F-R de Chateaubriand – les chasseurs ( de Atala )
Les chasseurs (fragment)
Chaque soir nous allumions un grand feu et nous bâtissions la hutte du voyage,
avec une écorce élevée sur quatre piquets. Si j’avais tué une dinde sauvage, un ramier,
un faisan des bois, nous le suspendions devant le chêne embrasé, au bout d’une gaule
plantée en terre, et nous abandonnions au vent le soin de tourner la proie du chasseur.
Nous mangions des mousses appelées tripes de roche, des écorces sucrées de bouleau,
et des pommes de mai, qui ont le goût de la pêche et de la framboise.
Le noyer noir, l’érable,le sumac, fournissaient le vin à notre table.
Quelquefois j’allais chercher parmi les roseaux une plante,
dont la fleur allongée en cornet contenait un verre de la plus pure rosée.
Nous bénissions la Providence ou sur la faible tige d’une fleur avait placé cette source limpide au milieu des marais corrompus, comme elle a mis l’espérance au fond des cœurs ulcérés par le chagrin comme elle a fait jaillir la vertu du sein des misères de la vie.
François-René de CHATEAUBRIAND
« Atala »
Chute de noix ( RC )
photo Martine dans « photo-passion »
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Une demi-coquille de noix, la vie, là
Incrustée dans le sol
Entre le fouillis des herbes aplaties
A l’ombre du cerisier
Il n’y a pas de noyer
On suppose qu’un oiseau de passage
Fendit un jour l’atmosphère égale
Sous les nuages bas
Porter à un nid lointain
Peuplé de becs grands ouverts
Le résultat de sa quête,
Disputée aux rongeurs.
Ou alors est-ce dans le marronier,
Ce nid abandonné
Un tissage de brindilles
Rendu impraticable
Les repousses des branches, chaque année plus longues
Et plus épaisses.
Où déjà, je me souviens,
Les occupants avaient du mal à se faufiler,
Leurs ailes faisant flop-flop
Contre les feuilles larges.
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RC – 3 décembre 2012
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Guy Goffette – Un peu d’or dans la boue
Un peu d’or dans la boue
I
Je me disais aussi : vivre est autre chose
que cet oubli du temps qui passe et des ravages
de l’amour, et de l’usure – ce que nous faisons
du matin à la nuit : fendre la mer,
fendre le ciel, la terre, tout à tour oiseau,
poisson, taupe, enfin : jouant à brasser l’air,
l’eau, les fruits, la poussière ; agissant comme,
brûlant pour, marchant vers, récoltant
quoi ? le ver dans la pomme, le vent dans les blés
puisque tout retombe toujours, puisque tout
recommence et rien n’est jamais pareil
à ce qui fut, ni pire ni meilleur,
qui ne cesse de répéter : vivre est autre chose.
II
Le temps qu’on se lève vraiment, qu’on se dise
oui de la pointe des pieds jusqu’au sommet
du crâne, oui à ce jour neuf jeté
dans la corbeille du temps, il pleut.
Ô l’exacte photographie de l’âme, ces deux mots
qui nous rentrent les yeux comme les ongles
dans la chair : il pleut. Le sang de l’herbe
est vert insupportablement et c’est en nous
qu’il pleut, en nous qu’une digue rompue
voit s’effondrer peu à peu, derrière la vitre
et parmi les voilures, avec des pans de vieux
regrets, d’attentes fatiguées,
les raisons de partir et d’habiller le froid.
III
Encore, si le feu marchait mal, si la lampe
filait un miel amer, pourrais-tu dire : j’ai froid,
et voler le coeur du noyer chauve, celui
du cheval de labour qui n’a plus où aller
et qui va d’un bord à l’autre de la pluie
comme toi dans la maison, ouvrant un livre,
des portes, les repoussant : terre brûlée, ville
ouverte où la faim s’étale et crie
comme ces grappes de fruits rouges sur la table,
vie étrange, inaccessible, présent
à celui qui ne sait plus désormais
que piétiner dans le même sillon
la noire et lourde argile des fatigues.
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Guy Goffette
poème cueilli dans « La vie promise » précédée d' »Eloge pour une cusine
de province »
éditions poésie/gallimard
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