Des clefs pour compter les minutes – ( RC )

As-tu toutes les clefs pour compter les minutes,
les changer en années ?
Les heures sont de retour.
Ce sont peut-être les mêmes qui reviennent,
si, comme le pense Patti, il n’y a peut-être,
ni passé, ni futur. Juste un passage,
un éclairage, passant de l’ombre à la lumière,
ainsi le soleil, qui réapparaît
après s’être dissimulé derrière un nuage.
En chevauchant une parcelle de temps,
tu n’en perçois qu’une étincelle,
pas ce qui en est à l’origine,
ni sa courbe dans l’éternité.
Juste un soupir,
dont nous gardons un instant
le souvenir.
—
variation sur Mr Train ( écrit de Patti Smith )
Bernard Noël – la chute des temps – extrait 1

photo et montage RC
tu regardes
cette chose sans toi qui est toi
de quoi parlions-nous dis-tu
ta main même est muette
est-ce moi que vous avez tué
il n’y a plus moyen de faire la différence
peut-être suis-je quelqu’un qui n’est plus là
mais qui
peut ouvrir son propre corps pour lire
les présages de son identité
il est temps que chacun se souvienne
d’une autre histoire que la sienne
la mémoire s’en va comme le sang
à quoi bon ce que l’on a su
quelqu’un toujours voudrait venir
sous notre peau il lui suffirait
d’être la forme de l’air tout le temps
qu’il demeure dans notre corps
pourquoi n’y a-t-il plus de miracles
ils étaient le retour d’un souffle
dans la bouche capable
de le reconnaître mais les mots
sont trop forts quand ils vont
seuls on les attache l’un à l’autre
comme la respiration attache l’air qui vient
à celui qui va misère
misère où est la bouche libre
et ce trou dans la terre
qui parlait
au cœur ainsi que monte
la sève ou bien le regard
dans les yeux ne m’oublie pas
criais-tu et je n’entendais qu’un pas
d’oiseau et il froissait l’air devant
mes lèvres
qu’est-ce qui change
sinon la qualité quand l’énergie
détruit une différence pour en créer une autre
chaque jour est une différence
où le changeant est moins que le divers
le temps n’est jamais dans la ligne
droite il explose et moi
comment pourrais-je dire aujourd’hui
sans être à bout de souffle
car la fin et le commencement se tiennent
entre les dents qui tiennent ce mot
d’autres ont cherché le chiffre pour rabattre
le devenir sur lui-même tenir la vie
j’ai seulement rêvé de voir cette chose
aérienne un mot qui s’envole
de ta langue et je verrais enfin
ce qui sous nos yeux échappe à nos yeux et tu parlerais
tu parlerais pour que je voie
et nous aurions existé pour cela
dessous la lente migration de l’air dans l’air
mais dis-moi qui
et tout le dehors est une page blanche
où nous allons parmi les puits taris
sur le plafond de la nuit marchent
les morts parle-moi parle
que je croie encore à ces choses
dont nous avons meublé la vie syllabe
après syllabe l’ombre ne prend pas
sous les mots car ils sont le fil
qui raccommode la blessure
mais tu t’en vas les bras chargés
de ma poussière et je ne sais plus si
le regard est fait par le silence
ou la lumière
dis-moi qui
me dira ce qu’il faut faire
de toute cette vie réduite à une fois
et le temps aura la douceur d’un vieux linge
malgré la gâchette et le dernier baiser
puis il ne sera plus jamais trop tard
qu’attendions-nous un nuage est passé
le temps futur est devenu le présent
tu as dit ma conscience n’a pas bougé
et j’ai vu ton visage être cette pierre
dont j’aurais voulu faire ma maison
où mettrons-nous la porte disais-tu
quand chaque instant nous change en
ce que toi et moi ne sommes plus
et je pensais la vie est vaine
pour que le rien devienne créateur
et l’heure suspendue mais la langue
penchait comme une terre basse
après le recul du sens
qui
toujours la même affaire cependant
le neuf part encore de la fin
l’histoire coupe à travers maintenant
comme l’étrave fend la mer
les mouvements de l’une et l’autre
ne sont qu’un dans l’ignorance réciproque
et la contradiction nous sommes nés
des morts comment dire autrement
cette chose simple et qui appelle
car l’histoire n’est pas dans la continuité
elle est une explosion d’instants
que le pouvoir ramasse après
pour les ranger en ordre convenable
ainsi naît l’irréversible le jour
baisse entre les dates les épitaphes
les signatures derrière la main
pousse l’héritage et le temps n’en revient pas
parce qu’il regarde le calendrier
comme on regarde une photographie qui
n’est pas la sienne
miroir miroir
nul ne sait fouiller dans la chair
pas plus que dans l’image où chacun
se connaît à l’envers mais tu rêves
d’ouvrir le chantier de l’origine
les mots s’enroulent aux nerfs
ils les gainent d’un rien qui est
aussi la doublure de tes yeux
comment savoir de quelle étoffe
est le savoir quand l’intouchable
est le savoir lui-même et pourtant
quel plaisir dans la tête à s’habiller
de cela
qui mais qui pourrait
comme l’amour retire sa robe
qui pourrait découvrir l’en-dessous
tu es au monde et tu es en toi
disais-tu touchant mon cœur
et je ne comprenais pas tes mots
mais cela seulement qui mettait en moi
leur bouquet d’air
puis la peau repousse et tu es loin
derrière tes dents ou les miennes
l’un compte ses pas l’autre voit ses os
au bord d’une chose immense et floue
la vie qui revient dans la bouche
est une vie changée par le sens
je regarde par-dessus mon épaule
et ne me vois pas venir
mais qui disait
retourne-toi afin que l’avenir change
de place on a planté des morts
à tous les points de l’horizon
chaque direction reste immobile
le temps a les mêmes lèvres que la mer
sauf pour qui s’en va dans
son propre regard et devient l’eau de la lumière
mais les dimensions le ramènent
vers la pierre illisible
et NON
comme le pied du nageur dit non
quand il touche le fond
rien n’aura suffi puisque tu ne suffis pas
à ce que tu es un jour la trace
est perdue et ton souffle passe mes lèvres
quel vivant reconnaît en lui-même
ce qui est plus vieux que lui
et pourtant j’écris avec cela
mon visage est un souvenir
dont personne n’a gardé la mémoire
l’oubli roule des cargaisons de mots
chaque corps est une rive
où font signe la langue
et les gestes du naufrageur
Li Bai – Assis devant le mont Jingting

Les oiseaux s’effacent en s’envolant vers le haut
Un nuage solitaire s’éloigne dans une grande nonchalance
Seuls, nous restons face à face, le mont Jingting et moi,
Sans nous lasser jamais l’un de l’autre
( extrait de l’ouvrage de JM Le Clézio : le flot de la poésie continuera de couler ) ed Philippe Rey
Leon Felipe – Je ne suis pas venu chanter
Gravure MC Escher ( partielle): goutte de rosée
Je ne suis pas venu chanter, vous pouvez remporter votre guitare.
Je ne suis pas non plus venu et je ne suis pas ici pour remplir mon dossier pour qu’on me canonise quand je mourrai.
Je suis venu regarder mon visage dans les larmes qui marchent vers la mer,
Le long du fleuve,
et le nuage…
et dans les larmes qui se cachent
dans le puits,
dans la nuit
et dans le sang…
Je suis venu regarder mon visage dans toutes les larmes du monde,
et puis aussi pour mettre une goutte de mercure, de pleurs, ne serait-ce qu’une goutte de mes pleurs
dans la grande lune que fait ce miroir sans limites où ceux qui viennent me regardent et se reconnaissent.
Je suis venu écouter encore une fois cette vieille sentence dans les ténèbres :
Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front
et la lumière à la douleur de tes yeux.
Tes yeux sont les sources des pleurs et de la lumière.
Herberto Helder – Maudit soit celui qui a jeté la pomme dans l’autre monde
peinture: Marc Chagall: N’importe ou hors du monde
S’il y avait des escaliers sur la terre et des anneaux dans le ciel
Je gravirais les escaliers et aux anneaux, je me pendrais
Dans le ciel je pourrais tisser un nuage noir
et qu’il neige, qu’il pleuve et qu’il y ait de la lumière sur les montagnes
et qu’à la porte de mon amour l’or s’accumule
J’ai embrassé une bouche rouge et ma bouche s’est teintée
J’ai porté un mouchoir à ma bouche et le mouchoir a rougi
Je suis allé le laver à la rivière et la rivière est devenue rouge
Et la frange de la mer, et le milieu de la mer
Et rouges les ailes de l’aigle
Descendu boire
Et la moitié du soleil et la lune entière sont devenues rouges
Maudit soit celui qui a jeté la pomme dans l’autre monde
Une pomme, une mantille d’or et une épée d’argent
Les garçons ont couru après l’épée d’argent
Et les filles ont couru après de la mantille d’or
Et les enfants ont couru, ont couru après la pomme.
Pentti Holappa – depuis le rivage
–
Depuis le rivage
Semant ses bienfaits un nuage vole puis un aigle, messager.
Seules les îles gémissent vers le rivage à leur départ,
quand le vent sous le gel se fige, pleurant sur leur sort.
Et la mort du nuage et la fin de l’aigle
et le dernier cri sont une suffisante genèse.
Les lueurs de l’Est ne dorent pas les eaux du rivage,
et les lumières de l’Ouest
ne recouvrent pas l’homme qui regarde.
Seul jusqu’au destin du rivage résonne
le chant de ceux qui s’en vont :
Adieu, étranger aux visages enfouis.
( Le fils de la terre 1953)
Une sculpture fragile ,une chemise de nuit, et un nuage de dentelles – ( RC )
peinture: Anselm Kiefer
–
Sur le socle, une sculpture fragile ,
une chemise de nuit, et un nuage de dentelles.
Elle protège ton corps, hautement inflammable .
Ceci a à voir avec la magie :
tu repousses la pénombre,
celle des fumées, qui ont fini – autodafés –
par fermer le monde d’un couvercle.
Le bitume se fendille, la terre ouvre des crevasses.
Elle a soif.
Les gens ont des robes de béton,
et des voiles noirs
qui pèsent autant que s’effacent les couleurs.
Ils essaient de sauver quelques objets,
ce qu’ils ont pu emporter
sur une charette.
Ils m’ont pris pour l’un des leurs,
car j’avais sous le bras
ton portrait inventé,
dans une chemise de nuit,
et un nuage de dentelles.
–
RC – mai 2017
Abritant des agents indésirables – ( RC )
–
Les doigts papillons,
multiplient les approches veloutées.
Je ne sais pas faire des histoires longues.
Peut-être, les insectes les grignotent ,
avant qu’elles ne puissent prendre de la consistance.
Ces petites bêtes restent bien petites … quelques larves, des moustiques, des petites mouches inoffensives, et des papillons bruns, de ceux qu’on trouve dans les céréales.
Elles ont juste comme tendance à se multiplier, de se répandre sur mes récits,
Dès que j’ai le dos tourné. Copulant dans les coins, elles parcourent joyeusement les phrases, et se nourrissent de ce qu’elles trouvent.
C’est une famille qui se porte bien, en apparence, et qui fait la fête souvent.
Je dois , en multipliant des mots, leur apporter autant de nourriture qu’elles le désirent .
Je les emporte sans doute en moi, quelque part,
à la manière des fleurs, trop aimables, qui s’ouvrent aux vents, pour que les insectes viennent y chercher le pollen.
En échange, ils déposent leurs œufs.
——– ( C’est une offrande intéressée…)
Ceux-ci restent à l’abri, au cœur même du fruit qui s’est conçu. Ils ont la nourriture assurée et le logement sur place .
L’idée même du récit s’effrite,
en quelques miettes, qu’il m’arrive de me remémorer,
le matin suivant. – presque des confettis, qu’il faudrait se résoudre à assembler par couleur, pour reconstituer l’étoffe originale, une trame tissée bien fragile, attirant tôt la petite faune .
Si, à la place de coucher les mots sur le papier, j’avais l’audace de les prononcer, une nuée de ces insectes viendrait avec,
ne tarderait pas à former un nuage, d’où même la lumière aurait du mal à s’immiscer.
Les paroles auraient un son mat, comme celui là, même des mots,
déchiquetées, et souvent incompréhensibles, à qui n’en saisit pas le fil, la logique interne ( si par hasard, il y en a une ).
——> Il vaudrait mieux que je garde tout ça pour moi
— car on a connu des cas,
où l’écriture, comme la parole, à petites doses, pouvaient s’avérer contagieuses, si une part de l’esprit rentre dans celui de l’autre, et dépose à son tour, quelques œufs, ou de simples bactéries.
Spontanément elles s’activent… c’est souvent à ce moment, je présume,
que se crée un « terrain d’entente ».
– ( on dira que tout n’est donc pas à considérer de façon négative ) –
Si la science se penche dessus, il y aurait toutes les conditions réunies, pour que cela continue son chemin, d’une autre façon … ainsi la vie sur notre planète…
—
Une simple vue de l’esprit ?
Un esprit parasité par des agents indésirables ?
Ou qui contribuent à sa propagation…
–
RC – déc 2014
Ce cher Apollon, sur son char, et sa concurrence à Icare – (RC)
photo perso – champs de la banlieue d’Amsterdam
–
Le cher d’Apollon
qui joue au papillon
ne s’appuie en ses sphères
que sur l’atmosphère
On ne sait s’il déménage
Avec tous ses bagages
Et traverse les airs
De son allure autoritaire.
–
Et peut-être qu’il essuie
D’intempéries, la pluie
Et aussi les présages
De lourds nuages
Pour monter plus haut
Que sur son escabeau
Et voir au-dessus
L’horizon moussu
Le tapis des dieux
Et un temps radieux
Eloigné de terre
Mais c’est solitaire
Que son char avance
Immobile danse
Divin omnibus
(elle le dira, ….Vénus)
Qu’il aurait pu prendre…
–
– mais faudra attendre
le prochain T E R
çui qui vient derrière
Le train de la passion
Fait toutes les stations
C’était avant Christ
Et sa passion triste
Qui filait tout droit
Vers sa mise en croix
Et resta en tas
Sur le Golgotha.
–
Apollon invente
De nouvelles sentes
Et va sans pareil
Vers le soleil
Sans solliciter courroux
D’un Jupiter jaloux ,
– A l’instar d’Icare
Qui vécut cauchemar
Et retomba sitôt
Tête première dans l’eau
Réviser sa copie
De la mythologie –
–
Sauve qui peut !
N’est pas Apollon qui veut !
——–
Article provoqué par la réponse d’Arthémisia à mon post….
Ainsi que celle de JoBougon, par rapport à cette même réaction
la chute d’Icare, dessin d’élève de 5è –2010
voir aussi le 22 novembre le nouvel article avec les poésies d’Alice…
Tomas Tranströmer – Voyez cet arbre gris
–
Voyez cet arbre gris.
Le ciel a pénétré par ses fibres jusque dans le sol –
il ne reste qu’un nuage ridé quand la terre a fini de boire.
L’espace dérobé se tord dans les tresses des racines, s’entortille en verdure.
– De courts instants de liberté viennent éclore dans nos corps,
tourbillonnent dans le sang des Parques et plus loin encore.
——————————
Leon Felipe – le poète prométhéen
LE POETE PROMETHEEN

Joseph Marie Thomas Lambeaux (1852-1908) : « Prométhée »
Le poète prométhéen… vient rendre témoignage
de la lumière…
Et la Poésie entière du Monde… il se peut que ce soit la
Lumière…
Je pense que c’est un Vent enflammé et génésique
qui tourne sans cesse tout au long de la grande courbe de
l’Univers…
Quelque chose de si objectif, si matériel et si nécessaire…
comme la Lumière… Peut-être est-ce la Lumière…
La Lumière !
La Lumière dans une dimension que nous-mêmes nous ne connaissons pas encore.
Lumière…
Quand mes larmes t’atteindront
la fonction de mes yeux…
ne sera plus celle de pleurer…
mais de voir… Marin…larmes… larmes… larmes… le nuage… le fleuve… la mer… Là-bas…au-delà de la Merà la fin de mes larmes…se trouve l’île que cherche le navigateur.
Dans quel but nos yeux sont-ils faits pour pleurer et pour voir ?…
Je demande ça, comme ça.
Pour quelle raison, de ces deux œufs petits et blanchâtres
qui se cachent dans nos cavités ténébreuses sous
le front, comme deux nids à l’aine de branches d’arbre,
naissent au même moment et les pleurs et la
clarté resplendissante ?
Je demande, seulement.
Pourquoi dans la goutte amère d’une larme l’enfant voit,
pour la première fois, comment se brise un minuscule rayon
de soleil… et comment en partent, en s’envolant pareils à sept
oiseaux, les sept couleurs de l’arc-en-ciel ?
Je demande simplement.
Dans quel but naît la Lumière… cette pauvre lumière que nous
connaissons… avec la première larme de l’homme ?
Et pourquoi ne doit-elle pas naître, l’autre… la poétique… celle
que nous cherchons… avec la dernière larme du Monde ?
***Le poète prométhéen doit toujours mourir bafoué et lapidé. Calomnié… crucifié et maudit !Le véritable poète est le Verbe… le Fils.La Poésie est la parole… Mais quand les marchands et les pharisiens du temple l’eurent salie et corrompue en l’utilisant pour vanter leurs marchandises et faire respecter les ordres injustes du Grand Prêtre… le Christ se mit à parler en paraboles… La parabole…n’est pas encore corrompue.La parabole est une façon oblique de parler par périphrases que les marchands ne peuvent utiliser
parce qu’elle ne s’adapte pas au mécanisme éhonté et cynique de leurs transactions.
Avec une parabole, je veux définir la Poésie et expliquer les trois classes de poètes qui existent
et qui ont existé dans le monde. Avec la parabole du Fils Prodigue. Le Christ, dans les Evangiles, ne rapporte que la première partie…
Mais il y a trois actes… Je vais la raconter ici dans sa totalité…Avec humilité et respect…Il n’y rien d’hérétique dans ce que je vais dire…
Le Christ raconte cette parabole du Fils Prodigue pour glorifier le Père…
La miséricorde du Père… Quand les pharisiens commençaient à dire de Jésus qu’il s’asseyait à manger avec les prostituées et les publicains…
Mais on peut la raconter aussi pour glorifier l’Esprit…
C’est celle-là, la parabole complète :
En ce temps-là, il y avait un père qui avait de grandes richesses
et de la sagesse… Il avait aussi trois fils… Trois. Et les trois,
un jour, réclamèrent leur héritage et, avec cet héritage
sur l’épaule, chacun d’eux, l’un après l’autre, s’en alla
d’aventure de par le monde.
Le premier… nous le connaissons… il revint à la maison
terrorisé par un nuage noir qui passait… et avec la dernière
caravane du soir…
Le père, plein de pitié, le voyant de retour, fit sacrifier le
veau gras de cette année-là… et il y eut un festin et des
actions de grâce dans le clan car le père était riche et
respectait la loi… et parce qu’il était miséricordieux.
Là s’arrête la parabole évangélique, qui, davantage que la
parabole du fils est la parabole du père, la parabole où on
glorifie le père, la parabole du pardon qui sait parler ainsi :
« Bienheureux les pauvres d’esprit »…
Car il n’était autre qu’un « pauvre d’esprit » ce fils
qui en avait été réduit à n’être, après avoir dilapidé son avoir
avec prodigalité, qu’un gardien de cochons et à dormir dans
une porcherie… Un jour, à bout de force, il était retourné au
foyer paternel porté par les sirènes domestiques. Le père,
lorsqu’il l’avait vu prosterné à genoux sur les dalles de la cour
et arrosant le sol de ses larmes, avait ouvert grands ses bras et
l’avait relevé, miséricordieux… Mais il s’était senti triste et
affligé de son retour.
Le second fils demeura seul et épuisé dans un pays dur et sec
où ne passaient ni marchands ni voyageurs. Lorsque
la nuit tomba sur cette terre dure, il s’endormit. Il fit un rêve.
Dans ce rêve, un aigle et un serpent se battaient. Le matin,
lorsqu’il s’éveilla, il dit : Je resterai ici. Et à cet endroit, il
planta sa tente. Autour de sa tente grandit une ville puissante.
Il aima et eut sept fils… Sept fils qu’il se prit à élever avec
les sept couleurs de l’arc-en-ciel. Puis il les éleva encore
avec une flûte. Il fut l’inventeur de la parole, de la peinture
et de la chanson. Il mourut crucifié. On l’enterra parmi les
arbres et il se décomposa sous l’herbe.
Ce fils ne revint jamais… mais le père sut ce qu’il en était
advenu. Quand des marchands étrangers lui apprirent
qu’il était Prince d’une ville lointaine merveilleuse, pour
glorifier son fils, rempli d’allégresse, il ordonna le
sacrifice du veau gras de cette année-là et il y eut festin et
prières d’actions de grâce dans le clan, car le père était
homme riche qui observait la loi et… avait l’orgueil de
sa caste.
Cette parabole, c’est la parabole du fils, la parabole du
Verbe, du Verbe fait chair, de la chair multipliée qui se
plante dans la terre, s’enterre et se décompose dans la terre
pour que l’esprit se libère.
Le père avait su ce qu’il lui était advenu. Il avait écouté
son histoire, bouleversé, mais il s’était senti heureux et
satisfait parce que ce fils-là, vainqueur de la tentation des
sirènes domestiques, avait élevé sa propre maison loin du
clan, de nuit, dans le désert et dans la tempête…
Le père vit avec pitié le retour du premier fils… et avec
orgueil que le second ne soit jamais rentré… qu’il se soit
multiplié sur la terre, que la terre l’ait enseveli et qu’elle
l’ait recouvert comme une graine.
Le troisième fils ne revint pas, lui non plus… mais
c’est celui qui doit venir. Il s’est perdu comme Elie, rabattu
par le Vent sur la route du Soleil (Elie-Hélios)… Il reviendra
au Père quand l’Histoire sera consumée en faisant le tour
du monde et en fermant son cycle par le soleil.
Il est sorti de nuit par la petite porte du jardin et il entrera de jour quand les ombres s’en seront allées par l’escalier principal.
Il a embarqué avec la Lumière… et sur la Lumière il arrivera au Père mais par l’autre côté du Soleil… Il est l’argonaute des grandes promesses et des découvertes stellaires. De la rotondité de la terre, de la sphère et de la quatrième dimension … où il n’existe ni temps ni lieu, où l’on marche en suivant la lumière sans déclivité.
Ceux qui naviguent avec lui perdront un jour la foi, voudront l’assassiner comme ils voulurent assassiner Colomb et l’un d’entre eux ira jusqu’à dire : Tuons le Capitaine qui nous trompe car il n’y a pas d’autre terre ni d’autre monde et parce que l’ombre et les eaux noires n’ont pas de fin… Mais lui, il se sauvera, car il est l’évidence de la lumière.
Le père l’attendra tourné vers le couchant où il s’en était allé, mais il reviendra dans l’aurore, par l’autre côté de la terre. Le père sera de dos et ne le verra pas arriver et quand il se retournera, surpris, pour l’embrasser, le Fils ne s’agenouillera pas, et une colombe blanche scellera leur embrassement.
Alors, et pour glorifier l’Esprit par la grande fête de la Lumière, nous sacrifierons le veau prémicial. Parce que la voilà la parabole de l’Esprit où il est dit que le Fils ne retourne pas à la terre mais au Père, qu’il ne revient pas pour être pardonné par le Père mais pour fusionner amoureusement avec Lui…
Voilà la synthèse du grand processus poétique de l’Esprit qui marche parallèle au processus dialectique de la matière. Parce qu’ils sont trois : Le Père, le Fils et l’Esprit… la Thèse, l’Antithèse et la Synthèse.
Et les poètes sont trois selon cette dialectique spirituelle : Le domestique, le pauvre d’esprit qui reste là tout seul pour glorifier le Père, pour mettre à découvert son côté tendre et miséricordieux, pour faire voir ses entrailles amoureuses.
Une fois de retour et pour toujours dans sa maison, ce poète composera des complaintes et des chansons pour la liturgie orthodoxe en grande pompe rhétorique.
Ce sera un scribe… et un bon citoyen. L’autre, le second, est le Poète Prométhéen… le rebelle, le véritable rebelle… le Verbe… Le Fils. Il est né de l’imagination.
Il est sorti du mythe et des entrailles des livres sacrés… Puis il s’est fait réalité historique… les Grecs l’appelèrent Prométhée… plus tard Œdipe… c’est le Christ… et en Espagne il a pris le nom et la figure grotesque de Don Quichotte de la Manche…Le troisième est la parole lancée dans le Vent… la Lumière dans ses quatre dimensions remplissant l’Univers…
la Poésie, de l’Homme et de tous les Hommes dorénavant, sous toutes les latitudes de l’espace et du temps… la Sagesse amoureuse et musicale… la loi des sphères et de la larve dans le sang de l’homme, tout comme celle de l’instinct et de la grâce…
La synthèse ultime…Mais ce monde n’est pas encore notre monde.Parlons seulement du Poète Prométhéen pour le présent.
Le Poète Prométhéen est l’antithèse toujours … Le Fils, celui qui s’oppose à son Père, ce qui est la première
affirmation créatrice, cruelle et non-miséricordieuse.
Il représente l’amour contre le froncement de sourcil menaçant de Jéhovah dans la Bible…
Et l’amour chez Prométhée contre la dictature capricieuse de Jupiter chez les Grecs…
Et l’amour chez Œdipe contre les ombres préhistoriques et subconscientes…
Et l’amour passionné et fou de l’Espagne chez Don Quichotte contre la raison absolutiste et froide de
l’Europe de la Renaissance.
–
Pierre Seghers – Une maison où je vais seul
Un nom que le silence et les murs me renvoient
Une étrange maison qui se tient dans ma voix
Et qu’habite le vent
Un bateau de grand ciel au-dessus des forêts
Une brume qui se dissipe et disparaît
Comme au jeu des images
François Corvol – Setis
Setis
Je me souviens d’elle allumant la nuit rouge-bleue
en tirant sur la corde
la plante des pieds sur les tuiles froides
assise sur la cheminée de grès
des chats transalpins nombreux sur ses jambes s’emmêlaient
les crayons de ne plus savoir s’ils voulaient une caresse ou le lait
du nuage de son essor ou de son corps
ou de ses cheveux parsemés de photophores je lui dit
ceci -Chaque nuit des fantômes
mille fois plus vivants retombent
de tes arceaux, je veux moi aussi
ma part de bonheur sur la Terre mon rêve mon rêve-
mais elle ne compris pas elle ne compris rien
de mon langage et d’un coup sec
tira sur la corde afin que la nuit tombe
coule
le lait.
–
on peut retrouver les écrits de François Corvol dans décadences.net
–
–
André Velter – Marche d’approche

Isenfluh
Marche d’approche.
Bien sur j’irai seul
Affamé volontaire
J’irai pour te plaire
Serré dans ton linceul
Le sommet t’appartient
Au-dessus des alpages
J’atteindrai le nuage
Qui ne recouvre rien
Il n’y aura plus d’ombre sur la terre
le soleil sera peut-être entre mes mains
Ravivé
Avec moins de violence
Souverain
Sans impatience
Par l’altitude reconquis
par la solitude rappelé au désir
Comme le silence à perte de vue dans le bleu dans le blanc..
je lutte à armes inégales
Si peu familier des harnais et des clous
Des bivouacs en pleine paroi
Des réflexes d’insomniaque contre froid
la nuit l’horizon reste en coulisse
le ciel n’est pas le manteau espéré
Je joue à contre-emploi
Une pièce qui s’écrit avec les pieds
Mais sans renoncer à porter les mystères
Sans abandonner le souffle à la pesanteur
Sans craindre de déboucher hors d’atteinte
Un pas plus haut
Un pas toujours plus haut
Dans cette approche impossible
Qui passe de l’effroi à l’extase
Comme d’un réel à l’autre
D’un univers à l’autre
Et pour le même amour..
André Velter. « Une autre altitude »
extrait.. » l’ascension du Mont A n a l o g u e »
Edith de Cornulier – Deltaplane
–
le rêve d’Icare
-…
Deltaplane
à Siobhan H.
Ne plus jamais poser mes deux pieds sur la terre.
Ni herbe, ni béton, je veux mourir dans l’air.
Rêver, voler, nager dans le nuage bleu
Et les nuages blancs – enfin vous dire adieu.
Dans le champ de foin jaune à côté de la route,
Ma splendide auto rouge halète au soleil d’août.
Je me sens me confondre avec mon deltaplane :
J’ai des ailes et des larmes et je plane et je plane.
Ne plus jamais revoir l’humain artificiel.
Ne plus vous revenir, être un oiseau décent
Et au bout du voyage, expirer dans le ciel,
Une aile déchirée, le cœur-moteur en sang.
Pauvres tristes oiseaux qu’on a mis dans les cages !
Victimes de l’atroce et vil esprit humain !
Moi, j’ai pu m’échapper pour faire un long voyage ;
L’engin volant tiendra jusqu’au petit matin.
Alors le deltaplane épuisé tombera,
Alors je coulerai dans la tombe océane.
J’ai quitté les cités et les humains d’en bas,
J’ai des ailes et des rires et je plane et je plane.
Edith de CL, été 1999
–
Antonio Colinas – Automne dense
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Automne dense.
Le soir tamise son or entre les branches.
Un nouvel hiver ne tardera pas à venir.
Les feuilles humides du parc brûlent
et au couchant le ciel se disloque
en grappes de nuages pourpres.
Frémissement de lumière sous les auvents.
Les pigeons fécondent la silhouette
obscurcie de chaque promenade.
Les mamelles de l’automne sont pleines.
Des séraphins de lumière meurent
au-dessus de nos têtes étonnées
afin que tisse, une fois encore, le rêve,
la douce mélodie d’une nouvelle nuit,
la nuit hallucinée des légendes.
–
Antonio Colinas
(né en 1946 à La Bañeza, León, Espagne), Automne dense in » Preludios a una noche total, » – Préludes à une nuit totale.
Cribas – (J.I 72)

installation- objet: Rebecca Horn
Cribas, encore, avec un de ses publications anciennes.. et toujours une utilisation des mots, très particulière et attachante…
voir son site
Tout ce qu’on a dit de bruyant
Même le silence retrouvé
Ne nous le pardonnera pas tant
Que nos combats seront ébruités
Se battre contre qui
Se débattre pourquoi ?
Quelle farce cette vie
Qui trace des petites croix
Dépressions au dessous
De l’art ceinturé
Les petites fleurs d’été
N’ont pas vu le jour
Il entend un cri qui vient de tout en bas. Il saute le pont. Il fait le mauvais pas. L’air vole une dernière fois, sans faire le bruit du mur.
La vie ne sait pas le bruit. Le silence est une poche d’existence.
Tout ce qu’on a rit en fuyant
Pour abrutir le clown
Lui sur sa balustrade d’argent
Trois fois rien dans les fouilles
Se combattre pour qui
S’abattre pourquoi ?
Quelle force cet ennui
Qui passe pour qui sait quoi
Des torsions de fou
Vomies des remparts
L’embolie des dessous
Les réveils sans hasard
Il prétend être déjà mort dix fois. De maux de tête et de mauvaise foi. Les poètes en colère et leurs pas de travers, bruyants.
Le mauvais poète sourit, et d’un coup de baguette magique fait retentir sa pauvre cloche.
Ça lui fait mal au nœud dans sa tête.
C’est l’heure du baptême
Avec du feu dans l’air
Un souffle sur ses batailles
Chuinté par ceux qui l’aiment
Dépressions au dessus
Des ceintures noires d’aubépines
L’homme s’élève à l’insu
Des coups bas de la rime
Il descend les étages
De sa tour quatre à quatre
Souriant sa victoire
Aux lucarnes des nuages

Installation-volume: Rebecca Horn "Simone de Beauvoir"
Il s’entend revivre pour une fois, le poète, juste avant de mourir comme une dernière phase. Le temps poisse et la caravane de tête se prélasse. On ne les reconnaît pas, même s’ils sont las ils se lassent en cachette, les poètes au rez de chaussée avec les clowns !
Cribas 08.10.2007
Olivier Domerg – Le rideau de dentelle
« Où est le réel ? flottant, floconneux, flou. De l’air ! de l’air !
Des nuées sirupeuses. Des dorures. Des nappages. Du flou.
Des nuages.
De l’air et de l’eau en suspension. En fines gouttelettes.
En vapeur. En « plumes d’ange » (les revoici donc ces chérubins chéris, chéru-bibis séraphiques, bénis des cieux / pieux / vieux / dieux ?).
En brumes cotonneuses. Où est le réel en ces parages où l’écriture le dispute au démiurge ? À quel ciel se vouer quand on ne croit en rien ?
Et n’est-ce pas le lieu même du leurre ? Du leurre et de la couleur (blanc azuré, orange ou rouge crépuscule) ? Du leurre et de l’emphase, du lyrisme niais, vertical ; béatitude des saintes buées ? Du leurre de la douleur expiée ?
Élévation. Dévotion. Évasion. Manipulation ? Où est le réel dans ce trop-plein de dogmes, discours, croyances nébuleuses, bondieuseries patentes, représentations saturées ? »
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Olivier Domerg est publié aux éditions « Le bleu du ciel », il a été aussi été publié « Une Campagne », aux mêmes éditions ( http://editionlebleuduciel.free.fr ).
En savoir plus ? c’est ici, avec « autres et pareils »
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Le bleu du ciel publie également Claude Chambard, qui a fait l’objet de trois articles ici, deux extraits du « chemin vers la cabane », et « transformation ».
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dessin ;Fernand Léger; Album : la ville, Paris, édition Tériade, planche 6; Les amoureux dans la rue
Mars incertain, de Tikopia
les variations nombreuses, de tikopia,lequel part souvent d’images photographiques ou pas, qui donnent l’impulsion à ses textes
Dommage, je n’ai pas trouvé comment lui rendre un petit hommage de lecture…
Mars incertain
Publié le Mardi 20 avril 2010 by Xavier G.Un ciel lumineux léger en nuage
Sous le soleil des fleurs blanches
j’aimerais croire au retour d’une vie trépidante
mais les contours de mon corps restent flous
impalpable mer de nuage
qui aveugle mon monde sépia et instable
plus vide qu’une bulle d’aird’après les photos de Claire Sloan, inspiré du la série Diary – march 09
Avec une photo de Claire Sloan, justement
Un ciel lumineux léger en nuage
Sous le soleil des fleurs blanches
j’aimerais croire au retour d’une vie trépidante
mais les contours de mon corps restent flous
impalpable mer de nuage
qui aveugle mon monde sépia et instable
plus vide qu’une bulle d’air
d’après les photos de Claire Sloan, inspiré du la série Diary – march 09
Nadia Tueni – En montagne libanaise

photo perso: montagne du plateau de Lassithi ( Crète)… n’étant jamais allé au Liban… mais je suppose qu’il y a – dans la sécheressse, – des points communs
A la découverte ( en voletant cueillir du pollen ), l’abeille que je suis découvre « encres du monde », – de Claire-Lise
dont j’extrais ce beau texte
En montagne libanaise, un poème de Nadia TUENI (Liban)
Se souvenir – du bruit du clair de lune,
lorsque la nuit d’été se cogne à la montagne,
et que traîne le vent,
dans la bouche rocheuse des Monts Liban.
Se souvenir – d’un village escarpé,
posé comme une larme au bord d’une paupière ;
on y rencontre un grenadier,
et des fleurs plus sonores
qu’un clavier.
Se souvenir – de la vigne sous le figuier,
des chênes gercés que Septembre abreuve,
des fontaines et des muletiers,
du soleil dissous dans les eaux du fleuve.
Se souvenir – du basilic et du pommier,
du sirop de mûres et des amandiers.
Alors chaque fille était hirondelle,
ses yeux remuaient, comme une nacelle,
sur un bâton de coudrier.
Se souvenir – de l’ermite et du chevrier,
des sentiers qui mènent au bout du nuage,
du chant de l’Islam, des châteaux croisés,
et des cloches folles, du mois de juillet.
Se souvenir – de chacun, de tous,
du conteur, du mage, et du boulanger,
des mots de la fête, de ceux des orages,
de la mer qui brille comme une médaille,
dans le paysage.
Se souvenir – d’un souvenir d’enfant,
d’un secret royaume qui avait notre âge ;
nous ne savions pas lire les présages,
dans ces oiseaux morts au fond de leurs cages,
sur les Monts Liban.
Augusto Lunel – chant 7
Le Poème
Le cor de chasse résonne dans le soleil
et précipice horizontal est le cerf.
Blessé à mort de ma vie,
cerf à la course bleue,
cerf paré de vent,
où la vitesse dans ses bois
jamais ne s’arrête,
l’éclatement de ton coeur
s’ouvre dans ma poitrine.
Clair royaume du mouvement
où s’arrêter est s’obscurcir,
vie qui monte à la bouche,
rosée dans la gorge de la nuit,
cerf dont la peau
ne le sépare pas de l’air,
tu dénudes les prairies à ton passage,
éblouis l’espace à l’oeil vorace,
incendies les nuages,
fleuris en embrassant toute la forêt.
Un rayon de soleil t’ouvre le dos.
Le jour ne suffît plus pour tous,
ni l’air que tu emportes dans tes bois
me laissant sans baleine,
ni le trésor
que la nuit déverse dans les rivières,
les rivières dans les oiseaux,
les oiseaux dans la poitrine ;
… aujourd’hui, seul mon vide peut remplir le tien.
–
Claude Roy – nuances
Nuances
L’ombre d’un nuage change la couleur du champ de blé
Vert de vert campagne puis vert d’océan calme
Le nuage est passé La mer se retire
le Haut Bout 4 juin 1983
Pablo Neruda, – ce présent
Pierre Clavilier, dans une page consacrée à Pablo Neruda, nous livre sa traduction du texte du poète
Ce
présent
lisse
comme une planche,
frais,
cette heure,
ce jour
propre
comme une coupe neuve
– du passé
pas une
toile d’araignée –
nous touchons
des doigts
le présent,
nous en taillons
la mesure,
nous dirigeons
son flux,
il est vivant
vif,
il n’a rien
d’hier irrémédiable,
d’un passé perdu,
c’est notre
créature,
il grandit
moment, le voici portant
du sable, il mange
dans notre main,
attrape-le,
qu’il ne nous file pas entre les doigts,
qu’il ne se perde pas en rêves
ni en mots
saisis-le,
tiens-le
et commande-lui
jusqu’à ce qu’il t’obéisse,
fais de lui un chemin,
une cloche,
une machine,
un baiser, un livre,
une caresse,
coupe sa délicieuse
senteur de bois
et d’elle
fais-toi
une chaise,
tresse
un dossier,
essaie-la,
ou alors
une échelle!
Oui,
une échelle,
monte
au présent,
échelon
après échelon,
assure
tes pieds sur le bois
du présent,
vers le haut,
vers le haut,
pas très haut,
assez
pour que tu puisses
réparer
les gouttières
du toit,
pas très haut,
ne va pas au ciel,
atteins
les pommes,
pas les nuages,
eux
laisse-les
vagabonder dans le ciel, s’en aller
vers le passé.
Tu
es
ton présent,
ta pomme:
prends-la
de ton arbre,
élève-la
sur ta
main,
elle brille
comme une étoile,
touche-la,
mords dedans et marche
en sifflotant sur le chemin.
© Traduction Pierre Clavilier
titre original: Ode au présent / oda al presente, 1955
Este
presente
liso
como una tabla,
fresco,
esta hora,
este día
limpio
como una copa nueva
—del pasado
no hay una
telaraña—,
tocamos
con los dedos
el presente,
cortamos
su medida,
dirigimos
su brote,
está viviente,
vivo,
nada tiene
de ayer irremediable,
de pasado perdido,
es nuestra
criatura,
está creciendo
en este
momento, está llevando
arena, está comiendo
en nuestras manos,
cógelo,
que no resbale,
que no se pierda en sueños
ni palabras,
agárralo,
sujétalo
y ordénalo
hasta que te obedezca,
hazlo camino,
campana,
máquina,
beso, libro,
caricia,
corta su deliciosa
fragancia de madera
y de ella
hazte una silla,
trenza
su respaldo,
pruébala,
o bien
escalera!
Si,
escalera,
sube
en el presente,
peldaño
tras peldaño,
firmes
los pies en la madera
del presente,
hacia arriba,
hacia arriba,
no muy alto,
tan sólo
hasta que puedas
reparar
las goteras
del techo,
no muy alto,
no te vayas al cielo,
alcanza
las manzanas,
no las nubes,
ésas
déjalas
ir por el cielo, irse
hacia el pasado.
Tú
eres
tu presente,
tu manzana:
tómala
de tu árbol,
levántala
en tu
mano,
brilla
como una estrella,
tócala,
híncale el diente y ándate
silbando en el camino.
ombres mouvantes (RC)
ces ombres mouvantes, ces zones mobiles trouées de temps en temps de l’arrosoir du soleil-
Des taches lumineuses qui épousent les formes des reliefs, lèchent le pourtour des causses et sont avalées par les arbres.
Comme les nuages, il y en d’impalpables, des humides, et des qui font l’ombre épaisse… des cumulo-nimbus culminant en d’improbables échafaudages, qui se frottent d’électricité ou s’étirent en baillant…
Des ombres de notre vie, des contrastes inattendus, des soleils brefs et capricieux.
Et aussi des tentatives, insensées :
j’irai appuyer une échelle contre une nuée de nimbus, basculer dans un château d’eau mou, refuge d’éclairs encore lovés sur eux-même comme au fond d’un nid.
Tornade alanguie, densité totale, trou noir d’aspirations confuses et désirs d’absences.
Monter, changer le croissant de la lune en premier quartier…
débarquer de plein pied dans une oeuvre de Mirò, distribuer des étoiles, ou des morceaux, trouvés en passant
Demain sera un autre jour..
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These moving shadows, this mobile zone every once in a while perforated by the shower of the sun
Luminous spots which stick to the forms of the densities, touch the surroundings of the rocks and are swallowed by the trees
They are like clouds, there are untouchable ones, moist ones, and those which make a thick shadow . The « cumulous-nimbus » gathering up to unbelievable accumulations, which rub with electricity or will pull apart with yawning…
Shadows of our lives, unexpected contrasts, short and capricious sun shines
And unreasoned tentatives:
I shall lean a ladder against a pile of nimbus, slider over into a smooth castle water, hiding place of lightnings still cuddled up against each other like on the bottom of a nest.
Tired tornado, total density, black hole of confused aspirations and desire of absence.
To climb & change the crescent of the moon in its first quarter.
Step right out into a Miro’s painting, distribute stars, or pieces of them which were found while passing by….
Tomorrow will be another day