Midi aux oiseaux- (Susanne Derève)

Trois nids Un va et vient sonore de pépiements et de bruits d’ailes entre le toit et la remise un oisillon tombé du nid, à peine mort,que déjà les fourmis carnassières sont à l’oeuvre C’est midi au soleil Le coq au cadran veille On voudrait faire silence mais c’est un roi sans trône que le silence tant l’air résonne de trilles et de vols affairés Le rouge-queue,inquiet,caquette comme une poule Le moineau lance inlassablement de la gouttière son cri fluté Il faudrait graver dans le bleu du ciel ces chants d’oiseaux, avant que dans sa course folle un couple d’hirondelles ne les disperse au vent
Exercice préparatoire ( calligraphie paysagère ) – ( RC )

Pour commencer
je vais ouvrir la page
avec une belle journée,
je l’étale, comme un nuage :
– Cette feuille de papier
parlera peut-être
à ma place
quand j’aurai trempé
le pinceau dans l’encrier,
et laissé une trace
grise et noire -:
C’est l’exercice préparatoire
pour que les eaux
s’écoulent des collines,
s’envolent des oiseaux
d’encre de chine:
petite calligraphie modeste
pour peintre amateur :
un paysage en quelques gestes
en ajoutant de jeunes fleurs :
elles s’échappent des mains
comme de celles d’un semeur,
s’éparpillent sur le terrain
en touches de couleur:
J’irai me promener dans mon dessin
laisserai le papier s’envoler
son encre sécher
par le soleil du matin…
Nathaniel Tarn – poissons translucides

Entrelacs des sternes sur une eau de velours
écrivant dans l’air les chemins des poissons
traquant leurs victimes en cercles d’anxiété,
leurs cris nous réveillent en sursaut, leur hargne
contre un destin qui refuse subsistance.
Groupes de gens au coucher du soleil sur une plage
aux dimensions du rivage universel, et pâles
de l’attente des miracles – les oiseaux en contraste, noirs
de suie même au crépuscule, patrouilles en vol
avertissant l’assemblée que ce ne peut arriver.
Mais ce grand vaisseau de notre empire d’épouvante
chante dans le vent qui le porte contre ces gens,
toutes voiles déployées, prêt à partir
et aucun homme ayant un peu de cœur à bord
ne pourrait frapper en perçant cette obscurité,
officier ni capitaine – vaste, vaste entreprise,
vaste et vide, et terreur sur tous les océans,
sauvetage de capital en danger de perte.
La mer se ferme sur les yeux, les yeux devenus ciel :
du ciel descendent les poissons translucides,
adoucie par les lèvres de la mer, à l’eau si généreuse,
sa chaleur versant une huile d’hydromel,
les poissons commencent à l’instant nous entrons –
étant à peine visibles nous ne les voyons pas
jusqu’au moment où nous passons dans leurs bancs
les derniers de la création, l’eau-création,
et puis nous sommes au-dessus d’eux,
glissant à hauteur d’œil dans un sens
suivant notre rêve avant de revenir.
Jean-Yves Reuzeau – Au réveil

J’ai revu cette rivière sauvage, avec ses truites de liberté fraîche. J’en ai bu l’écume et caressé les galets fatigués. Je me suis étendu sur la mousse du sous-bois, parmi les murmures langoureux de l’ombre. Je me suis perdu ; ivre de senteurs, ivre de mots... Je me suis perdu dans la liberté d’un rêve, et au réveil les oiseaux portaient des muselières.
Ecume de sommeil, 1975
**
Je est un autre
Anthologie Bruno Doucet
le temps dépassé des châteaux – ( RC )

C’est le temps dépassé,
des habitats et châteaux
qui dominent les sommets
pour clore une partie du paysage.
Plantés sur des pitons inaccessibles,
qui fréquente aujourd’hui
ces demeures médiévales,
sinon les amateurs de cartes postales ?
Il faut longtemps pour que la nature
reprenne ses droits,
que la forêt vierge édicte sa loi
qui n’a que faire des siècles
de fiefs et quelques bouts de terre…-
J’enlèverais toutes ces pierres
qu’ignorent les rivières
et les oiseaux,
ou je laisserai ces ruines
pour les touristes
en mal de sensations
qui se font photographier
à côté d’un mannequin
paré d’une armure…
- c’est que la nostalgie des conflits
a la vie dure…-
Amina Saïd – Tous les présages sont faux

Tous les présages sont faux
ni les traces des oiseaux
ni la direction de leur vol
ne traduiront jamais la pensée des dieux
et sur l’autel de leur propre démesure
de longs couteaux de silence sacrifient nos passions
croyant partager le pain du monde
c’est ton corps que tu rompais
il s’en écoulait un peu de cendre
dont jalonner les sentiers orphelins
la vie est un voyage avec une mort à chaque escale
Le ciel se ressoude, la mémoire s’en va … – ( RC )

Allons nous asseoir sur les dunes,
de là, nous verrons en rêve
se lever les rideaux de brume
déchirer des morceaux de ciel;
il y aura peut-être les colombes,
qui survoleront les palais,
pour se réfugier dans les tilleuls,
ou bien ce sera le soir,
à l’heure où le soleil tire sa révérence.
Rappelle-toi de ces oiseaux
courant, sautillant sur la plage,
ignorant les hommes
le vent, les herbes sauvages.
( Nous aurons contourné
ce bunker renversé,
qui lentement s’enfonce
dans le passé ),
comme ce château de sable…
Y aura-t-il des lendemains
à l’histoire enchantée
où tout passé s’efface ?
Le ciel se reforme,
se ressoude, la mémoire s’en va :
la ville ne laissera pas de trace.
Seuls, quelques gravats
seront poussés par le ressac
et la marée .
Les doigts gourds – ( RC ) – le clavier tempéré ( SD )

variation réponse à SD, dont le texte suit
J’ai en mémoire
le buffet noir
qu’a peint Picasso,
et qui me rappelle
ce sévère piano droit,
où l’on devait faire les gammes,
faire courir les doigts
sur un clavier
qui restait froid
( et n’avait rien de tempéré ).
Faire que les mains
parcourent les touches d’ivoire,
prenant les blanches pour les noires,
en suivant la Méthode Rose
( on n’espère pas encore devenir virtuose )
on imaginerait qu’elles dansent,
chacune devant
faire preuve d’indépendance
dans le mouvement…
Mais je vois bien le tableau :
montée sur le tabouret haut
ma petite sœur,
tes pieds ne touchant pas terre
sous le regard sévère
de ton professeur :
encore et toujours
faire ces gammes,
alors que tu rêvais déjà d’amour :
( tout ce qu’il faut
pour te rendre allergique
à la musique ) :
tu préférais le chant des oiseaux.
RC
–
Petite fille aux doigts gourds
toi qu’on pressait de faire des gammes
quand tu rêvais déjà d’amour
et qui disais Bonjour Madame
docilement
Toi qui tempérais le clavier
quand te tendait les bras l’infâme
piano droit et l’œil distrait
innocemment
par un oiseau dans l’or du soir
prenais les blanches pour des noires
Susanne Derève
Jean-Luc Sarré – qui sera son autel ce soir ?

Les oiseaux se sont tus, soudain, les vaches ont cessé de brouter, les filles ne fanent plus que d’un œil et les vieilles qui le croisent se signent, bourdonnent cinq Ave, pressent le pas... Dans le hameau où la pierre froide mêle son odeur à celle des bois il cogne aux portes, toque aux carreaux à travers lesquels il peut voir sur les murs ricaner le Christ, mais la Vierge demeure introuvable qui sera son autel ce soir ?
extrait de l’ouvrage » poèmes costumés avec attelages et bestiaire en surimpression »
Li Bai – Assis devant le mont Jingting

Les oiseaux s’effacent en s’envolant vers le haut
Un nuage solitaire s’éloigne dans une grande nonchalance
Seuls, nous restons face à face, le mont Jingting et moi,
Sans nous lasser jamais l’un de l’autre
( extrait de l’ouvrage de JM Le Clézio : le flot de la poésie continuera de couler ) ed Philippe Rey
Raymond Queneau – L’ouverture –

Sang fumée ce sont les chasseurs qui jouent du cor, de l’arbalète autour d’eux sont les corps morts de bêtes d’animaux qui jouaient et mangeaient dans les taillis dans la luzerne et qui point ne se doutaient de la giberne adieu la vie adieu l’amour le gibier gît devant les gîtes des reîtres et des pandours cyniques oiseaux oiseaux que je déplore tout ce mal qui vous assiège ces gens qui veulent la mort de vos arpèges lièvres dansant dans la rosée biches bramant au fond des bois la guerre vous est déclarée au mois de septembre
Courir les rues
Battre la campagne
Fendre les flots
nrf Poésie Gallimard
Maria Gheorghe – dernier chant, dernier sourire

1
Le soleil ne brille pas pour les sourires,
ni l’herbe ne pousse pas pour la couper ras,
tel que toute chose, en combustion tenant sa lumière, n’est pas cendrée.
On approche trop de choses de notre âme;
lorsqu’on les perd, on les laisse briller dans les ténèbres du passé.
Le sourire arrive beaucoup plus tard, quand la lumière se replie
sur une autre lumière.
2
On ne porte pas les clés des jours,
on les traverse seulement en inconnus, pour nous nous rappeler, tard,
de tout ce que se coagule en lumière.
On se rapproche le sourire des fleurs, dans la vie, comme dans la mort,
le chant des oiseaux, compagnon des passages des portes invisibles.
On dissipe tout, on n’a pas de clés même pour la nuit.
3
On est jeté dans le monde,
boules de terre enrobées de lumière.
On se lève, on se replie sur soi, sur les autres.
On tâtonne à la recherche des sens,
jusqu’à ce que l’on donne un nom.
L’extinction n’est qu’une mélodie finale, que le tout nous la chante en souriant.
4
En quittant ce monde,
pour nous, les choses n’ont plus de mesure.
On ne ramasse plus rien. À quoi nous servirait dans la lumière?
On laisse le soleil qu’il soit soleil, que l’herbe soit herbe,
Le sourire, dans les fleurs, le chant, nous accompagne.
On revient pour donner un nom à une autre étoile.
M Gheorghe est une poétesse roumaine, dont on peut lire d’autres textes sur ce site
Nous avons vu s’enfuir l’eau – ( RC )
Aquarelle – E Delacroix
Adossés à un mur brûlant,
nous avons vus s’enfuir,
lentement,
l’eau.
Le sol s’est bousculé,
faisant rouler des roches instables,
comme si une poitrine
se soulevait,
montrant des plaies noires
et des crevasses.
Quelques heures encore
avant que , d’une faille profonde
jaillisse le soufre et le sel,
restes jaunis laissés
par la mer infidèle.
Quel chirurgien entreprendra
de recoudre la peau assoiffée
de la terre ?
Les champs, autrefois verts,
portent des tiges malingres,
et il n’est pas rare de découvrir
parmi elles, des oiseaux desséchés .
Tout le village est secoué.
Quelques maisons isolées
sur une pente qu’elles ignoraient,
ont perdu de leurs pierres,
prêtes à s’effondrer
en suivant des cascades de poussière.
Les ors cruels d’un crépuscule
soulignent des silhouettes d’arbres
enchevêtrés.
L’eau ne reviendra pas,
attirée plus loin,
ou bue par des gouffres sans fond.
Qui pourrait la retenir
entre ses doigts ?
Ceux qui croient aux miracles
attendront longtemps.
Le jour, même, a détourné les yeux .
Il nous laisse exsangues, au bord du précipice.
Frederic-Jacques Temple – soirs furtifs

Imaginez des soirs furtifs comme des palombes,
des aubes de moire, des envols de velours,
des crissements.
Imaginez dans le miroir des eaux glacées,
des visages de jeunes femmes
qui prennent aux heures leurs teintes :
nacre, lavande, ou givre.
Plus loin, au-delà des collines,
au terme des rivières
où s’éteignent les échos des bergeries,
commence la frairie des oiseaux marins.
Les fumées s’appuient aux herbes sur les grèves,
sous le plafond des vents.
Sans défaillance, la mer dévore et renaît.
La nostalgie toujours prête au festin,
porte des mots d’adieu,
à tout jamais désespérés,
sur les vagues du large.
Telle est la joie, douloureuse,
l’enivrante blessure.
Cacophonie – (Susanne Derève)

–
Cacophonie de chants d’oiseaux :
ce matin comme chaque matin ils occupent tout l’espace sonore
se répondant d’arbre en arbre , de gouttière en gouttière :
rougequeue, mésange, fauvette
et le vol affairé des hirondelles picorant miettes et rameaux
–
Le va et vient obstiné des fourmis sous la fenêtre que je déjoue
d’une brindille comme on dévie le cours d’un ruisseau
–
Vient l’heure où le lézard furtif , pointant son oeil inquiet
rejoint les pierres chaudes , se risque à laper d’une langue hâtive
une flaque déposée par la nuit.
–
Tandis que le concert des oiseaux s’apaise ,
c’est un long bourdonnement qui monte dans la chaleur :
le chant de basson des insectes saturant le silence.
–
Au sol l’ombre chemine . Heures indolentes ,
les jours ne passent pas ici , ils nous charrient
comme un long fleuve érodant monts et vallées,
à l’échelle d’un temps démesuré
qui polit doucement causses et dolines ,
croque le calcaire d’une dent gargantuesque
sous nos yeux de petits poucets .
–
Détourner la douleur vers un peu de sourire – (RC )

Tant d’années à se dire
à se lire , à déchirer les ténèbres
de tant d’heures,
pour que la lumière vienne,
et rebondisse sur les fleurs
dont la tête penche ;
Elles n’égarent pas leurs couleurs,
car elles restent vivantes
dans le tableau.
Je suis derrière,
je ne sais si tu me reconnaîtras,
car j’ai un peu changé,
et ma voix est chargée
de mes pas égarés
dont l’immobilité rejoint
celle la pierre
Le silence serait-il
de la même nuance qu’hier ?.
Je me suis exercé
avec le jeu des pinceaux,
pourtant , je ne façonne pas les heures,
je laisse passer les oiseaux,
je me retire dans des paroles
souvent vaines,
mais j’y loge un peu de soleil
pour détourner la douleur
vers un peu de sourire.
RC
Bécasseaux- (Susanne Derève)

Surtout ne pas marcher trop vite
sur la plage Sainte Marguerite
les bécasseaux sont revenus
fouillant d’un bec ingénu
là où la vague leur abandonne
sur le goémon le sable blanc
son menu fretin, ses gravettes
à la lisière de l’estran
Un nuage de plumes palpite
sur la plage Sainte Marguerite
en épousant le flot ,
petit peuple d’oiseaux si peu farouche
qui s’égaie à notre approche
d’une aile rase à fleur d’eau
dans un pépiement bref que noie le vent
un vent du Nord qui arase les dunes
Quand le soleil de Mars chassera les frimas
seront-ils encore là
à picorer de-ci de-là le sable blanc
ou prendront-ils leur vol ,
nuée mouvante dans le ciel
que l’on suivra longtemps des yeux,
vers l’ Alaska ?
Dans la république des oiseaux – ( RC )
montage RC
Il n’y a pas besoin de clé,
pour passer dans un autre monde:
Juste tourner la poignée de la fenêtre
pour marcher de plein pied dans l’espace.
Des traits se côtoient,
mais jamais ne s’enchevêtrent.
Les pépiements que j’écoute,
aussi , se superposent.
Je suis rentré dans la république des oiseaux,
( en fait dans un monde sonore
où se croisent les langages
de la nature ).
Quels que soient les plumages,
de bois, de cuivre
ou de simple roseaux
que le souffle entraîne.
Je voisine en musique un merle rieur,
une bécasse, et d’autres espèces
aux couleurs changeantes,
comme dans le catalogue de Messiaen.
Ces oiseaux sont de minuscules étoiles
qui animent le ciel tendu
à mes oreilles :
drap vivant de l’azur perpétué.
Il n’y a pas besoin de clé,
pour passer dans un autre monde:
il suffit , par exemple, d’écouter
Naïma , de Coltrane …
C’est comme une partition de liberté
où les notes filent à toute allure
comme ces hirondelles
dansant leur mélodie.
Qui la leur a apprise ?
Comment se fait-il qu’à chaque fois s’échappe
l’harmonie sans qu’on la rattrape,
quand le musicien improvise ?
Jorge Carrera Andrade – la clé du feu
LA CLE DU FEU
(La llave del fuego)
Terre équinoxiale, patrie du colibri,
de l’arbre à lait et de l’arbre à pain !
J’entends de nouveau dans les feuilles
le grincement de machine rouillée
de tes grillons et de tes cigales.
Je suis l’homme des perroquets :
Colomb me vit dans son île
et m’embarqua pour l’Europe
avec les oiseaux des Indes
sur son vaisseau chargé
de trésors et de fruits
Un jour, sur le conseil de l’aube
je réveillai les cloches du XIX* siècle
et accompagnai Bolivar et ses gueux héroïques
dans les contrées mouillées
d’une éternelle pluie
traversai la sierra et ses grises bourrasques,
où l’éclair en sa grotte argentée
a son nid et plus loin vers le Sud,
vers le cercle exact de l’Equateur
de feu jusqu’aux capitales
de pierres et de nuages
qui s’élèvent près du ciel et de la rosée.
Je fondai une république d’oiseaux
sur les armures des conquérants
oxydées par l’oubli,
au pied du bananier.
Il ne reste qu’un casque dans l’herbe
habité par des insectes tel un crâne vide
éternellement rongé par ses remords.
Je m’approche des portes secrètes de ce monde
avec la clé du feu
arrachée au volcan, solennel tumulus.
Je te regarde, bananier, comme un père.
Ta haute fabrique verte, alambic des tropiques,
tes frais conduits, sans trêve
distillent le temps, transmuent
les nuits en larges feuilles, les jours en bananes
ou lingots de soleil, doux cylindres
pétris de fleurs et de pluie
en leur housse dorée telle abeille
ou peau de jaguar, enveloppe embaumée.
Le maïs me sourit et parle entre ses dents
un langage d’eau et de rosée,
le maïs pédagogue
qui apprend aux oiseaux à compter
sur son boulier.
Je m’entretiens avec le maïs et l’ara
qui savent l’histoire du déluge
dont le souvenir rembrunit le front des fleuves.
Les fleuves coulent toujours plus devant eux
étreignant chaque roc, peau plissée de brebis,
vers les côtes hantées par les tortues
sans oublier leur origine montagnarde et céleste
à travers l’empire végétal où palpite
la jungle et son cœur sombre de tambour.
O mer douce, Amazone, ô fluviale famille !
Je décoche ma flèche emplumée,
oiseau de mort,
à ton étoile la plus haute
et je cherche ma rutilante victime dans tes eaux.
O mon pays qu’habitent des races fières et humbles,
races du soleil et de la lune,
du volcan et du lac, des céréales et de la foudre.
En toi demeure le souvenir du feu élémentaire en chaque fruit,
en chaque insecte, en chaque plume,
dans le cactus qui exhibe ses blessures ou ses fleurs,
dans le taureau luisant de flammes et de nuit,
le vigilant minéral buveur de lumière,
et le rouge cheval qui galope indompté.
La sécheresse ride les visages
et les murs et l’incendie allume sur l’étendue des blés
l’or et le sang de son combat de coqs.
Je suis le possesseur de la clé du feu,
du feu de la nature clé pacifique
qui ouvre les serrures invisibles du monde,
clé de l’amour et du coquelicot,
du rubis primordial et de la grenade,
du piment cosmique et de la rose.
Douce clé solaire qui réchauffe ma main
par-dessus les frontières
tendue à tous les hommes :
ceux à l’épée prompte et à la fronde,
ceux qui pèsent sur un même plateau la monnaie et la fleur,
ceux qui fleurissent leur table pour fêter ma venue
et aux chasseurs de nuages, maîtres des colombes.
Ô terre équinoxiale de mes ancêtres,
cimetière fécond, réceptacle de semences et de cadavres.
Sur les momies indiennes dans leurs jarres d’argile
et sur les conquérants dans leurs tombeaux de pierre
qui sans trêve sillonnent les âges
ayant pour seule compagnie quelque insecte musicien,
un même ciel étend son regard d’oubli.
Un nouveau Colomb appareille dans les nuages
tandis qu’explose, bref feu muet,
la poudre céleste de l’étoile
et que les cris alarmés des oiseaux
obscurément semblent interroger
le crépuscule.
—
extrait des » poètes d’aujourd’hui » (Seghers)
Reflux dans le silence – ( RC )
Le vent n’est plus
entré dans la danse
des oiseaux.
Il est tombé
( tombé de haut )
et s’est laissé piétiner .
Immobile , ce reflux
dans le silence
ou le refus.
Il n’entoure plus
tes paroles
qui se sont tues.
Fadwa Souleimane – la rive du fleuve
grenouille qui mange une libellule
la rive du fleuve
cigogne qui mange la grenouille
qui a mangé une libellule
dans l’eau du fleuve
poisson qui mange un poisson
la rive du fleuve
homme qui pêche le poisson
qui a mangé un poisson
la rive du fleuve
l’homme mange le poisson
qui a mangé un poisson
et en donne à ses petits
près du fleuve
les petits enterrent leur père
qui a pêché le poisson
qui a mangé un poisson
mort étranglé par une arrête
dans la tombe près du fleuve
les vers mangent le corps de l’homme
qui a mangé le poisson
sur la terre près du fleuve
les oiseaux mangent les vers
qui ont mangé le corps de l’homme
et se mettent à chanter
la rive du fleuve
un homme chasse les oiseaux
qui ont mangé les vers
et se met à contempler
la beauté de la rive du fleuve
rive qui reste silencieuse
Paris, 12 septembre 2012.
Else Laske-Schüler – un chant d’amour
UN CHANT D AMOUR
D’un souffle d’or
Les cieux nous ont créés.
Oh, comme nous nous aimons..
.
Les oiseaux – bourgeons sur les branches, Les roses prennent leur envol.
Sans cesse, je recherche tes lèvres Derrière mille baisers.
Une nuit d’or,
Des étoiles en nuit…
Nul ne nous voit.
Paraissent la lumière et le vert, Nous somnolons;
Seules nos épaules papillonnent.
EIN LIEBESLIED
Aus goldenem Odem
Erschufen uns Himmel. 0, wie wir uns lieben…
Vögel werden Knospen an den Ästen,
Und Rosen flattern auf.
Immer suche ich nach deinen Lippen
Hinter tausend Küssen.
Eine Nacht aus Gold,
Sterne aus Nacht…
Niemand sieht uns.
Kommt das Licht mit dem Grün,
Schlummern wir;
Nur unsere Schultern spielen noch wie Falter.
au début de la rue de la Nuit – ( RC )
sculpture: Colleen Madamombe, 1964-2009 (Zimbabwe )
Je me suis assis
au début de la rue de la Nuit,
le coeur sombre
ne sachant que faire de mes mains.
Je devais attendre sans le savoir
que se fende
la Montagne Noire,
ou retrouver le chemin clair
de pierres lisses
bordé du dessin des lys .
J’ai cru en apercevoir le contour,
apparu de façon brève,
au petit jour .
Les oiseaux blancs auraient pu être mon guide,
mais l’orage a été le plus rapide .
Assis au début d’un rêve nocturne,
toujours perdu dans les brumes…
–
RC – aout 2018
Ceux qui habitent le ciel – ( RC )
–
Ceux qui habitent le ciel ,
sont libres comme l’air,
car il n’y a pas de frontière
emprisonnant les ailes…
On a de la peine à imaginer
que les nuées soient partagées,
et, que , de chaque côté
les oiseaux soient étrangers.
Aucun morceau d’azur
à revendiquer; pas de bleu
à découper selon les pointillés,
rien à posséder .
Si les frontières sont sur la terre ,
rien n’enferme les courants d’air…
les langues, elles, sont dans les dictionnaires,
les oiseaux n’en ont que faire .
Bien que je ne sois ornithologue,
il semble que par leur dialogue
ils arrivent à s’entendre ,
peut -être aussi parce qu’ils n’ont rien à vendre…-
–
RC – janv 2019
Zbigniew Herbert – Que serait le monde ?
que serait le monde
s’il n’était plein
de l’incessant va-et-vient du poète
parmi les pierres et les oiseaux ?
Claude Pélieu – Printemps rouge et noir

Mark Rothko
J’aime le silence de la forêt
et les paysages inachevés
(Il paraît que nous sommes assurés
de notre défaite et de notre désintégration)
nos peurs barbouillées du sang de la nuit
ruptures brisures transmissions
sur le mur d’écrans les fournaises du monde
tout devient visible et les fleurs du silence
incendient nos yeux de rumeurs
merles rouge-gorge mésanges sont revenus
l’herbe du printemps imite le vol des mouettes
flammes bleues à travers les branches des érables
c’est la fin de l’hiver et par temps de pluie
les couleurs pleurent sans mémoire
Indigo Express
Paris – le livre à venir- 1986