Thomas Vinau – de ce côté-ci du ciel
photo Bruno Daversin ( Cévennes )
De ce côté-ci du ciel ne perdure qu’une miette, une impression rosâtre, un soupçon de nuage qui disparaît avant d’y accrocher un seul mot.
De ce côté-ci du ciel, le crépuscule est venu me chuchoter que le temps nous rattrape comme un ogre affamé, que dès que je m’assoie il a les dents qui poussent, que la poussière attend, patiente, que chacun lui revienne.
De ce côté-ci du ciel, le vent a battu la cadence pour que l’obscurité avance jusqu’à me piétiner la tête de ses chaussons brillants et laisser dans mes cheveux des paillettes embrumées, des sentiments d’étoiles.
De ce côté-ci du ciel, les parfums se mélangent dans le grouillement du monde. L’air se frotte à la terre. Les arbres s’enlacent entre eux et l’eau creuse des lits sombres pour l’amour des poissons.
De ce côté-ci du ciel, la lune gomme le fracas des hommes, elle efface tendrement les vestiges du vacarme et la terre se repose un peu pendant qu’une poussière explore le monde sur le dos sombre de la lumière.
De ce côté-ci du ciel, les ailes des chauve-souris qui lui chatouillent le ventre font frissonner la nuit et son rire délicat est comme une prière, une chanson lancinante qui nous dit que le vide est le seigneur du monde.
L’Ogre et l’hirondelle – (Susanne Derève)

Photomontage – René Chabrière
J’étais l’Ogre j’étais l’Ogre
petite hirondelle sous les toits
et tu te ceignais de nuages
à tire d’ailes
et je chaussais mes bottes de sept lieues
pour te rejoindre
par dessus les montagnes par-dessus les vallées
et les nuages t’emportaient
loin des montagnes et des vallées
petite hirondelle
à tire d’aile
Alain Borne – Étonner l’espace
On avait fauché dans les fleurs hautes et les herbes une tranchée où marchèrent les enfants, vêtus de blanc, agitant les encensoirs.
Les encensoirs touchaient un coquelicot, le fanaient, puis, revenant, couraient sus à une abeille, à un bourdon, touchaient un œillet des champs, repartaient en sens inverse effleurer une tige. Tant d’odeurs se mêlaient, du sol, du foin frais, des fleurs, de l’encens, du soleil.
De loin le cortège étincelait et fumait, surhumain, floraison en marche, passagère, silencieuse.
Un ogre aurait pu, aurait dû, égorger ces enfants, livrer leur sang exprès ; teindre la terre, étonner l’espace d’un grand crime. Pas d’ogre.
Mais un Dieu, très lent, cruel, hagard, décidé, écrasant ses vendanges, souillant ses sources, plein de sommeil et d’envie.
Il laissa fondre le cortège, sa pestilence aux aguets, bien sûr de vaincre.
Alain BORNE « Demain la nuit sera parfaite »(éd. Rougerie)
Pierre Silvain – les chiens du vent
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Sous la poussière il retrouve
L’ardoise d’enfance fêlée
Avec les griffures intactes
Proclamant sa détresse d’être
Celui qui toujours demeure
Au seuil du monde déchiffrable
Dans l’attente d’une aveuglante
Révélation ou d’un anéantissement
Rien n’a changé
Tout continue de se refuser
Là derrière
Lueur tremblante et louche
Au fond de la nuit d’encre
C’est la fenêtre du logis
De l’ogre perdu dans les bois
Vers quoi conduisant la fratrie
Résolu même sans
Les cailloux en poche
Poucet avance
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Pierre Silvain est un auteur que j’apprécie beaucoup notamment dans ses livres – contes philosophiques – publiés chez Mercure de France:
Zacharie Blue,
Le Grand Théâtre,
La promenade en barque
– Les Eoliennes,
– La Dame d’Elché… ( célèbre sculpture, qui a fait l’objet d’une reprise – dans l’imaginaire ibérique, par l’artiste Manolo Valdès, cité dans cet article )
il a été ensuite été publié par de nombreux éditeurs, et notamment les éditions Verdier
j’avais été en contact personnel avec lui, et il appréciait beaucoup ma façon de peindre…, c’est l’occasion ici de lui rendre un autre hommage.
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ce poème, que je viens de découvrir offre d’étranges similitudes à celui que j’ai écrit et publié il y a fort peu de temps: « le monde des possibles »
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