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Corps de Ménéham – ( RC )


photo RC Ménéham juillet 22

Corps de granit en bord de mer,
au hasard , tu verras des maisons minuscules
par rapport à ces géants de pierre.
Comme elles le peuvent, elles se dissimulent
tout en espérant
se mettre à l’abri du vent
et des embruns, derrière les roches.

Pas question pour un Petit Poucet
de s’égarer dans la forêt.
Même si l’océan est proche,
( la futaie est lointaine:
les rochers se referment
sur la terre ferme ):

Possèdes tu le sésame
qui permet d’ouvrir les demeures secrètes
du village de Ménéham ?
si tu veux je te le prête,
mais ne penses pas y trouver
un trésor caché
par les flibustiers :

on ne compte plus les heures
avec le temps qui passe
sur les légendes
parmi les herbes de la lande.
Seuls ces grands corps demeurent:
corps de granite
qui restent sur place
aux grandes formes insolites.
Ils ne confieront rien de leur âge
à ceux qui viennent visiter le village.


Ce pressentiment, les ailes déployées – ( RC )


wind-weather-storm-23.jpgphoto recadrée :           voir  origine pxhere

Faut-il encore sortir
les jours de mauvais temps,
espérer voir un peu de ciel bleu
dans les heures écrasées ?

Une mouette blanche
s’est envolée de la digue
juste au moment où
un obus fracasse le ciment

A-t-elle eu ce pressentiment
les ailes déployées,
ou de nos âmes , eu pitié ?

On voit mieux le monde de haut,
même si les hommes s’entre-tuent ;
de l’océan, rien n’arrête le flux.

RC- avr 2020


Un être de mer – ( RC )


photo RC – Finistère -janvier 2021

Ce n’est pas une frontière,
ni une ligne, ni une surface,
une zone interdite,
c’est un océan, une mer,
qui vient et se retire
mais jamais trop loin.


C’est comme un être qui respire,
aux baisers salins.
Un être qui t’invite
quand la marée se lasse
dans de petite flaques
autour du sable mouillé,
se dissimule derrière les rochers,
les épaves rouillées
dans l’attente du ressac.


Il n’a pas d’étendue définie,
pas de limite ,
se rétrécit au découvert de plage,
puis revient comme un cheval sauvage,
lui que l’on croyait assoupi,
étincelant au soleil de midi,
jouant de sa robe ouverte
sur la gamme bleue des gris.


Ceux qui empiètent sur son territoire
le font en pure perte :
c’est ce pays sans mémoire
qu’on ne peut pas cerner,
trop indocile
pour qu’on puisse le dompter.


Il peut dévorer les îles
les engloutir sous la brume;
à coups d’écume.
Il reprend ce qu’on lui a volé,
des châteaux éphémères
aux navires téméraires
des temps écoulés….
……tel est le pays de mer.


Samaël Steiner – Au bout du bout de la côte


photo RC – proche du phare de l’île vierge Finistère nord

Tout à l’heure je serai sur la pointe friable,
au bout du bout de la côte.
Je regarderai l’Océan déraciner des arbres de sable,
des arbres centenaires, qui
depuis des centaines se déracinent plusieurs fois par seconde,
avec toujours des yeux pour l’aventure.

Tout à l’heure j’aurai fini de traverser le marais,
j’en aurai fini avec cette route qui va s’en aller,
qui se traîne et crache des ombres aux tournants.

Tout à l’heure je serai à cet endroit de la côte
d’où les vagues, entre elles,
paraissent un attelage de bœufs,
et je regarderai les bêtes toutes d’écume,
labourer les sables éteints.

Tout à l’heure il sera tard.
Les mouettes mangeront les dernières minutes
agitées dans le soleil et le cri de la terre
que le jour quitte, s’élèvera de toutes les issues,
comme une clameur de fête.

Tout à l’heure, arrivé à cette place haute,
en surplomb de l’océan,
je regarderai rentrer les bateaux fatigués,
comme des chiens qui ont couru le vent.
Je regarderai le vent traverser l’air,
les cheveux et les doigts de pieds déjà plein de sel.

Et lorsque les rocs irascibles se mettront à chanter,
lorsque les arbres se prendront pour les phoques
et se mettront à marcher droit de côté,

j’y serai,
debout,les yeux ouvert à l’étranger.
J’y serai
sur l’aile friable,
à la pointe de la pointe,
au dernier caillou de la côte,
que l’ombre de l’oiseau peut,
à elle seule, recouvrir.

J’y serai.

(Extrait de : Textes par trois – Printemps 2010)

poème extrait du site  » le manoir des poètes »


Alain Bosquet – une grenouille endormie


Un enfant m’a dit :
« La pierre est une grenouille endormie. »
Un autre enfant m’a dit :
« Le ciel, c’est de la soie très fragile. »
Un troisième enfant m’a dit :
« L’océan, quand on lui fait peur, il crie. »
Je ne dis rien, je souris.
Le rêve de l’enfant, c’est une loi.
Et puis, je sais que la pierre,
vraiment, est une grenouille,
mais au lieu de dormir
elle me regarde.


Pierre Seghers – entre les mailles des buissons


photographe non identifié

Entre les mailles des buissons
Pris à la nasse d’eau des sources
Il vécut dans la fosse aux ours.

O le temps des maisons du vent
Il a campé sur l’océan
Il a mangé le pain des vagues,
Il but l’hiver avec l’été

Le chien de peur à son côté
Le ciel a rongé son visage.
Tous les paluds ont la vérole

Il eût fallu tant de parole
Pour proclamer ce qu’il savait
Que dans le vent, la boue, la colle
Il traînait des semelles folles
De silence et de vérité.

Quand les marais perdaient sa trace
Il était l’hôte de l’espace
Il mâchait l’herbe et le roseau.

Et sur les routes de Décembre
Il brûlait de gel et d’attendre
Le dernier des quatre chevaux


Pablo Neruda – Ode à la mer


photo RC – îles Perenthian -Malaisie

Ici dans l’île
la mer
et quelle étendue!
sort hors de soi
à chaque instant,
en disant oui, en disant non,
non et non et non,
en disant oui, en bleu,
en écume, en galop,
en disant non, et non.


Elle ne peut rester tranquille,
je me nomme la mer, répète-t-elle
en frappant une pierre
sans arriver à la convaincre,
alors
avec sept langues vertes
de sept chiens verts,
de sept tigres verts,
de sept mers vertes,
elle la parcourt, l’embrasse,
l’humidifie
et elle se frappe la poitrine
en répétant son nom.
ô mer, ainsi te nommes-tu.
ô camarade océan,
ne perds ni temps ni eau,
ne t’agite pas autant,


aide-nous,
nous sommes
les petits pêcheurs,
les hommes du bord,
nous avons froid et faim
tu es notre ennemie,
ne frappe pas aussi fort,
ne crie pas de la sorte,
ouvre ta caisse verte
et laisse dans toutes nos mains
ton cadeau d’argent:
le poisson de chaque jour.

Ici dans chaque maison
on le veut
et même s’il est en argent,
en cristal ou en lune,
il est né pour les pauvres
cuisines de la terre.


Ne le garde pas,
avare,
roulant le froid comme
un éclair mouillé
sous tes vagues.
Viens, maintenant,
ouvre-toi
et laisse-le
près de nos mains,
aide-nous, océan,
père vert et profond,
à finir un jour
la pauvreté terrestre.
Laisse-nous
récolter l’infinie
plantation de tes vies,
tes blés et tes raisins,
tes boeufs, tes métaux,
la splendeur mouillée
et le fruit submergé.

Père océan, nous savons
comment tu t’appelles,
toutes les mouettes distribuent
ton nom dans les sables:
mais sois sage,
n’agite pas ta crinière,
ne menace personne,
ne brise pas contre le ciel
ta belle denture,


oublie pour un moment
les glorieuses histoires,
donne à chaque homme,
à chaque femme
et à chaque enfant,
un poisson grand ou petit
chaque jour.
Sors dans toutes les rues
du monde
distribuer le poisson
et alors
crie,
crie
pour que tous les pauvres
qui travaillent t’entendent
et disent
en regardant au fond
de la mine:


«Voilà la vieille mer
qui distribue du poisson».
Et ils retourneront en bas,
aux ténèbres,
en souriant, et dans les rues
et les bois
les hommes souriront
et la terre
avec un sourire marin.
Mais
si tu ne le veux pas,
si tu n’en as pas envie,
attends,
attends-nous,
nous réfléchirons,
nous allons en premier lieu
arranger les affaires
humaines,
les plus grandes d’abord,
et les autres après,
et alors,
en entrant en toi,


nous couperons les vagues
avec un couteau de feu,
sur un cheval électrique
nous sauterons sur l’écume,
en chantant
nous nous enfoncerons
jusqu’à atteindre le fond
de tes entrailles,
un fil atomique
conservera ta ceinture,


nous planterons
dans ton jardin profond
des plantes
de ciment et d’acier,
nous te ligoterons
les pieds et les mains,
les hommes sur ta peau
se promèneront en crachant
en prenant tes bouquets,
en construisant des harnais,
en te montant et en te domptant,
en te dominant l’âme.


Mais cela arrivera lorsque
nous les hommes
réglerons
notre problème,
le grand,
le grand problème.
Nous résoudrons tout
petit à petit:
nous t’obligerons, mer,
nous t’obligerons, terre,
à faire des miracles,
parce qu’en nous,
dans la lutte,
il y a le poisson, il y a le pain,
il y a le miracle.

Traduit par Ricard Ripoll i Villanueva


Georges Jean – dans le désordre des choses


photo RC retravaillée – Bretagne

Les fruits sur la prairie pourrissent
Les sentiers mènent aux étangs
Où le ciel ouvre sa pulpe
Les dernières roses construisent
Le réseau profond de la mort
Les maisons prennent dans leurs mains
Les personnages de la brume
Nous sommes dans la chair du temps
Les arbres noirs de la nuit
Les oiseaux gris dans le matin
Il semble que le soleil
Va déchirer ces voiles blancs

Ainsi dans le matin du temps
Les paroles simples se lèvent

Alors éclatent les ailes
Se fendent les rameaux
Saigne l’Orient

Et quelques mots dans le silence
Permettent d’entendre la danse
Et rêver de l’Océan

Pour les regards du dedans
Les pierres sont en gésine
Au cœur de la forêt proche

Là dans les sentiers de silex
Le plaisir bat comme le cœur

Voici les traces les sillages
Les filles des longs retours
Et dans l’ombre d’alentour
Les absents se sont levés

Et le jour ouvre nos lèvres
Et les mots entrent dans les choses.

extrait de « parcours immobile »


Un pont sur les rêves – ( RC )


photomontage RC – à partir de photos de G Pasquier ( Finistère )

C’est une voie étroite
qui s’élance
au milieu des flots.
Juste quelques récifs
battus par les embruns
la maintiennent .

Pour prolonger le jour,
sous le ciel étoilé,
il me faudra quelques signes,
ceux du zodiaque peut-être,
un horizon bleuté
pour me rapprocher des îles.

Je jetterai un pont,
quelques lignes sur les rêves,
transformerai le calvaire
en phare de lumière,
très loin d’ici
prêt à immobiliser les vagues.

Est-ce un morceau d’infini
ce ciel qui m’attend
décollé de la mer ?
emportant mon ombre portée
prête à se déchirer
sur les rochers.

Un havre de pierre se détache ,
vacille dans la tempête ,
mais avant qu’il ne sombre
il faut que je dessine
une rue sur l’océan
qui tiendra juste

en équilibre dans l’image
avant que je n’aborde
dans la réalité,
comme le château de sable
qu’efface,inlassablement,

la marée .



Le coeur funambule – Ecchymoses


peinture – acrylique sur toile – voir le site de l’auteur

Sur les ecchymoses du jour

Perlent quelques gouttes de ciel

L’onguent du crépuscule

Brode un ourlet pourpre

Aux jupes élimées des vagues


Brindilles de mer

Le souffle du courant

Efface les taches de l’oubli

Sur les visages de l’eau


Toutes les teintes du vent

Accrochées aux ailes des mots

En friselis d’écume

Dansent aux marges des rochers


Le bavardage des algues

En strophes d’ombre et de lumière

Sème les graines des phrases

Au chant muet de nos lèvres


Face aux festins des couleurs

Nous habitons tout à la fois

Le paysage et son reflet

Le brasier montant aux joues de la lune


Dans le silence aiguisé du jusant

Les rouges gorges des braises du couchant

En rayons brûlants pénètrent lentement

Le ventre humide de l’océan

avec l’autorisation d’Olivier ( voir son site )


Louis Guillaume – l’ancre de lumière


  

extrait de      "LA NUIT PARLE" (1961)

                                                                                           
  A Marthoune.

La mer semblait de pierre calcinée, mate et pourtant transparente et, à une grande profondeur, sur un lit de sable gris, je distinguais fort bien l’ancre lumineuse qui m’empêchait de dériver.
Il était seul, mon bateau, seul au milieu de l’immensité noire et, seul à bord, penché au-dessus de l’abîme, je ne quittais plus des yeux, minuscule et seule, elle aussi, dans le désert couvé par l’océan, cette croix de feu sous la courbe d’un sourire.
Et, à force de fixer sur elle mon regard, elle m’apparut comme un visage, comme ton visage nocturne, mon amie. –

montage perso

Les bras de l’ancre devinrent ta bouche, la tige dessinait la ligne de ton nez et le jas celle de tes sourcils. Si distant et si attachant, c’était bien ton visage qui brillait là-bas, qui liait ma barque à la terre malgré les ressacs et les courants, et continuait de veiller,
même lorsque je scrutais l’horizon.
— Lève l’ancre ! dit une voix soudaine.
Alors, tu poussas un cri si déchirant que je m’éveillai à ton côté.
Et notre lit tanguait dans l’ombre.


Zone portuaire – ( RC )


photos & montages perso

montage et photos RC

C’est un jour où l’hiver fait relâche,
au bas de la ville
où dansent les grues
jouant de leurs muscles orange.
Nous avons longé la zone portuaire,
les façades abruptes des entrepôts,
où l’océan pousse et respire l’iode
au pied de la jetée.

Les camions en attente,
derrière les grillages hostiles,
les bâtiments blanchâtres
où s’entassent de vieux pneus,
les containers empilés
se refusant à l’esthétique,
ainsi les odeurs de goudron et d’huile
revêches , comme les réservoirs de carburant.

Pourtant la géométrie sans fioriture des hangars,
le tracé capricieux des tuyauteries
se soumet à une linéarité
que soulignent leurs ombres portées ,
ce jour où les objets dessinent dans leur volume
leur propre contradiction, qui se révèle
au cœur même des flaques,
le bitume et ses plaques soulevées.

Il faudra attendre que le soleil se couche,
que les reflets jouent sur les métaux :
tôles et citernes désaffectées
et qu’un ciel obscurci les combatte ,
pour que la scène se change
en un théâtre flambloyant ,
rempart illusoire contre l’océan
qui patiente derrière la jetée.

Il porte le tragique d’un bûcher
dans un alambic d’angoisse
la couleur s’y déchire ,
les géants s’affrontent :
bras des grues opposés aux cargos sombres :
blondeurs de crépuscule qui font étinceler
les objets communs, des rails de la voie ferrée ,
aux cuves les plus modestes.

Ce n’est qu’un dernier cri,
où se distillent les éclats de lumière,
traversant les vitres.
Ils ricochent sur les poteaux métalliques:
mise en scène tragique
où tout ce qui s’oppose devient silhouette
avant que le faisceau des phares
ne prennent le relai.

photo perso


Guillevic – Carnac


( extrait de la  « suite » Carnac )

 

See the source image

provenance photo sites historiques  d’Ecosse

Mer du pêcheur,

Mer des navigateurs,

Mer des marins de guerre,

Mer de ceux qui veulent y mourir.

Je ne suis pas un dictionnaire,
Je parle de nous deux

Et quand je dis la mer,
C’est toujours à
Carnac.

Nulle part comme à
Carnac,
Le ciel n’est à la terre,
Ne fait monde avec elle

Pour former comme un lieu

Plutôt lointain de tout

Qui s’avance au-dessous du temps.

Le vent vient de plus bas,
Des dessous du pays.

Le vent est la pensée
Du pays qui se pense
A longueur de sa verticale.

Il vient le vérifier, l’éprouver, l’exhorter,
A tenir comme il fait

Contre un néant diffus
Tapi dans l’océan
Qui demande à venir.

 


Rabindranath Tagore – Au petit matin


 
2012-01-04_dsc_0325-version-21.jpg

photo       Nicolas Grandmangin

 

Au petit matin on murmura que nous allions partir en barque, toi seulement et moi,
et qu’aucune âme au monde ne saurait jamais rien de notre pèlerinage nous menant éternellement vers un autre nulle part.
Sur cet océan sans rivages, devant ton sourire attentif, silencieux, mes chants s’amplifieraient en mélodies, libres comme les vagues, libres de la servitude des mots.
Le temps n ’est-il pas venu ?                  Qu ’il y a-t-il encore à faire ?
Vois, le soir est descendu sur la plage et dans la lumière faiblissante les oiseaux de mer regagnent leurs nids.
Qui sait quand, les amarres rompues, la barque, telle la dernière lueur du couchant, s’évanouira dans la nuit ?


Cédric Merland – Si elle y pense


 

 

 

 

Portrait of Hard Life  Aging 5921453554.jpgSi elle y pense demain

elle se lèvera de bonne heure

restera plusieurs minutes à sa fenêtre

regardera le brouillard qui se lève.

 

Si elle y pense les ombres se confondent

tard après le silence de la nuit tombée

le bleu des murmures recouvre les souvenirs

et elle aperçoit l’océan un peu plus loin .

 

Si elle y pense d’autres rires viendront

après tout le matin sera à portée de main

bien après les nuages les collines

les larmes l’océan .

 

Si elle y pense les jours finiront bien

se laisseront porter par d’autres souvenirs

d’autres promesses aussi dans les rues

et les silences du matin  .

 

 

poésie  parue  dans la  revue  « Lichen »n°16

 


Jacqueline Harpman – le cri


 

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Sculpture  Franz Xaver Messerschmidt

 

Et l’unique cordeau des trompettes marines résonne encore en moi. Je suis debout à la pointe de l’île et je tremble de douleur.
J’ai entendu la voix qui montait des grands fonds marins, peut-être avait-elle traversé l’univers depuis les plus lointaines étoiles, elle avait parcouru tous les temps qui se sont écoulés, elle portait la trace de la première nuit, elle avait voyagé à travers l’immensité pour trouver une âme qui l’écoute et je me suis redressée, élue entre toutes, j’ai ouvert les bras, j’ai ouvert tout mon corps qu’elle a pénétré d’un seul coup, je suis devenue le lieu même qu’elle cherchait de toute éternité,nous nous sommes fondues l’une dans l’autre, j’ai connu l’appartenance absolue, j’étais elle, elle était moi, pendant l’intervalle
effroyablement court entre avant et après je suis devenue l’évidence, l’incontestable, l’affirmation définitive, mais elle ne s’est pas arrêtée, peut-être l’avais-je déçue ou devait-elle poursuivre sa route car je me suis retrouvée vide.
Le silence a repris son empire et j’écoute, malade de manque, rongée par l’espoir comme par un cancer, des trous s’ouvrent en moi, je suis en état d’hémorragie interne et je vais mourir noyée dansmon sang.
On n’entend plus que le vent ou le fracas des vagues, je les distingue mal l’un de l’autre.
Parfois une femme s’approche de moi et me tend de la nourriture, mais je ne peux pas la prendre,ma bouche se ferme irrésistiblement, il semble que mon corps refuse l’accès à tout ce qui n’est pas la voix.

Quand l’hiver a commencé, un homme est venu poser sur mes épaules un vêtement chaud, peut-être y est-il encore.

Je ne sais pas si je l’ai remercié, cela est probable car j’étais une femme très polie.
Du moins, il me semble. Je ne sais plus grand-chose de moi.

Qui me parlera, désormais?
Je ne veux plus rien entendre et je dis que tout est silence qui n’est pas la voix.
Il semble que je vais me dessécher sur place, debout dans le vent, les oreilles tendues, j’ai mal à force d’écouter et j’ai le terrible pressentiment que la voix ne me parlera plus.
Je ne suis même pas sûre de savoir ce qu’elle promettait et voilà que je ne veux rien d’autre.

Cela va me faire mourir, c’est sûr, on ne survit pas en restant tout un hiver debout devant l’océan sans manger, sans dormir.
Mais qu’y puis-je?
Suis-je responsable de l’avoir entendue?
Je n’aurais pas même pu me boucher les oreilles car elle est arrivée à l’improviste, rien ne m’avait avertie.
On n’est pas responsable de ces choses, on vit innocemment, on écoute parler les enfants, les maris, les voisins, rien n’avertit que l’éternité peut entrer par les oreilles.
Le temps coulait comme une eau libre, il arrivait que je parle, je connaissais beaucoup de mots que je pouvais assembler selon des règles familières que j’observais sans y penser, de sorte qu’on me comprenait aisément.

Depuis que j’ai entendu la voix, j’ai la gorge nouée et la tête vide.
Il me semble que je crie de manière ininterrompue, au maximum de mes forces, mais je n’en suispas sûre : je suppose que je m’entendrais et, depuis un moment, je n’entends plus rien.
Rien du tout.

Je vois que l’herbe de la plaine est ployée, couchée et mouvante comme quand il y adu vent, que les vagues viennent se briser sur la grève et je n’entends plus un seul bruit.
Peut-être la voix m’a-t-elle rendue sourde ou je veux tellement l’entendre que je refuse d’entendretout ce qui n’est pas elle ?
Les gens viennent et me parlent, je vois leurs lèvres bouger.
Cela m’ennuie beaucoup et je tente de me rassurer en me disant que la voix est très puissante, quele petit bavardage humain ne peut pas la couvrir, mais l’agacement grandit en moi.
Je détourne mon regard d’eux, je le porte vers l’horizon ou vers le ciel puisque c’est de là qu’elle viendra, et je m’applique à ne pas voir les petits visages grimaçants de ceux qui veulent me distraire.
Je n’ai plus envie de bouger, après tout mes propres mouvements font un certain bruit
qui pourrait me distraire du bruit essentiel.
Si discrète qu’elle soit, ma respiration ne m’empêche-t-elle pas d’entendre?
Et les battements de mon cœur?                         Je suis sûre qu’ils m’assourdissent.
Il faudrait que je fasse tout taire en moi, que j’arrive au silence absolu des statues,
je veux que tous mes bruits s’arrêtent, le sang, les entrailles, les poumons sont insupportablement agités, mon corps vocifère, ce doit être lui qui encombre mon ouïe, il bouche l’éther,                         les sons ne se propagent plus, mon corps rend l’air si lourd que les délicates vibrations de la voix ne peuvent plus l’ébranler, tout cela doit s’immobiliser et je crois qu’alors, dans l’instant qui suit le dernier battement de cœur, la dernière exhalaison, il y aura ce qu’il faut d’immensité pour que, juste avant que je meure, se déploie de nouveau le bonheur et l’unique cordeau des trompettes marines.

 

extrait du recueil de nouvelles   « La Lucarne »   Stock  1992


Jacques Lovichi – Piazzale Michelangelo


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Piazzale Michelangelo
les ombres courent sur la ville
océan des cloches
soudain
Dire juste le tremblement
cette fêlure dans la vitre
la pluie de cendres sans oubli
Un autre jour meurt.


Alain Roussel – la dérive du Verbe


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gravure: extraite du livre des  « Histoires véritables de Lucien de Samosate »
« Cela appelle, je ne sais pas d’où mais cela appelle, d’une voix sourde, lointaine, masquée, c’est peut-être une rumeur qui vient de l’océan, ramenée par les vagues sur ce rivage désert où je me tiens en alerte, sur le qui-vive et comme habité par la houle, une certaine façon de tanguer dans la langue et même un certain goût pour le naufrage, j’aime à imaginer que je dois ma survie à cette chose précaire et fragile, un morceau de bois déchiqueté, un mot brisé auquel je m’accroche dans la tempête, m’abandonnant ainsi à la dérive du Verbe comme il vient, balloté, emporté par la phrase…« 
Alain Roussel

Carles Duarte – l’abîme


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L’Abîme

Au-delà de la mer
– je peux sentir son vertige -,
il y a un abîme.

J’abrite mes regards
derrière mes paupières fatiguées.

Tandis que j’observe les vagues,
j’écoute le corps,
sa routine incessante
chaque fois que je respire.

Je suis ressorti dans la rue.
Je tente en vain d’y retrouver des images.
Je n’y reconnais pas cet enfant blond,
ni la cour pleine de lumière.

Il me reste, pourtant, des miettes bleues
et les visages des mes parents que j’imagine.

Je m’assieds sur le sable
pour refaire les châteaux d’autrefois,
pour me rappeler.

Au-delà de la porte de l’air,
de la lumière primordiale de cet après-midi,
d’une joie que je regrette,
l’océan transparent de l’oubli
me détruit.

 

Traduit par François-Michel Durazzo
Le centre du temps, Fédérop, 2007

L’abisme

L’albada és de cristall
i una Lluna de marbre
s’allunya pel ponent.
Dins els teus ulls
viu un silenci dens,
un fred precís
que ens pren la mà
i ens duu molt lentament
fins al llindar,
sense passat,
sense futur,
on tot és fet d’abisme.
T’abraço fort,
m’abraces,
vençuts per aquesta set,
per aquest dolor
que es torna inextingible.
Aprenc a abandonar-me.
La mar i jo
ja som només
la llàgrima.

Extrait de: El centre del temps
Edicions 62, 2003

A pertes de vues – ( RC )


010309_0775_0028_nsls.jpg

– Qui connaît le milieu
d’une mer ? : elle se referme sur mes yeux,

>           Je n’en situe pas le centre,
ni ce qui les hante…
bien étanches à des sensations…
autres que celle du glissement de l’eau..
C’est peut-être que ceux-ci deviennent poissons,
et se cachent comme ils peuvent sous les flots,
en fuyant mon visage,
( comme si j’écrivais :  fuyant le rivage… )
La peau en serait la surface,
Elle se ramollit et s’efface,

On n’en saisit plus          les bords
Les yeux fuient bien plus au nord :
On voit bien qu’ils plongent
à mesure que les jours s’allongent,
et le regard se fait plus flou,
en échappant aux remous,
et aux mouvements de l’onde :
>         on dirait qu’ils fondent

ils se dissolvent dans le liquide
en délaissant les rides
accrochées aux paupières :
il y a de moins en moins de lumière
quand on s’écarte du soleil :
>       C’est la porte du sommeil :
Plus rien ne les anime,
au plus profond de l’abîme:

l’eau ruisselle et glisse,
mais sur une face,         désormais lisse :
il n’est pas sûr qu’ils émergent de l’océan :
désormais perdus dans le néant:
Il n’y a plus d’ailleurs
que pour le regard intérieur
comme s’il s’en était allé
dans une immensité d’eau salée…

C’est ainsi que du lointain se dilue
ce que l’on imagine  » à pertes de vues « .

RC – fev 2016


l’épaisseur des murailles – ( RC )


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Ce sont des sombres bastilles,
bâties de pierres lourdes,
refermées sur la peur,
aveugles aux terres promises,
qui pourtant les entourent.

Pas de fenêtres ouvertes  sur elles,
ni sur les autres,
juste des meurtrières
qui enferment d’abord la joie,
et finissent isolées sur leur promontoire.

L’épaisseur des murailles,
désaffectées, en désaffection
n’a pas plus de prise sur les rêves,
qu’une fragile  coquille,
un frêle esquif sur l’océan.

RC- nov 2015


Benjamin Fondane – des pays qui fondaient comme un fruit dans la bouche


graffiti Mona-Lisa cf site
II y eut autrefois des choses sans musique
des pays qui fondaient comme un fruit dans la bouche
des étés haletants
des silences plus frais que neige
des êtres qui entraient en nous et qui sortaient
sans qu’on s’en rendît compte,
nourritures, paresses savantes, jus d’oiseaux
idiomes heureux, échanges,
de sorte qu’on était ce qui entrait en nous
parfois un cil, parfois un ange
parfois un baobab où la hache faisait
des blessures délicieuses
et quand, souvent, des femmes ou des sangsues roses
se collaient à nos corps
on éprouvait soudain la joie d’être mangé
et le délice affreux de devenir un autre.

Ces choses n’avaient ni commencement ni fin
cela ne finissait pas d’être
pas un trou, pas la moindre fissure
pas un visage lézardé !
les hommes se tenaient coude à coude, serrés,
comme pour empêcher qu’on y passe
pas une absence entre deux vagues
pas un ravin entre deux mots
pas un passage entre deux seins
lourds, gras,
et pourtant au travers de la muraille lisse
quelque chose suintait
l’écho ranci d’une fête étrange, une sueur de musique,
les gouttes d’un sang frais qui caillait aussitôt
sur la peau morte du monde.

Je n’ai jamais rien compris à ces mélanges
j’entrais et d’autres sortaient,
puis d’autres qui tournaient autour du crépuscule
ou se penchaient sur les saisons
et nul ne se doutait que ce n’était pas là
la terre ferme,
que l’océan n’était pas un jardin suspendu
j’entrais à tout instant dans la vie des autres
et j’oubliais de fermer les portes après moi
chacun portait en lui un monde doux et tendre
des coins où l’on était surpris par la douceur
je n’avais pas de nom, comment s’appelaient-ils ?

C’était si bon de ne pas avoir de figure,
si bon d’être poreux, ouvert,
qu’à l’heure de dormir chacun
se disait en rêvant : – que sera-t-elle encore
cette grande journée, sans dieu, du lendemain ?

*Benjamin Fondane


Teintes d’apocalype – ( RC )


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Tant d’eau rassemblée,
n’attend pas le jour
pour se teindre d’oranges.
Le soleil n’y est pour rien,
Ayant sombré bien avant
Il était quelque peu ivre,
ayant dépassé les bornes,
perdu derrière l’horizon.
Ce n’est pourtant pas une éclipse,
mais l’accomplissement du présage
où le paysage
bascule dans l’apocalypse.

Le reptile se déploie,
dénoue ses collines,
délègue des îles
derrière un rideau de fumée.
Et c’est d’un ciel chargé
de cendres et de gris,
que surgit la girafe enflammée,
espérant, de son grand cou
dépasser les nuées,
déplacer la solitude,
renverser les ruines,
boire les étoiles.

Le réveil des volcans
secoue le continent,
illumine l’océan,
transforme les îles en montagnes
s’échancrant de couleurs factices,
rumeur de colère de la terre,
soudain prête à l’effusion des pierres,
le rideau des feux d’artifice,
des entailles profondes,
à la surface du monde,
où la mer s’engouffre,
sous l’acre odeur de souffre…

 

RC

 

 

Afficher l'image d'originedessin  :Salvador Dali   dîner dans le  désert  avec girafes  en feu  1937


Murièle Modely – espérer ton retour


photographe non identifié

photographe non identifié

je devrais pour une fois, plutôt que de malmener la pulpe de mes index
(je ne tape qu’avec deux doigts, tu le sais bien)
je devrais pour une fois espérer ton retour
m’enrouler dans la nuit, ouvrir aux quatre vents ma bouche et mes paupières
je devrais prendre l’air, inspirer par les yeux ce qui de nous s’échappe
ton ombre fabuleuse collée à mes talons, mon mystère poisseux, nos tout petits poissons
est-ce normal dis moi, de boire la tasse sans apaiser sa soif
est-ce normal de jouir ainsi des lettres et des espaces
je m’interroge, tape, diffère, dis verse, diverge
les mots font des bulles au fond de l’océan
je pulse, j’azerty, j’yuiop, pense à toi dans les microscopiques accrocs de mes inspirations
je devrais pour une fois tenir la phrase, énucléer les métaphores
(mais tu sais combien j’aime poser mon corps tout au fond de l’amphore
– et que ne ferai-je pas pour une incise à rimes)
je devrais pour une fois
prendre le mot
pour ce qu’il est
t’attendre
te regarder
ouvrir la porte
dire 
je suis rentré
fev 2015
visible  sur le blog de Murièle Modely

Serge Mathurin Thebault – Dialogue


peinture:           Eugène  Isabey:        baie de St-Enogat

Le rocher n’a pas son  pareil   pour dialoguer avec l’océan

Cela se fait sans mots

Cela se fait   après une lente étude   de la caresse.

 

Serge Mathurin THEBAULT

 

– l’auteur nous fait part  également  de son site, ici

 


Le bruit dans mes tempes ( RC )


peinture:      Odilon Redon.       Le coquillage

 

Le bruit et le sang

Pénètrent dans mes tempes,

Et l’âme éclatée,

Tourbillonne sur elle-même,

Prisonnière de mon Je,

Tête et corps assemblés,

En bonne logique,

Et pourtant séparés.

Ce n’est pas par la distance,

Mais la terre qui parle

A travers nous,

De l’antre et de l’arche.

L’oeil du silence

Et pourtant le bruit

Des désirs qui se heurtent

Aux mémoires sensibles.

L’océan des plaines douces

Aux tensions secrètes,

Le ventre coquille,

Qui boit mes émotions.

Et comme les silex

Qui se heurtent

Les bouquets d’étincelles,

-nous engendrons nos ciels –

Dans un voyage

Aux lointains d’écume

Où il n’est pas besoin de paroles,

Pour s’entendre en échos….

RC – 4 mars 2013


Tristan Cabral – le pays d’où je viens


 

photo  Ruth Montoya

photo    Ruth Montoya

 

le pays d’où je viens n’est d’aucune mémoire
et la mer en novembre y monte jusqu’aux toits
les maîtres de naufrages attendent sur les dunes
qu’un bateau étranger se perde dans les Passes

le pays d’où je viens à la couleur des lampes
que les enfants conduisent aux limites du sable
on y marche toujours au pays des légendes
la trace des hommes s’y perd dans une Ville d’Hiver

le pays d’où je viens a la douleur des landes
on y porte parfois des épaves insensées
il y a parfois des bêtes blanches à la lisière des eaux
et des forêts de feu près des océans morts

le pays d’où je viens a la blessure des rames
on y voit quelquefois des traces de passages
qui mènent à des marées mortes depuis longtemps
souvent les chalutiers battent pavillon noir

le pays d’où je viens est plein d’hommes de guerre
des maisons de ciment que l’on dit allemandes
tombent depuis toujours dans les océans gris
une femme m’y attend et depuis m’y conduit

en face de Saint-Yves lors de la messe en mer
des prêtres sur les vagues jettent des pains de sang
tandis que des enfants en uniformes noirs
crèvent le long des plages des bancs de méduses blanches

le pays d’où je viens n’a jamais existé
un vieil enfant de sable y pousse vers le large
un bateau en ciment qui ne partira pas
le pays d’où je viens s’endort en chien de fusil

le pays d’où je viens n’est d’aucune mémoire
un Casino Mauresque y brûle sous les eaux
une femme s’y promène au bras d’un étranger
le pays d’où je viens n’a jamais existé…