Un lent voyage d’hiver enfoui dans la grisaille,
au fil des routes, quelques enseignes :
gites, miel, potier,
le lourd panache des fumées,
un givre d’ombres sur les branches
basses des sapins.
Dans les clairières, poudrant les coupes claires
du bois,
le fin linceul du gel marqué d’empreintes,
pas, ornières - les roues profondes des engins -
et la griffe étoilée d’un merle
silencieux
traçant son chemin sur la neige,
calligraphie légère d’un fugitif adieu.
L’oiseau a fait son nid dans un chant. Il répète la mélodie sans cesse, jusqu’à n’être plus, lui-même, qu’une variation sur le thème. Une phrase immense, plus vaste que ses poumons, l’enveloppe et le disperse. Il est le seul gardien de cette liturgie de l’air, qui compose le silence avec les sons nécessaires: nécessaires pour remettre le ciel en place.
Le blanc sillage d'un bateau
routes sur la mer
archipels
ai-je ainsi, ma vie, navigué d’île en île
Le vol lent d'un oiseau
dans les tresses virginales du jour
dessinait d'autres routes
à travers ciel
Viens boire dans ma main,l’oiseau.
L’aile du vent s’est tue.
On annonce aujourd’hui 50° à Rio
et autant à Paris,
et la voix qui claironne la mort
lente des ombres,
celle bleue du figuier,
et la joue ronde du cormier,
et le voile doré des trembles,
qui égrène les villes,les fleuves,
les pays,
La voix dit:
« à Rio,les mangroves ont séché;
Paris n’entend plus le chant menu
des fontaines.
À Rome,le marbre s’est brisé,
et l’asphalte a fondu à Londres
et à Memphis;
le Rhône et le Danube ne charrient
plus que des boues lisses,
et le sel sur les rivages de nos étés
trace des routes blanchesqui crissent sous le pas comme du verre pilé ». Viens boire dans ma main,Oiseau,
je te dirai une autre histoire
où tu nichais dans la fraîcheur
des granges;les matins s’habillaient de perles
de rosée
et le froid emportait les migrations
d’automne vers de nouveaux étés.
C’était un temps ancien où les oiseaux chantaient.
Le ciel mélancolique a bonne mine
Une apsara dotée de tous les pouvoirs
Vole sous la bruine et le vent
Son regard obstiné perce la brume rouge
Colombe grise sur le plateau du Golan
Dans la frénésie de l’été
Elle déploie ses ailes nues à sa guise
Elle regarde fixement tes yeux
Me voilà confus et triste
Je cherche les ailes qui s’envolent
Et c’est ma rose que j’aperçois
Âme qui vive ?
Non, le bruit du vent.
En sentinelle,la lisière des enclos,les fûts dressés
des sapinières
et de courtes brassées d’épines : chardons, carlines, genévriers,
le lit du vent.
Celui du causse court en longues foulées sonores
semblables à la rumeur d’une mer ancestrale
essaime un pépiement d’oiseau,
nasillard, monocorde,
émonde l’Aubrac de ses brumes.
Choisis une pierre de calcaire, blanche et dorée,
grave-la de ton nom,
je te couronnerai roi d’une solitude où seule vit,
souffle et trépigne la grande harpe du vent.
Épouse-la , ou fais-toi homme du silence
pour la combattre
tant elle nous tient dans sa main, étrangers,
incongrus, couvrant le chétif grelot de nos voix
nous forçant à remettre à plus tard de dire
l’étoupe blonde des prairies harassées,
l’argile lourde des chemins,l’arpent noir
des forêts,
et seule âme qui vive,
le babil insensé de l’invisible oiseau,
son chant nuptial dans la longue liturgie
du vent.
Petite Mère
Les étourneaux pépient dans le coeur du feuillage
mais tu ne les vois pas
Plus légers qu’une plume, que l’aile d’un moineau
tes souvenirs s’envolent
C’est un dimanche nu que ta mémoire
une plaine déserte un arbre silencieux
que n’égaie plus nul chant d’oiseau
Ah d’un petit enfant, Tu sais comment pour moi tous les sons sont devenus de la musique, La voix de ma mère dans une berceuse ou un hymne, (La voix, O voix tendres, voix aimantes de mémoire, Dernier miracle de tous, O voix la plus chère de ma mère, sœur, voix;)
La pluie, le maïs en croissance, la brise parmi le maïs à longues feuilles, Le surf de mer mesuré battant sur le sable, L’oiseau qui gazouille, Le cri aigu du faucon, Les notes des oiseaux sauvages la nuit comme volant bas migrant vers le nord ou le sud, le psaume dans l’église de campagne ou au milieu des arbres en grappes, la réunion de camp en plein air, le violoniste dans la taverne, la joie, le chant de marin à longue haleine, Le bétail bas, le mouton bêlant, le coq qui chante à l’aube.
Toutes les chansons des pays actuels résonnent autour de moi, les airs allemands d’amitié, de vin et d’amour, les ballades irlandaises, les joyeux jigs et les danses, les parures anglaises, les chansons de France, les airs écossais, et le reste, les compositions inégalées d’Italie. À travers la scène avec une pâleur sur son visage, mais une passion sombre, Stalks Norma brandissant le poignard dans sa main. Je vois la lueur artificielle des yeux des pauvres fous de Lucia, Ses cheveux le long de son dos tombent et se décoiffent. Je vois où Ernani marche dans le jardin nuptial, Au milieu du parfum des roses nocturnes, radieux, tenant sa mariée par la main, Entend l’appel infernal, le gage de mort de la corne. Aux épées croisées et aux cheveux gris dénudés, La base électrique claire et le baryton du monde, Le duo de trombones, Libertad pour toujours!
De l’ombre dense des châtaigniers espagnols, Par les murs anciens et lourds du couvent, une chanson gémissante, Chant d’amour perdu, le flambeau de la jeunesse et de la vie éteinte dans le désespoir, Chant du cygne mourant, le cœur de Fernando se brise. Se réveillant de ses malheurs enfin chanté, Amina chante, Copieuse comme des étoiles et heureuse comme le matin, allume les torrents de sa joie. (La femme grouillante vient, L’orbe lustre, Vénus contralto, la mère en fleurs, Sœur des dieux les plus élevés, le moi d’Alboni que j’entends.)
il s’agit d’une partie du texte ( partie 3 ) – qui en comporte plusieurs…
L’oiseau qui chantait dans le feu, c’était le phénix, Depuis il patronne une lessive, une compagnie d’assurances. La bête qui vivait dans le feu, la salamandre, D’elle on ne sait plus rien, c’est un poêle d’appartement. Le char qui roulait dans le ciel, celui du soleil, Il est devenu épicerie à succursales, maison de primes. Et là-haut encore, l’astre des nuits et de l’amour, Vénus, quoi, c’est une marque de soutiens-gorge. Tout ceci, tout cela, des hommes, des poètes…
Après ces rêves qui t’emmènent, légère, dans le roulement des nuages ?
Es-tu l’oiseau qui s’y cache, l’avion qui les dédaigne ?
Tu voudrais t’en approcher, les saisir, les modeler, être dans les bras de l’air et l’azur frileux, lui qui sait que la pluie ne t’en offrira aucun abri.
Où cours-tu si vite ?
Après ces chimères suspendues, sans attaches, dont tu ne pourras jamais t’emparer … ?
Au long du chemin, je vais pieds nus, sur la terre et le sable. Je me nourris de peu, ne compte pas mes pas, et il arrive que je me pose à l’ombre d’un pin .
Je trace avec un bâton des lettres sur le sol qui deviennent des mots , puis un chant que personne n’entendra, ou ne pourra lire.
Ou bien ce sera le vent, les oiseaux qui l’emportera, avant que la pluie ne l’efface : les mots seuls ne pourront parler à ma place,
mais il vaut mieux que je continue mon chemin, suivi un temps par un chien . Il voudrait me parler et m’accompagner, mais je ne peux le traduire .
A-t-il réussi de son côté, à me lire ? Voulait-il me guider sur ma route à venir ? Ce que me disaient ses yeux tendres, je n’ai pu le comprendre…
A chaque terre traversée, je pourrais apprendre une langue neuve pour renaître, avec le peu que je sais dans les mots d’autrui, partager leur mémoire, dans un petit écrit…
Le chat ignore l’oiseau, qui figure sur la photo, juste à côté de lui. C’est que l’image ne le rencontre pas. Cela sent l’encre et non le duvet .
Le côté plat ne fait pas illusion: le monde n’est pas amputé d’une partie de sa réalité, c’est juste la lumière qui s’est posée sur l’oiseau, et dont on a prélevé une trace fugace, mais aucune plume, aucune chaleur. Le chat ne s’y est pas trompé.
L’attente est l’espace d’apparition des images et celui de leur retenue / La rencontre avec l’image : percussion de notre propre attente avec cet espace / Un monde à part du monde / Un monde de la suppléance (Derrida) / Fait de copeaux qui auraient l’étrange pouvoir d’exister sans pour autant entamer le bloc d’où ils proviennent, de prélever sans laisser de traces du prélèvement. (Le travail du seuil in L’imagement / Jean-Christophe Bailly. – Editions du Seuil, 2020. – (Fiction & Cie))
Des toiles, des choses sèches pendent aux poutres… Le vieux fusil dort fixement Au mur clair… Rêve à ton gré. Tout est comme autrefois. Ecoute… La haute cheminée Fait sa plainte ancienne et son odeur éteinte Et tasse son échine de vieil oiseau noir… Elle porte encore au front ses images d’âme crue Et ses vases de loterie aux prénoms d’or… Et l’horloge recluse dans l’ombre et la bure Berce son cœur avec une douceur obscure…
Pareils à des visages ronds de spectateurs Les plats se penchent aux balcons du vieux dressoir Où des files de fruits qui font la chaîne, fleurent Dans leur ruelle d’ombre couleur d’aubergine… J’ouvre un tiroir où je vois passer des noix vides, Un gros couteau à vingt lames, qui contient tout, Et l’ombre de mes mains qui glisse sur les choses… Et ce sont des couleurs vivantes, refroidies… Et ce sont des odeurs d’intimités suries… Ça sent la malle, et le poivre des vieux départs, Et le livre de classe, et la chapelle éteinte…
Un vent tiède pousse des guêpes Frapper à la lucarne bleue… Un grand chat doucement passe comme on chuchote, Et vous lève un regard où veille l’ennui sage Du soleil dans la douve aux lentilles d’or vert…
La mort est toujours là et m’accompagne, sans que j’y prête attention. Je la fais voyager avec moi, regarder par mes yeux. Elle ne vient pas vers moi, c’est moi qui vais vers elle. Je me dilue dans mon propre reflet et finis par m’y perdre. N’allez pas m’y chercher.
Dans le ciel gris un oiseau en a remplacé un autre. Rien ne les différencie. Deux gouttes d’eau dans l’air, qui a fléchi. Celui qui est tombé pour ne plus se relever, a rejoint les bois couchés, et la boue à côté des marais, – empreinte éphémère -.
C’est un mouvement perpétuel à la mort , à la vie. L’un passe d’un état à un autre. Un arbre se déracine sous la poussée du vent. Une pousse impatiente prend sa place hâtive de connaître elle aussi la pluie, les saisons et la solitude des soirs: tout se côtoie sans que l’on puisse séparer la vie de son reflet inversé .
Je ne crois pas que pour écrire, il soit nécessaire d’aller courir l’aventure.
La vie, notre vie, est la seule, la plus grande aventure.
La tapisserie d’un mur vue dans notre enfance, un arbre à la tombée du jour,
le vol d’un oiseau , un visage qui nous a surpris dans le tramway,
peuvent être plus important pour nous que les grands événements du monde.
Peut-être que lorsque nous aurons oublié une révolution, une épidémie
ou nos pires avatars, il restera en nous le souvenir du mur, de l’arbre, de l’oiseau, du visage.
Et s’ils y restent, c’est parce que quelque chose les rendait mémorables,
qu’il y avait en eux quelque chose d’impérissable et que l’art ne s’alimente
que de ce qui continue à vibrer dans notre mémoire.