peinture Marc Chagall – costume de Zemphira, pour Aleko
C’est parti dans les nuages j’éprouve des bonheurs inconnus et familiers chaque jour renouvelé chacune de mes journées est merveilleuse j’ai peine à y croire
VI
Cette vie est semblable à un rêve j’en ai tant de ces rêves que je n’y vois plus rien mes yeux distinguent à peine tout ce qu’il y a de réel je les écoute parler j’ai du mal à suivre j’écoute intensément pourtant mes pensées sont déjà ailleurs je me sens comme un oiseau flottant qui n’a pas appris à se poser les musiques les livres et les films tous aussi nombreux que les êtres humains qui habitent la terre sensation de danser dans les choses et les êtres je fluctue je marche je divague sur les eaux j’erre et j’ai quelques brasiers au-dedans à entretenir quelques êtres dont je dois prendre soin
Le temps se dénoue quand s’élance le chant de l’oiseau . Il m’est revenu, chante pour moi une mélodie neuve qui , pourtant , ne m’est pas inconnue ; c’est par ta voix dans un arbre lointain que s’effacent les doutes pour la clarté la plus sereine. Cet arbre est en moi il étire ses branches jusqu’à peut-être te frôler. Alors point n’aurai chagrin, de ton corps disparu, car c’est ta voix que j’ai reconnue.
( variation » réponse » sur le poème 4 de 1854 d’Emily Dickinson )
Un éclat fauve entre les branches : rouge-queue porte bonheur. Le couple est de retour; du faîte du tilleul jaillit le chant mélodieux du mâle.
Telle frénésie ce soir, rossignol des murailles, l’amour est-il un doux rêve d’oiseau ?
Bientôt viendront les hirondelles, attardées dans les roselières, mais la mienne est si loin, dans un pays de mousson et d’orages qui ne connaît pas de printemps.
Quel pays portera la poussière de leurs ailes ? Non pas celui de mon oiselle, dont l’aile était si douce et la voix chantait clair, je m’en souviens.
Tes émissaires se tiennent sur notre seuil « Que chacun apporte ce qu’il a de meilleur », disent-ils Les riches ont entassé leurs joyaux, leurs étoffes, Chargés de bagues leurs doigts ont plus d’éclat que leurs yeux, Le parler des monnaies a couvert celui de leur mémoire Ils n’entendent pas la marche des hommes de l’avenir Mais nous Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Une fois encore nous sommes les méprisés, les humbles. Eux, ils ont rempli les vaisseaux. Ils marchent A la tête d’armées glorieuses. Ils appellent Du fond des temps leurs moissons, leurs troupeaux, Nul trophée n’est oublié et sur leur front Le songe de leur force élève une couronne Mais nous Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Nous avons vu l’inoubliable étoile, La fanfare altière des forêts dans l’orage Le soleil dans les arbres comme en le bois d’un cerf, Les océans traçaient autour leur cercle de feu Chaque chose murmurait « rappelle-toi bien » Il fallait garder l’image non pas la chose Et nous Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Eux, ils apportent ce qu’ils ont pris, mais non La flamme sans parure en l’urne de leur âme, Toujours le contenant, jamais le contenu, La pierre mais non pas sa voix muette, L’oiseau mais non la fumée de son vol, Le métal non l’éclat dans les roues de l’aube Mais nous Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Notre part a été la part du faible. Non pas demander, mais se donner tout entier, Nous distribuant dans l’univers pour mieux ensuite Le recevoir en nous. O ! Mers, montagnes, astres, Nous n’avons retenu que vos reflets, Du riche bétail dans les étables nous avons préféré le souffle, Et nous Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Nous venons les mains vides, le regard serein Car les noms sont en nous. Tes émissaires sauront les lire Les autres entassent tout ce dont ils nous ont dépouillés Et le monde purifié dans le feu de leur envie Nous protège et nous accueille. Les autres s’écroulent Sous le fardeau des triomphes et des parures Mais nous Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Ce moineau qui se pose sur ma fenêtre incarne une vérité
plus poétique que naturelle. Sa voix. ses mouvements,
ses habitudes – comme il aime à secouer ses ailes
dans la poussière – tout le confirme ; certes, il fait cela
pour chasser la vermine mais son soulagement lui fait
jeter un cri vigoureux plus caractéristique du registre musical
que d’autre chose. Où qu’il se trouve au début du printemps
dans une rue mal famée comme auprès d’un palace imperturbablement
il vaque à ses amours. Ça commence dans l’œuf,
son sexe veut ça : Quoi de plus prétentieux et vain
que ce dont nous sommes le plus fiers ? Et qui souvent nous mène
à notre perte. La voix provocatrice du jeune coq, du corbeau
ne saurait surpasser la ferveur de son tchip !
Une fois à El Paso vers le soir,
j’ai vu – et entendu ! –
des milliers de moineaux venus du désert se percher.
Ils remplissaient les arbres d’un petit parc. On s’enfuyait (les oreilles qui tintaient)
loin de leurs fientes, abandonnant les lieux aux alligators
qui habitent la fontaine. Son image est aussi familière
que celle de l’aristocratique licorne, dommage que de nos jours
on ne consomme pas plus d’avoine, il aurait la vie
plus facile. Il a
sa petite taille, son œil vif, son bec solide
et sa combativité pour s’en tirer – sans parler
de son innombrable progéniture. Même les Japonais
le connaissent et l’ont peint avec bienveillance,
une profonde acuité jusqu’en ses moindres caractéristiques.
Rien à signaler
de très subtil quant à sa parade nuptiale.
Il se tapit devant la femelle . laisse trainer ses ailes
tout en valsant, rejette la tête en arrière et sans plus de cérémonie
braille ! Son vacarme est épouvantable. La façon qu’il a de se frotter le bec
contre une planche pour le nettoyer est irrévocable.
Ainsi de tout ce qu’il fait. Ses sourcils cuivrés au-dessus des yeux
lui donnent un air d’éternel vainqueur – et pourtant
une fois j’ai vu une femelle de son espèce résolument
cramponnée à une gouttière l’attraper
par la calotte et le contraindre au silence,
à la soumission, le tenant suspendu au-dessus de la rue jusqu’à
ce qu’elle en ait fini avec lui. A quoi tout cela pouvait-il bien servir ?
Elle était là suspendue elle-même, déconcertée par sa victoire.
J’ai ri de bon coeur
Réaliste jusqu’au bout c’est le poème
de son existence qui l’a emporté finalement ;
une touffe de plumes aplatie sur le bitume,
les ailes écartées symétriques comme en plein vol, la tête arrachée, l’écusson noir du poitrail
indéchiffrable, une effigie de moineau, rien qu’une hostie desséchée,
pour dire ce qu’elle dit, sans offense,
admirablement ; C’était moi, un moineau.
J’ai fait de mon mieux ; salut.
William Carlos Williams The Sparrow (To My Father)
This sparrow who comes to sit at my window is a poetic truth more than a natural one. His voice, his movements, his habits — how he loves to flutter his wings in the dust — all attest it ; granted, he does it to rid himself of lice but the relief he feels makes him cry out lustily — which is a trait more related to music than otherwise. Wherever he finds himself in early spring, on back streets or beside palaces, he carries on unaffectedly his amours. Il begins in the egg, his sex genders it : What is more pretentiously useless or about which we more pride ourselves ? It leads as often as not to our undoing. The cockerel, the crow, with their challenging voices cannot surpass the insistence of his cheep ! Once at El Paso toward evening, I saw and heard ! — ten thousand sparrows who had come in from the desert to roost. They filled the trees of a small park. Men fled (with ears ringing !) from their droppings, leaving the premises to the alligators who inhabit the fountain. His image is familiar as that of the aristocratic unicorn, a pity there are not more oats eaten nowadays to make living easier for him. At that, his small size, keen eyes, serviceable beak and general truculence assure his survival – to say nothing of his innumerable brood. Even the Japanese know him and have painted him sympathetically, with profound insight into his minor characteristics. Nothing ewen remotely subtle about his lovemaking. He crouches before the female, drags his wings, waltzing, throws back his head and simply — yells ! The din is terrific. The way he swipes his bill across a plank to clean it, is décisive. So with everything he does. His coppery eyebrows give him the air of being always a winner — and y et I saw once, the female of his species clinging determinedly to the edge of a water pipe, catch him by his crown-feathers to hold him silent, subdued, hanging above the city streets until she was through with him. What was the use of that? She hung there herself, puzzled at her success. I laughed heartily. Practical to the end it is the poem of his existence that triumphed finally; a wisp of feathers flattened to the pavement, wings spread symmetrically as if in flight, the head gone, the black escutcheon of the breast undecipherable, an effigy of a sparrow, a dried wafer only, left to say and it says it without offense, beautifully ; This was I, a sparrow. I did my best ; farewell.
Un lent voyage d’hiver enfoui dans la grisaille,
au fil des routes, quelques enseignes :
gites, miel, potier,
le lourd panache des fumées,
un givre d’ombres sur les branches
basses des sapins.
Dans les clairières, poudrant les coupes claires
du bois,
le fin linceul du gel marqué d’empreintes,
pas, ornières - les roues profondes des engins -
et la griffe étoilée d’un merle
silencieux
traçant son chemin sur la neige,
calligraphie légère d’un fugitif adieu.
L’oiseau a fait son nid dans un chant. Il répète la mélodie sans cesse, jusqu’à n’être plus, lui-même, qu’une variation sur le thème. Une phrase immense, plus vaste que ses poumons, l’enveloppe et le disperse. Il est le seul gardien de cette liturgie de l’air, qui compose le silence avec les sons nécessaires: nécessaires pour remettre le ciel en place.
Le blanc sillage d'un bateau
routes sur la mer
archipels
ai-je ainsi, ma vie, navigué d’île en île
Le vol lent d'un oiseau
dans les tresses virginales du jour
dessinait d'autres routes
à travers ciel
Viens boire dans ma main,l’oiseau.
L’aile du vent s’est tue.
On annonce aujourd’hui 50° à Rio
et autant à Paris,
et la voix qui claironne la mort
lente des ombres,
celle bleue du figuier,
et la joue ronde du cormier,
et le voile doré des trembles,
qui égrène les villes,les fleuves,
les pays,
La voix dit:
« à Rio,les mangroves ont séché;
Paris n’entend plus le chant menu
des fontaines.
À Rome,le marbre s’est brisé,
et l’asphalte a fondu à Londres
et à Memphis;
le Rhône et le Danube ne charrient
plus que des boues lisses,
et le sel sur les rivages de nos étés
trace des routes blanchesqui crissent sous le pas comme du verre pilé ». Viens boire dans ma main,Oiseau,
je te dirai une autre histoire
où tu nichais dans la fraîcheur
des granges;les matins s’habillaient de perles
de rosée
et le froid emportait les migrations
d’automne vers de nouveaux étés.
C’était un temps ancien où les oiseaux chantaient.
Le ciel mélancolique a bonne mine
Une apsara dotée de tous les pouvoirs
Vole sous la bruine et le vent
Son regard obstiné perce la brume rouge
Colombe grise sur le plateau du Golan
Dans la frénésie de l’été
Elle déploie ses ailes nues à sa guise
Elle regarde fixement tes yeux
Me voilà confus et triste
Je cherche les ailes qui s’envolent
Et c’est ma rose que j’aperçois
Âme qui vive ?
Non, le bruit du vent.
En sentinelle,la lisière des enclos,les fûts dressés
des sapinières
et de courtes brassées d’épines : chardons, carlines, genévriers,
le lit du vent.
Celui du causse court en longues foulées sonores
semblables à la rumeur d’une mer ancestrale
essaime un pépiement d’oiseau,
nasillard, monocorde,
émonde l’Aubrac de ses brumes.
Choisis une pierre de calcaire, blanche et dorée,
grave-la de ton nom,
je te couronnerai roi d’une solitude où seule vit,
souffle et trépigne la grande harpe du vent.
Épouse-la , ou fais-toi homme du silence
pour la combattre
tant elle nous tient dans sa main, étrangers,
incongrus, couvrant le chétif grelot de nos voix
nous forçant à remettre à plus tard de dire
l’étoupe blonde des prairies harassées,
l’argile lourde des chemins,l’arpent noir
des forêts,
et seule âme qui vive,
le babil insensé de l’invisible oiseau,
son chant nuptial dans la longue liturgie
du vent.
Petite Mère
Les étourneaux pépient dans le coeur du feuillage
mais tu ne les vois pas
Plus légers qu’une plume, que l’aile d’un moineau
tes souvenirs s’envolent
C’est un dimanche nu que ta mémoire
une plaine déserte un arbre silencieux
que n’égaie plus nul chant d’oiseau
Ah d’un petit enfant, Tu sais comment pour moi tous les sons sont devenus de la musique, La voix de ma mère dans une berceuse ou un hymne, (La voix, O voix tendres, voix aimantes de mémoire, Dernier miracle de tous, O voix la plus chère de ma mère, sœur, voix;)
La pluie, le maïs en croissance, la brise parmi le maïs à longues feuilles, Le surf de mer mesuré battant sur le sable, L’oiseau qui gazouille, Le cri aigu du faucon, Les notes des oiseaux sauvages la nuit comme volant bas migrant vers le nord ou le sud, le psaume dans l’église de campagne ou au milieu des arbres en grappes, la réunion de camp en plein air, le violoniste dans la taverne, la joie, le chant de marin à longue haleine, Le bétail bas, le mouton bêlant, le coq qui chante à l’aube.
Toutes les chansons des pays actuels résonnent autour de moi, les airs allemands d’amitié, de vin et d’amour, les ballades irlandaises, les joyeux jigs et les danses, les parures anglaises, les chansons de France, les airs écossais, et le reste, les compositions inégalées d’Italie. À travers la scène avec une pâleur sur son visage, mais une passion sombre, Stalks Norma brandissant le poignard dans sa main. Je vois la lueur artificielle des yeux des pauvres fous de Lucia, Ses cheveux le long de son dos tombent et se décoiffent. Je vois où Ernani marche dans le jardin nuptial, Au milieu du parfum des roses nocturnes, radieux, tenant sa mariée par la main, Entend l’appel infernal, le gage de mort de la corne. Aux épées croisées et aux cheveux gris dénudés, La base électrique claire et le baryton du monde, Le duo de trombones, Libertad pour toujours!
De l’ombre dense des châtaigniers espagnols, Par les murs anciens et lourds du couvent, une chanson gémissante, Chant d’amour perdu, le flambeau de la jeunesse et de la vie éteinte dans le désespoir, Chant du cygne mourant, le cœur de Fernando se brise. Se réveillant de ses malheurs enfin chanté, Amina chante, Copieuse comme des étoiles et heureuse comme le matin, allume les torrents de sa joie. (La femme grouillante vient, L’orbe lustre, Vénus contralto, la mère en fleurs, Sœur des dieux les plus élevés, le moi d’Alboni que j’entends.)
il s’agit d’une partie du texte ( partie 3 ) – qui en comporte plusieurs…
L’oiseau qui chantait dans le feu, c’était le phénix, Depuis il patronne une lessive, une compagnie d’assurances. La bête qui vivait dans le feu, la salamandre, D’elle on ne sait plus rien, c’est un poêle d’appartement. Le char qui roulait dans le ciel, celui du soleil, Il est devenu épicerie à succursales, maison de primes. Et là-haut encore, l’astre des nuits et de l’amour, Vénus, quoi, c’est une marque de soutiens-gorge. Tout ceci, tout cela, des hommes, des poètes…
Après ces rêves qui t’emmènent, légère, dans le roulement des nuages ?
Es-tu l’oiseau qui s’y cache, l’avion qui les dédaigne ?
Tu voudrais t’en approcher, les saisir, les modeler, être dans les bras de l’air et l’azur frileux, lui qui sait que la pluie ne t’en offrira aucun abri.
Où cours-tu si vite ?
Après ces chimères suspendues, sans attaches, dont tu ne pourras jamais t’emparer … ?
Au long du chemin, je vais pieds nus, sur la terre et le sable. Je me nourris de peu, ne compte pas mes pas, et il arrive que je me pose à l’ombre d’un pin .
Je trace avec un bâton des lettres sur le sol qui deviennent des mots , puis un chant que personne n’entendra, ou ne pourra lire.
Ou bien ce sera le vent, les oiseaux qui l’emportera, avant que la pluie ne l’efface : les mots seuls ne pourront parler à ma place,
mais il vaut mieux que je continue mon chemin, suivi un temps par un chien . Il voudrait me parler et m’accompagner, mais je ne peux le traduire .
A-t-il réussi de son côté, à me lire ? Voulait-il me guider sur ma route à venir ? Ce que me disaient ses yeux tendres, je n’ai pu le comprendre…
A chaque terre traversée, je pourrais apprendre une langue neuve pour renaître, avec le peu que je sais dans les mots d’autrui, partager leur mémoire, dans un petit écrit…
Le chat ignore l’oiseau, qui figure sur la photo, juste à côté de lui. C’est que l’image ne le rencontre pas. Cela sent l’encre et non le duvet .
Le côté plat ne fait pas illusion: le monde n’est pas amputé d’une partie de sa réalité, c’est juste la lumière qui s’est posée sur l’oiseau, et dont on a prélevé une trace fugace, mais aucune plume, aucune chaleur. Le chat ne s’y est pas trompé.
L’attente est l’espace d’apparition des images et celui de leur retenue / La rencontre avec l’image : percussion de notre propre attente avec cet espace / Un monde à part du monde / Un monde de la suppléance (Derrida) / Fait de copeaux qui auraient l’étrange pouvoir d’exister sans pour autant entamer le bloc d’où ils proviennent, de prélever sans laisser de traces du prélèvement. (Le travail du seuil in L’imagement / Jean-Christophe Bailly. – Editions du Seuil, 2020. – (Fiction & Cie))