Connais-tu la fin de l’histoire ? – ( RC )
photos perso montage – musée archéologique de Lisbonne
Connais-tu la fin de l’histoire,
puisqu’il en manque de grands morceaux ?
On peut toujours combler les manques,
en déduire des trajectoires,
en tout ce qui s’est perdu
dans la grande fosse de l’oubli .
Pour ceux qui vivent ici,
c’est au présent,
qu’ils cultivent leur jardin.
Leur origine s’est diluée
dans les générations.
Les racines de l’arbre vont si loin,
et se ramifient tellement,
que les suivre se fait en pure perte.
Ce qu’il en émerge est la partie visible
de l’iceberg des siècles.
Pour en revenir à celui qui cultive son arpent,
le voila qui remonte au jour
des fragments de marbre.
Un voisin en a trouvé d’autres.
Ce sont des mains finement sculptées,
qui tiennent entre leurs doigts
de drôles d’objets,
mais il manque le corps
auxquel elles correspondent.
Sauras-tu me dire ce que signifient
ces lambeaux d’une mémoire
à jamais enfouie
sous une épaisseur de terre ?
Nous en avions oublié, même l’existence
dans le désastre de l’abandon des aubes .
Celles-ci ne nous ont pas vu naître.
Peut-être que le vieux faune endormi s’en souvient .
S’il n’était pas de marbre, > il nous répondrait peut-être…
–
RC – juin 2018
L’indépendance des choses – ( RC )
Comme en strates . c’est de la matière qui se dépose…
On pense généralement à de la poussière,
ou bien les flocons de fausse neige
qui retombent lentement , une fois qu’on a posé la boule
après l’avoir secouée.
On ne pense pas que les choses ont cette indépendance,
comme il est fastidieux de toujours grouper par famille,
par genre, – à la façon des entomologistes,
qui détectent , parmi les insectes,
leurs caractéristiques communes, et les classent par genre .
Il en est ainsi des papiers.
Tous les papiers administratifs qui s’accumulent,
les factures et les publicités qui s’entasseraient
dans le plus grand désordre,
si on ne venait pas relever la boîte aux lettres .
Il faut classer par formulaire, par couleurs, par années…
mais il y en a toujours qui s’échappent,
du fait de l’inattention ,
et se retrouvent dans d’autres classeurs,
ou dans un livre fermé par inadvertance.
Aller à la ramasse, ce serait aussi comme
trier les champignons,
les comestibles, et ceux qui ne le sont pas
ceux qui se dissimulent,
et font semblant d’être bons….
J’imagine plutôt
…. quelque chose d’insaisissable :
Les vrais objets auraient pris la file de l’air,
aspirés par on ne sait quel phénomène,
il se serait créé un vide sidéral.
Il ne resterait que leurs images ,
et celles-ci clignoteraient encore quelques jours,
à la façon d’hologrammes,
avant de se fondre dans l’obscurité.
Un néant ?
Non, pas tout à fait,
mais > un monde derrière, qui existe,
ayant bu les objets
et gommé leur surabondance.
rendant l’air à nouveau respirable .
–
RC – oct 2017.
Voix de livres – ( RC )
Un ton de voix qui traverse les pages,
maintenant, enfoui parmi d’autres .
Tous ne dialoguent pas ensemble,
mais il y a des échos qui transportent loin,
et la mémoire accorde quelque chose,
à la façon d’une saveur épicée,
à ces livres fermés depuis longtemps,
et que peut-être je ne lirai plus.
ou alors, si je les parcours
ce sera avec l’espoir de retrouver
les tournures des phrases
telles que ressenties avant.
Selon la couverture ,
on se rappelle plus ou moins
la couleur des mots
qui s’associaient à ce qui était conté .
Ils sont comme les statues d’un parc
attendant le visiteur.
Des années plus tard,
de la mousse aura envahi le visage,
elles auront été déplacées,
on les pensait plus grandes,
car vues avec un autre regard
que celui d’aujourd’hui.
Les livres sont pressés
dans plusieurs cartons,
et la chair de leur voix,
palpite encore quelque part .
Ce ne sont pas des objets comme les autres,
ils contiennent un peu de moi,
c’est peut-être pour ça
que je ne les ouvre pas.
–
RC – août 2017
Deux volumes et deux bouteilles ( presque un Morandi )- ( RC )
photographe non identifié
C’est comme un aria,
un brin suspendu ,
avant l’extrémité du parcours de l’archet…. ,
La lumière chatoie,
comme vibre encore la corde :
l’eau reste attentive dans la carafe,
L’épaisseur du verre soupire,
hésite à donner de l’ombre sur le mur,
– ou alors si légère –
une pâte qui entoure le creux,
immobilisée, – fusion de la silice –
participe au léger grain du fond :
ainsi le ferait le bourdon,
soutenant l’envol des voix…
posées comme les deux objets
aux rayures noires, régulières ,
– légèrement ironiques – .
De taille semblable,
ils sont insolemment lisses,
ronds, mais sans rouler,
contrepoint musical
On pourrait imaginer les voir
quitter le sol,
se mettre en mouvement
perturber le liquide ,
sautiller en désordre
dans cet accord trop parfait
auquel seuls croient
les gris cristallins
de la photographie .
–
RC avr 2017
Séverine Capeille – Cet effluve étrange et si particulier , propre aux objets abandonnés
« Cet effluve étrange et si particulier Propre aux objets abandonnés »
Lamelles immobiles ( RC )
–
Immobile dans l’image,
Epinglé dans le ciel,
Au théâtre des objets,
L’oiseau n’est pas réel…
Dessin de son passage,
Une portion de trajet,
Le bout d’une ligne,
Un instant de grâce,
Et peut-être le signe,
Le reflet dans une flaque
D’un ange qui passe
Et qu’à peine on remarque…
———–
Voyageurs en émotion lente
Le passager du jour
Succède à celui
D’une lourde obscurité
Et s’étonne encore
Que les choses en sommeil
Se révèlent au lendemain,
Cousines, ou bien semblables
A la même place
Et jouent à la permanence,
Même si l’atmosphère, leur peint des habits
De brume et de lumière.
Il y a des instants fugitifs
Qui modifient les contours,
Ajoutent des touches de couleur
Et désignent autrement
– La cathédrale de Rouen – que l’on croyait connaître
Quand s’élancent, immobiles
Les dentelles gothiques
A travers les siècles .
Mais, même plus modestes
Les images les plus offertes,
Qu’on voit sur les présentoirs,
Se trouvent reproduites
Presque à l’identique
Sur les cartes postales.
Les vues générales,
Prises du promontoire
En couleurs ou en gris pâle,
Sont des moments d’histoire .
Le décompte des heures,
Les transformations ( et petites différences)
A identifier – au jeu des sept erreurs-
D’un village de Provence …
En prenant la photo
Le passager du jour
Prélève, une fraction de seconde
Une infime portion du temps,
Et un peu de lumière
Comme une prise de sang
Aspirant le visible du monde,
Une piqûre éphémère,
Où se précipite, hâtif
Le paysage, en périmètre limité
A l’intérieur de l’objectif,
… un instant d’éternité.
–
RC – 13 novembre 2012
– texte auquel j’ai trouvé un écho, dans le blog de « le vent qui souffle »
Interfaces
La photographie n’était que le reflet arbitraire d’un instant arraché à la fosse béante du temps, et ne livrerait pas d’autre secret que cette fixité étrange et ce témoignage troublant d’une vie abolie mais qui avait existé. Ce n’était qu’une trace, aussi bouleversante que les empreintes de mains retrouvées dans les grottes préhistoriques. Elle continuerait pourtant, avec déraison,
parce que cette vie retournée au néant continuait de l’émouvoir, à scruter la profondeur de ce regard, à suivre le mouvement de ces lèvres qui essaient avec peine d’esquisser un sourire, à interroger ce front trop grand sous les cheveux relevés, à examiner cette broche dorée qui rehausse le corsage sombre, à s’émerveiller devant le col de dentelle fine fabriqué par des mains délicates.
Sa mémoire avait conservé des milliers d’images plus récentes, en mouvement comme dans un film. Ces images-là, douloureuses, s’enfonçaient peu à peu dans les couches inférieures de la conscience, accompagnées d’une sorte de sentinelle chargée de les veiller, de les protéger contre l’oubli définitif, mais aussi et peut-être surtout d’empêcher la souffrance d’une remontée à l’air libre…
Une sorte de filtre magique ne laissait passer que les formes simplifiées ou mythiques du souvenir. Il n’était pas impossible de croire que ces formes pourraient revivre de la même façon que les vestiges d’une civilisation disparue, avec le recul et la passion des archéologues, la passion préservant l’émotion, le recul faisant barrage à la douleur. Il devenait possible également de croire que ces empreintes de vie laissées par une morte rétabliraient un passage avec elle, la « encore vivante ».
Et tous ces signes, il fallait désormais les déchiffrer, les décrypter, les interpréter comme des indices sur son propre destin, contenu dans la forme ronde de ce petit miroir de poche, cruellement figé et glacé côté pile, insaisissable comme l’eau courante, imprévisible, inquiétant, effrayant comme un torrent dévastateur, côté face.
Miquel Marti i Pol – Paroles du cri unanime

peinture: Adolphe Gottlieb
Paroles du cri unanime
Je parle le cri unanime du sang
et je m’accuse de tous les préjudices
Choses antiques.. ! Objets, comme vous
je suis vieux de tous les siècles.
Pour qui les ruelles poussiéreuses
organisent-elles les paroles ?
Oh compagnons, vous avez lestés les bateaux
de tant de cordes inutiles
Il y a de grands fleuves qui espèrent.
–
Parole scellée ,de l’intérieur ( RC )
Sculpture; une vue inhabituelle de la « muse endormie », de Constantin Brancusi, Paris
Les objets muets le montrent du doigt
Celui-ci ne parle pas, et c’est toi
Tes yeux roulent, depuis ton plus jeune age
Sans connaitre, le discours, et le bavardage.
La force du silence impressionne…
Ils parlent beaucoup, tu chantonnes
Marqué , peut-être d’une aile d’ange
Tu ne souris pas …. çà dérange
Tout se passe au loin, de ta tête
Certains diront, peut-être, que tu t’entêtes
Qu’autour de toi, la vie glisse
Et que tu es, on dirait, sans malice
Bien sûr, on peut toujours en rire,
– ( On ne parle pas pour ne rien dire )
———Tu maintiens la parole à distance
Et fais éclore, des fleurs de silence…
RC – 20 septembre 2012
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( en rapport avec le texte de Françoise Lefèvre » le petit prince cannibale » ed Actes/sud 1990 , racontant les rapports dune mère et de son enfant autiste)
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Gregorio Scalise – Que le monde suive une ligne verticale
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Gregorio Scalise
( re-bloggé du site ‘une autre poésie italienne » )
Poète, dramaturge, Gregorio Scalise est né en 1939 à Catanzaro et vit actuellement à Bologne. Ses débuts sont sous le signe de la poésie visuelle et de la néo-avant-garde ; son premier recueil (A capo) est publié par la maison d’édition Geiger dirigée par Adriano Spatola. Avec Segni, présenté dans l’anthologie Il pubblico della poesia de A. Berardinelli e F. Cordelli (1975), il obtient une large reconnaissance de la critique, notamment de Fortini. Parmi ses recueils l’on peut citer aussi La resistenza dell’aria (1982), Poesie dagli anni ’90 (1997), La perfezione delle formule (1999).
1.
Che il mondo segua una linea verticale…
Que le monde suive une ligne verticale,
les nuages le font comprendre,
car les choses les plus belles
viennent à nous entre les failles de vent ;
si son esprit pouvait se délier
mais l’évocation est une zone sèche
où s’épuise le langage,
si au cours des siècles
les hommes décident toujours :
l’eau frappe de mille langues
une plage herbeuse
et les objets, réunis à la chose,
savent que les yeux ne suffisent pas
pour conserver un secret.
(Danny Rose, 1989)
–