Le ruban noir – ( RC )

J’ai vu cette main en gros plan,
posée sur un membre,
ou un corps souple .
Peut-être était-ce celui d’un autre
plutôt que celui de la personne
à qui appartient la main.
Rien ne l’indique .
Ou peut-être une petite différence
de pigmentation de la peau :
Les doigts sont face à nous .
La main repose, légère,
abandonnée.
Lassitude, tendresse ?
Elle s’enfonce apparemment
dans la peau, souple, accueillante.
Mais les ombres sont pourtant assez marquées :
elles tirent sur le mauve.
Ce qui surprend ,
c’est aussi l’ombre portée du bras
sur l’arrière plan,
placé précisément sur l’axe diagonal du tableau ;
comme si celui-ci était plaqué
sur la surface d’un mur,
donc n’ayant pas l’espace nécessaire
pour qu’il puisse se poser
sans faire une contorsion.
C’est une main féminine,
et le torse, horizontal,
si ç’en est un,
montre un petit grain de beauté
au niveau du pouce :
cela fait un ensemble empreint de douceur,
mais l’arrangement de l’ensemble
ne semble pas tout à fait naturel :
la position rappelle un peu
celle de la main de l’Olympia, de Manet.
Le titre attire notre attention
sur un ruban noir étroit,
noué au niveau du poignet.
C’est un détail,
qui réhausse le côté un peu blafard de la chair;
et on se demande s’il y a un sens particulier,
donné par sa présence:
s’il était placé plus haut,
ou ailleurs,
plus épais, d’une teinte différente.
Si le nœud n’était pas si apparent…,
et s’il n’y avait rien du tout,
seulement son empreinte ?
Comme un ruban du même type
est aussi présent dans l’Olympia,
mais autour du cou, et noir également
c’est une similitude,
comme l’oblique du bras,
qui n’est peut-être pas fortuite ,
et on s’attendrait sur d’autres toiles,
à des rapprochements similaires…
–
Georges Jean- un soleil de fin du monde

Derrière ces nuages blancs
Naît un soleil de fin du monde
Les hommes sont tristes ce matin
Serrés dans les doigts de la brume
On voit aux portes des maisons
Croître des arbres de pierre
Des visages penchés sur l’ombre
Écoutent bruire le jour
Une pendule sourde partage
Le sommeil noir des survivants
Les chats de soie suivent la trace
Des oiseaux perdus de la nuit
Une voiture aveugle perce
Le voile calme du silence
Nous ne savons plus si c’est l’aube
Ou l’ombre du dernier rideau.
–
extrait de « parcours immobile »
La maison où le cœur chante – ( RC )

La maison s’est blottie
au creux des collines
à côté de l’étang.
L’ombre est rare
sous le soleil de midi.
Un arbre penche
vers son ombre douce.
De ses branches
s’épanchent des gouttes de résine.
L’été étend sa main
parmi les champs.
Je reprendrai le chemin
qui s’écarte des grandes voies
et j’irai vers toi
retrouver la maison accueillante
où tu m’attends
depuis bien longtemps,
là, où toujours le cœur chante….
Face cachée – ( RC )

Faut-il que je me penche
sur mon passé
pour entamer le récit
à haute voix
des ombres portées
de la vie
dont j’atteins désormais
la face cachée ?
Je ne me retourne plus
que pour contempler
la couronne diffuse
des aurores boréales,
car le soleil
se tourne dans l’ombre.
Je consume lentement
le reste de mon existence
dont j’ai dépassé la moitié .
Les cigales chantent encore
mais elles sont en sursis
quand l’astre s’éteint.
Une lumière diffuse
m’accompagne
de l’autre côté de la planète.
Je t’y retrouverai peut-être
dans le dernier frémissement
de l’histoire qui s’achève.
Puis d’un bond,
je quitterai la terre,
ne laissant sur elle
qu’un petit tas de cendres,
pour entreprendre un grand voyage
parmi les étoiles….
Parme Ceriset – me fondre au temps

Et je me fondrai au vent des hauts plateaux,
à l’odeur de calcaire, empreinte métallique
des rêves d’insouciance évadés dans l’or bleu
du temps qui s’évapore.
Je me fondrai à l’eau des ruisseaux de jouvence
où les âmes galets des humains disparus
roulent sous les flots calmes des vies en partance,
je me fondrai à Tout ce qui bruisse dans l’ombre,
à tout ce qui renaît aux lueurs de l’Aube
et je serai rosée sur les feuilles de joie
et je serai l’eau vive en ton cœur de vivant.
Textes extraits du recueil « Femme d’eau et d’étoiles » de Parme Ceriset (éditions Bleu d’encre, préface Patrick Devaux) paru à l’automne 2021.
Alain Leprest – J’ai peur

J’ai peur des rues des quais du sang
Des croix de l’eau du feu des becs
D’un printemps fragile et cassant
Comme les pattes d’un insecte
J’ai peur de vous de moi j’ai peur
Des yeux terribles des enfants
Du ciel des fleurs du jour de l’heure
D’aimer de vieillir et du vent
J’ai peur de l’aile des oiseaux
Du noir des silences et des cris
J’ai peur des chiens j’ai peur des mots
Et de l’ongle qui les écrit
J’ai peur des notes qui se chantent
J’ai peur des sourires qui se pleurent
Du loup qui hurle dans mon ventre
Quand on parle de lui j’ai peur
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur du coeur des pleurs de tout
La trouille des fois la pétoche
Des dents qui claquent et des genoux
Qui tremblent dans le fond des poches
J’ai peur de deux et deux font quatre
De n’importe quand n’importe où
De la maladie délicate
Qui plante ses crocs sur tes joues
J’ai peur du souvenir des voix
Tremblant dans les magnétophones
J’ai peur de l’ombre qui convoie
Des poignées de feu vers l’automne
J’ai peur des généraux du froid
Qui foudroient l’épi sur les champs
Et de l’orchestre du Norrois
Sur la barque des pauvre gens
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur de tout seul et d’ensemble
Et de l’archet du violoncelle
J’ai peur de là-haut dans tes jambes
Et d’une étoile qui ruisselle
J’ai peur de l’âge qui dépèce
De la pointe de son canif
Le manteau bleu de la jeunesse
La chair et les baisers à vif
J’ai peur d’une pipe qui fume
J’ai peur de ta peur dans ma main
L’oiseau-lyre et le poisson-lune
Eclairent pierres du chemin
J’ai peur de l’acier qui hérisse
Le mur des lendemains qui chantent
Du ventre lisse où je me hisse
Et du drap glacé où je rentre
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur de pousser la barrière
De la maison des églantines
Où le souvenir de ma mère
Berce sans cesse un berceau vide
J’ai peur du silence des feuilles
Qui prophétise le terreau
La nuit ouverte comme un oeil
Retourné au fond du cerveau
J’ai peur de l’odeur des marais
Palpitante dans l’ombre douce
J’ai peur de l’aube qui paraît
Et de mille autres qui la poussent
J’ai peur de tout ce que je serre
Inutilement dans mes bras
Face à l’horloge nécessaire
Du temps qui me les reprendra
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur
Élagueur des clairières – ( RC )

Élagueur des clairières,
sais tu que tu défriches
le langage
autant que le feuillage ?
Tu puises tes mots
dans la lumière accrue,
et fixe l’ombre des ramées.
Il faut goûter la rigueur des hivers,
réciter les strophes
comme autant de bois coupé,
tout ce qui a subi les songes
et la pluie ;
violence du gel
traversant le chant de plume,
sa violence sourde
qui détache l’écorce
et retire la sève
pour n’en garder
que l’essentiel.
Et les oiseaux strieront
de nouveau
la peau du ciel.
Luis Cardoza Y Aragon – Cité natale
CITE NATALE ( Guatemala-la-Vieille )

Le grincement d’un grillon ouvre une porte
sur un ciel de conte de fées.
Tu surgis, les chemins creusent ton lit, navigable Solitude.
Le temps n’existe pas; être… Tout est déjà !
Jours d’un autre monde. Ciel sans rêve : paupières
Nuits comme d’obscurs bâillements, immobiles…
au centre de toutes les heures, indélébiles, infinies, et mûres.
Toi, malhabile, sur un trapèze
accroché à un jour et à une nuit
très hauts, profonds et sans maître,
te balançant largement, lentement,
ruminant tes monologues de fumée.
Car tu n’es que l’écho
de ton ombre sans corps,
écho de lumière, ombre de voix, très loin.
Quand atteindras-tu la surface
de la terre, du ciel ou de la mer,
depuis cette route où tu vas, nocturne,
vers le soleil de limbes innocents
qui t’attend, mais oublié déjà,
debout, endormi comme un phare,
en quelle péninsule d’ombre ?
Distance parallèle au regard :
rafales d’infini, ailes coupées,
coups de vent dans les rues.
Haut zénith parvenant de l’autre côté
en criant : « Oui » dans les paratonnerres.
Nadir, tourbillon de routes nocturnes,
porte voix de tombe hurlant : « Non ».
Toi, au milieu, comme une marguerite
de « jamais plus », perdue en tes oracles.
Tu clignotes parfois : jours, nuits…
Tu t’oublies… Soudain, cinq,
vingt jours ensemble, comme un éboulement ;
trois, quatre nuits télescopées
avec une étrange violence obscure.
Un songe de méduses et de cristaux
de part en part traversent les miroirs :
on sait de quoi sont faits
les chants des oiseaux,
ceux de l’eau, occultes et diaphanes.
On entend grandir les ongles de tes morts,
jaillir tes sources qui portent
en dansant un temps d’or sans arête
et sans valeur ;
tes jours évanouis sur des coussins
de douceur et d’ennui,
et mes cris qui brésillaient
avec une lente et croissante résonance
d’arcades et de coupoles.
Ne bouge pas, le vent pleurerait.
Ne respire pas, ton équilibre
d’arentelle se briserait
Ainsi, telle qu’en mon souvenir,
qui te reconnaîtrait ?
Ange des orties et des lys,
ne bouge pas, car je t’aime ainsi :
lunaire, mentale, intacte,
égale à toi-même en ma mémoire,
plus que toi-même.
Demeure dure, exacte et taciturne,
avec mon enfance de platine et de brouillard,
sur ta clairière de terre éboulée…
LUIS CARDOZA Y ARAGON. (Fragments) Version de F. Verhesen.
L C Y A: né au Guatemala en 1902.
El Sonâmbulo – Pequena Sinfoma del Nuevo Mundo – Poesia (1948).
Louis Guillaume – l’ancre de lumière
extrait de "LA NUIT PARLE" (1961)
A Marthoune.
La mer semblait de pierre calcinée, mate et pourtant transparente et, à une grande profondeur, sur un lit de sable gris, je distinguais fort bien l’ancre lumineuse qui m’empêchait de dériver.
Il était seul, mon bateau, seul au milieu de l’immensité noire et, seul à bord, penché au-dessus de l’abîme, je ne quittais plus des yeux, minuscule et seule, elle aussi, dans le désert couvé par l’océan, cette croix de feu sous la courbe d’un sourire.
Et, à force de fixer sur elle mon regard, elle m’apparut comme un visage, comme ton visage nocturne, mon amie. –

Les bras de l’ancre devinrent ta bouche, la tige dessinait la ligne de ton nez et le jas celle de tes sourcils. Si distant et si attachant, c’était bien ton visage qui brillait là-bas, qui liait ma barque à la terre malgré les ressacs et les courants, et continuait de veiller,
même lorsque je scrutais l’horizon.
— Lève l’ancre ! dit une voix soudaine.
Alors, tu poussas un cri si déchirant que je m’éveillai à ton côté.
Et notre lit tanguait dans l’ombre.
Le temple du jardin des rois – ( RC )

Des torches de lumière
papillonnent , légères,
poussées par les tilleuls.
Les bancs nous attendent ,
dans un havre préservé du soleil,
à l’orée de la forêt de pierre.
Vois-tu ces colonnes ?
elles ne portent qu’elles-mêmes,
ou une part d’histoire qui ne reste jamais sur place.
Des roses vivaces
cachent leurs épines, derrière leurs feuillages,
et se tournent vers le bassin, immobiles.
Courent derrière les grilles
proches du jardin du palais Royal,
pleins d’insouciance, des enfants .
Ils franchissent d’un bond
les troncs morts des colonnes,
coupées à ras.
L’ombre grignote petit à petit
l’ordonnance des bâtiments sévères :
elle s’agrandit sur la place;
On imagine qu’un temple grec attendait
émergeant à peine du sol,
bientôt envahis de sable, ce sont ses vestiges
où planent les oiseaux de proie
au-dessus de ce que fut jadis
le jardin des rois.
La maison de l’ombre – ( RC )

J’ai touché l’ombre de mes doigts,
et elle n’a pas bougé.
La maison était dans une couronne de ronces,
ses fenêtres closes ne parlaient plus .
Ouvertes , elles n’auraient pu qu’être muettes
dans l’oubli des étés et des rires.
Qu’elle gémisse de fatigue dans ses fers
– de rouille – , écrasée par le poids du ciel,
qui n’est qu’indifférence…
J’ai touché du doigt
son triste corps de pierre.
Elle ne m’a pas répondu.
Si j’étais resté plus longtemps,
elle m’aurait mordu
me lançant ses ronces au visage .
RC – nov 2020
Guy Goffette – dans ce petit creux d’ombre et d’oubli

Et tu finis par ranger le livre, là-haut,
à sa place exacte, ce petit creux d’ombre et d’oubli
comme le coin de terre qui te revient.
Tu reviens toi aussi
à ta place, devant la fenêtre, la table,
ce carré de neige que nul encore n’a forcé
et qui va dans tous les sens comme ta vie
parmi les mots, les morts.
Tu sais bien qu’aucun signe ne guérit de l’absence,
pas plus que le merle en tombant ne renverse
l’axe de la terre, mais tu persiste, ô scribe,
à soudoyer les anges :
un peu d’or dans la boue, dites, que la nuit reste ouverte.
extrait de « La Vie Promise, » 1991
Leon-Paul Fargue – Intérieur
peinture Anton Pieck
Des toiles, des choses sèches pendent aux poutres…
Le vieux fusil dort fixement
Au mur clair…
Rêve à ton gré.
Tout est comme autrefois.
Ecoute…
La haute cheminée
Fait sa plainte ancienne et son odeur éteinte
Et tasse son échine de vieil oiseau noir…
Elle porte encore au front ses images d’âme crue
Et ses vases de loterie aux prénoms d’or…
Et l’horloge recluse dans l’ombre et la bure
Berce son cœur avec une douceur obscure…
Pareils à des visages ronds de spectateurs
Les plats se penchent aux balcons du vieux dressoir
Où des files de fruits qui font la chaîne, fleurent
Dans leur ruelle d’ombre couleur d’aubergine…
J’ouvre un tiroir où je vois passer des noix vides,
Un gros couteau à vingt lames, qui contient tout,
Et l’ombre de mes mains qui glisse sur les choses…
Et ce sont des couleurs vivantes, refroidies…
Et ce sont des odeurs d’intimités suries…
Ça sent la malle, et le poivre des vieux départs,
Et le livre de classe, et la chapelle éteinte…
Un vent tiède pousse des guêpes
Frapper à la lucarne bleue…
Un grand chat doucement passe comme on chuchote,
Et vous lève un regard où veille l’ennui sage
Du soleil dans la douve aux lentilles d’or vert…
Sois calme. Tout est là comme autrefois.
Ecoute…
Léon-Paul FARGUE « Pour la musique » (Gallimard)
le pêcheur à la ligne- Susanne Derève

Georges Seurat – Les pêcheurs à la ligne
L’ombrage,
la dérive lente des corps dans les heures chaudes
de midi,
le lit des eaux de graviers et de pierres,
les berges fraîches des rivières,
le frisson des poissons d’argent.
Sous les arches des ponts ,
le silence habillait le vent d’un tendre écho.
Tu ne me disais rien de sa caresse sur la peau,
du cerne obscur des voûtes grises,
et quittée l’ombre, du soudain vertige
de la lumière, de l’éblouissement du soleil.
Sur la berge dorée, étais-tu ce pêcheur
à la ligne, musette vide,
rêvant d’une truite arc – en – ciel ?
Discrète à ses côtés – ( RC )
photo Loïe Fuller – 1921
C’est elle qui suit notre personnage.
Elle en a les gestes, mais pas la consistance,
elle est attachée aux pas,
fidèle et obstinée
s’adapte aux circonstances, se déforme à loisir.
Rien ne peut la soumettre, si ce n’est
l’extinction des lumières.
Elle demeure anonyme, et n’a pas d’autre nom
qu’ombre.
Discrète elle demeure à ses côtés,
jamais elle ne prend d’initiatives.
Est-ce un personnage secondaire,
qui s’en détachera, lorsque la vie
brusquement, le quittera ,
comme on mouche une chandelle… ?
Angèle Paoli – une part d’ombre
peinture: Edvard Munch » Starry night »
.Viendra un jour où la beauté du ciel
se dérobera à ton visage
la part d’ombre qui gît en toi
envahira l’espace clos de ton regard
quels sourires papillons de nuit dernières lucioles
volèteront sous tes paupières closes yeux éteints
retenir le temps entre tes doigts ne se peut
il va
pareil à l’eau du torrent qui roule vers sa fin
bolge de remous
où se mêlent les eaux
Guy Goffette – Goya
Gravure F de GOYA
–
La nuit peut bien fermer la mer
dans les miroirs : les fêtes sont finies
le sang seul continue de mûrir
dans l’ombre qui arrondit la terre
comme ce grain de raisin noir
oublié dans la chambre de l’œil
qu’un aigle déchirant la toile enfonce
dans la gorge du temps.
Jeanne Benameur – j’attends
( extrait de son recueil: « l’exil n’a pas d’ombre » )
—
Ils ont déchiré mon unique livre.
Je marche.
Ont-ils brûlé ma maison?
Qui se souviendra de moi?
Je tape dans mes mains.
Fort. Plus fort.
Je tape dans mes mains et je crie.
Je tape mon talon, fort, sur la terre.
Personne ne pourra m’enlever mon pas.
Et je tape. Et je tape.
La terre ne répond pas.
Ni le soleil ni les étoiles ne m’ont répondu.
Trois jours et trois nuits je suis restée.
J’ai attendu.
Il fallait bien me dire pourquoi.
Pourquoi.
Il n’y a pas eu de réponse dans le ciel.
Il n’y a pas de réponse dans la terre.
Alors je tape le pied, fort, de toute la force qui a fait couler mes larmes.
J’attends.
Dans le soleil.
Dans le vent.
J’attends.
Que vienne ce qui de rien retourne à rien et que je comprenne.
J’ai quitté l’ombre des maisons.
Je vais. Loin.
Loin. Pas de mot dans ma bouche.
Le soleil ne déçoit pas les mots – ( RC )
peinture: Albert Marquet: contre-jour à Alger
Je dépose sur la page quelques mots.
Il n’y a pas d’heure, pour ces quelques
flocons noirs éclairant le jour à leur façon.
Une promenade les déplace,
trois silhouettes s’en détachent,
le soleil ne les déçoit pas,
( je n’ai pas encore défini leurs ombres
et j’invente du sable sur une plage,
un port exotique qui n’existe pas encore ).
Je les accompagne
de quelques notes de musique;
elles se dispersent sur la rive .
Un rythme me vient.
Je l’accompagne d’une lueur matinale,
comme une incidence portée dans le texte .
Mon langage parfois m’échappe.
– je suis distrait de mes pensées –
Le bateau est parti sans que je ne m’en aperçoive.
–
RC – dec 2019
Le cheminement du poème – (Susanne Derève)
Photographie : Philippe Pache
On ne maîtrise pas plus le mot que le soleil
Sans doute peut-on imprimer au vers
un long balancement
comme on doserait l’avancée de l’ombre sur la toile
en la dissimulant d’un linge ou d’un feuillage
– un arbre clair celant l’ombre –
La naissance du mot échappe :
comme le suivant échappera et l’image
qu’il fera naître dans l’image,
celle où chemine obscurément
le poème
Ce n’est pas lui que j’invente
mais lui qui me révèle dans le temps
que j’écris,
sonnant la litanie des heures,
épousant la marche des nuits
lui qui mûrit puis se détache
– comme on dirait d’un fruit –
un jour parmi les autres
où il pose sa marque
… et me trahit
Armel Guerne – Sainte solitude (extrait)

peinture: Cathy Hegman
Virginal horizon tendu
A l’angle des mémoires,
Désert de pureté
Néant noir inconnu :
Je suis l’ombre dit l’ombre
Et mon ombre n’est pas .
Je suis l’errant qui ne sait pas
Dit le vent où il va ,
Portant dans l’urne des printemps
Ou sur la croix des hivers
Un chant plus solitaire
Que le gémissement d’un mort .
Je suis qui parle dit la voix
Plus lourde d’évidences , dévalant les parois
De l’invisible ,
Plus lourde d’éminence que la réalité .
Océan, océan , vieux rebelle
Toi qui brasses et la rumeur
Millénaire et l’instant
Tout en précipitant les matins nus
Au labyrinthe de tes profondeurs ;
Vieil océan vengeur ,
Marin peuplé d’éternités
Et de folles géographies ,
Toujours depuis toujours
Halant sous le soleil et dans la nuit
Ton voyage sans bords :
Je suis la mer, dis-tu ;
Et toutes choses à jamais
Sont enchantées
Dans ton silence triomphal .
Mais autour des sommets, la meute des abîmes …
Car voici que le nombre a dit le nombre
Au nombre , et le matin brutal détruit
Les châteaux de la nuit .
Je suis celui qui fut
Voyageur , voyageur
Venu sous le soleil et les mains de la pluie
Celui qui est et qui n’est plus ,
Car voici que le don de vie
A passé par les fleurs ;
Je suis le cœur, je suis le nom ,
Je suis l’itinérant qui longe l’horizon
Et voici que le ciel se ferme comme un poing .
Consolez-vous de lui, maisons abandonnées !
Ces deuils extasiés n’avaient point de racines ,
Et du lent paysage ils n’avaient point l’accueil .
Consolez-vous de moi, rochers subtils
Penchés au creux torride de l’été
Sur les sources taries .
Dans l’immobile extase du silence
Une respiration – mais où ?
Bat comme un pouls .
Le poids vivant de la parole
SOLAIRE n° 45
Mokhtar El Amraoui – Derrière le souffle
peinture David Maes
Chute de feuilles
Ivres de lune.
Aboyant tournoiement,
Comme la douleur
Sous le soc des heures !
La figue ensanglantée crie
Dans le miroir
La trajectoire des veines.
L’ombre se glisse,
Derrière le souffle.
L’oiseau n’a pas encore su se faire lumière.
Il se cache dans le mouchoir mort d’un passager !
©Mokhtar El Amraoui
Renée Vivien – Lucidité
L’art délicat du vice occupe tes loisirs,
Et tu sais réveiller la chaleur des désirs
Auxquels ton corps perfide et souple se dérobe.
L’odeur du lit se mêle aux parfums de ta robe.
Ton charme blond ressemble à la fadeur du miel.
Tu n’aimes que le faux et l’artificiel,
La musique des mots et des murmures mièvres.
Ton baiser se détourne et glisse sur les lèvres.
Tes yeux sont des hivers pâlement étoilés.
Les deuils suivent tes pas en mornes défilés.
Ton geste est un reflet, ta parole est une ombre.
Ton corps s’est amolli sous des baisers sans nombre,
Et ton âme est flétrie et ton corps est usé.
Languissant et lascif, ton frôlement rusé
Ignore la beauté loyale de l’étreinte.
Tu mens comme l’on aime, et, sous ta douceur feinte,
On sent le rampement du reptile attentif.
Au fond de l’ombre, elle une mer sans récif,
Les tombeaux sont encor moins impurs que ta couche…
O Femme ! Je le sais, mais j’ai soif de ta bouche !
____________(Études et préludes, 1901)
Nuno Judice – Ligne 1 (chaque poème a une ombre)

Félix Vallotton – Le ballon
Chaque poème a une ombre. Je tends les mains et je peux la toucher
comme l’on touche l’ombre d’un arbre qui s’enfuit de nous quand nous
cherchons à nous y abriter . Ainsi, le poème est un jeu de lumière :
et son ombre recule et avance en accord avec l’heure du jour.
Pourtant, à la fin du poème, l’ombre semble disparaître.
Le poème reste à la verticale ; et midi en sort , avec sa lumière entière ,
comme si le poème était une réalité transparente et que l’on pouvait voir
à travers lui la circonférence du monde .
Avec l’après-midi, les mots changent de couleur. Les phrases pâlissent
lorsque le soleil les laisse . La voix se couvre avec la nuit ; et le silence
s’en empare comme s’il volait le sens à ce que nous voulons dire .
C’est pour cela que le matin, il convient de laisser entrer la lumière entre
les pages. Le noir de l’impression pourra briller à l’excès ; et le blanc du
papier refléter le ciel . Ce qui est écrit , imprégné de ce feu , se fixera dans
notre mémoire .
Ainsi, il restera .
Cada poema tem uma sombra. Estendo as màos e posso tocâ-la, como se
toca a sombra de uma ârvore que foge de nos quando procuramos o seu
abri go.
Assim, o poema é umjogo de luz : e a sua sombra recua e avança de acordo
com a hora do dia.
No Jim do poema, porém, a sombra como que desaparece. O poema fica a prumo ;
e o meio-dia salta de dentro dele, com a sua luz inteira, como se o poema fosse
uma realidade transparente e se pudesse olhar, através dele, a circunferência
do mundo.
Com a tarde, as palavras mudam de cor. As frases empalidecem, quando o sol as
deixa. A voz vela-se com a noite ; e o silêncio apo-dera-se delà, como se roubasse o
sentido ao que queremos dizer.
Por isso, de manhâ, convém deixar entrar a luz para dentro das paginas. O negro
da impressâo poderà brilhar em excesso ; e o branco do papel reflectir o céu. O que
esta escrito, embebido desse fogo, fixar-se-a na no s sa memôria.
Assim, permanecerâ.
Lignes d’eau Linhas de àgua
Fata Morgana