Aujourd’hui, j’ai repeint les rideaux – ( RC )

Aujourd’hui j’ai repeint les rideaux,
de bleu et de vert d’eau:
les murs ont les mains ouvertes,
les fenêtres sont des tableaux de maître,
les volets se sont ouverts sur l’été,
ils ont délaissé leur gris
changés en vert anis
ennemis de l’obscurité.
C’est un nouveau paysage
envahissant la maison :
que dirais-tu d’un vert céladon
pour laisser passer les nuages ?
L’ombre accrochée aux branches,
la mer, verticale sous un petit bateau
avec sa voile blanche,
ce serait encore plus beau…
Imagine qu’il bouge,
que les portes se déplacent,
dans une lumière fugace
d’orange et de rouge,
des couleurs porteuses d’audace,
sorties de ma palette
où se déplace ta silhouette
juste avant qu’elle s’efface ..
.
Sándor Petőfi – Nuages (extraits)

.
J’aimerais laisser là…
J’aimerais laisser là ce monde lumineux,
Sur lequel j’aperçois tant de points ténébreux.
Je voudrais pénétrer dans la forêt sans borne,
Où jamais je ne trouverais personne, personne !
Là-bas, j’écouterais le murmure des feuillages,
Là-bas, j’écouterais le bruissement des flots
Et le chant des oiseaux,
En contemplant l’armée nomade des nuages,
En contemplant le soleil qui se lève et qui tombe…
Jusqu’à ce que moi-même enfin aussi succombe.
.
.
La vie ne me touche pas…
La vie ne me touche pas davantage
Qu’une casserole brisée,
Jetée loin des cuisines, dont un mendiant sans âge
Pourlèche les restes desséchés.
.
.
Derrière moi, la belle forêt bleue du passé…
Derrière moi, la belle forêt bleue du passé,
Devant moi, les beaux semis verts de l’avenir ;
Toujours loin, sans me distancer,
Toujours près, sans que je puisse y parvenir.
Ainsi, sur la grand-route, je vais errant,
Dans ce désert luxuriant,
Abattu et toujours errant
Au sein de l’éternel présent.
.
.

Sándor Petőfi ( 1823-1849) , héros de la Révolution de 1848 , mort en combattant ,
est l’un des plus grands poètes de la littérature hongroise.
Nuages et autres poèmes
traduit par Guillaume Métayer
Editions Sillage
On ne verra pas le troupeau de brebis brouter tes cheveux – ( RC )

Vois-tu, si je me lève
je n’ai pas souvenir des mêmes rêves…
J’étais allongé sur le sol
et nulle part il n’y avait de route,
Au-dessus , le ciel m’entourait de sa voûte .
Le vent pousse des nuages
et les accompagne longtemps dans leur voyage.
L’un d’eux s’est distingué
en prenant l’allure d’un cavalier,
mais aucun (que je ne sache)
ne ressemblait à une vache…
Quelques champs pelés
réclamaient leur dû
car il n’avait pas plu
de presque tout l’été.
Quelques arbres échevelés
gardiens de la draille,
et au loin les sonnailles
de bêtes égarées…
Ce n’est pas encore aujourd’hui
qu’on verra la lune
entourée de brumes
ni le troupeau de brebis
brouter tes cheveux
même si la terre
partage beaucoup de mystères
avec les cieux…
–
voir aussi le post de Jean Tardieu : nuages
L’eau et le corps des âmes vives – ( RC )

Le corps des âmes vives
s’écoule sans discontinuer,
de la source , des cascades
jusqu’aux rivières,
pour atteindre le grand fleuve étale.
Tu y entendras
le bruissement de soie
des eaux qui parlent
de leur voyage tracé
au flanc des collines ,
des rochers , des courants
et des galets qu’elles ont porté.
Jusqu’à l’océan, elles accompagnent les vents changeants,
qui dialoguent avec les nuages
et parfois les bousculent .
Ne cherche pas à les comprendre :
leur direction est fantasque,
on ne sait jamais à quoi s’attendre ;
mais les âmes arrivent toujours
un jour ou un autre
à revenir à leur point de départ
pour continuer à chuchoter
dans le cycle de la vie
recommencée.
Aucune théorie sur le déplacement – ( RC )

Là, tout est au beau fixe.
Quelques nuages volages
sont à leur place.
Personne n’imaginerait
à part l’ingénu Magritte,
que les rochers se détachent
et s’envolent, oublieux de leur masse
avant de retomber au petit bonheur
pour la plus grande joie des autochtones,
voyant pleuvoir les menhirs.
C’est une image peu réaliste,
….je le concède,
qui pèse très peu
comparée à ces tonnes
qui ont été déplacées …
mais comment expliquer
que des pierres usées
par des millénaires de marées,
se retrouvent en équilibre
sur ces rochers dentelés ?
L’océan, dans sa grande générosité
aurait-il, inversé le cours des choses,
glissé ses bras sous les écueils,
bousculé les centres de gravité,
ignoré les lois de la physique,
pour leur rendre une légèreté
« métaphysique «
comme ces nuages que l’on voit passer
lors de ces après-midi d’été,
où règne calme et volupté ?
Je n’ai là-dessus aucune théorie,
pas interrogé le sable sage
sous le soleil de juillet,
de toute façon,
il ne m’aurait pas répondu :
je me suis contenté de chercher l’ombrage
sous les blocs de granite
dont la longue vie
contient plus de secrets et de chansons
que je n’en pourrais inventer…
Marcello Comitini – la fenêtre

Regarde. Dans l’immeuble d’en face
plusieurs fenêtres sombres
grande ouvertes sur le vide des pièces.
Une seule reflète le ciel
traversé par la fuite des nuages blancs
et des vols d’oiseaux qui remplissent le bleu
comme des cerfs-volants échappés de main:
le vent les pousse vers l’espace infini.
Elle seule résiste
au vide qui envahit ces pièces désertes,
où avant ils coulaient
la vie des hommes
les cris des enfants, les éclats de rire des mères.
Elle convertit la fuite des nuages en danse
rend immobile l’heure qui fuit
la fait revenir avec un nouveau visage
même quand elle s’enflamme
du soleil couchant.
Et à l’aube, elle s’allume de tendresse.
Regarde la. Ressens-tu
grandir cette grâce autour de toi
venir te rencontrer, donner un sens
au vide de nos pièces ?
Guarda. Nel palazzo di fronte
tante finestre buie
spalancate sul vuoto delle stanze.
Una soltanto riflette il cielo
attraversato dalla fuga di nuvole bianche
e voli d’uccelli che riempiono l’azzurro
come aquiloni sfuggiti di mano:
il vento li sospinge verso lo spazio infinito.
Lei da sola resiste
al vuoto che invade queste stanze deserte,
dove prima scorrevano
la vita degli uomini
i gridi dei fanciulli, le risate delle madri.
Converte in danza la fuga delle nuvole
rende immobile l’ora che fugge
la fa ritornare con un volto nuovo
anche quando s’infiamma
del sole al tramonto.
E nell’alba s’accende di tenerezza.
Guardala. Senti
crescere intorno a te questa sua grazia
venirti incontro dare un senso
al vuoto delle nostre stanze?
du site de Marcello Comitini
La réparation de la photographie – ( RC )

L’atelier de réparation
n’a rien pu pour l’image:
c’est vers l’horizon
que l’on va sans dommage.
( J’ai juste repeint le fond
en cherchant la couleur qu’il faut,
sans tenir compte des nuages…)
Il faut dire que la taille du pinceau
ne permettait pas de faire des ronds
– même l’eau est restée grise
en bordure de plage,
comme si elle était prise
par le gel des sels d’argent -.
L’essentiel est sauvé,
car les petits personnages
semblent avoir traversé le temps
et sont sortis de l’oubli:
ils marchent à petits pas,
bientôt , seront à côté de toi…
tu vas pouvoir leur décrire
ce qu’est devenue ta vie
après quelques décennies;
peut-être qu’ils vont rire
de leur rêve en couleur pastel:
ils ont oublié que la photographie
toujours leur rappelle
quelques souvenirs
parce que leurs émotions
sont enfouies dans le passé :
l’atelier de réparation
ne les a donc pas effacées…
Pluie passagère au fort de Bertheaume – ( RC )

Tiens, nous voilà transportés
dans l’horizon différé
des reflets au passé composé,
comme l’arc-en ciel
jailli d’une pluie passagère
près du fort de Bertheaume :
un arc de couleurs irréelles
prenant source dans mon souvenir,
où se bousculent atomes de lumière
et nuages fantômes
d’une image en devenir
faisant corps à corps avec la grève :
la piste sableuse de mes rêves….
J’attendrai que la lune se lève au-dessus du pont rouge – ( RC )

Est-il vrai que les gouttes de rosée
tombent des yeux de la nuit ? *
Alors j’attendrai que la lune se lève
au-dessus du pont rouge
et qu’elle me sourie,
flottant dans le reflet de la rivière,
alors que les feuilles s’enfuient
pour emprunter ton âme aux nuages…
*(deux vers empruntés à Rabindranath Tagore )
variation sur texte de
Lambert Savigneux
Si tu me demandes où je veux être
Avec toi sous la Lune
Je t’attends sur le pont rouge
Une larme a coulé de la Lune
Le pont rouge est une bouche
Veut-il manger la Lune ?
Sous les arches il y a une barque
L’eau et les fleurs et ton sourire
La lumière de la Lune
Inonde sur la rivière
sur le vieux pont
Nous regardons les feuilles passer.
Gargouilles et corbeaux – ( RC )

Deux corbeaux se posent,
sous la voûte gothique :
ce sont deux ombres, – esprit des cierges
entourant le catafalque -,
qui se nourrissent de cantiques .
Les saints représentés sur les statues
restent immobiles,
leur tête chevelue de poussière,
leurs vêtements de pierre
abritent quelque oiseau nocturne.
Les pinacles se dessinent en noir
contre un ciel d’orage.
Pas de prières en dehors des horaires
Le « son et lumière «
ne fonctionne plus à cette heure .
Le parvis de la cathédrale est désert
et les gargouilles entament
une conversation muette,
leur gueule grande ouverte
aboyant sur les nuages .
Éoliennes sur champs de colza -(Susanne Derève)-

Eoliennes sur champs de colza, jaune apparat pour fleurs d’acier, et de joyeux nuages en gardiens du troupeau céleste. J’imaginais des clairs-obscurs agrestes des ciels champêtres de tendres bosquets de printemps... Qu’une bourrasque les emporte ! Les fleurs distilleront la lumière du vent et les prairies engraisseront la toile de mes rêves pour les changer en or.
Reconstitution du portrait – ( RC )

Ainsi vient la nuit,
quand le jour s’effrite,
griffé par les arbres .
La collision avec les nuages
apporte la pluie,
qui s’infiltre dans ses fissures.
Maintenant des sillons
se dessinent sur les vitres,
petits ruisseaux éphémères,
qui s’affolent et changent de direction.
Personne ne sait
ce qui réveille
les larmes endormies,
quand le vent se lève,
et se heurte aux vitres,
furieux d’une trop longue attente.
Les branches se soulèvent,
s’agitent, lourdes de reproches,
et traversent la pièce obscurcie.
C’est ton visage qui apparaît,
strié par les éclairs,
avant de se briser
en petits éclats de verre,
répandus sur le parquet.
J’évite de marcher dessus,
contournant notre existence.
Demain l’étonnement de vivre
refera surface avec l’aube,
et je reconstituerai ton portrait
comme je le pourrai.
Ne m’en veux pas
s’il en manque des morceaux,
il se peut que j’égare
le souvenir des jours heureux.
Instantané des jours heureux – (Susanne Derève)

Par-dessus mon épaule
ce n’est pas le premier soleil du matin
ni les cloches du Dimanche à la volée
du ciel mais vos rires d’enfants
qui me rejoignent
Instantané des jours heureux,
caresses, joue contre joue,
soie des baisers, jeux du réveil,
vos cils brodés de sommeil,
la dent de lait sous l’oreiller, petit chicot
qu’ourlait une goutte vermeille,
– en souris de minuit j’y déposais l’obole
qui tinterait matin dans votre poing fermé –
Et tandis que s’épuise la pourpre des automnes,
court le film lumineux des années plus pur
que la griffe blanche du gel sur les prairies ,
le miroir chancelant des lavognes,
et les tendres nuages ,
dans la maille bleutée du jour,
qui cognent doucement à la porte des rêves
en oiseaux ivres à la saison d’amour
Boris Pasternak – Une aube encore plus suffocante-

.
Tout le matin, le pigeon a roucoulé
Sous vos fenêtres.
Sur les chéneaux j’ai vu
Les branches engourdies
Comme des manches de chemises mouillées.
Il commençait de pleuvoir. A la légère
Passaient les nuages sur la poussière du marché.
Ils berçaient, je le crains, mon angoisse
Sur un éventaire de colporteur…
Je les ai suppliés de cesser.
N’allaient-ils pas cesser ?
L’aube était grise comme une querelle au milieu des buissons,
Grise comme une rumeur de bagnards.
Je les ai suppliés d’avancer l’heure
Où, derrière vos fenêtres,
Comme un glacier des montagnes,
Tempête la poterie sonore de votre toilette.
L’heure qui, dans le verre plus brûlant que la glace,
Sur la console, verse des morceaux de chanson pilée
Et qui offre au miroir
La chaleur du sommeil
S’échappant de votre joue, de votre front.
Mais là-haut, nul n’a entendu
Ma prière à cause de tout le bruit
Que font les nuages en parlant.
Et en marchant sous leurs bannières,
Dans le silence plein de poussière,
Trempé comme une capote,
Résonnant comme le frémissement poussiéreux du battage des blés,
Comme l’éclat des disputes au milieu des arbustes,
Je les ai suppliés : « Ne me torturez plus !
Laissez-moi donc dormir ! »
Mais il bruinait, et les nuages
En piétinant, fumaient sur le marché poussiéreux,
Comme, au petit matin les recrues derrière la métairie.
Ils se traînaient des heures, des siècles.
Comme des prisonniers autrichiens,
Comme ce râle sourd ;
O ce râle : » Sœur, à boire ! «
.
((Trad. Emmanuel Rais et Jacques Robert.)
.
Boris Pasternak Poètes d’aujourd’hui
par Yves Berger
Pierre SEGHERS Editeur
.
S’arracher au sol – ( RC )

photo Parc des Cevennes
–
La tête à l’envers,
Montée sur l’échelle,
quelque part sur la terre,
Au delà du ciel,
crevant les nuages
Après l’ascension lente,
que rien ne décourage,
Même pas les pentes,
D’abruptes avancées,
de rochers branlants
Aux horizons fermés
leurs glaciers luisants
comme des mâts de cocagne,
plantés comme un défi,
au milieu de la campagne,
– caprices de topographie…
Alors , il est bien tentant,
De s’arracher au sol
Combattre la pesanteur en la bravant
Pour prendre son envol.
Il est tombé, le soir,
Sur le Mont Aigoual,
Tu vas mieux pouvoir
observer les étoiles,
Que depuis son observatoire
croiser les satellites
Dans la nuit noire,
d’un espace sans limites
Les cheveux de couleur
des aurores boréales,
feront ton bonheur,
d’un vol sans escale
En chevauchant Pégase,
ses ailes ,sur l’air,appuyées ,
ignorant les cases,
des jeux de société.
Tu iras bercer les lunes
dans tes bras blancs
survoler les dunes,
les soleils aveuglants.
et les pays lointains,
dont tu rêvais,
Seront à portée de main,
et même si près,
que la planète te semble
bien petite , ma foi,
Même si elle tremble,
encore, et aussi de froid
pour les habitants de la terre,
Il serait aussi, passé de mode,
de se faire la guerre,
jusque aux antipodes….
Fini le temps des nations,
Des bains de sang,
de la désunion,
Tu auras bien le temps
de faire un petit tour et revenir,
Accrochée à une étincelle
le temps d’un soupir,
Et d’un coup d’aile….
Chimères – ( RC )

causses de Lozère ( Sauveterre ) – photo RC 2021
–
Où cours-tu si vite ?
Après ces rêves qui t’emmènent,
légère, dans le roulement des nuages ?
Es-tu l’oiseau qui s’y cache,
l’avion qui les dédaigne ?
Tu voudrais t’en approcher,
les saisir, les modeler,
être dans les bras de l’air
et l’azur frileux,
lui qui sait que la pluie
ne t’en offrira aucun abri.
Où cours-tu si vite ?
Après ces chimères suspendues,
sans attaches,
dont tu ne pourras jamais t’emparer … ?
M.C.Richards – Ils dorment

photo Helmut Plamper – Toscane
THEY ARE SLEEPING
I have painted the female hills
stretched and piled against the sky.
They are sleeping.
I have given them golden haloes.
They are saints.
They are sleeping.
I have painted the gold in clouds and crevices as well,
meaning to say how they too are saints,
how the world sleeps,
how womanly is the landscape,
how a whiskered angel also sleeps, as a field of grain.
ILS DORMENT
J’ai peint les monts aux formes féminines
étirés et empilés contre le ciel.
Ils dorment.
Je leur ai donné des auréoles dorées.
Ce sont des saints.
Ils dorment.
J’ai aussi peint l’or dans les nuages et les crevasses,
c’est dire comment eux aussi sont saints,
comment le monde dort,
combien le paysage a l’aspect féminin,
comment un ange à moustaches dort aussi, comme un champ de céréales.
poème extrait d’un recueil sur les poètes du Black Mountain College.
Tentative de traduction : RC
Les grèves bleues du soir – Susanne Derève

Gustave Courbet – Marine
Retrouvé les mouettes rieuses
l’aigrette blanche
et sur les grèves bleues du soir
un très léger nuage d’un rose tendre
d’aquarelle
Mouettes languides au vol nonchalant
qu’aucun orage ne menace
léguez-moi un brin d’insouciance
une plume d’allégresse
Je plongerai les mains au cœur
des vagues pour y cueillir les algues dorées
du jusant
et les pierres brûlantes de l’été je les choisirai
fines et plates
pour les faire ricocher loin sur l’eau
jusqu’à former un vol éblouissant de pierres
un ballet aérien gansé de fines éclaboussures
d’argent
avant que la gravité ne les entraîne
vers les profondeurs sous-marines
les fonds de vase brune
Moi qui les voyais déjà rejoindre dans le ciel
mon doux nuage d’aquarelle
Jorge Carrera Andrade – la clé du feu
LA CLE DU FEU
(La llave del fuego)
Terre équinoxiale, patrie du colibri,
de l’arbre à lait et de l’arbre à pain !
J’entends de nouveau dans les feuilles
le grincement de machine rouillée
de tes grillons et de tes cigales.
Je suis l’homme des perroquets :
Colomb me vit dans son île
et m’embarqua pour l’Europe
avec les oiseaux des Indes
sur son vaisseau chargé
de trésors et de fruits
Un jour, sur le conseil de l’aube
je réveillai les cloches du XIX* siècle
et accompagnai Bolivar et ses gueux héroïques
dans les contrées mouillées
d’une éternelle pluie
traversai la sierra et ses grises bourrasques,
où l’éclair en sa grotte argentée
a son nid et plus loin vers le Sud,
vers le cercle exact de l’Equateur
de feu jusqu’aux capitales
de pierres et de nuages
qui s’élèvent près du ciel et de la rosée.
Je fondai une république d’oiseaux
sur les armures des conquérants
oxydées par l’oubli,
au pied du bananier.
Il ne reste qu’un casque dans l’herbe
habité par des insectes tel un crâne vide
éternellement rongé par ses remords.
Je m’approche des portes secrètes de ce monde
avec la clé du feu
arrachée au volcan, solennel tumulus.
Je te regarde, bananier, comme un père.
Ta haute fabrique verte, alambic des tropiques,
tes frais conduits, sans trêve
distillent le temps, transmuent
les nuits en larges feuilles, les jours en bananes
ou lingots de soleil, doux cylindres
pétris de fleurs et de pluie
en leur housse dorée telle abeille
ou peau de jaguar, enveloppe embaumée.
Le maïs me sourit et parle entre ses dents
un langage d’eau et de rosée,
le maïs pédagogue
qui apprend aux oiseaux à compter
sur son boulier.
Je m’entretiens avec le maïs et l’ara
qui savent l’histoire du déluge
dont le souvenir rembrunit le front des fleuves.
Les fleuves coulent toujours plus devant eux
étreignant chaque roc, peau plissée de brebis,
vers les côtes hantées par les tortues
sans oublier leur origine montagnarde et céleste
à travers l’empire végétal où palpite
la jungle et son cœur sombre de tambour.
O mer douce, Amazone, ô fluviale famille !
Je décoche ma flèche emplumée,
oiseau de mort,
à ton étoile la plus haute
et je cherche ma rutilante victime dans tes eaux.
O mon pays qu’habitent des races fières et humbles,
races du soleil et de la lune,
du volcan et du lac, des céréales et de la foudre.
En toi demeure le souvenir du feu élémentaire en chaque fruit,
en chaque insecte, en chaque plume,
dans le cactus qui exhibe ses blessures ou ses fleurs,
dans le taureau luisant de flammes et de nuit,
le vigilant minéral buveur de lumière,
et le rouge cheval qui galope indompté.
La sécheresse ride les visages
et les murs et l’incendie allume sur l’étendue des blés
l’or et le sang de son combat de coqs.
Je suis le possesseur de la clé du feu,
du feu de la nature clé pacifique
qui ouvre les serrures invisibles du monde,
clé de l’amour et du coquelicot,
du rubis primordial et de la grenade,
du piment cosmique et de la rose.
Douce clé solaire qui réchauffe ma main
par-dessus les frontières
tendue à tous les hommes :
ceux à l’épée prompte et à la fronde,
ceux qui pèsent sur un même plateau la monnaie et la fleur,
ceux qui fleurissent leur table pour fêter ma venue
et aux chasseurs de nuages, maîtres des colombes.
Ô terre équinoxiale de mes ancêtres,
cimetière fécond, réceptacle de semences et de cadavres.
Sur les momies indiennes dans leurs jarres d’argile
et sur les conquérants dans leurs tombeaux de pierre
qui sans trêve sillonnent les âges
ayant pour seule compagnie quelque insecte musicien,
un même ciel étend son regard d’oubli.
Un nouveau Colomb appareille dans les nuages
tandis qu’explose, bref feu muet,
la poudre céleste de l’étoile
et que les cris alarmés des oiseaux
obscurément semblent interroger
le crépuscule.
—
extrait des » poètes d’aujourd’hui » (Seghers)
Un sonnet d’après l’absinthe – ( RC )
peinture: E Degas – le verre d’absinthe
Jo tombe à l’eau
dans le port de Saint-Malo…
on peut aussi se noyer dans un verre de vin,
( tu le prends, je te le tiens ):
A Saint Malo, il y a une semaine j’y étais;
les nuages flottaient au-dessus des quais,
c’est juste en front de mer,
que j’ai avalé le dernier verre
( puis la lumière s’est éteinte…
il n’y avait plus d’absinthe )…
c’est une histoire d’eau un peu trouble
tout à fait décente
mais , qu’il est difficile de remonter la pente
( je crois que j’y voyais double !) .
Sabine Péglion – tu ne répares pas ( fin )
peinture Alberto Burri
Le pinceau ne peut couvrir la toile déchirée
Ici l’écorce laisse apparaître l’aubier
Tu ne répares pas
Tu étales sur des fils suspendus la détresse
du vent et les nuages roulent s’enroulent
en emportant l’instant
Noirs les pigments à l’amer du temps
inscrivent une entaille Fragments de lave
arrachés au volcan d’une douleur lointaine
broyée gravée pulvérisée L’incandescence
du geste n’en comble pas la faille
Tu ne répares pas
un cœur au bord de la rupture Battements
sourds des regrets aux parois de ses veines
Cicatrice du jour au givre de la pierre
Tu ne répares pas
Tu déploies d’un seul geste l’écharpe bleue du ciel
à sa gorge nouée
Tu insères dans la pierre
la lumière saisie Sur la trame des mots usés
tu recueilles les couleurs
Un chant s’élève
à la cime de l’arbre Une fenêtre s’ouvre
Le givre t’aspire en un éblouissement
Tu t’avances lentement à l’enfance du monde
Une petite heure de calligraphie – ( RC )
Le plateau a ses reflets de rose
et d’orange.
Le soleil soupire de lassitude
avant de se coucher
derrière la ouate de nuages
aux dentelles dorées.
Le soir n’a pas encore
déposé sa cendre grise,
les arbres écrivent
pour une petite heure
leur calligraphie .
Marchant dans le néant – ( RC )

IC356 Pixi Processed based on CCDS data
Avec l’apprivoisement du jour,
les étoiles s’enroulent
dans leur tissu lointain.
Tout est en suspension,
et je vois bien quelques figures,
qui clignotent encore :
la grande et petite ourse,
marchant dans le néant,
piétinant les anges,
avant qu’un bleu sans nuages,
envahisse le ciel,
et dilue le temps,
qui semble avoir
arrêté son mouvement,
sur la page
du manuscrit,
avec les dessins du zodiaque
étrangement liés avec les mois
de la terre,
pourtant , vu de l’espace,
une simple poussière…
–
RC- sept 2019
–
voir aussi la représentation du zodiaque tel que l’a dessiné Albert Dürer:
L’Ogre et l’hirondelle – (Susanne Derève)

Photomontage – René Chabrière
J’étais l’Ogre j’étais l’Ogre
petite hirondelle sous les toits
et tu te ceignais de nuages
à tire d’ailes
et je chaussais mes bottes de sept lieues
pour te rejoindre
par dessus les montagnes par-dessus les vallées
et les nuages t’emportaient
loin des montagnes et des vallées
petite hirondelle
à tire d’aile
Jean-Paul Toulet – Le Tremble est blanc L’heure qu’il est (fragment)
Le temps irrévocable a fui.
L’heure s’achève.
Mais toi, quand tu reviens, et traverses mon rêve,
Tes bras sont plus frais que le jour qui se lève,
Tes yeux plus clairs.
A travers le passé ma mémoire t’embrasse.
Te voici.
Tu descends en courant la terrasse
Odorante, et tes faibles pas s’embarrassent
Parmi les fleurs.
Par un après-midi de l’automne, au mirage
De ce tremble inconstant que varient les nuages,
Ah ! verrai-je encore se farder ton visage
D’ombre et de soleil !
Paul-Jean TOULET « Chansons » in « Les Contrerimes » (Éd. Emile-Paul frères)