Carl Norac – Chansons pour Robert Walser 2

J’écris sur des bandes de papier dit-il
je n’enfile pas les perles toute parole digitale
le passé rôde où on l’enterre il y a
des visages à compter des cibles à contenter
je viens gâcher mes yeux en signes minuscules qui me lira tombera
sur la paroi d’un grain de sable
( Walser ainsi va au clocher
au merle à l’arbre à la rivière
il a perdu cent noms cachés
sait comment peser sur la terre
les ailes sont pour les passants
et lui ne passant plus vraiment il écrit à défaut de vivre )
Sans noms – ( RC ) – d’après Paul Celan
dessin: Zoran Music
Ils veulent effacer nos noms
comme nos corps,
anonymes et juste identifiables
grâce à un matricule,
en apposant des scellés
dans le non-dit,
sur les lèvres éteintes
de l’histoire, la rendant muette,
aussi innommable que nous .
Or ce n’est pas notre fin,
qui s’écrit, taciturne
mais le commencement
d’une écriture,
même si nos noms
ne nous sont rendus,
qu’avec des caractères
inscrits par milliers
dans des plaques de mémoire.
–
RC – mars 2020
—
d’après le texte de Paul Celan, évoquant la Shoah ( dans Zeigehöft, )
Das Nichts, um unsrer
Namen willen
—-sie sammeln uns ein—-,
siegelt,
das Ende glaubt uns
den Anfang,
vor den uns
umschweigenden
Meistern,
im Ungescheidnen, bezeugt sich
die klamme
Helle.
–
dans son allocution de réception du prix de la ville de Brême, en 1958, Paul Celan déclare :
Accessible, proche et non perdue, au milieu de tant de pertes, il ne restait qu’une chose : la langue. Elle, la langue, restait non perdue. Oui, malgré tout. Mais il lui fallut alors traverser ses propres absences de réponse, traverser l’horreur des voix qui se sont tues, traverser les mille ténèbres du discours porteur de mort. Elle traversa et ne trouva pas de mots pour ce qui était arrivé. Mais elle traversa cet événement et put remonter au jour “enrichie” de tout cela. C’est dans cette langue que, au cours de ces années-là et de celles qui suivirent, j’ai essayé d’écrire des poèmes afin de parler, de m’orienter, afin de savoir où j’étais et où cela m’entraînait, afin de me donner un projet de réalité
C’est juste le hasard, qui m’a placé là – ( RC )
Je n’ai qu’à ouvrir les yeux,
après la nuit,
pour me lancer dans l’aventure,
– car j’ai tout oublié d’avant – ,
et chaque matin
est un nouvel apprentissage,
une nouvelle enfance.
C’est avec elle, que je dois progresser,
apprendre à marcher .
J’essaie de reconnaître les choses,
qui se penchent sur moi,
je leur donne des noms,
qui semblent venir d’une autre langue,
et ne sais qu’en faire.
C’est juste le hasard,
qui m’a placé là .
–
RC – janv 2018