Les oiseaux se sont tus, soudain,
les vaches ont cessé de brouter,
les filles ne fanent plus que d’un œil
et les vieilles qui le croisent se signent,
bourdonnent cinq Ave, pressent le pas...
Dans le hameau où la pierre froide
mêle son odeur à celle des bois
il cogne aux portes, toque aux carreaux
à travers lesquels il peut voir
sur les murs ricaner le Christ,
mais la Vierge demeure introuvable
qui sera son autel ce soir ?
Puis je m’attends à ce que tu t’en ailles
Je ne veux plus t’écouter
Je ne veux plus te parler
J’ai vieilli de toi
Et même ton odeur autrefois mêlée d’amour
Est devenue aujourd’hui monotone
Comme le paysage d’un village familier où la muse a fait taire sa poésie
Comme le paysage d’un village familier où aucun élément hors l’écho
N’impressionne
Amour ô toi quel sens auras-tu si le chemin vers la douceur
Qu’elle portait en son reflet
S’évapore
J’adore sans savoir pourquoi son absence
Et je suis certain que sa compagnie dans l’espace est vitale
Je l’ai toujours aimée car elle peut résister à l’amour
Comme peut résister l’art à la touche parfaite de l’homme
Amour ô toi j’en suis las tu es triste
Je connais tes joies elles sont courtes et perfides
Je connais ta folie je connais tes peines je vis ton vide
Pourquoi ce mirage à chaque voyage vers ses nuages discrets
Pourquoi la brume
Pourquoi tu ne parviens pas à saisir les rimes
qui peuvent raconter son histoire inutile
Pourquoi
La solitude
On retrouvera des lettres entre les draps, dans une armoire normande au bois vermoulu. Dans la chambre où la poussière a figé le temps, on traversera en quelques pas des années de silence. Contre le mur, calé par des livres de papier jaune, le grand bahut nous craquera sa vérité enfouie. Il faudra de la patience pour ouvrir l’armoire à la serrure grippée. On insistera. La clef en laiton fera des tours perdus à l’angoisse de la découverte. Les battants finiront par céder dans un frémissement. Sur les étagères, des piles de linge viendront sous nos yeux disperser les lunes, dévoiler des années d’intimité au jour neuf.
On retrouvera des lettres entre les draps de lin pliés au carré. Avant le brin sec de lavande, le flacon d’huile essentielle de cèdre, un reste d’odeur humaine. Des lettres oubliées dans les plis du passé, à l’abri du regard de l’autre. Cet autre à qui on a caché les mots. Sur les enveloppes, on admirera la calligraphie, les hautes jambes des lettrines, les vieux timbres et les dates évoquées feront passer le siècle pour une respiration.
Est-ce qu’on a le droit de demander à quelqu’un pourquoi il marche de la façon dont il marche… Est-ce qu’on demande à quelqu’un pourquoi il respire comme il respire, pourquoi il a ce grain de voix, cette odeur corporelle, pourquoi il dort sur le côté, pourquoi il crie quand il jouit ou pourquoi il ne prend jamais de sucre dans son café… Mais alors, pourquoi donc demander toujours à celui qui écrit peu ou prou, pourquoi il écrit comme il le fait ? Est-ce que ça ne suffit pas, que ce soit là, parce que ça devait sortir et surtout parce que ça devait sortir comme ça ? N’y a-t-il pas que cela qui compte en fait, en réalité et en définitive…
Parce que, dis-donc ! tu ne la trouves pas un peu compliquée toi, la Vie, des fois… Et ta vie-même, la tienne-là ! celle qui s’écrit sous tes yeux sans s’écrire ! est-elle vraiment si simple, ta vie… Ne se nourrit-elle pas de traces confuses, de paillettes morbides, d’illusions kaléidoscopiques et d’ombres et de lumières… Est-ce que tu as déjà regardé de près une feuille de papier, une tache d’encre, un mille-feuille, un marc de café, un morceau de sucre ou la lampe de ta cuisine…
A chaque fois que l’on me parle d’un écrivain tellement si « super » ou « génial » en la raison de sa simplicité, de son accessibilité ou de son art supposé de la belle communication (spécialité du journaliste-culture estampillé France Inter par exemple)… A chaque fois oui ! un malaise insidieux s’empare de moi, dont l’essence m’entre dans l’oreille comme le poison de Hamlet et je ne cherche plus dès lors qu’à m’enfuir au loin, tel un daim au devant des bulldozers autoroutiers… Sans rien demander.
Mon père avait une chambre mansardée où il écrivait ses livres . Quand il n’ était pas là, j’avais l’habitude d’y aller et de regarder. Il y avait des bouts de papier arrachés , de bloc-notes en spirale; des catalogues de maisons d’enchères, du texte entouré de cercles, aux pages écornées, le prix de réserve marqué dans un code; une chaise pliante dure, une table aux tréteaux éclatés et toujours son odeur .
À côté de sa chambre , il y avait une chambre pleine de livres et des bibliothèques; des livres à l’intérieur,d’autres, empilés,et sur le sol (mon dictionnaire un petit Larousse recouvert de papier brun de mon père provenant du camp de prisonniers ).
Je ne me suis jamais assise dans la bibliothèque, quand mon père était là J’ avais peur de lui et de toute façon nous n’y étions pas admis quand il se concentrait. Il détestait faire ses livres mais je crois qu’il aimait être seul.
J’y allais après qu’il soit parti comme une façon d’être auprès de lui. Puis je suis allée à la bibliothèque où tant d’histoires abandonnées sont ensemble sous la poussière jusqu’à ce que je les ouvre, poudrant le bout de mes doigts.
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trad RC
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texte original ci-dessous
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My Father’s Room
My father had an attic room where he did his books
when he wasn’t there I used to go and look.
There were scraps of paper torn off spiral pads;
auction house catalogues, text circled, pages dog eared,
reserve prices marked in code; a hard folding chair;
a splintered trestle table and always the smell of him.
Next to his room was a room full of books and bookcases;
books in them, on them and on the floor (my dictionary
a tiny Larousse covered in brown paper was my father’s
from prison camp).
I never sat in the book room when my father was there
I was afraid of him and anyway we weren’t allowed
when he was concentrating. He hated doing his books
but I think he liked being alone. I’d visit after he’d gone
as a way to be near him. Then I went to the book room
where so many abandoned stories gathered dust
until I opened them, powdering the tips of my fingers.
vous deux ombres qui m’accompagnez
dans tous mes déplacements
suspendues à mes lèvres épiant mes faits & gestes
et prétendant me servir à tous desseins
toute figure double à ma mémoire exténuante
en quelque sorte
vous êtes le mot & la phrase en même temps
vous entravez ma marche ralentissez
ma progression vers toujours plus d’ombre
toujours plus d’ombre
vous tirant avec moi
jusqu’au relais jusqu’à la halte
dès le seuil vous respirerez l’odeur rance
vous serez surpris par la lumière
rectangulaire des combles
& par la poussière également surprise
dans les rais du jour ainsi le copeau de grisard dans
l’éclat de la lame