Vesna Parun – Ephèbe endormi
peinture: Botticelli: Arès & Aphrodite ( détail droit )
Sur la plage où l’ombre de la baie s’allonge
Il est couché tel une vigne en son clos,
Solitaire et tourné du côté des vagues.
Son visage est empreint d’une grâce grave,
Le vent de midi à ses traits se caresse,
Il est plus beau que branche de grenadier
Gorgée de pépiements d’oiseaux, et sa taille
Plus souple que l’ondulation d’un lézard.
.
Grises est la mer, le sable crisse.
Des ombres blondes s’étendent sur la vigne.
Dans le lointain des colonnes de ciel saillent.
L’orage maintenant vient battre la plage.
.
Et moi je tête l’odeur d’été qui croît
Et je bois le vin des plantes dénudées
Et j’emplis mon regard de ces mains qui luisent,
De ces flancs brillants et polis d’une écume
Ou se déplace l’huile des oliviers,
Moi, mes yeux apaisés reposant sur lui
Enveloppé par la vague, qui sommeille
Dans ce tonnerre lent et vieux comme agave,
Moi livrée au vol multiple des désirs,
Je me demande combien d’ailes ouvertes
Palpitent dans les creux bleutés et les monts
De ce corps si calme qu’il s’en va troubler
L’herbe solitaire et la mer en son verbe.
Jacques Prévert – le sang
peinture V V Gogh – les champs rouges
—
Complainte de Vincent ! A Paul Éluard
Arles où roule le Rhône
Dans l’atroce lumière de midi
Un homme de phosphore et de sang
Pousse une obsédante plainte
Comme une femme qui fait son enfant
Et le linge devient rouge
Et l’homme s’enfuit en hurlant
Pourchassé par le soleil
Un soleil d’un jaune strident
Au bordel tout près du Rhône
L’homme arrive comme un roi mage .
Avec son absurde présent
Il a le regard bleu et doux
Le vrai regard lucide et fou
De ceux qui donnent tout à la vie
De ceux qui ne sont pas jaloux
Et montre à la pauvre enfant
Son oreille couchée dans le linge
Et elle pleure sans rien comprendre
Songeant à de tristes présages
Et regarde sans oser le prendre
L’affreux et tendre coquillage
Où les plaintes de l’amour mort
Et les voix inhumaines de l’art
Se mêlent aux murmures de la mer
Et vont mourir sur le carrelage
Dans la chambre où l’édredon rouge
D’un rouge soudain éclatant
Mélange ce rouge si rouge
Au sang bien plus rouge encore
De Vincent à demi mort
Et sage comme l’image même
e la misère et de l’amour
L’enfant nue toute seule sans âge
Regarde le pauvre Vincent
Foudroyé par son propre orage
Qui s’écroule sur le carreau
Couché dans son plus beau tableau
Et l’orage s’en va calmé indifférent
En roulant devant lui ses grands tonneaux de sang
L’éblouissant orage du génie de Vincent
Et Vincent reste là dormant rêvant râlant
Et le soleil au-dessus du bordel
Comme une orange folle dans un désert sans nom
Le soleil sur Arles
En hurlant tourne en rond.
Jacques PRÉVERT « Paroles »
au début de la rue de la Nuit – ( RC )
sculpture: Colleen Madamombe, 1964-2009 (Zimbabwe )
Je me suis assis
au début de la rue de la Nuit,
le coeur sombre
ne sachant que faire de mes mains.
Je devais attendre sans le savoir
que se fende
la Montagne Noire,
ou retrouver le chemin clair
de pierres lisses
bordé du dessin des lys .
J’ai cru en apercevoir le contour,
apparu de façon brève,
au petit jour .
Les oiseaux blancs auraient pu être mon guide,
mais l’orage a été le plus rapide .
Assis au début d’un rêve nocturne,
toujours perdu dans les brumes…
–
RC – aout 2018
De l’amour – (Susanne Derève)

Albert Houthuesen – L’orage
De l’amour,
En fallait-il assez pour voir
lever les aubes
pour y sentir perler la rosée du matin
et sur la mer cueillir ce rayon incertain
qui vient défaire la brume
aux premières aurores
Aveugle est-on sans lui
avec des yeux qui ne savent plus
voir saisir
le doux reflet du monde
On a perdu ce pas étincelant
qui nous poussait au long des rives
à guetter le ciel
son moindre éclat sur l’eau
on marche droit
on n’enjambe plus les herbes hautes
ou les fossés pour y guetter l’oiseau
Lève-t-on même les yeux
pour glaner les fruits murs
et quand fulgurent les premiers éclats
du printemps
va-t-on chercher encore aux crocus
les premières étamines de safran
sous les feuilles sèches
de l’hiver moribond
aveugle et sourd est-on
L’ai-je su s’il avait fui
par les fenêtres
par les interstices du jour
ou par les pores de la nuit
une nuit ronde épaisse
où flottait sans un bruit
une entêtante odeur
d’averse
et sans doute n’était-ce pas tout à fait
le silence
ou bien un silence si lourd
qu’il sonnait le glas
de l’amour
comme il faut bien un jour mettre fin
à l’enfance
pour y rejoindre un monde
aveugle et sourd
rongé d’absence
Il y avait , sur le dessin – ( RC )
Brooklyn Street-art
–
Il y avait sur le dessin
des ombres, mais aussi des couleurs
qui sont venues habiller le mur.
A travers les grilles,
je le voyais
avec ses fleurs blanches et pourpres,
mais aussi le ciel plombé
d’un proche orage,
Il faisait ce contraste au bonheur
et aussi le mettait en valeur .
Il y avait ,
—– ( car un jour de colère,
quand le cœur se déchire,
j’ai voulu effacer les clématites
avec un chiffon et de l’essence ).
Quand le regard s’y pose,
on voit que tout a dégouliné :
Ce n’était pourtant pas suite à l’averse :
tout n’est pas complètement gommé:
je ne repars pas d’une toile vierge :
on devine bien des choses,
malgré le repentir
on y voit des restes de bonheur
que je n’ai pas pu
( ou pas voulu )
complètement effacer …
RC – août 2018
Pierre de la Faille – Mort tuée
Vient le bull géant de Silicon Valley.
Il jette bas la plus haute cime de la sierra
où trône, nu-crâne, l’épouvantail
— les tibias croisés, une faux sur l’épaule.
Ici se scelle l’alliance du soleil de minuit :
lumière non-stop.
S’évaporent les relents du roussi et de cierge.
Passe le corbillard.
Où sont les clairons des remparts ?
L’électron quitte l’atome
IL se tient droit. ELLE sait.
On entend des mots sourds comme un orage lointain.
La fleur rouge de l’hibiscus ne fane plus.
Jacques Ancet – l’orage
Tu arrives de plus loin.
On ne sait pas d’où tu es
ni quel visage tu as.
On entend une musique
sous le silence. On voudrait
la garder trouver un nom
pour la dire. Mais on n’a pas
de bouche, pas de main
pour l’écrire. Seul de feu
du désir. L’orage vient
Jean-Claude Pirotte – tu ne sauras jamais qui je suis
–
tu ne sauras jamais qui je suis
dit l’enfant je passe mon chemin
je vais vers les prairies lointaines,
où l’herbe chante à minuit près des saules
qui pleurent car c’est ainsi
que s’ouvre à mon cœur la musique fidèle
et que le monde enfin commence à vivre
et que je commence à mourir
tu ne me verras pas vieillir
ni ne reconnaîtras mon ombre
adossée au talus là où le sentier noir
se perd dans un fouillis d’épines
et les étoiles des compagnons blancs
tu as beau regarder sans cesse derrière
toi comme si tu craignais l’orage
et que tu te hâtais poursuivi par l’éclair
jamais tu ne surprendras mon sourire
tendrement cruel comme celui d’un tueur triste
in
Veilleurs, Passage des ombres
Thomas Pontillo – Dans la nuit ( extrait de Incantations )
–
Dans la nuit qu’aucun passant n’arraisonne,
vivre est déjà un chien errant,
parmi les roses de la colère
quelques visages s’ouvrent à l’éblouissant chaos.
Dans la nuit qu’aucun mot n’interroge,
j’entends mes jardins d’enfance écarter l’hiver de leurs branches,
mais où vont nos amis perdus,
vers quelles contrées, pour quel tourment ?
Dans la nuit qu’aucun arbre ne console
il y a un homme agenouillé dans ses paroles,
il mêle le passé au présent et c’est toujours
le même orage à ses tempes.
Hommes ingénus – ( RC )
Aquarelle – Andrew Wyeth de la « suite Helga »
–
Si le ciel t’est tombé sur la tête
Cela a dû faire dégoulinade
Il a joué les trouble fêtes
Avec tes cheveux libres , en cascade
Et comment de même, les condamnés
D’une errance passée, trépassée
Peuvent laisser passer l’orage d’années
Et utiliser, de ce qui leur reste amassée
Du sentiment de liberté retrouvée , comme
Aux portes ouvertes sur l’espace inconnu
D’un temps qui a coulé sans eux, hommes
Mis entre parenthèses, quelque part ingénus
—
6 nov 2011
Esther Tellermann – Avant

dessin-peinture: Cy Twombly – sans titre 1972
Avant
nos paupières cerclées
nos narines
peintes
Etions-nous flétris
ou reposés
Brûlions-nous les signes
nos façons de tendre
bracelets jambes
taches de l’infini
Nous mourrons
avec la glaise du corps
lu
Dans la fane
et la précision du nom
Un jour encore à défaire
nos fièvres
un jour encore
pour la profondeur
des aisselles
tout le dit
les enfants retenus
les pelletées
Ne se sont pas faites
nos tiges
quand nous aurions su
Serait-ce
un jardin
Serait-ce
et j’entre
Nos dents sont fatiguées
notre dos enfle
Nulle part
ne viendrez
Nul
autre
——-
Nous aurons été lavés
par nos orages
Le ciel avait
3 couleurs
M’aviez-vous offert
avant le silence
l’aube
*
Avant
nos paupières cerclées
nos narines
peintes
Etions-nous flétris
ou reposés
Brûlions-nous les signes
nos façons de tendre
bracelets jambes
taches de l’infini
*
Octavio Paz – Pierre de Soleil
–
–
Pierre de
Soleil
un saule de cristal, un peuplier d’eau sombre,
un haut jet d’eau que le vent arque,
un arbre bien planté mais dansant,
un cheminement de rivière qui s’incurve,
avance, recule, fait un détour
et arrive toujours:
un cheminement calme
d’étoile ou de printemps sans hâte,
une eau aux paupières fermées
qui jaillit toute la nuit en prophéties,
unanime présence en houle,
vague après vague jusqu’à tout recouvrir,
verte souveraineté sans crépuscule
comme l’éblouissement des ailes
quand elles s’ouvrent dans le milieu du ciel,
un cheminement entre les épaisseurs
des jours futurs et du funeste
éclat du malheur comme un oiseau
pétrifiant la forêt par son chant
et les félicités imminentes
entre les branches qui s’évanouissent,
heures de lumière que grignotent déjà les oiseaux,
présages qui s’échappent de la main,
une présence comme un chant soudain,
comme le vent chantant dans l’incendie,
un regard qui retient en suspend
le monde avec ses mers et ses montagnes,
corps de lumière filtré par une agate,
jambes de lumière, ventre de lumière, baies,
roche solaire, corps couleur de nuage,
couleur du jour rapide qui bondit,
l’heure scintille et prend corps,
le monde, oui, il est visible par ton corps,
il est transparent grâce à ta transparence,
je vais entre des galeries de sons,
je flue entre les présences résonnantes,
je vais au travers les transparences comme un aveugle,
un reflet m’efface, je nais dans un autre,
ô forêt de piliers enchantés,
sous les arcs de la lumière je pénètre
les couloirs d’un automne diaphane,
je vais au travers ton corps comme par le monde,
ton ventre est une place ensoleillée,
tes seins sont deux églises où l’on célèbre
le sang et ses mystères parallèles,
mes regards te couvrent comme du lierre,
tu es une ville que la mer assiège,
une muraille que la lumière divise
en deux moitiés de couleur pêche,
un lieu de sel, de roches et d’oiseaux
sous la loi du midi ébahi,
vêtue par la couleur de mes désirs
comme ma pensée tu vas nue,
je vais au travers tes yeux comme par l’eau,
les tigres boivent le rêve de ces yeux,
le colibri se brûle dans ces flammes,
je vais au travers ton front comme par la lune,
comme le nuage au travers ta pensée,
je vais au travers ton ventre comme par tes rêves,
ta jupe de maïs ondule et chante,
ta jupe de cristal, ta jupe d’eau,
tes lèvres, tes cheveux, tes yeux,
toute la nuit tu es pluie, tout le jour
tu ouvres ma poitrine avec tes doigts d’eau,
tu fermes mes yeux avec ta bouche d’eau,
sur mes os tu es pluie, dans ma poitrine
un arbre liquide creuse des racines d’eau,
je vais au travers tes formes comme par un fleuve,
je vais au travers ton corps comme par une forêt,
comme par un sentier dans la montagne
qui se termine en un abîme abrupt
je vais au travers tes pensées effilées
et à la sortie de ton front blanc
mon ombre précipitée se brise,
je recueille mes fragments un à un
et je poursuis sans corps, je cherche à tâtons,
couloirs sans fin de la mémoire,
portes ouvertes vers un salon vide
où pourrissent tous les étés,
les bijoux de la soif brillent tout au fond,
visage évanoui dès que je me le remémore,
main qui s’effrite si je la touche,
cheveux d’araignées en tulmute
sur des sourires d’il y a tant d’années,
à la sortie de mon front je cherche,
je cherche sans trouver, je cherche un instant,
un visage d’éclair et d’orage
courant entre les arbres nocturnes,
visage de pluie dans un jardin d’obscurités,
eau tenace qui flue à mon côté,
je cherche sans trouver, j’écris en tête à tête
il n’y a personne, tombe le jour, tombe l’année,
je tombe dans l’instant, je tombe au fond,
invisible chemin sur des miroirs
qui répètent mon image brisée,
je marche depuis des jours, instants cheminés,
je marche sur les pensées de mon ombre,
je marche sur mon ombre en quête d’un instant,
je cherche une date vive comme l’oiseau,
je cherche le soleil dès cinq heures du soir
tempéré par les murs de brique rouge:
l’heure mûrissait ses grappes
quand elle s’ouvrait sortaient les jeunes filles
de son entraille rosée et elles s’éparpillaient
parmi les cours dallées du collège,
haute comme l’automne elle cheminait
enveloppée par la lumière sous l’arcade
et l’espace en l’entourant l’habillait
d’une peau plus dorée et transparente,
tigre couleur de lumière, cerf brun
dans les environs de la nuit,
j’ai entrevu une jeune fille penchée
sur les balcons verts de la pluie,
adolescent visage innombrable,
j’ai oublié ton nom, Mélusine,
Laure, Isabelle, Perséphone, Marie,
tu as tous les visages et aucun,
tu es toutes les heures et aucune,
tu ressembles à l’arbre et au nuage,
tu es tous les oiseaux et un astre,
tu ressembles au tranchant de l’épée
et à la coupe de sang du bourreau,
lierre qui avance, enveloppe et déracine
l’âme et la divise d’elle-même,
écriture de feu sur le jade,
crevasse dans la roche, reine des serpents,
colonne de vapeur, source dans le roc,
cirque lunaire, pic des aigles,
grain d’anis, épine minuscule
et mortelle qui donne des peines immortelles,
bergère des vallées sous-marines
et gardienne de la vallée des morts,
liane qui pend au bord du précipice,
plante grimpante, plante vénéneuse,
fleur de résurrection, raisin de vie,
dame de la flûte et de l’éclair,
terrasse du jasmin, sel dans la plaie,
bouquet de roses pour le fusillé,
neige en août, lune de l’échafaud,
écriture de la mer sur le basalte,
écriture du vent dans le désert,
testament du soleil, grenade, épi,
visage en flammes, visage dévoré,
adolescent visage persécuté
années fantômes, jours circulaires
qui donnent dans la même cour, sur le même mur,
l’instant brûle et ils sont un seul visage
les successifs visages de la flamme,
tous les noms sont un seul nom,
tous les visages sont un seul visage,
tous les siècles sont un seul instant
et pour des siècles et des siècles
une paire d’yeux ferme le passage au futur,
il n’y a rien face à moi, rien qu’un instant
racheté cette nuit, contre un rêve
d’union d’images rêvées,
durement sculpté contre le rêve,
arraché au rien de cette nuit,
à bout de bras, soulevé lettre à lettre,
tandis que le temps se jette dehors
et il cogne aux portes de mon âme
ce monde avec son horaire sanguinaire,
un instant, un instant seulement tandis que les villes,
les noms, les saveurs, le vécu,
s’effritent sur mon front aveugle,
tandis que la pesanteur de la nuit
humilie ma pensée et mon squelette,
et mon sang circule plus lentement
et mes dents se gâtent et mes yeux
s’embrument et les jours et les ans
accumulent leurs horreurs vides,
tandis que le temps ferme son éventail
et qu’il n’y a rien derrière ses images
l’instant s’abîme et surnage,
entouré de mort, menacé
par la nuit et son lugubre bâillement,
menacé par le brouhaha
de la mort vivace et masquée
l’instant s’abîme et se pénètre,
comme un poing qui se serre, comme un fruit
qui mûrit vers l’intérieur de lui-même
et lui-même se boit et se répand
l’instant translucide se ferme
et mûrit vers l’intérieur, pousse en racines,
croit à l’intérieur de moi, m’occupe entièrement,
son feuillage délirant m’expulse,
mes pensées seulement sont ses oiseaux,
son mercure circule par mes veines,
arbre mental, fruits saveur de temps,
ô vie à vivre et déjà vécue,
temps qui revient en une marée
et se retire sans tourner le visage,
ce qui s’est passé n’est pas mais commence à être
et silencieusement se jette
en un autre instant qui s’évanouit:
face au soir de salpêtre et de pierre
armée de couteaux invisibles
d’une rouge écriture indéchiffrable
tu écris sur ma peau et ces plaies
comme un vêtement de flammes me recouvrent,
je brûle sans me consumer, je cherche l’eau
et dans tes yeux il n’y a pas d’eau, ils sont de pierre,
et tes seins, ton ventre, tes hanches
sont de pierre, ta bouche a un goût de poussière,
ta bouche a un goût de temps empoisonné,
ton corps a un goût de puits condamné,
passage de miroirs que répètent
les yeux de l’assoiffé, passage
qui revient toujours à son point de départ,
et tu me conduis, aveugle, par la main
à travers ces galeries obstinées
jusqu’au centre du cercle et tu surgis
comme un éclat qui se fige en hache,
comme une lumière écorchée, fascinante
comme l’échafaud du condamné,
flexible comme le fouet et svelte
comme l’arme soeur de la lune,
et tes paroles tranchantes creusent
ma poitrine et me dépeuplent et me vident,
un à un, tu arraches mes souvenirs,
j’ai oublié mon nom, mes amis
grondent parmi les porcs ou pourrissent
mangés par le soleil dans un fossé,
il n’y a rien en moi qu’une large plaie,
un creux que jamais personne ne fouille,
présent sans fenêtres, pensée
qui revient, se répète, se reflète
et se perd dans sa propre transparence,
conscience transpercée par un oeil
qui se regarde se regarder jusqu’à se noyer
de clarté:
moi j’ai vu ton atroce écaille,
Mélusine, briller, verdâtre, à l’aube,
tu dormais enroulée dans les draps
et au réveil tu as crié comme un oiseau
et tu es tombée sans fin, cassée et blanche,
rien n’est resté de toi, rien que ton cri
et à la fin des siècles je me découvre
avec de la toux et une mauvaise vue, mélangeant
de vieilles photos:
il n’y a personne, tu n’es personne,
une montagne de cendres et un balai,
un couteau ébréché et un plumeau,
une peau pendue à quelques os,
une grappe déjà sèche, un trou noir
et dans le fond du trou les deux yeux
d’une enfant noyée d’il y a mille ans,
regards enterrés dans un puits,
regards qui nous voient depuis le début des temps,
regard enfant de la mère vieille
qui voit dans le fils grand un père jeune,
regard mère de la fille solitaire
qui voit dans le père grand un fils enfant,
regards qui nous regardent depuis le fond
de la vie et sont les pièges de la mort
– où est l’envers: tomber dans ces yeux
est-ce revenir à la vie véritable?
tomber, revenir, me rêver et que me rêvent
d’autres yeux futurs, une autre vie,
d’autres nuages, mourir d’une autre mort!
– cette nuit me suffit, et cet instant
qui n’en finit pas de s’ouvrir et de me révéler
où j’étais, qui je fus, comment tu t’appelles,
comment moi je m’appelle:
pouvais-je bâtir des plans
pour l’été -et tous les étés-
à Christopher Street, il y a dix ans,
avec Phyllis qui avait deux fossettes,
où les moineaux buvaient la lumière?,
sur la place de la Réforme Carmen me disait-elle
« l’air ne pèse rien, ici c’est toujours octobre »
ou l’aurait-elle dit à l’autre que j’ai perdu
ou l’aurais-je inventé et personne ne me l’a dit?,
aurais-je marché dans la nuit d’Oaxaca,
immense et vert foncé comme un arbre,
parlant seul comme le vent fou
et en arrivant à ma chambre -toujours une chambre-
les miroirs ne m’auraient-ils pas reconnu?
depuis l’hôtel Vernet nous avons vu l’aube
danser avec les châtaigners -« il est déjà très tard »
disais-tu en te peignant et moi, aurais-je vu
des taches sur le mur sans rien dire?,
sommes-nous montés ensemble à la tour, avons-nous vu
tomber le soir depuis le récif?,
avons-nous mangé des raisins à Bidart?, avons-nous acheté
des gardénias à Perote?,
noms, places,
rues après rues, visages, marchés, rues,
gares, un parc de stationnement, chambres seules,
taches sur le mur, quelqu’un qui se peigne,
quelqu’un qui chante à mes côtés, quelqu’un qui s’habille,
chambres, endroits, rues, noms, chambres,
Madrid, 1937,
Neige sur le dos de pierres – (RC )
–
Le dos de pierres
Courbé dessous
Le tas de cendres,
Et puis l’été,
Et puis la colline,
Vautrée sous le passage de l’orage.
Demeurent, parmi les restes de murs,
De la petite ruine,
Les éclats d’ardoise,
Que le feu a révélés…
Les mauvaises herbes, en tas,
Agressives,
Avaient pris possession des lieux,
Et les orties, étaient chez elles.
Sur le dos de pierres, de la voûte écroulée,
– C’était il y a longtemps,
. Et déjà le feu,
. La rumeur de la guerre,
Les maisons abandonnées,
A l’étrange été de neige sale,
Une neige de cendre,
Qui recouvrit
Aussi,
La table bleue,
> Elle n’avait pas sa place,
Sur la charrette…
–
RC – 18 août 2013
–
Claude Saguet – A ma mère
à ma mère
Mon délire vient
d’un grand orage,
d’un lieu inexploré
à l’Est de l’Angoisse.
Tendresse verte aux carrefours
je le retrouve, couleur d’émeute,
en de lointains faubourgs
noyés de linges tristes.
Le soir peut faire la roue
quand j’écarte les branches,
ou vêtir de neige
la soif des oiseaux,
il assiège mes oreilles
plein de détonations.
En vain la mer efface
le bleu sourd du brouillard,
et griffe de ses sources
les filets de la pluie,
il balise d’injures
la nuit qui me ressemble.
Mon délire vient
de mille chaînes
coulées dans le regard
où tout se contredit.
(Terre de fièvres éditions Tribu juin 1984)
–
Jean-Baptiste Tati-Loutard – Congo

peinture Antoni Tapiès: Llencol
Congo
Le silence debout parmi nous atteint le ciel :
Un poète a vécu…
C’était un nègre d’Amérique : un précipité noir
Au fond d’un mélange d’azur et de Yankees.
Les soleils futurs chercheront longtemps son visage
Par les chemins du monde et les champs de bataille.
Son corps de terre cuite s’est brisé dans la lumière :
La cassure est là toute fraîche et toute franche,
Cristal d’une étoile coupée à ras d’azur ;
Et la vie gravite encore autour de l’astre mal éteint.
C’est sûr, ô poète, l’herbe ne poussera pas
Autour de ton nom :
Ton verbe est la source qui nous fournit en eau vive,
Et les âmes de tous les braves en reverdissent.
Que celui qui l’ignore aujourd’hui en soit heurté
Par un jour de grand vent,
Car désormais, il navigue à la proue de l’orage
–
Claude Saguet – Belle, pour quel désert suis-je promis ?
–
Belle, pour quel désert suis-je promis, pour quel autre
désert s’il faut, à chaque instant, retrouver sa solitude dans tous les yeux qui passent ?
Lorsque les routes se dédoublent et s’amoncellent les fleuves ; lorsque lentement, dans le matin, s’élève l’haleine rouge des heures, je voudrais m’ouvrir comme une parole privée d’air depuis longtemps.
La mer, de tous ces plis, m’apporte des chants sans mémoire qui vont, avec l’entêtement obscur de l’oiseau, pour retrouver un goût de terre et d’orage.
Désert, désert partout ! dans les cercles criants de la sève, dans l’arbre qui se tord pour ne plus exister
Et j’ai peine à croire à notre langage immobile sous les pierres, à ce reflet dans le miroir brisé à l’aube des cascades.
(l’œil déserté version 2 éditions dé bleu 1980)
La nuit m’apporte
un poème d’eau fraîche.
La nuit venue du fond
de ton corps mutilé
je peux la prendre dans mes bras ;
je peux l’avaler toute jusqu’au premier rayon.
La nuit venue du fond de ton corps flagellé
est-elle femme
ou rose noire ?
J’ai fermé portes et fenêtres.
Est-elle femme,
est-elle écho
la nuit venue du fond
de ton corps décharné ?
Je veux en elle
trouver un visage, de quoi me remettre à vivre.
La nuit couvre la plaine
de son lierre fantôme
et j’imagine un corps vivant.
La nuit comme une forêt morte
sur un chemin hanté de plaintives lueurs.
(l’œil déserté version 2 éditions dé bleu1980)
Maurice Fickelson – Pratique de la mélancolie – sur la colline
SUR LA COLLINE
Curieuses gens que ceux du village de N. : ils ont pour le soleil un attachement excessif, singulier, maniaque.
Et quelle façon de le démontrer !
S’ils habitaient l’une de ces froides et lointaines contrées du Nord que l’hiver enténèbre pour de longs mois, cela s’expliquerait, à la rigueur.
Mais ici… Je m’efforce de les comprendre, et même de m’identifier à eux en partageant leur mode de vie, en adoptant leurs manières, leur parler, leurs habitudes de table, tout ce qui peut marquer leur différence , leurs tâches qu’ils accomplissent avec une efficacité que l’on pourrait donner en exemple.
Le village de N. a eu la bonne fortune de se voir gérer par une suc-cession d’hommes remarquables, intuitifs et enthousiastes, soucieux du bien public et suffisamment avisés pour le faire entrer dans le siècle avec un peu d’avance, de sorte que la population, au lieu de décroître comme alentour, s’est maintenue, avec un niveau de vie rarement atteint ailleurs. Des experts suisses et Scandinaves viennent le visiter et s’inspirer de ses méthodes.
Ils repartent avant le soir pour aller se loger en ville.
Moi, je suis là à demeure. Je me plais dans cette ruche qu’est le village de N., où l’on a créé des ateliers d’une haute technicité, où il est aisé de trouver à la bibliothèque municipale l’ouvrage que l’on cherche, où il est toujours possible de rencontrer quelqu’un avec qui parler d’art, de littérature ou de cosmogonie.
Oui, tant que le soleil brille encore assez haut dans le ciel.
La plupart des gens de N. ont une qualification et leur emploi au village.
A les voir au travail, on ne pressent rien de ce qui va venir. Mais vers la fin de l’après-midi, ils changent : distraits, taciturnes, bientôt fébriles.
Ils suspendent le geste qu’ils vont accomplir, lèvent la tête, pareils à des animaux inquiets avant l’orage. Mais le ciel est pur. Rien n’altère la plus belle lumière du jour à son déclin. Et pourtant… Ils suivent des yeux le disque du soleil maintenant au bord de l’horizon. Alors, comme à un leurs comptes, et, par petits groupes, ils s’assemblent, avec l’air décontenancé de ceux qui ne savent quelle résolution prendre dans leur détresse.
Ils restent encore un moment immobiles, le visage rougi par les feux du couchant, puis, subitement, se mettent en marche. Ils marchent de plus en plus vite, ils grimpent en courant la colline, anxieux d’en atteindre le sommet avant que le soleil sombre définitivement.
Ils arrivent en haut juste à temps pour le voir disparaître, et lorsqu’il n’est plus qu’une mince trace de lumière plus vive dans le rougeoiement du ciel, ils sautent, ils sautent, pour un dernier regard, une dernière vision.
Comme ils sautent ! signal, ils abandonnent leurs instruments, leurs machines.
Après « soir de mai », c’est le deuxième extrait de ce livre, paru chez Gallimard, dont on peut trouver une analyse ici.
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François Corvol – vivre comme tu vis
vivre comme tu vis. ivre de vivre. dans ton périmètre. dans ta voix. ce timbre ici-bas. dans ta bouche. dans le creux. bleu. noir. le cadran solaire. cousu de fil d’or. avec les chats. dans le ciel. ouvert dans le pôle. dans le manteau blanc. le tableau. la main du maître. pour l’enchantement. la minute. sur le bord de l’eau. saturne. pour la tiédeur. sans mouvements. écoulée. par le hublot. les heures. le temps. que le sortilège. dans la vase. et la fumée. ton portrait. sur la page. parmi les oiseaux. tour à tour. replongent. les bêtes. à cent lieux. après que la lave. avec l’orage. coula. recousu. une meute. le piano. à la forme de ton oeil. ouvert. attrapé. bruissement d’insecte. pelé. dans les os. pour la nuit. sur le dos. souvenir. abrité. tendu. parole de nerfs. en-dessous. la peau. figurine. où le rêve. contigu. se ressource. surpris. loin de la chambre. achevé. sitôt formé. en fumée. inconnu. déjà. imagine. un instant. a duré. par la fenêtre. le rideau. mouvant. invité. silencieux. persistances. par petits bouts. son histoire. obstinée. remuer. son corps. le poids. sur la terre. un moment. encore. et marcher. avec la musique. et les crampes. les pas. un à un. sur la mer. gelée. diurne. ivre. vivre comme tu.
Ecriture paysagère, plume voyageuse ( RC )

photo: Yann Arthus Bertrand – îles d’Aran – Inishmore
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J’ai écrit sur les causses et les montagnes
L’aube sur les étangs gelés, en rase campagne
Les déplacements minuscules, qui font sans doute
La différence, aux zébrures de parcours d’autoroute…
J’ai aimé la nef affleurant des îles d’Aran
Les nuages empilés, de ces îles sous le vent
Les champs qui ondulent, et contournent les collines,
Les pins sylvestres attentifs, au bord des dolines,
En attendant que l’orage cesse, sous un abri de roc,
Ma tête convoquait les ogives d’une cantate baroque
Les toits dansants d’un village provençal,
Un marché, fruits et légumes, jonglant de couleurs sur les étals.
Avec mes croquis des maisons d’Amsterdam,
Sous un ciel si bas, que les nuées condamnent,
Je me suis donné l’espace d’un défi,
Sans transcrire en photos, architectures, et géographies…
La plaine est immobile, et la plume voyageuse,
Et caresse aussi bien les bords de la Meuse,
Que le bourdonnement têtu des abeilles
Dans les calanques, près de Marseille.
RC – 29 juin 2012
La route tracée de pluie ( RC )
La route tracée de pluie
Ta route est tracée de pluie et de soleil
Les ombres s’y allongent et s’y diluent
Dans une perspective incertaine
Les allers et retours, et croisées de chemin
Offrent en raccourcis leurs ornières et leurs dos d’âne
Les reflets des orages dans les flaques
Et celui de ta vie, qui mène comme elle l’entend
Son petit bonhomme de chemin
Et croise souvent le mien.
C’est à croire que la carte est écrite,
Qu’il est des rencontres fortuites,
Ou presque, qui nous retrouveront à l’abri
Aux petits bars de la côte, les odeurs de soupe
de chou-fleur et les fish ‘n chips,
Alors que la mer s’est suspendue,
Un instant de repos en paysage
Et la lumière au fond de toi
Qui me guide souvent, d’entre les nuages…
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18 juin 2012
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auquel de nouveau Lutin fait écho avec
C’est douloureux et tendre à la fois
la route tracée de pluie
le silence des corps interdits
pliant leur ombre en désespoir
Comme il est doux de traverser les lieux solitaires
dans le dos des marches
descendre le long fil de l’oubli
refusant de dormir
le soir tendu comme l’orage
Il manque la longévité des heures
cogne le cœur
un jour le ciel s’arrêtera de pleurer
creusant la mer de sel
aux couleurs d’un champ de neige
Entre-temps les cheveux poussent
fleurs aquatiques dans les flaques d’eau
la mort n’éteint pas les lumières
glissent nos yeux dedans
les mains retenues
lutine – 19-06-2012
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Colère et éclaircie ( RC)
Il y a dans mon ciel, quelques nuages
Portés par le vent d’Ouest, ils envahissent
Les dessus d’horizons, comme pâte dentifrice
Et se tordent , à mon humeur, – comme c’est dommage ! –
de laisser ,à la colère, toute la place
Et ainsi cacher le dessein solaire
Des contrastes, – le monde à l’envers
Des ombres farouches, qui agacent…
Suspendus au dessus du sol, quelques mégatonnes
S’échafaudent, se bousculent , des projets d’orage
Tardant , maintenant dans le grand balayage
Alors que la trompette d’Eole s’époumonne
Ayant convoqué la grêle et autres intempéries
Tornades et giboulées, d’avant l’été
Est-ce donc d’avoir tempêté
Que le ciel s’est fendu, et qu’on en rit ?
En fronçant les sourcils, un peu par ici
Les cumulus sont allés voir ailleurs
Un paysage plus serein et rieur,
Ce qui nous laisse, au sourire, une éclaircie.
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RC -26 mai 2012
-sur le même thème, Rainer Maria Rilke s’exprimait ainsi:
Après une journée de vent,
dans une paix infinie,
le soir se réconcilie
comme un docile amant.
Tout devient calme, clarté…
Mais à l’horizon s’étage,
éclairé et doré,
un beau bas-relief de nuages.
Rainer Maria Rilke – quatrains valaisans
Epopée orageuse des statistiques ( climatiques) – (RC)
Au vent de demain, supposé souffler fort et haut
C’est réponse à ta lune moribonde
Qui éteint dans son écharpe son petit monde
Aux filaments chevelure de vagabondages météo
Il faut aduler , perchés sur une échelle
Les images vagabondes, crinières en tresses
De la cavalcade fantaisiste des déesses
Zébrant l’atmosphère, passages en nacelles
L’étonnement des étoilées – bannières
Se penche jusqu’aux états Floride
Rêvant de retrouver bientôt le ciel limpide
Pour tracer leur destin d’astres – fières
De prétentieuses constructions élancées
Il faudra de cette vision, qu’on se console
Nous apparaissent géantes , que vues du sol
Mais le vent solaire pourrait bien tout balancer
En sortant de son chapeau quelque ouragan
Quelque tempête à démonter les murs solides
Des forteresses bordant les plaines arides
Assaisonné de montagnes vertes venues d’océans
Le temps se détend, d’un coup avec délice
Vomit sur les sols secs, une tempête de neige
Etend un manteau blanc sur les crètes beiges
Etonnées – comme nous – d’un soudain caprice
C’est l’occasion à faire parler les statistiques
De mentionner, ici et là, la terre qui bouge
Et graver sur les maisons du village un trait rouge
De l’inondation la mémoire du dit historique
La tempête aplatissant les arbres en pas de géant
Les fauves lâchés dans la nature, désorientés
Rescapés de l’arche de Noé – qui s’est échouée
Et remplir les colonnes -faits divers – mais c’était avant.
Avant, c’était hier – Le soleil est revenu, son petit four
Sèche les décombres , il faudra repartir
Après le grand coup de balai tout reconstruire
Repartir sur de bonnes bases ( dit-on avec humour)
Mais que sont donc ces résolutions
Sans voir plus loin que le bout du nez ?
En catastrophes futures, condamnés
A jouer toujours, en avenir, la répétition…
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— Inspiré des divers dérèglements climatiques, tsunamis, ouragans, etc… et en particulier du livre grandiose de Laurent Gaudé « Ouragan », ( Actes/Sud) qui, – plus que les éléments météo eux-même, –met en scène des hommes-fauves – désorientés – mais qui restent fauves malgré tout.
—— voir en celà mes deux parutions sur Ouragan:
Instigation: la parution toute récente de JoBougon
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parution qui a sa « suite » avec « le côté lisse »
Souvenir voyageur ( RC )
En parcourant le blog d’Oceania,
j’ai fait comme souvent, un parcours dans les lointaines parutions dans le temps, pour les réactualiser…
je suis donc parti du poème de Louis Brauquier, pour varier sur sa page
et en voici le résultat…
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Lorsque mon souvenir ira voyager dans vos paroles
En possible accueil, c’est une trace ténue
Qu’en vous soigneusement, vous garderez émue
En une dernière escale, comme une aile frôle
Au plus sûr de votre cœur, ce sera une place.
Pour l’ ami aux paroles prodigues
Ayant peut-être égaré le nom, qui navigue
Au milieu de l’esprit que rien n’embarrasse
C’est un homme vivant qui part et s’élance
Comme un ciel d’orage sur les mâts
L’homme le plus tenté par l’amour s’ébat
Et pousse les navires avec élégance
Michel REYNAUD, – Ote – (Mon corps me manque)
ÔTE
cherche la conque
où résonnent les paroles
là où il fait sombre
se trouvent les orages
sous les dents
de la pluie
cherche
main ne te protège pas
ôte encore toujours
tes vêtements
qui retomberont
comme mots sur la page
si le fou ou l’impudique
répond que tu n’es pas
mais ôte encore
ôte toujours.
Michel REYNAUD, Mon corps me manque, Mars 2011
Je suis l’orage (RC)
Le Ruisseau en murmure
et cette larme silencieuse.
Portée d’eau – la paresseuse-
aux endroits les plus creux, stries, flaques et vallées
Faisant son chemin, poussée de par sa masse,
roulée sur le visage et vers de lointains océans.
Tu scruteras ce flux, sensible,
ainsi le rai de la lumière
aux rebonds des volumes; la larme à la rondeur
du visage
l’encre, aux pentes provoquées du papier.
Ce ruisseau qui murmure, la chute qui cascade, les grands méandres en fleuves,
sont à l’inverse de ma brosse,
qui court sur le fil de la toile, en caresse les reliefs,
dépose sur ses collines
son écorce de couleurs, ses habits de fête.
qui court en pâte brute, en pâte fine, demi-matière chargée d’eau, – aimante, électrostatique
de parcours artistisques. déposée, frottée, retranchée…..
Je suis l’orage
qui précipite, macule, rature et bouscule la géographie étale
de mille pages aux mille visages.
– Notre ronde – le monde,
mille pages de mille visages, sculptés, bousculés,ravinés, basculés,
sédiments d’eau
sédiment-terres
Se taire.
Des colères qui hurlent, aux larmes silencieuses
sur les statues des arbres et géants de pierre_______
Une page de la vie, toujours détruite, et naissante;
et recommencée.
RC 2001