dans leur ruelle d’ombre couleur d’aubergine…
J’ouvre un tiroir où je vois passer des noix vides,
Un gros couteau à vingt lames, qui contient tout,
Et l’ombre de mes mains qui glisse sur les choses…
Et ce sont des couleurs vivantes, refroidies…
Et ce sont des odeurs d’intimités suries…
Ça sent la malle, et le poivre des vieux départs,
Et le livre de classe, et la chapelle éteinte…
Un vent tiède pousse des guêpes
Frapper à la lucarne bleue…
Un grand chat doucement passe comme on chuchote,
Et vous lève un regard où veille l’ennui sage
Du soleil dans la douve aux lentilles d’or vert…
Sois calme. Tout est là comme autrefois.
Ecoute…
Léon-Paul FARGUE « Pour la musique » (Gallimard)
Chute de noix ( RC )
photo Martine dans « photo-passion »
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Une demi-coquille de noix, la vie, là
Incrustée dans le sol
Entre le fouillis des herbes aplaties
A l’ombre du cerisier
Il n’y a pas de noyer
On suppose qu’un oiseau de passage
Fendit un jour l’atmosphère égale
Sous les nuages bas
Porter à un nid lointain
Peuplé de becs grands ouverts
Le résultat de sa quête,
Disputée aux rongeurs.
Ou alors est-ce dans le marronier,
Ce nid abandonné
Un tissage de brindilles
Rendu impraticable
Les repousses des branches, chaque année plus longues
Et plus épaisses.
Où déjà, je me souviens,
Les occupants avaient du mal à se faufiler,
Leurs ailes faisant flop-flop
Contre les feuilles larges.
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RC – 3 décembre 2012
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Bernard Vargaftig – Les bruits sont lents
Les bruits sont lents ils font un paysage
D’oubli et d’eau de pentes qu’on remonte
Petites peurs frottées les unes aux autres
C’était rêver le ciel dans les bassines
Entre les noix et le bois sec le chanvre
Quelles durées fuient toujours dans la mienne
Semblants de mots d’habitudes qui cèdent
Quand on dirait qu’une à une les choses
S’étendent et se recouvrent indifférentes
Ombre enlisée enfance complaisante
Et que déjà l’herbe pousse à travers
Description d’une élégie
Editions Seghers Poésie 75, 1975