Tourner les vents en sa faveur – ( RC )
Tu voyages
au pays des croyances,
et, tu constates,
qu’à chaque imprévu de l’existence,
on a trouvé une parade,
une carte maîtresse, une antidote…
Dans leur distribution ,
réparties au petit bonheur,
il y a le catalogue complet
des corps célestes et des oracles funestes,
qu’on peut trouver,
dispersés aux quatre vents,
comme des graines de pissenlit .
Même inégalement répartis,
il est tout à fait possible
d’y trouver son compte,
de se vouer à son saint patron,
comme pour les muses,
et les dieux antiques :
Quel augure permettra
de franchir les obstacles;
de tourner les vents en sa faveur
combattre les maladies,
favoriser la fertilité
et même prévenir de la morsure
des chiens enragés
– à chaque chose malheur est bon – dit-on..
Il y a aussi ceux qui représentent
la musique, l’architecture,
la corporation des chapeliers,
des orfèvres, etc .
Les églises sont un florilège
où se multiplient les représentations
en statues de bois ou de plâtre,
tel Saint Tugen
( qui guérirait des maux de dents ),
ou ceux – les plus courants –
qu’on reconnaît à leurs attributs.
Ils répondent « présent ! « ,
au garde-à-vous,
à la façon d’une bible sculptée.
Certains – comme saint Evénec,
bien connu des bretons,
ne représentent qu’eux-mêmes –
( à moins qu’on ait oublié
quels étaient leurs bienfaits ) …
Protecteurs ou indifférents,
montrés sur les tympans romans
ou les peintures gothiques,
leur regard est vide,
mais sans doute plein
de bonnes intentions….
( quoiqu’on connaisse aussi
ces poupées, où on peut planter
des aiguilles ) ;
ou ces fétiches bardés de clous
pour conjurer le sort,
ou au contraire
le provoquer…
Ce sont aussi des objets
crées pour repousser les mauvais esprits,
ou représentés par des masques
sereins ou grimaçants ,
dans lesquels s’incarnent
la puissance des ancêtres.
Mais on peut penser
à ces chouettes crucifiées,
beaucoup plus proches de chez nous,
clouées sur les portes,
pour avoir eu le malheur
de naître emplumées,
et porteuses – parait- il – de mauvais présages.
–
RC mai 2017
Leon Felipe – le poète et le philosophe
Je ne suis pas le philosophe.
Le philosophe dit : Je pense… donc je suis.
Moi je dis : Je pleure, je crie, je hurle, je blasphème… donc je suis.
Je crois que la Philosophie prend sa source dans le premier jugement. La Poésie dans la première plainte. Je ne connais pas le premier mot que prononça le premier philosophe du monde. Celui du premier poète fut : Ah !
Ah !
C’est le vers le plus ancien que nous connaissions. La pérégrination de ce Ah ! tout au long des vicissitudes de l’histoire fut jusqu’à maintenant la Poésie. Un jour ce Ah ! s’organise et intronise. Alors naît le psaume. Du psaume naît le temple. Et à l’ombre du psaume, l’homme a vécu de nombreux siècles.
Aujourd’hui, tout est brisé dans le monde. Tout.
Jusqu’aux outils du philosophe. Et le psaume est devenu fou : il s’est fait pleur, cri, hurlement, blasphème… et il s’est jeté la tête la première dans l’enfer. Là se trouvent aujourd’hui les poètes. Moi, du moins, j’y suis.
C’est l’itinéraire de la Poésie tout au long des chemins de la Terre. Je crois que ce n’est pas le même que celui de la Philosophie. Raison pour laquelle on ne pourra jamais dire : c’est un poète philosophe.
Car la différence essentielle, entre le poète et le philosophe, ne réside pas, comme on l’a cru jusqu’à présent, en ce que le poète parle en verbe rythmique, cristallin et musical et le philosophe en paroles abstruses, opaques et doctorales, mais en ce que le philosophe croit en la raison et le poète en la folie.
Le philosophe dit :
Pour trouver la vérité, il faut organiser le cerveau.
Et le Poète :
Pour trouver la vérité, il faut faire sauter le cerveau, il faut le faire exploser. La vérité est bien au-delà de la boîte à musique et du grand classeur philosophique.
Quand nous sentons le cerveau se rompre et le psaume se briser en cri dans la gorge, nous commençons à comprendre. Un jour nous faisons le constat qu’il n’y a pas de fenêtres dans notre maison. Nous ouvrons alors une grande brèche dans le mur et nous nous échappons pour chercher la lumière, nus, fous et muets, sans sermon ni chanson.
Et puis, nous, les poètes, nous savons très peu de choses. Nous sommes de très mauvais étudiants, nous ne sommes pas intelligents, nous sommes feignants, nous aimons beaucoup dormir et nous sommes persuadés qu’il existe un raccourci caché pour arriver au savoir.
Et au lieu de méditer comme le philosophe ou de faire de la recherche comme les savants, nous posons nos grands problèmes sur l’autel des oracles ou bien nous laissons une pièce de dix centimes les résoudre par le hasard.
Et nous disons, par exemple : Puisque je ne sais pas qui je suis…que le sort en décide.
Pile ou face ?
PILE OU FACE ?
Confrontés à la matière, même… – ( RC )

photo Martin Pierre – falaises du Vercors
Confronté à la matière même,
il y a toujours cette opposition,
ce défi qu’elle nous propose,
en particulier quand les dimensions font,
qu’il s’agit d’un obstacle.
Comment traverser l’obstacle,
comment s’y appuyer,
le palper, en jouer , comment en tirer parti,
pour essayer de surpasser ses propres limites
( les nôtres et les siennes ).
Mais la matière est.
Elle s’impose.
Elle n’est jamais vaincue,
De par sa continuité, son existence,
de son inertie même.
Qui , des navigateurs, se sont risqués sur la mer ,
en tablant sur des vents calmes,
des oracles favorables,
n’ont pas oublié les dangers qu’elle recèle,
et leur sillage n’a pas laissé d’empreinte .
Quand je vois le trapèze hautain de la montagne,
sa face bleutée parcourue d’ombres,
striée de troncs d’arbres,
la pente est toujours là . Elle s’oppose de le même façon,
même si je l’ai franchie hier .
Quand j’établis un itinéraire sur la carte,
je sais que des détours s’imposent,
qu’il me faudra contourner les précipices,
et emprunter obligatoirement, les quelques ponts
jetés au-dessus de la rivière.
Supposons que je doive franchir un désert,
c’est toute une stratégie à mettre en place,
pour qu’on puisse s’assurer de subsister
matériellement, pas seulement question climat,
mais en anticipant sur l’imprévisible…
Quelles que soient les heures et moments,
ce qui a été hier, est encore là aujourd’hui.
Ce n’est pas une vue de l’esprit,
Et justement, par son essence même,
la matière impose sa masse par rapport à l’abstraction.
C’est un corps, un vrai corps,…. sur lequel on habite.
Il se manifeste de toutes façons,
Même de la façon la moins perceptible
Comme s’il déguisait, selon les circonstances,
Sa façon d’être…
Il affirme obstinément sa présence.
Ce corps est matière, et se rappelle à nous.
C’est en quelque sorte une partie de notre existence .
–
RC- juin 2015
( texte né de la confrontation avec des écrits de Claude Dourguin, dont voici deux courts extraits ).
—
Les pins reviennent, clairsemés, avec leurs branches irrégulières, mal fournies, leur port un peu bancal qui
témoigne assez de ce qu’ils endurent. Nul tragique, pourtant, ne marque le paysage, entre conte et épopée
plutôt la singularité des lieux soumis à des lois moins communes que les nôtres, obligés à un autre ordre.
Chaque arbre tient à son pied, qui s’allonge démesurée et filiforme son ombre claire, grise sur la neige. Ces grands peuplements muets et fragiles d’ombres légères comme des esprits, le voyageur septentrional les connaît bien, une affection le lie à eux. Il traverse sans bruit leur lignes immatérielles dans le souvenir vague, qui les fait éprouver importunes, grossières, de la densité, de la fraîcheur, de l’odeur terrestre ailleurs, sur quelque planète perdue.
–
La contemplation de la montagne implique une intériorité plus grande que celle de la mer…. /…
C’est toute une trame narrative, avec ses anecdotes en sus, le passage d’un bateau de pêche, l’apparition d’une voile là-bas, le train des nuages au ciel, qui se met en place. La montagne, elle, souvent déserte, immobile ne connaît que les modifications de la lumière, beaucoup moins rapides sous les climats qui sont les siens.
Roland Dauxois – Hors la ruche du monde
–
nous habitons les ossuaires du verbe,
notre métier : tisser en haute lumière
la lice où nos paroles s’affrontent.Hors la ruche du monde
nos fronts sont brûlants de fièvre,
en nos cœurs
flux précipité
du sang de notre langue,
fleuve noir emportant les arbres,
les racines de ces arbres.
soif d’ ombres mêlées de terres et de vents,
soif de marches sur les sommets du monde,
soif de réponses,
de visions magiques.
Extrait de « Hors de » 2003 RD
Que chacun reste à sa place – (RC )
montage perso 2012
–
Je me méfie des signes
Clignotant dans la nuit.
Ce sont peut-être des phares,
Guidant les marins vers le port,
Ou des feux sournois qui égarent…
Je me méfie des symboles,
Et des grandes formules;
Des lions ailés sur les drapeaux,
Des discours et grandes phrases,
De bavards, et de l’emphase.
L’image peut-être trompeuse,
Et celui qui l’utilise,
Le fait souvent habilement,
L’abondance nous cerne,
Ce qu’on appelle « prendre des vessies pour des lanternes ».
Que chacun reste à sa place,
Et vénère ou non, un dieu.
Je n’ai rien contre les convictions,
Le parcours de l’imaginaire.
Chacun est libre, les pieds sur la terre,
De percevoir entre les nuages,
Les murmures des oracles,
Et de croire aux miracles,
De lire des figures
Dans le marc de café…
Chacun ses choix.
Quant à en faire une loi,,
Imposer ce qu’il faut croire,
Permettez que je doute,
Je ne partage pas avec la planète,
Mes hallucinations.
Je ne suis pas conforme,
Et pas fait pour les dogmes.
Et j’ai quelque suspicion,
Envers la politique, et la religion.
–
RC – sept 214